Correspondance de Napoléon – Août 1804

Pont-de-Briques, 26 août 1804

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, il sera fourni cette année cent élèves on pensionnaires de l’école militaire de Fontainebleau, destinés à remplir les places de sous-lieutenants dans l’infanterie et la cavalerie. Ils doivent être âgés de plus de dix-neuf ans, être de la taille de plus de cinq pieds un pouce, savoir parfaitement toutes les manœuvres d’artillerie et d’infanterie. Ces élèves me seront présentés à la première parade que je passerai à la fin de fructidor ou au commencement de vendémiaire; ils défileront devant moi, et je les verrai l’un après l’autre.

Vous préviendrez le gouverneur que je leur ferai commander l’exercice.

Les prytanées de Paris et de Saint-Cyr fourniront, cette année, deux cents jeunes gens qui seront envoyés dans les corps comme caporaux, fourriers ou même sergents-majors. On en enverra de préférence dans les corps qui ont fait le plus de pertes. Ils devront savoir parfaitement l’exercice de l’infanterie, avoir plus de cinq pieds, être âgés de plus de dix-sept ans. Ils me seront également présentés et défileront à la parade que je passerai en fructidor ou en vendémiaire.

Vous me ferez un rapport sur le nombre de jeunes gens qui devront sortir de l’École polytechnique, et sur les places qu’on devrait leur donner, mon intention étant de les utiliser pour l’armée. Vous me présenterez, avant le 15 fructidor, le travail des jeunes gens choisis dans l’École militaire de Fontainebleau et dans les prytanées de Paris et de Saint-Cyr, et celui des corps où on peut les placer. Il me paraîtrait convenable d’en mettre dans les corps revenant d’Égypte et dans ceux ruinés par la campagne de l’an VII. L’avancement y est rapide, et ces corps manquent de sujets pour faire des officiers et des sous-officiers.

Vous ferez faire à Fontainebleau et dans les prytanées de Saint-Cyr et Paris un état à part de tous les jeunes gens qui auraient vingt ans et n’auraient pas plus de cinq pieds; ils seront destinés pour les voltigeurs.

 

A la baraque de la Tour d’Ordre, au camp près Boulogne, 27 août 1804

NOTE POUR LE MINISTRE DU TRÉSOR PUBLIC

L’Empereur fait connaître au ministre du trésor public que la solde de l’armée ne doit pas excéder quatre-vingt-seize millions pour l’année entière; il le charge de vérifier, par approximation, les payements faits. A cet effet, il prendra la dernière revue de messidor, et il en fera établir le décompte par corps et par régiment. Il aura soin de soustraire les corps qui sont dans le Hanovre, dans la Batavie, dans 1’Étrurie, dans les colonies, et ceux qui sont embarqués sur les vaisseaux de guerre. Comme il a été dépensé cent dix-neuf millions pour onze mois, cette dépense suppose environ 10,820,000 francs par mois, et pour l’année cent trente millions. Rechercher si cela ne vient pas de ce que l’on comprend dans cette somme le pain blanc qui se paye comme solde; s’il n’en est pas de même des dépenses des officiers de santé et des masses d’entretien payées par l’administration de la guerre. Dans ce cas, il faudrait déduire ces diverses dépense pour avoir avec précision la somme que coûte réellement la solde.

 

À la baraque de la Tour d’ordre, 27 août 1804

Monsieur Talleyrand, Ministre des relations extérieures, vous trouverez ci-joint la manière dont je pense qu’il faudrait s’expliquer avec l’Autriche. Ce qu’elle veut n’est pas clair; si elle est raisonnable, ce qui est dit dans la note doit lui convenir. Je vous ai déjà écrit que je vous verrai à Aix-la-Chapelle, et que j’y recevrai de Cobenzl. Rien n’empêche M. de Gallo de s’y rendre.

