Correspondance de Napoléon – Août 1804

Août  1804

 

Pont-de-Briques, 1er août 1804

A M. Cambacérès

Mon Cousin, j’ai passé la journée d’hier à Ambleteuse, où j’ai vu défiler en présence de l’escadre anglaise une division de la flottille venant de Calais. Le temps s’est remis au beau. Je désire savoir s’il en est de même aux environs de Paris, et quelle influence les dernières pluies auront pu avoir sur la récolte.

 

Pont-de-Briques, 1er août 1804

A M. Gaudin

Monsieur Gaudin, Ministre des finances, il est temps de s’occuper du budget de l’an XIII, tant en recettes qu’en dépenses. Si vous êtes autorisé à penser que les droits réunis rendront trente millions en l’an XIII, le budget pourra être suffisant; sans cela, il faudrait pourvoir à un supplément de recette par quelques cautionnements ou par quelque autre moyen. Quand les matériaux de votre travail seront prêts, vous vous rendrez près de moi pour en arrêter les bases. Faites demander aux ministres leur budget de l’année.

 

Pont-de-Briques, 1er août 1804

A M. Fouché

Monsieur Fouché, Ministère de la police générale, il y a à Brest et à Toulon, et même à Boulogne, des embaucheurs qui excitent les marins à la désertion. On se ressent à Brest et à Toulon d’un travail souterrain qui, dans deux villes si éloignées, ne peut être que l’ouvrage d’agents anglais. Recommandez donc, dans ces deux villes, qu’on redouble de surveillance et d’activité pour arrêter quelques-uns de ces agents. Rivoire fit dans le temps des déclarations sur plusieurs officiers de marine, qui furent envoyées au ministre de la marin pour avoir ses observations. Je les ai remises depuis au conseille d’État Réal pour prendre des éclaircissements. Comme il y a dans ces notes plusieurs officiers de la flottille de compromis, je désire qu’elles me soient renvoyées ici.

 

Pont-de-Briques, ler août 1804

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, Ministre des relations extérieures, j’ai appris avec intérêt le rétablissement de votre santé. J’ai besoin et j’espère que vous vivrez longtemps. Je suis satisfait de tout ce que j’ai vu depuis mon départ de Paris. Ma santé est on ne peut pas meilleure.

Nous avons eu quelques mauvais temps; un coup de vent a fait périr une quinzaine d’hommes et perdu trois ou quatre bâtiments. Comme on n’a pas manqué d’exagérer à Paris cet événement, il n’est peut-être pas inutile, en écrivant aux différents agents diplomatiques de leur faire part de mon voyage, de la satisfaction que j’en ai éprouvée, de la force et des manœuvres de l’armée , des jours entiers que j’y passe pour en surveiller moi-même l’instruction. Joignez quelques détails sur le voyage de l’impératrice et sur l’accueil qu’elle a reçu sur son passage, en recommandant de répandre ces détails par des moyens non officiels. Ce sera un contre-poison à tous les faux bruits que répandent les Anglais.

 

Pont-de-Briques, 1er août 1804

A Cambacérès

Mon Cousin, on a supprimé le manteau comme une chose ruineuses pour les membres du Corps législatif et du Tribunat. On n’avait pas prévu, d’ailleurs, qu’ils y missent de l’importance. Je vous autorise à réunir les présidents et mon grand maître des cérémonies, pour régler ce qui est convenable.

 

Pont-de-Briques, 2 août 1804

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, Ministre des relations extérieures, je désire conclure un traité avec la République ligurienne, dont les bases seraient celles-ci :

1° La République de Gênes se chargera de creuser à ses frais les darses, de manière que dix vaisseaux de guerre puissent y entrer et y faire leur armement, conformément au plan qui sera donné; d’établir à ses frais une machine à mâter, et de mettre à la disposition du Gouvernement français tous les magasins environnant les darses, ainsi que les cales de construction.
2° L’Empereur des Français aura le droit de faire construire, armer, désarmer et réparer dix vaisseaux de guerre dans le port de Gènes.
3° La République ligurienne, la France étant en guerre avec l’Angleterre ou toute autre puissance maritime, tiendra 6,000 matelots à la disposition de la marine française. A cet effet, il y aura un nombre de capitaines de vaisseaux, lieutenants, enseignes, maîtres, contre-maîtres et matelots à toute paye, liguriens, dans la marine française.
4° A cet effet, tous les matelots seront classés, et l’Empereur pourra nommer six inspecteurs des classes avec traitement, résidant dans les différents ports de la République, pour veiller à leur bonne organisation.
5° La République ligurienne ne sera chargée que de l’entretien des darses, ports et bâtiments; elle ne sera tenue de fournir aucun ouvrier ni matériel pour les vaisseaux.
6° L’Empereur accorde son pavillon impérial aux Liguriens; il se charge de le faire reconnaître et respecter par les puissances barbaresques au plus tard un an après la paix.
7° Le transit par le chemin de Voghera sera rétabli comme du temps du roi de Sardaigne. Il sera également réglé un transit par les États de Parme.

