Correspondance de Napoléon – Août 1804

Calais, 6 août 1804

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, Ministre des relations extérieures, je désire que vous me fassiez un rapport sur les demandes de médiation que me fait la Maison de Hesse-Rothenbourg. Répondez à Bacher que mon intention est de ne faire aucune espèce de note, quand même le protocole s’ouvrirait en Empire, mais seulement de faire déclarer au ministre de l’empereur que, si l’on ouvre le protocole, on recevra une déclaration imprévue, qui sera fort désagréable à la cour de Vienne, dont le résultat pourra conduire à compromettre le repos dont jouissent les deux États; et qu’alors la cour de Vienne en sera seule la cause, en voulant s’amuser à piquer la France à coups d’épingle. Il doit dire aux ministres électoraux de prendre garde à ce qu’ils font; que la France a montré plus de modération qu’on n’avait droit de s’y attendre; qu’il y a deux mois qu’elle se laisse offenser; que les démarches fausses et petites de la cour de Vienne donneront lieu à une déclaration de l’Empereur des Français, qui déconsidérera le Corps germanique ou troublera le repos dont jouissent les deux États; que la première paix s’est faite à Lunéville aux dépens des électeurs ecclésiastiques; que la seconde pourra se faire aux dépens des princes qui ont pris le plus de part à pousser le Corps germanique contre la France. Je désirerais que vous rédigeassiez une note dans ce sens :

« Le soussigné, ministre de S. M. l’Empereur des Français à Ratisbonne, a reçu l’ordre exprès de sa cour de demander à la diète qu’on lève l’incertitude qui est laissée sur les points les plus importants de la constitution germanique par l’oubli qui a été fait d’une partie des déterminations du conclusum de Ratisbonne dans le rescrit impérial. La diète doit trouver naturelle cette sollicitude de l’Empereur des Français, comme voisin de l’empire germanique et ayant avec lui des relations multipliées, comme partie contractante du traité de Lunéville, et au titre qu’a toujours exercé la France de protéger la véritable constitution d’Allemagne et les princes faibles contre l’ambition et l’arbitraire des forts. Sa Majesté l’Empereur des Français ne saurait reconnaître en Allemagne un pouvoir au-dessus de la diète, et moins encore un pouvoir inconnu de tronquer un conclusum, d’en admettre ce qui peut être convenable à l’empereur, et d’en laisser tout ce qu’il peut juger ne pas lui être favorable; s’il en était ainsi, il suffirait d’un simple conseil aulique, il n’y aurait aucun besoin de diète. Le soussigné est également chargé de déclarer que le conseil aulique, étant entièrement dans la dépendance de la cour de Vienne, ne peut être considéré comme tribunal compétent pour juger les différends entre les princes; que, dans cette hypothèse, tout l’Empire serait entre les mains de l’empereur. »

Rédigez cette note en radoucissant beaucoup. Il est bon de l’envoyer d’ici à huit ou dix jours. Mon but est de faire entrevoir que j’interviendrai seul dans les affaires d’Allemagne, et que, si la cour de Vienne continue à tenir cette conduite louche, je pousserai la diète contre elle l’épée dans les reins.

Écrivez à M. de Cobenzl une lettre dans laquelle vous lui direz que l’Empereur des Français n’a pu être indifférent aux acquisitions importantes que fait la Maison d’Autriche; que le principe de pouvoir acquérir à prix d’argent, ou par tout autre moyen, des souverainetés ne peut être admis; qu’elle vient d’acquérir Lindau, et qu’il est question de réunir en Souabe ses possessions pour en faire une souveraineté; que le but des stipulations de Lunéville et de Ratisbonne a été d’éloigner les frontières des deux États, afin d’éviter le plus possible des discussions; qu’un plan opposé serait tout à fait contraire à l’esprit du traité de Lunéville et à l’intérêt de l’Allemagne et attirerait la sollicitude de I’Empereur des Français; que vous êtes
fondé à penser que les éclaircissements qui vous seront donnés dissiperont les alarmes que j’aurai pu concevoir, et que, par la paix qui a été si heureusement rétablie, mon intention bien prononcée n’a pas été d’empiéter sur l’empire germanique mais d’en protéger au contraire tous les princes et États.