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PROJET DE RÉPONSE AU COMTE DE COBENZL

Monsieur le Comte, je me suis empressé de mettre sous les yeux de Sa Majesté Impériale la lettre que Votre Excellence m’a fait l’honneur de m’écrire le 24 courant et les pièces qui y étaient jointes. J’ai pris soin pareillement de rendre compte à Sa Majesté Impériale de la conférence que j’ai eue samedi dernier avec Votre Excellence, Sa Majesté l’Empereur a appris avec satisfaction la proclamation du chef de la Maison d’Autriche à la dignité impériale héréditaire d’Autriche. Il m’a chargé de vous faire connaître les ordres qu’il a donnés pour que des lettres de créance soient expédiées sur-le-champ M. de Champagny, où S. M. l’empereur d’Allemagne sera reconnu comme empereur héréditaire d’Autriche. Quant au cérémonial d’étiquette, Sa Majesté Impériale m’a chargé de vous faire connaître qu’il pense que les trois empereurs d’Allemagne, de France et d’Autriche doivent conserver entre eux les mêmes rapports et le même cérémonial qui était établi entre l’empereur d’Allemagne, le roi France et le roi de Bohême et de Hongrie, archiduc d’Autriche. Je profite de cette occasion, Monsieur le Comte, pour vous assurer du désir constant de Sa Majesté l’Empereur de maintenir la bonne intelligence et de resserrer les liens entre les deux États.

 

Saint-Omer, 28 août 1804

A M. Fouché, ministre de la police générale

Monsieur Fouché, Ministre de la police générale, les notes que vous m’avez remises sur l’impuissance de la Russie sont faites par un homme de beaucoup d’esprit. Vous pensez bien qu’elles ne m’ont appris rien de nouveau; mais j’y ai remarqué une chose que je trouve rarement dans ces sortes d’écrits, c’est qu’il n’y a pas un mot que je désavoue, et quelles sont écrites avec beaucoup de facilité. Faites-m’en connaître l’auteur. Je vous renvoie les notes, pour que vous les fassiez imprimer dans un journal comme traduites d’un journal anglais. Vous en choisirez un dont le nom soit peu connu. Il n’y aura qu’à y ajouter, pour les rendre plus présumables, une seule phrase pour l’Angleterre, à l’endroit où il est question des relations extérieures de la France.

 

Saint-Omer, 28 août 1804

A M. Marescalchi

Monsieur Marescalchi, j’ai reçu la lettre du vice-président. Je n’y réponds pas, parce que je pense qu’elle est écrite sans réflexion. Elle me donnerait une bien mauvaise opinion de la patrie italienne et de la Lombardie en particulier, si j’en pouvais penser qu’elle désirât retourner à l’Autriche par la seule raison qu’elle payait moins. Melzi avait une attaque de goutte lorsqu’il écrivait cela, et c’est mal connaître le genre humain et l’esprit des nations, même les plus dépravées et les plus lâches, que de croire qu’elles puissent considérer leur existence politique d’après le plus au moins de charges.

 

Saint-Omer, 28 août 1804

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, Ministre des relations extérieures, je vous avais déjà fait connaître que je désirais que l’Électeur de Bade chassât le directeur des postes de Kehl, qui est un coquin, le tint éloigné et le remplaçât par un honnête homme qui n’entrât dans aucun complot contre la France. Cet homme est toujours en place.

 

Saint-Omer, 28 août 1804

Au vice-amiral Decrès

Monsieur Decrès, Ministre de la marine, il me semble qu’il n’y a pas un moment à perdre pour envoyer un amiral commandant l’escadre de Toulon. Elle ne peut être plus mal qu’elle n’est aujourd’hui entre les mains de Dumanoir, qui n’est ni capable de maintenir la discipline dans une aussi grande escadre, ni de la faire agir. Il me parait que, pour commander cette escadre, il n’y a que trois hommes : Bruix, Villeneuve et Rosily (François-Étienne, comte de Rosily-Mesros, 1748-1832, vice-amiral depuis septembre 1796. En septembre 1805, il commandera la flotte combinée franco-espagnole dont il ralliera les débris après Trafalgar). Pour Rosily, je lui crois de la bonne volonté, mais il n’a rien fait depuis quinze ans, et j’ignore s’il a été bon marin et les commandements qu’il a eus. Toutefois il y a une chose très-urgente, c’est de prendre un parti sur cela. Il y a encore des matelots en France. Le général Davout m’a assuré que, si on lui donnait l’autorisation nécessaire, sans que les syndics ni personne en fût instruit il pourrait enlever 800 hommes; ce serait une chose assez importante. Écrivez dans ce sens à ce général. Il y en a encore sur les côtes de Normandie et de Bretagne. Il faut une mesure extraordinaire. Il serait aussi bien important que l’Algésiras fût prêt à Rochefort avant l’équinoxe.