Vous sentez assez l’importance de ce traité, qui a pour but de tirer de la République ligurienne tout ce qu’on peut en tirer, et de lui laisser d’ailleurs son gouvernement municipal et son indépendance. Comme il est hostile à l’Angleterre, il faut qu’il sot fait avant la paix; sans cela il ne serait point faisable.

 

Pont-de-Briques, 2 août 1804

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, Ministre des relations extérieures, je suis étonné que ce soit pour la première fois seulement, dans une dépêche du 2 thermidor, que le général Vial parle de la formation d’un état-major général en Suisse. Mon intention est qu’il présente une note dont l’objet sera de faire connaître que cet établissement d’un état-major général est inutile, contraire à l’acte de médiation, et cache une sous-pensée. Écrivez-en également à M. de Maillardoz à Paris. Je dois me plaindre du général Vial ou de vous -:du général Vial, si c’est dans la dépêche n° 74 qu’il parle pour la première fois de ces affaires; de vous, s’il en a parlé dans ses dépêches précédentes et que vous ne me les ayez pas mises sous les yeux. En général, je vous ai fait connaître que mon intention était de lire toutes les dépêches de mes ministres et agents diplomatiques. Les affaires de Suisse me touchent de près, puisqu’elles sont si importantes sous le point de vue des opérations militaires. Faites faire dans vos bureaux un relevé exact de toutes les opérations de la diète, et présentez-moi un rapport avec des observations qui me fassent connaître tout ce qu’elle a fait de contraire à l’acte de médiation. Ceci ne souffre point de retardement. Il ne faut point alarmer les Suisses; mais qu’ils sachent bien que je ne reconnaîtrai la Suisse que telle qu’elle est organisée par l’acte de médiation.

Répondez à la lettre de M. de Lucchesini, du 27 juillet, que vous y avez trouvé deux assertions fausses : la première, qu’il y avait des rassemblements de troupes sur le bas Rhin; il n’y a pas même la garnison convenable, et pas la moitié de ce qui y était en l’an X et en l’an XI; la seconde, que l’armée de Hanovre était augmentée; elle est au contraire diminuée de deux régiments. Quant à l’envoi de conscrits, il est tout simple que l’armée de Hanovre reçoive ses conscrits comme les autres armées; que, dans un moment où l’on agite l’Europe, où l’on veut de moi les choses les plus déshonorantes, où de grandes puissances portent l’oubli des convenances jusqu’à porter le deuil des hommes qui ont voulu renverser le Gouvernement, je prenne des précautions pour me trouver en mesure. Que je me plais à donner l’assurance que l’armée de Hanovre ne passera jamais 30,000 hommes, à moins qu’elle ne se trouve en danger; ce qui ne
peut être dans aucune hypothèse, tant que Sa Majesté Prussienne persistera dans l’assurance qu’elle a donnée, qu’en cas de guerre avec la Russie elle ne permettra point le passage de ses États, et ne souffrira point que la guerre s’établisse sur ses frontières. Que, quant au camp d’Utrecht, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que ces troupes sont destinées à s’embarquer au Texel; autant vaudrait-il avoir des inquiétudes sur les camps de Bruges ou de Boulogne. Enfin, que ce n’est point dans l’état actuel des relations de la France avec la Prusse, avec le degré de consolidation qu’a reçu le Gouvernement français, et l’intime liaison qui existe entre les deux puissances, que la Prusse devrait poser aucune question de rigueur ou non; que, à le dire franchement, c’est montrer de la petitesse et obéir à des tracasseries indignes après tout de la puissance de la Prusse; car il serait difficile de voir un sujet de refroidissement entre les deux États, d’établir au contraire une hypothèse où S. M. l’Empereur ne fût pas prêt à faire des sacrifices réels pour donner des preuves de considération et d’estime au roi de Prusse.