Quelques jours après, vous ferez remettre une note à M. de Cobenzl dans laquelle vous lui direz que M. Bacher a porté à ma connaissance la déclaration faite à la diète par le chargé d’affaires de l’empereur; qu’elle a donné lieu à deux observations qui m’ont frappé : la première, qu’il est inconcevable que l’empereur, dont le premier droit né est de demander des éclaircissements sur tout ce qui peut intéresser le Corps germanique, que l’empereur, qui a stipulé à Lunéville pour le Corps germanique sans l’intervention de la diète, fasse une déclaration qui porte que la diète doit demander que l’Empereur des Français donne des éclaircissements sur un fait quelconque; qu’il était plus simple que l’empereur les fit demander; qu’il est vrai en effet que, s’il ne l’avait pas fait, c’est que déjà il les avait reçus, et que, dans la lettre qu’il écrivit à M. de Cobenzl, et que celui-ci communiqua, il en était positivement question ; que, du reste, je ne puis voir dans cette conduite qu’une envie de me tracasser à coups d’épingle, manière indigne de grandes puissances éclairées et voisines, qui devraient avoir appris à se ménager et à traiter les affaires qui les regardent avec plus de sérieux, plus de considération et moins d’incartades; que , si le protocole s’ouvre, l’empereur des Français ne pourra s’empêcher de dire sa pensée tout entière; et que si , par suite, la cour de Vienne s’en trouve vivement offensée, elle devra se ressouvenir que pendant deux mois l’Empereur des Français a laissé le champ libre à ceux qui ont eu la volonté ou l’intérêt de troubler la paix du continent; que ces observations sont tellement importantes, que vous priez M. de Cobenzl de ne pas différer d’un instant de les porter à la connaissance de l’empereur; que la dernière démarche a remis le continent dans l’incertitude; qu’il faut que cela se décide, et que l’intention de l’Empereur des Français est qu’on lui dise franchement dans quelle situation on veut rester avec lui. Mon intention est effectivement de terminer promptement les affaires du continent et de n’y laisser rien d’incertain, soit à cause de l’influence qu’elles ont sur les affaires d’Angleterre, soit pour me décider dans mes opérations militaires et maritimes, soit à cause du couronnement.

J’ai vu avec peine, par la correspondance de MM. Champagny et Laforêt, que vous avez écrit à Berlin et à Vienne pour qu’on renvoyât la lettre du comte de Lille. C’est y donner trop d’importance, et c’est une démarche mauvaise, que je ne saurais approuver. L’oubli, le mépris, l’insouciance est le meilleur parti à prendre dans des affaires le cette nature.

J’adhère à la demande de l’archichancelier de l’Empire, et je nomme pour résider auprès de lui M. Portalis, secrétaire de légation à Berlin.

Vous verrez, par la réponse que je vous ai autorisé à faire aux Ouvertures de Lucchesini, que l’armée du Hanovre ne sera pas augmentée, à moins qu’elle ne soit en danger réel d’être attaquée par les russes. Quant aux affaires de cet électorat, c’est à lui à nourrir nos troupes. Après la démarche surtout que vient de faire son envoyé à Ratisbonne, il ne faut point ménager cet électorat. Si les États veulent faire un emprunt, je n’ai rien à y faire; mais mon intention est de ne point intervenir. Vous ferez dire par Durand ou par tout autre, aux députés qu’ils ont à Paris, que j’exige qu’ils rappellent leur envoyé à Ratisbonne; que, sans cela, je les traiterai militairement. Durand ne manquera pas de dire que cette démarche m’a fortement indisposé contre eux, et que je sais fort bien que, s’ils avaient voulu intervenir, elle n’aurait pas été faite; que, si M. de Reden continue à rester à Ratisbonne, il sera traité comme émigré.

Beaucoup de choses me font penser que la cour de Vienne met plus de duplicité que vous ne croyez dans sa conduite. Elle était instruite de la conjuration; elle élevait le ton en conséquence; Cobenzl à Paris tient plusieurs langages, et c’est par son canal que la correspondance s’est faite longtemps avec Varsovie. Faites répondre par la même voie dont se sert Lucchesini pour faire ses insinuations que tout est facile à arranger avec les Russes, hormis les injures et les menaces, qu’il n’est pas dans notre position de digérer.

 

Calais, 6 août 1804

A l’impératrice Joséphine

Mon Amie, je suis à Calais depuis minuit; je pense en partir ce soir pour Dunkerque. Je suis content de ce que je vois et assez bien de ta santé. Je désire que les eaux te fassent autant de bien que m’en font le mouvement, la vue des champs et la mer.

Eugène est parti pour Blois. Hortense se porte bien. Louis est Plombières.

Je désire beaucoup te voir. Tu es toujours nécessaire à mon bonheur. Mille choses aimables chez toi.