 

Saint-Omer, 29 août 1804

DÉCISION

Réclamation du cardinal-légat au sujet d’une lettre du magistrat de sûreté de Moulins, traitant des questions relatives à l’intervention du clergé dans les obsèques religieuses. Le ministre des cultes écrira au Cardinal-légat pour le rassurer et au magistrat de sûreté de Moulins pour lui dire que son ministère se borne à constater les plaintes et à les adresser au Gouvernement et qu’il ne doit en aucune manière se permettre de décider sur des points de doctrine.

 

Arras, 30 août 1804

A M. Cambacérès

Mon Cousin, je suis à Arras; je suis satisfait de l’esprit de ce département.

Il faudrait s’occuper de faire payer par les diligences et autres voitures publiques le million que nous coûte l’entretien des postes; ce million est un fardeau bien lourd pour le trésor et est insuffisant pour maintenir les postes.

Le tribunal de cassation coûte un million : je voudrais que, par un droit mis sur les produits de ce tribunal, on gagnât ce million. Enfin je voudrais que, par une loi particulière et qui précéderait les codes civil et judiciaire, on diminuât de trois millions les frais de justice ; tous les juges disent que cela est très-facile. Ces cinq millions seraient une grande charge ôtée au trésor public.

Il est aussi une chose que réclament tous les départements : c’est l’abolition du droit de passe. Tous sont d’accord que, par une imposition sur les chevaux et sur les bestiaux, on obtiendrait le même produit, en déchargeant la nation d’un impôt vexatoire, qui lui coûte la moitié plus qu’il ne rend.

Je vous charge de faire les projets de ces nouvelles dispositions et vous autorise à tenir les conseils nécessaires. Pour les trois premières, elles sont indispensables et instantes ; quelques principes que l’on mette en avant, il est impossible au trésor de payer, et les postes ne peuvent rester dans l’état où elles sont. Il y a plus d’une rixe de poissardes qui coûte plus de cinquante écus, et il estdes procès qui se termineraient à la satisfaction des parties, si j’autorisais les juges à payer en indemnité ce que coûte la procédure. Rendez-moi compte de ces différents projets, dont je conçois toute la gravité.

 

Camp d’Arras, 30 août 1804

Au roi de Prusse

Monsieur mon Frère, en reconnaissant ma Maison comme impériale héréditaire de France, la Maison d’Autriche a voulu, à son tour, être reconnue pour Maison impériale d’Autriche. Cette circonstance m’a fait naître le besoin d’exprimer à Votre Majesté combien le procédé de la Prusse a plus de prix à mes yeux, et j’ai voulu lui exprimer directement, par l’organe de M. d’Arberg, auditeur en mon Conseil d’État, la ferme intention où je suis de contribuer, en tout ce qui m’appartient, à l’éclat de sa couronne, ainsi que le désir constant que j’ai de lui être agréable.

 

Arras, 31 août 1804

A M. Fouché

Monsieur Fouché, Ministre de la police, je vois, par votre bulletin du 9, que vous avez renvoyé à la surveillance inaperçue la surveillance des amnistiés. Cette surveillance inaperçue est un mot dont je n’ai jamais vu les effets. Je désire connaître la liste de tous les individus amnistiés qui ont signé chez le préfet de police, et qu’on éloigne de Paris les plus dangereux. Mon intention est qu’aucun amnistié de la guerre de la Vendée n’ait permission de rester à Paris, et qu’ils en soient éloignés de plus de quarante lieues, ainsi que du théâtre de la chouannerie. Je ne pense pas que le grand juge ait soumis les émigrés à une surveillance particulière; cet ordre avait été restreint aux seuls individus ayant pris part à la guerre civile; on les avait soumis à une surveillance provisoire pour avoir leurs noms et leur demeure, pour les éloigner ensuite de Paris. Tenez la main à ce que d’Avaray, Septeuil, Bouthilliers, un comte de Laval, ne demeurent point à Paris et établissent décidément leur séjour à quarante lieues de Paris.