Vous aurez reçu, par le courrier que je vous ai expédié hier, la première note à envoyer à M. d’Oubril. Le but de M. d’Oubril se trouvera rempli.

Vous remercierez M. de Lucchesini de la nouvelle qu’il vous a donnée de Constantinople. Vous lui direz que je pense que le roi de Prusse doit donner le conseil à la Porte de ne pas laisser venir trop de Russes à Corfou, non par rapport à la France, car la Russie ne peut lui rien faire de plus agréable que d’entasser des troupes à Corfou, où elles seraient paralysées. Que si elle tentait un débarquement en Italie, fût-il de 60,000 hommes, ce serait, en cas de guerre, la chance la plus favorable qui pût m’arriver; cela serait une répétition des leçons de Suisse et de Hollande, et la convaincrait une bonne fois que l’empereur des Français n’est ni l’empereur des Persans, ni l’empereur des Turcs. Que je suis d’ailleurs bien informé du nombre des troupes russes qui sont à Corfou; qu’il y a 6,000 hommes; qu’il n’y en a que 5,000 à Odessa; qu’en cas qu’ils vinssent à Corfou, il restera 2,000 hommes pour la garnison d’Odessa, ce qui ferait 10,000 hommes qui n’auraient d’autre résultat que d’écraser le pays de Corfou, qui est obligé de donner des indemnités considérables aux officiers. Que je ne puis supposer qu’on ait voulu m’intimider à Pétersbourg par de pareilles démonstrations, et m’obliger à supporter des insultes et des menaces; que, si on y a eu des craintes réelles pour la place de Corfou, cela ne montre pas grand génie dans le bureau de la guerre de Russie, n’étant pas assez imbécile pour engager une armée dans des îles qui m’importent fort peu; que je suis donc fondé à penser que le but réel de la Russie est de s’ancrer à Corfou, d’en imposer à la Morée, et de river la chaîne qui lie le Grand Seigneur; qu’en deux mots, le raisonnement est simple : que 4,000 hommes sont suffisants pour la garnison de Corfou et pour mettre ces îles à la raison; qu’il y en a 6,000 aujourd’hui; que, s’il en passe 10,000, ce ne peut être que dans des vues éloignées ou prochaines contre la Porte. Qu’au reste ce bavardage n’est que confidentiel. Que l’Empereur veut la paix; qu’il apprécie à sa juste valeur la puissance russe; quelle n’a pas le droit, ni le pouvoir, de prendre le ton qu’elle veut s’arroger; que la Russie ne sera forte, grande, considérée sur le continent qu’unie à la France, et que la France y aura de la prépondérance par son propre poids et sans l’influence de la Russie; que l’erreur de ce cabinet est évidente; qu’il a pris pour argent comptant toutes les cajoleries qu’on lui a faites, et qu’il a rêvé qu’il faisait trembler l’Europe, comme si, après tout, dans les douze années de la nouvelle guerre, il avait fait un autre rôle que de promettre et de ne rien tenir; qu’enfin, on se souvenait qu’ayant prêté 60,000 hommes, au premier échec, à la première discussion d’étiquette, il les avait retirés, résultat nécessaire d’une coalition qui n’est point fondée sur un intérêt géographique. Je pense que ces communications doivent avoir pour but de rassurer la Prusse, de nous montrer plus irrités que nous ne sommes réellement de la sotte arrogance de la Russie; car, la Prusse ayant l’habitude de s’agiter entre les deux géants, Lucchesini en fera part à Oubril, et le roi directement à l’empereur Alexandre.

 

Pont-de-Briques, 2 août 1804

Au vice-amiral Decrès

Mon intention est que vous expédiiez un courrier extraordinaire à Toulon, pour faire connaître au général Latouche que différente divisions de la flottille n’ayant pu joindre, j’ai jugé qu’un retard d’un mois ne peut qu’être avantageux, d’autant plus que les nuits deviendront plus longues; mais que mon intention est qu’il profite de ce délai pour joindre à l’escadre le vaisseau le Berwick; que tous les moyens quelconques doivent être pris pour arriver à ce résultat; qu’un vaisseau de plus ou de moins n’est pas à dédaigner, ce qui me mettra à même de pouvoir porter l’escadre réunie à dix-huit vaisseaux.