 

Calais, 7 août 1804

A M. Fouché

Monsieur Fouché, Ministre de la police générale, je vois dans 1a Gazette de France que Dessalines a fait une Légion d’honneur. Il serait bon de vérifier si ce n’est pas une mauvaise plaisanterie qu’a voulu faire le journaliste; il me paraîtrait qu’elle serait mal placée.

Je ne vois aucune utilité à faire revenir à Paris des homme comme Septeuil; il est à Bayonne, qu’il y reste. La présence de personnes de cette espèce est très-nuisible à Paris.

 

Calais, 7 août 1804

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, Ministre des relations extérieures, vous avez dû faire connaître à mes ministres près les différentes cours, 1° la raison pour laquelle la cour de Vienne n’avait pas encore envoyé ses lettres de créance; 2° le langage qu’ils avaient à tenir relativement à la note du cabinet russe à Ratisbonne; 3° la conduite de la cour de Vienne à cette diète. Mon intention est de leur faire connaître aujourd’hui d’une manière précise la raison de la conduite inconcevable de la Russie à Ratisbonne et le langage à insinuer, soit dans les journaux, soit dans la conversation. Il n’y a aucune cour aussi pauvre en hommes que celle de Russie; Markof y est un aigle; Voronzof est publiquement connu pour être plutôt citoyen anglais que citoyen russe. Depuis longtemps cette clique avait cherché à vendre les intérêts nationaux de la Russie à l’Angleterre; l’évidence de la raison et l’intérêt de la Russie, joints au sens droit de l’empereur Alexandre, avaient toujours maintenu la bonne intelligence avec la France, et leurs intrigues avaient été déjouées. On a trouvé le moyen de surprendre la note qui a été envoyée à Ratisbonne, non comme démarche qui pût faire aucun effet, puisque Ratisbonne n’est rien (une démarche directe à Paris ou à Vienne était plus conséquente) , mais pour engager l’empereur, espérant que la France répondrait vivement et que l’empereur se trouverait en guerre avec elle sans s’en douter. La prudence de l’Empereur des Français a déjoué cette basse intrigue. La cour de Russie reste aujourd’hui incertaine; elle commence à ‘apercevoir de l’inconséquence de sa démarche; et, dans tout ce qu’elle fait dire à Paris, on ne sait où elle veut aller. Elle a la conscience de son impuissance pour se mêler des affaires de l’Europe; c’est comme si la France voulait se mêler des affaires de la Perse. Tout porte donc à penser qu’une rupture n’aura pas lieu entre les deux puissances. Les gens de bon esprit qui se trouvent à Pétersbourg sentent que cette conduite leur fait perdre toute leur influence, et qu’enfin on ne pouvait mieux expliquer le résultat de toute la conduite de la cour de Russie (soit qu’elle voulût faire la guerre, soit quelle restât dans cet état de bouderie avec la France) que par le mot de l’Empereur des Français en lisant la note présentée à Ratisbonne : « Ah! a-t-il dit, voilà la prépondérance qu’avait acquise la Russie en Europe, par sa médiation avec la France à Ratisbonne, détruite! » Dans le fait, c’est cela seul qu’on peut prévoir. Si la Russie se brouillait avec la France, son impuissance serait telle, que l’Europe cesserait d’avoir pour elle cette estime et cette considération que lui a acquises son alliance avec la France. Si elle s’unissait avec l’Autriche, elle serait battue, et la puissance de la France deviendrait colossale. Ne l’a-t-elle pas été, battue, en Suisse, en Hollande ? Et quand Souvarov arrivait, notre armée n’était-elle pas au delà de l’Adda ? Écrivez dans ce sens; faites des bulletins dans ce sens, et commentez beaucoup la campagne de l’an VII.

 

Calais , 7 août 1804

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, Ministre des relations extérieures, j’ai nommé M. Champagny au ministère de l’intérieur. L’ambassade de Vienne devient par là, vacante. Je désire que vous me proposiez les personnes que vous croyez propres à remplir ce poste important. Comme ce ministre est nécessaire à Paris, vous lui enverrez ses lettres de récréance. Vous pouvez en faire part à M. de Cobenzl, qui est Paris; à cette occasion, vous lui ferez sentir qu’il y aurait de l’inconvenance que l’Empereur nommât un successeur à M. Champagny, si la cour de Vienne ne lui envoie pas en même temps ses lettres de créance.