Quant à votre surveillance inaperçue, j’ai trop d’expérience pour en faire grand cas. Donnez ordre que le prêtre de Bouillé, dont il est question dans votre rapport, ainsi que le nommé Davonay et le chef de chouans, soient arrêtés et mis en lieu de sûreté. Demandez un rapport sur eux, afin de voir quel parti il y a à prendre. Il est urgent enfin d’établir des prisons d’État pour les chouans ou autres individus qu’on arrête. Occupez-vous de cela, afin qu’on ne soit plus exposé à voir des hommes comme Bourmont, d’Andigné, Saint-Maur, se sauver des prisons mal organisées où ils sont placés. Faites arrêter Teissonnet, ancien agent du prince de Condé. Faites éloigner de quarante lieues de Rennes la mère et la tante de Lahaye Saint-Hilaire; envoyez-les dans une petite commune de Bourgogne, et faites-leur sentir, par le canal des administrations, que, dans tout autre gouvernement, par les seules liaisons quelles conservent avec Lahaye Saint-Hilaire, elles seraient mises en arrestation. Les légions d’Enghien et de Royal-Bourbon, qu’on suppose se former en Russie, sont des contes; il ne peut donc y avoir personne qui sorte de France pour cet objet. Des hommes comme Beaulieu, d’Orly et Lapointe ne doivent point être soufferts à Paris. Si on veut les garder en France, il faut les éloigner à quarante lieues de la capitale. Le seul moyen de conserver la tranquillité et un bon esprit dans Paris est de n’y souffrir des hommes d’aucun parti.

On dit qu’un certain nombre de terroristes vivent à Paris, y font du mal, et sont pour beaucoup dans les bavardages insignifiants de la capitale. Renvoyez-les chez eux. Ce détestable journal le Ciloyen français paraît ne vouloir se vautrer que dans le sang. Voilà huit jours de suite qu’il ne nous entretient que de la Saint-Barthélemy. Quel est donc le rédacteur de ce journal ? Avec quelle jouissance ce misérable savoure les crimes et les malheurs de nos pères ! Mon intention est qu’on y mette un terme. Faites changer le directeur de ce journal, ou supprimez-le, et, sous quelque prétexte que ce soit, défendez qu’on emploie ce style dégoûtant et bas des temps de la Terreur, qui avait au moins un but, celui de déprécier les institutions existantes. Que, sous aucun prétexte, il ne se mêle de religion, et ne fasse plus d’article Chronologie. Que faites-vous d’hommes comme Gourlet à Paris ? Beaucoup de gens de cette trempe y sont, et je commence à être convaincu que ce grand tapage de bruits vient un peu du parti terroriste.

 

Mons, 31 août 1804

A M. Cambacérès

Mon Cousin, la loi sur les monnaies a passé au Conseil d’État. Je l’ai retardée pendant deux mois, et j’ai cédé, en la signant, aux sollicitations du ministre des finances. Je couche ce soir à Mons; je serai probablement dimanche à Aix-la-Chapelle.

Faites dire à M. Lagarde, qui a acheté la cathédrale d’Arras, d’en niveler les débris, puisque c’est une des clauses de son marché. Ces ruines, qu’on laisse sur pied, sont révoltantes. Je désirerais que vous présentassiez au Conseil d’État un projet de loi qui obligerait tous les individus qui ont acquis des édifices nationaux, ecclésiastiques ou autres, dans l’enceinte des villes et à deux lieues aux environs, à en avoir démoli les débris avant le ler vendémiaire an XIV, de manière à faire disparaître les regrets qu’excite dans les villes la perte de ces monuments. Si, au 1er vendémiaire an XIV, ces démolitions n’étaient pas faites, les préfets et les chefs d’administration les feraient faire aux frais des propriétaires. On a l’air, en traversant la France, de traverser des villes qui ont été bombardées. Ces messieurs ont acheté pour rien, ont vendu le plomb, etc., et laissent le reste sur pied.

Je désire que M. Bigot-Préameneu se rende sans délai à Aix-la-Chapelle avec tout le travail qu’il peut avoir sur les biens de la rive gauche du Rhin. S’il y avait empêchement par cause de maladie ou par toute autre cause, vous donneriez le même ordre à un des conseillers d’État qui étaient de la même commission.

 

Mons, 31 août 1804

A M. Gaudin

Monsieur Gaudin, Ministre des finances, je désire que l’administrateur de l’enregistrement que j’ai, l’année passée, envoyé dans les quatre départements réunis, pour y faire un travail sur les bien de la rive gauche, se rende sans délai à Aix-la-Chapelle avec ce travail. Je fais donner le même ordre à M. Bigot-Préameneu. Remettez lui les décrets à signer en conséquence du travail général sur cette matière. Voyez M. Bigot-Préameneu avant qu’il parte, afin que, s’il juge la présence de Mathieu utile, il le fasse partir avec lui pour Aix-la-Chapelle.