Je désire également que les ordres soient renouvelés pour presser l’armement de l’Algésiras à Lorient; il faut qu’il soit en rade au 10 fructidor.

 

Pont-de-Briques, 3 août 1804

A M. de Ségur, Grand-Maître des Cérémonies

L’Empereur a pris connaissance, Monsieur, du projet de décret que vous lui avez présenté sur le cérémonial du couronnement. Avant de vous faire connaître son opinion sur les diverses parties de ce travail, Sa Majesté a jugé nécessaire que quelques observations vous fussent adressées, et elle m’a chargé de vous les transmettre.

Beaucoup de personnes ont pensé que la cérémonie éprouverait de grandes difficultés dans l’église des Invalides; que les évêques et les prêtres y seraient mal placés, puisqu’il n’y a pas de chœur; que toutes les personnes actuellement destinées à s’y réunir s’y placeraient difficilement, même en supposant que les députations militaires ne fussent pas présentes à la cérémonie. Cependant, on n’a pas cru que cette dernière supposition pût être admise; on a considéré que l’absence des députations militaires serait tout à fait contraire aux convenances de ce grand jour. Il faudrait, en conséquence, que le vaisseau pût contenir 15 ou 20,000 personnes prenant part à la solennité. Il serait également indispensable que le trône où se placeront l’Empereur et l’impératrice, environnés de leurs Maisons, fût établi dans un lieu qui doit être vaste pour être commode. Or les Invalides ne peuvent donner ni le nombre de places nécessaires pour les assistants, ni l’emplacement convenable pour le trône.

On croit, au contraire, que 20,000 hommes seront très-facilement placés dans l’église de Notre-Dame; que le trône, établi dans le chœur, y trouvera toute l’étendue nécessaire; et que, s’il y a quelque cérémonie religieuse, elle ne sera vue dans ses détails que par des prêtres, ou par des hommes qui, par la supériorité de leur raison, ont autant de foi que dans le VIIIe siècle.

Tout paraît donc devoir déterminer à donner la préférence à la métropole.

Vous êtes invité, Monsieur, à vous rendre aux Invalides avec l’intendant du palais et le ministre des cultes. S. A. S. Monseigneur l’archichancelier de l’Empire est invité à s’y trouver aussi et à vous donner son heure. L’objet de cette visite est de s’assurer s’il est en effet impossible de faire aux Invalides les dispositions indiquées plus haut. Sa Majesté est frappée de cette considération, que la dépense qu’on fera à la métropole peut être permanente et durable, tandis que les frais faits aux Invalides seraient perdus.

Il paraît que le cortège de l’Empereur pourrait être réduit à une trentaine de voitures. On partirait à huit heures du matin; on devrait être arrivé à neuf. La cérémonie durerait une heure, et une heure après, c’est-à-dire à onze heures, on pourrait être à l’École militaire. Il y aurait donc une marge très-suffisante pour tous les retards imprévus, puisqu’il n’est pas nécessaire que l’Empereur paraisse au Champ-de-Mars avant deux heures.

S’il est indispensable, pour que le cortège arrive plus facilement à Notre-Dame, d’abattre quelques maisons, il convient de présenter promptement les dispositions à prendre à cet égard. Cette dépense ne serait point perdue, puisqu’elle concourrait à débarrasser un grand centre de mouvements et de cérémonies.

L’Empereur attend, Monsieur, votre rapport sur ces divers objets, pour statuer sur les questions et sur les projets que vous lui avez présentés.

 

Pont-de-Briques, 3 août 1804

A S. S. le Pape

Très-saint Père, dans sa lettre du 15 mai, Votre Sainteté nous a témoigné la crainte qu’elle a des événements qui peuvent survenir entre la Russie et elle; nous avons voulu lui écrire la présente pour la rassurer. Le cabinet russe a peu de tenue, et il est, en général, assez inconséquent. Éloigné des affaires de l’Europe, il se précipite dans des démarches qu’il ne tarde pas à rétracter. Nous avons lieu d’être persuadé qu’il est fâché de la conduite de M. Cassini. Votre Sainteté ne doit prendre aucune inquiétude des troupes nouvellement arrivées à Corfou : il y a six mille hommes : dans la mer Noire, il y en a six autres mille. Nous avons déjà fait connaître au roi de Naples que notre intention est qu’aucune troupe ne mette le pied en Italie, et nous sommes persuadé que ce ne sera pas celle de la Russie qui peut prendre possession des îles; projet éphémère qu’elle abandonnera bientôt, à moins quelle ne veuille, ce que nous ne croyons pas pour le moment, donner suite au projet de Catherine, de détruire l’empire chancelant des Ottomans. Votre Sainteté peut rester sans aucune inquiétude; il n’y aura aucun trouble continental qui soit de quelque conséquence.