 

Dunkerque, 7 août 1804

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, non intention est que vous écriviez au général Bernadotte pour qu’il fasse rappeler de Ratisbonne M. de Reden, que, si cette personne ne revient pas en Hanovre, ses biens soient confisqués. Il convient que les États sachent mon mécontentement de la conduite de M. de Reden à Ratisbonne. Ils diront qu’ils n’y peuvent rien; mais il ne faut tenir nul compte d’une pareille réponse Vous recommanderez au maréchal Bernadotte de se faire donner tout l’argent qui est nécessaire pour les besoins de l’armée. Les Hanovriens sont habiles à se prévaloir de fausses apparences. Ils fournissent secrètement de l’argent à leur armée, dont une partie a déjà filé en Angleterre.

 

Dunkerque, 8 août 1804

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, il est de la plus grande importance de faire une circulaire aux généraux commandant les conseils de recrutement, pour leur faire sentir le préjudice qu’éprouve l’État des conscrits malingres et inhabiles au service militaire qu’ils envoient. Un grand nombre est invalide et ruine le trésor public sans aucun avantage. Il serait nécessaire aussi de faire passer sur-le-champ l’inspection aux revues.

 

Dunkerque, 10 août 1804

A M. Cambacérès

Mon Cousin, j’ai reçu votre lettre du 21 thermidor. Je n’ai pu qu’être vivement peiné de l’explication que vous me donnez. Les règles ne sont pas suivies. Je suppose que le ministre du trésor public n’est pas à Paris; faites venir son premier commis et demandez-lui des éclaircissements. Les obligations, à peine signées par le ministre des finances, doivent être mises dans le grand portefeuille, d’où elles ne peuvent sortir que par un arrêté. Je n’ai autorisé aucune sortie d’obligations de l’an XIII. Faites connaître, je vous prie, que les obligations échues qui sont sur la place soient sur-le-champ retirées. C’est vouloir discréditer le trésor public que d’en émettre de cette époque. Non-seulement elles ne sont pas en dépôt, mais elles sont même négociées. Je connais des personnes qui en ont acheté. Je crains fort que notre trésor ne soit dans une fausse direction. Continuez à prendre des éclaircissements sur cet objet. Comment arrive-t-il que ces obligations, si elles n’ont été mises qu’en dépôt, soient négociées et vendues sur la place ? Dites au trésor public qu’aucune ne doit sortir du portefeuille que par mon ordre. Je ne condamne pas le ministre du trésor public; il est trop ami des règles pour avoir permis que des obligations de l’an XIV sortissent du portefeuille. Cependant Maret m’assure que je n’ai rien signé de relatif
à cela.

 

Dunkerque, 10 août 1804

A M. Cambacérès

Mon Cousin, je compte partir cette nuit pour Ostende. J’ai passé la journée à faire manœuvrer les troupes. Veillez à ce que tout ce qui est relatif au couronnement marche. Je me porte fort bien, quoiqu’on s’obstine à Paris à me faire malade. Je ne conçois pas comment il n’est pas possible à la police d’arrêter quelques-uns de ces colporteurs de mauvaises nouvelles, qui évidemment sont poussés par les Anglais.

 

Dunkerque, 10 août 1804

A M. Gaudin

Vous trouverez ci-joint une note qui m’est envoyée de la caisse d’amortissement; sur l’avis que j’ai eu que des obligations de l’an XIV se négociaient sur la place, j’avais fait connaître qu’on n’en achetât. Expliquez-moi comment cela arrive. Je désirerais aussi que, remplissant votre ministère avec exactitude, vous m’envoyassiez des bulletins, au moins deux fois la semaine, de ce qui se fait à la Bourse. J’apprends tout par les autres et rien par vous. Cependant, vivant avec des hommes de finance, ces choses ne peuvent être ignorées de vous.

 

Dunkerque, 10 août 1804

A M. Fouché

Monsieur Fouché, faites arrêter la femme Bernet, femme Montagne, si c’est une émigrée qui fait des voyages de Paris à Saint Pétersbourg. Faites informer sur l’évasion de Bourmont et de d’Andigné; le commandant du fort paraîtrait compromis. Faites mettre le séquestre sur les biens des deux. La conduite de Moreau, qui s’est embarqué à Barcelone, prouve ce que j’en avais toujours pensé, qu’il lèvera le masque et passera en droite ligne chez nos ennemis. Un nommé Montaut, demeurant à Paris, rue Saint-Dominique, n° 942, vend son crédit près les bureaux de la guerre. Un Piémontais a obtenu par son crédit une retraite de 4,000 francs en lui payant tant pour cent. Faites suivre cet homme, et voyez à découvrir ce foyer de corruption.