Sur ce, nous prions Dieu qu’il vous conserve, Très-saint Père, longues années au régime et gouvernement de notre mère la sainte Église.

Votre dévot fils, l’Empereur des Français.

 

Pont-de-Briques, 3 août 1804

A S.S. le Pape

Très-saint Père, la lettre de Votre Sainteté nous a vivement affecté, parce que nous partageons toujours ses peines. Nous nous sommes fait rendre compte du décret du vice-président de la République italienne relatif au concordat de cette République, dont Votre Sainteté n’est pas satisfaite. Le vice-président n’a eu qu’un seul objet, qui a été d’en imposer à ceux qui prétendaient que le concordat était contraire aux intérêts et portait atteinte aux droits de la République. Nous avons ordonné que le vice-président nous présentât, dans le plus court délai, le plan d’exécution du concordat. Notre intention est de soumettre tout ce qu’il nous proposera à l’examen le plus scrupuleux, et d’empêcher qu’il ne soit porté aucune atteinte à ce qui a été convenu entre nous. Nous espérons que, dans, cette circonstance comme dans celles qui l’ont précédée, Votre Sainteté restera convaincue de notre attachement aux principes de la religion et à sa personne.

Sur ce, nous prions Dieu qu’il vous conserve, Très-Saint-Père, longues années au régime et gouvernement de notre mère la sainte Église.

Votre dévot fils, l’Empereur des Français.

 

Pont-de-Briques, 3 août 1804

A M. Champagny

Monsieur Champagny, mon Ambassadeur à Vienne, le courrier qui vous porte cette lettre se rend à Constantinople. Votre présence à Paris va bientôt devenir nécessaire. Je désirerais qu’il fût possible avant votre départ que la cour de Vienne eût décidé son système. L’empereur a donné pour raison du retardement apporté dans l’envoi de ses lettres de créance qu’il voulait être reconnu comme empereur de Hongrie et de Bohême. J’ai fait répondre à cela qu’il n’avait qu’à se proclamer empereur de Hongrie et de Bohême, et que, quelque bizarre que me parût cette réunion de deux couronnés impériales, je la reconnaîtrais; mais que je ne pouvais reconnaître une chose qui n’était pas déclarée. Si réellement l’envoi des lettres de créance tenait à cette circonstance, je vous autorise à signer deux articles par lesquels je m’engagerais, si l’empereur se fait proclamer empereur de Hongrie et de Bohême, à le reconnaître; si, au contraire, cela n’a été qu’un prétexte, et que la raison du retardement tienne à des liaisons avec la Russie, vous ferez connaître au ministre que, ayant été nommé à un ministère à Paris, vous attendez au premier moment l’ordre de venir l’occuper, et que, en cette situation de choses, il va y avoir embarras pour remettre vos lettres de rappel, et qu’en même temps je ne pourrai nommer un autre ambassadeur pour vous remplacer que dans le cas où M. de Cobenzl aurait ses lettres de créance; que, s’il arrivait, au contraire, que l’empereur n’eût pas envoyé ses lettres de reconnaissance, cela serait un refus, et dès lors les deux puissances se trouveraient dans un état de grand refroidissement. Enfin, s’il le faut, vous parlerez un peu plus vivement. Vous direz que, ayant accordé à l’Autriche toutes ses demandes, ces délais ne tiennent qu’à d’autres principes; qu’il y a un commencement de coalition qui se forme, et que je ne donnerai pas le temps de la nouer; qu’on se tromperait étrangement si l’on pensait que je ferai aucune descente en Angleterre tant que l’empereur n’aura pas envoyé sa reconnaissance; qu’il n’est pas juste que, par cette conduite équivoque, l’Autriche me tienne 300,000 hommes les bras croisés sur les bords de la Manche; qu’il faut donc que la cour de Vienne sorte de cette position ambiguë, et que, si l’on est assez insensé à Vienne pour vouloir recommencer la guerre et prêter l’oreille aux suggestions de Londres, tant pis pour la monarchie autrichienne. Remuez fortement le cabinet, sans cependant donner aucun signe extérieur. Ajoutez que je serai de retour à Paris avant le 15 août; que j’y aurai une audience diplomatique; que M. de Cobenzl n’y sera point et cependant sera à Paris; que je préfère, dans ce cas, qu’on le rappelle.