 

Dunkerque, 10 août 1804

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, Ministre des relations extérieures, je vous renvoie le portefeuille, dans lequel je ne vois rien d’important. Il serait peut-être à propos de faire ressortir l’immoralité de la cour de Pétersbourg, où l’empereur donne des marques de considération si extraordinaires et si inusitées au meurtrier de son père.

L’ambassadeur Cobenzl à Paris est un homme très-faux, très-acharné à peindre tout ce qui se fait ici sous les plus odieuses couleurs. Il paraît avoir bien l’esprit faux de sa cour. Je crois nécessaire de vous dire cela, afin que vous vous en méfiez dans vos communications avec lui, et que vous ne soyez pas plus longtemps dupe de sa prétendue bonhomie.

Je ne pense pas qu’i1 soit utile de tarder plus longtemps de répondre à la Russie; il vaut mieux voir de suite à quoi elle en veut venir. Voici comme je pense qu’il faudrait répondre à M. d’Oubril; vous m’enverrez la note que vous rédigerez en conséquence, afin que je la voie avant que vous la remettiez :

« Le soussigné, ministre des relations extérieures, a mis sous les yeux de l’Empereur la note de M. d’Oubril, chargé d’affaires de Russie. Sa Majesté m’a ordonné de déclarer qu’elle voulait qu’il ne fût porté aucune attention aux injures dont cette note est remplie; qu’elle avait depuis six mois vu avec peine que les notes du cabinet de Saint-Pétersbourg portaient toutes le même caractère; que, lorsque dans des relations aussi importantes on emploie un style si inconvenant, le blâme en est tout entier au cabinet qui s’en sert. Sa Majesté l’Empereur des Français, depuis le moment où elle renvoya les prisonniers russes, n’a pas perdu une occasion de donner une preuve de déférence, d’estime et de considération au souverain de la Russie; en échange, elle n’en a reçu que de mauvais offices. Tous ceux qui voulaient troubler la tranquillité de l’intérieur de la France, tous les individus que le cabinet de Saint-Pétersbourg avait employés en temps de guerre contre la France, l’ont été avec plus d’ostentation depuis la paix; et, dans les détails des affaires, on n’a oublié aucune occasion de montrer à la France de la haine. Lorsqu’on a porté à Saint-Pétersbourg le deuil d’un homme condamné à mort pour avoir conspiré contre la France, Sa Majesté ne s’en est pas plainte; on a poussé l’inconvenance jusqu’à le faire porter en Espagne, à Vienne, même en Hollande. On l’eût fait porter par la légation russe à Paris, que Sa Majesté avait ordonné qu’on n’y fit aucune attention. Mais par là la Russie n’a fait tort qu’à elle. Si elle reconnaît le comte de Lille pour souverain de la France, pourquoi a-t-elle fait des traités et eu des communications immédiates avec le Gouvernement français ? Cette observation n’a échappé à personne en Europe. La Russie est maîtresse de se conduire avec le raisonnement et la conséquence qu’elle veut. La déclaration brusque et inattendue faite à la diète de Ratisbonne n’a point excité les plaintes de la France; elle a porté la modération jusqu’à vouloir l’ignorer. Cependant, quel paraît être le but de cette déclaration ? La cour de Saint-Pétersbourg voulait-elle effectivement avoir des informations ? Que ne les demandait-elle directement ? Voulait-elle faire voir quelle n’avait pour la France aucune considération ? L’Europe, depuis l’affaire d’Entraigues et la conduite de Markof à Paris, n’en doutait plus. Voulait-elle faire sentir qu’éloignée du théâtre de la guerre, elle pouvait rester tranquille au milieu de l’incendie de l’Europe et être maîtresse de s’en mêler ou non ? L’Europe en est persuadée et pensera que la Russie verrait avec plaisir la guerre se rallumer sur le continent, sûre qu’elle n’y prendra que la part qu’elle voudra , se retirera ou avancera comme il lui plaira, et exercera sa prépondérance sur la ruine des autres États. L’Empereur n’est pas assez dépourvu de sens pour ne pas comprendre combien cette politique serait avantageuse à la Russie et défavorable et ruineuse pour lui.

La précédente note que M. d’Oubril a remise a été imprimée dans les gazettes. L’Empereur des Français pourrait en faire de même de sa réponse; il n’a pas cru de son devoir ni de son intérêt d’exciter la guerre du continent, ni d’insulter à qui que ce soit.

Quant aux menaces contenues dans la dernière note de M. dOubril, Sa Majesté l’Empereur m’a ordonné de déclarer que l’histoire du passé n’a autorisé aucune puissance, et la Russie pas plus qu’une autre, à menacer la France; que si le général Souvarof obtint des succès en Italie, l’armée autrichienne en avait déjà obtenu avant qu’il arrivât; et que si son armée, au lieu d’avoir été défaite en Suisse et en Hollande, avait continué à être victorieuse et eût dicté la paix au milieu des plaines de la Champagne et de la Lorraine, les menaces n’eussent pas plus réussi avec la France. Il faut que la Russie sache bien que l’Empereur des Français n’est ni l’empereur des Turcs ni l’empereur des Persans. Si donc la Russie peut faire la guerre à la
France parce que telle est sa volonté, si son système est d’humilier la France et de l’obliger à reconnaître dans ses ambassadeurs le droit de protéger à Paris des sujets rebelles ou le nouveau droit public de naturaliser les Français qui lui conviennent, l’Empereur des Français n’y peut rien; il gémira sur l’influence des intrigues de la puissance qui pourra seule gagner quelque chose à ladite guerre.

Quant aux propositions encadrées dans la note de M. d’Oubril, Sa Majesté ne peut les considérer, après les injures et les menaces qui les accompagnent, que comme un prétexte plutôt que comme des objets réels. Cependant Sa Majesté, ne voulant rien négliger pour maintenir la tranquillité et épargner le sang des hommes, m’a ordonné de déclarer que, toutes les fois que la Russie remplira fidèlement les articles du traité conclu avec la France, elle sera prête à les exécuter avec la même fidélité, nommément tel et tel article (ces articles sont : 1° celui qui dit que les deux puissances ne toléreront rien de ce qui peut troubler leur repos intérieur; 2° celui qui dit que les deux puissances se réuniront pour mettre une limite au pouvoir des Anglais; 3° celui qui dit que la République des sept îles sera indépendante sous la protection de toutes les puissances).

Mais si Sa Majesté l’empereur de Russie, ne voulant tenir aucunes stipulations, exigeait que la France les tînt, ce ne serait plus traiter avec l’égalité qu’elle déclare dans sa note vouloir maintenir; ce serait vouloir conduire la France par la force, et, par l’aide de Dieu et de ses armées, la France n’a jamais subi la loi de qui que ce soit. »

 

Dunkerque, 10 août 1804

Au général Lacuée

Monsieur Lacuée, Président de la section de la guerre de mon Conseil d’État, j’ai dû vous envoyer le projet du ministre de la guerre sur la répartition de la levée de la conscription de l’an XIII.

Voilà le moment qui arrive, je désire que vous m’en fassiez passer les tableaux. Il n’y a pas un régiment que je n’aie vu qui n’ait reçu une centaine de conscrits boiteux, malingres et tout à fait inhabiles au service. Depuis leur arrivée aux corps, ils sont aux dépôts à nos frais, en pure perte, usent leurs habits et coûtent beaucoup d’argent. On se plaint des conseils de recrutement. On dit que le préfet influence le général, et que le capitaine de recrutement n’y a aucune influence. Il faudrait trouver un moyen de mieux composer ces conseils de recrutement, et rendre responsable l’officier commandant le département qui enverrait des hommes malingres. Toutes les fois qu’il y en aurait, le capitaine de recrutement serait tenu de le lui faire connaître par écrit, et, s’il persistait à les faire partir, on lui ferait supporter les frais du voyage. On se plaint que les remplaçants désertent; on en donne deux raisons : l’une, que lorsqu’ils ont leur argent, ils se sauvent. On voudrait donc que cet argent leur fût distribué en haute paye et fût versé dans la caisse du corps, de manière que, ces individus venant à déserter, leur corps se trouvât nanti d’une portion de l’argent. En cas que cette mesure eût quelque inconvénient, l’argent pourrait être déposé entre les mains de l’administration, de manière que, dans toute hypothèse, ces hommes en s’en allant n’emportent point d’argent. On se plaint qu’au lieu de prendre des remplaçants dans la conscription, on les prend de tout âge et de tout pays, ce qui est encore la faute, non du capitaine de recrutement, mais du conseil de recrutement. Faites-moi un projet sur ces différents objets.

 

Ostende, 11 août 1804

Au général Dejean

Monsieur Dejean, Ministre de l’administration de la guerre, le drap que fournit le directoire de l’habillement n’est jamais conforme à l’échantillon. Beaucoup de corps se plaignent que les tricots qui sont fournis aux soldats sont inférieurs à ceux que le corps achète et reviennent beaucoup plus cher; enfin ils prétendent qu’ils se fourniraient de draps de meilleure qualité et à meilleur marché, si on leur donnait l’argent.

On a fourni aux régiments italiens des souliers qui ne sont d’aucune valeur; on a vérifié ceux en magasin qui ont été envoyés à Cambrai; ils ne valent pas 30 sous. Vous sentez l’importance de réprimer cet abus en atteignant les coupables qui ont ainsi abusé de votre confiance.

 

Ostende, 13 août 1804

A M. Cambacérès

Mon Cousin, je suis depuis deux jours à Ostende. Je suis extrêmement satisfait de la flottille batave et des troupes du camp de Bruges. Je ne témoigne pas mon mécontentement au ministre du trésor public sur le mauvais agiotage qu’on fait de nos obligations, parce que je le crois encore dans le département de l’Eure. Faites appeler son premier commis pour finir ces affaires. Faites aussi appeler Desprez (Médard Desprez, 1764-1842), et faites-lui connaître combien j’ai été irrité de l’abus de confiance de sa compagnie, qui, par suite de ses opérations avec le trésor public, en a reçu des obligations qu’elle a vendues. Si elle était payée pour nous discréditer et pour faire des opérations folles et insensées, elle n’agirait pas autrement.

Il y a un arrêté relatif à des dispositions d’exercice, en date du 17 messidor; les agioteurs ont cru qu’il y avait des arriérés de l’an IX. C’est une chose si contraire à mes principes que j’ai peine à le croire. Faites demander cet arrêté au trésor public, et, s’il est effectivement relatif à l’an IX, faites mettre dans le Monileur un article bien frappé qui fasse sentir qu’il n’y a point d’arriéré.

 

Ostende, 13 août 1804

A M. Portalis

Monsieur Portalis, Ministre des cultes, j’ai vu avec plaisir que les évêques de Meaux et d’Orléans réussissaient à convertir les incrédules. Tout ce qu’on peut obtenir par la persuasion est une véritable conquête que j’apprécie.

 

Ostende, 13 août 1804

Au cardinal de Belloy, archevêque de Paris

Mon Cousin, je suis instruit que les vieillards de l’hospice de Montrouge ne sont pas traités comme ils doivent l’être. L’intérêt que je porte à cet établissement me fait désirer que vous vérifiiez par vous-même si ces plaintes sont fondées, et si cet établissement est administré suivant les statuts et pour le bien de la vieillesse, afin que vous m’en rendiez compte directement et que je puisse savoir s’il y a des abus.

 

Ostende, 13 août 1804

A M. Fouché

Monsieur Fouché, Ministre de la police, j’ai lu avec intérêt les deux dernières parties du mémoire du voyageur d’Husum. Je pense qu’il peut nous être très-utile. Qu’il aille à Lubeck guetter le retour du courrier anglais. Recommandez-le au général Bernadotte, qui donnera les ordres pour tâcher de se saisir d’un ou deux de ces courriers, mais sans que le voyageur d’Husum se trouve compromis ou démasqué. Qu’il se fasse constituer le correspondant et l’agent des princes sur le continent, et qu’il écrive en grand détail sur tout ce qui se passe qui peut nous intéresser, soit en Angleterre, soit sur le continent. Surtout faites saisir quelques-uns des agents ou courriers anglais. Quant à la proposition de gagner Couchery, il faut que le voyageur d’Husum reste deux ou trois mois chargé d’affaires; et alors, quand Couchery l’aura mis au fait, il pourra lui laisser entrevoir l’espérance d’avoir sa grâce et la possibilité de rentrer en France, s’il rend des services en restant à Londres quelque temps et nous instruisant de tout ce qui s’y passe.

Je suis instruit d’une manière particulière que Rochelle a des moyens de se sauver. D’après ce qu’on en dit, il paraît que c’est un misérable. Faites-le mettre aux fers, de manière que, sous aucun prétexte, il ne se sauve. Chassez aussi le père et la mère, si vous pensez qu’ils continuent des liaisons et des correspondances suspectes. Faites mettre le séquestre sur les biens de Bourmont et d’Andigné. Je désire connaître les frères de Moreau et de Lahorie et les emplois qu’ils occupent.

On m’assure que Bourmont se cache à Paris chez M. Leriche de … ancien major général de Frotté.

  1. Belleval, espèce de secrétaire du prince de Valachie, est arrivé à Paris. Il passe pour un intrigant. On le dit de Ratisbonne, Bastia, et avoir fait sa fortune près du Zoubof, dont il a été l’espèce de domestique. Il a en des correspondances avec les Anglais. Ces correspondances doivent être observées. Quelque fin qu’il soit, la police peut avoir quelqu’un auprès de lui pour avoir un compte de ses opérations.

Beaucoup de Russes quittent Paris. Il faut que la police s’informe s’ils ont payé leurs dettes. Il ne faut point être badaud au point de perdre des sommes considérables; et, pour peu que vous ayez de plaintes qu’ils n’aient point payé leurs dettes, refusez-leur des passeports, et défendez-leur de partir avant de les avoir payées.

 

Ostende, 13 août 1804

A M. Melzi

Monsieur Melzi, Vice-président de la République italienne, j’ai passé la revue à Calais d’un des régiments italiens; j’y ai reçu beaucoup de plaintes. Les soldats se plaignent d’être maltraités à coups de bâton. Il paraissait même qui y avait des voleries dans le corps. Cependant, par le rapport de l’inspecteur que je vous envoie, j’ai vu le contraire. Il est impossible au général Pino de faire l’expédition. Je l’ai nommé ministre de la guerre, et je l’ai remplacé dans le commandement de la division italienne par le ministre actuel, général Trivulzi (Alessandro Trivulzi, 1773-1805. Il est à cette date encore ministre de la guerre de la République italienne). L’armée italienne coûte beaucoup d’argent et est mal administrée; c’est dommage, car les hommes ont bonne volonté. Vous connaissez le zèle du générai Pino; il a de l’énergie, il paraît attaché à ma personne et a du zèle. Le général Trivulzi prendra dans le mouvement de l’armée les connaissances qui lui manquent.

 

Ostende, 13 août 1804

Au maréchal Berthier

Le ministre répondra au général Gouvion Saint-Cyr que je ne pense pas qu’il doive être alarmé du passage des troupes russes; que je sais exactement ce qui arrive, par Constantinople; qu’il y a moins de 9,000 hommes, ce qui ne se porterait pas, en présents sous les armes, à 7, 000, qu’il n’y a pas possibilité aux Russes d’entreprendre rien avec si peu de troupes; que, si elles sont augmentées, ses troupes le seraient en conséquence; qu’il doit jeter un coup d’œil sur les Polonais, qu’on dit avoir aujourd’hui des relations avec les Russes. S’il n’était pas parfaitement sûr de ce corps, il faudrait qu’il en instruisît sans délai.

Le commandant de la citadelle de Besançon ayant laissé échapper Bourmont et d’Andigné, vous me présenterez un arrêté pour le destituer. Vous me ferez connaître de quel grade il est, et vous me proposerez pour le remplacer un homme ferme et sûr. Les commandants des forts de Bouillon, If, Ham, etc., sont responsables des prisonniers et doivent prendre des mesures sûres pour ne pas les laisser échapper.

 

Ostende, 13 août 1804

Au maréchal Berthier

L’Empereur désire, Monsieur le Maréchal, que le premier inspecteur du génie se rende à Anvers, afin de s’y concerter avec le maire pour le local qu’il convient de désigner comme devant servir à l’accroissement de la ville. Pour établir l’arsenal maritime, on a abattu beaucoup de maisons; les logements sont rares et chers; les magasins sont insuffisants, les négociants ont besoin d’en construire; et les fortifications resserraient trop la ville, elle en souffrirait beaucoup de dommages; il lui serait impossible de devenir le centre de l’immense commerce auquel elle est appelée par sa position.

Le premier inspecteur du génie rassurera en même temps les habitants sur la crainte qu’ils ont de devenir place de guerre : jamais Anvers ne sera place de première ligne; on n’a pas même le projet d’en faire un port d’armement; mais il importe, et c’est là le seul but qu’on se propose, de la mettre à l’abri d’un coup de main, d’éviter que, lorsqu’elle sera parvenue à une grande richesse, si des circonstances, qui ne sont pas probables, mais qui sont possibles, se présentaient, l’ennemi ne vint à hasarder quelques partis de hussards pour la mettre à contribution. Les dispositions qu’on va prendre sont donc dans l’intérêt du commerce, et ne sauraient jamais être contre lui.

 

Ostende, 13 août 1804

Au maréchal Bessières

Mon Cousin, je pense que vous avez pris toutes les mesures pour qu’au 18 brumaire ma Garde à pied et à cheval se trouve habillée à neuf et ait ses nouveaux boutons.