 

Boulogne, 3 août 1804

A l’Impératrice Joséphine

Mon amie, j’espère apprendre bientôt que les eaux t’on fait beaucoup de bien. Je suis peiné  de toutes les contrariétés que tu as éprouvées.

Je désire que tu m’écrives souvent.

Ma santé est très bonne, quoique un peu fatigué.

Je serai sous peu de jours à Dunkerque, d’où je t’écrirai.

Eugène est parti pour Blois.

Je te couvre de baisers.

 

Pont-de-Briques, 4 août 1804

A M. Cambacérès

Mon Cousin, vous pouvez faire dire confidentiellement à la personne qui vous a remis le bulletin sur la Suisse que je n’approuve point d’état-major général, et que mon intention est de m’y opposer.

Le prince Joseph est parti ce matin de Boulogne. Il restera deux jours à Mortefontaine et se rendra de là à Paris. Il sera de retour au camp pour le 15 août.

Je n’ai pas encore distribué les décorations de la Légion d’honneur. Je les distribuerai avec quelque pompe au 15 août. M. d’Arberg a apporté le travail. Je vous prie de me faire connaître si vous pensez faire quelque chose à Paris pour le 15 août.

 

Calais, 6 août 1804

A M. Cambacérès

Mon Cousin, j’ai reçu vos différentes lettres. Je suis arrivé la nuit dernière à Calais. Je compte en partir cette nuit pour Dunkerque. Je suis fort satisfait des habitants de cette ville.

On m’écrit de Paris qu’on voit des obligations de l’an XIV sur la place. Comme Marbois n’est pas à Paris, faites prendre des infornations et instruisez-moi de cela.

 

Calais,  6 août 1804

A M. Chaptal

Monsieur Chaptal, Ministre de l’intérieur, je vois avec peine l’intention où vous êtes de quitter le ministère de 1’intérieur pour vous livrer tout entier aux sciences, mais je cède à votre désir. Vous remettrez le portefeuille à M. Portalis, ministre des cultes, que j’en ai chargé en attendant que j’aie définitivement pourvu à ce département. Désirant vous donner une preuve de ma satisfaction de vos services, je vous ai nommé sénateur. Dans ces fonctions éminentes, qui vous laisseront plus de temps à donner à vos travaux pour la prospérité de nos arts et les progrès de notre industrie manufacturière, vous continuerez à rendre d’utiles services à l’État et à moi.

 

Calais, 6 août 1804

A M. Mollien

Monsieur Mollien, Conseiller en mon Conseil d’État, je lis dans votre bulletin du 16 que quelques emprunteurs continuent à offrir des obligations de l’an XIV pour gages des prêts qu’ils sollicitent Cette phrase a excité toute ma sollicitude. Ces obligations n’existent point, et, quand elles existeront, elles seront renfermées dans 1e grand portefeuille, d’où elles ne sortiront que par mon ordre. Je suis donc porté à penser que c’est une erreur, et que vous avez voulu dire l’an XIII. Comme il y a des obligations de l’an XII échéant en l’an XIII, cela serait tout simple. Je vous demande des éclaircissements détaillés sur cet objet. Votre plume a l’air d’être enchaîné par je ne sais quelle crainte. Vous devez me dire tout et dans le plus grand détail. Ces bulletins ne sont lus que par moi, et ils restent constamment pour moi. Je désire donc qu’ils soient écrits avec plus d’étendue et d’un style plus clair.

 

Calais, 6 août 1804

A M. Fouché

Monsieur Fouché, Ministre de la police générale, j’ai lu ave grand intérêt la première partie du rapport du voyageur d’Husum. Quand j’aurai lu la seconde partie, je vous ferai connaître ce que je désire qu’il fasse. Je ne reçois jamais le Courrier de Londres. Quand il en méritera la peine, vous me l’enverrez. Si vous jugez que des extraits soient utiles, faites-les mettre dans les papiers de Paris. Il y a certainement à Paris un foyer d’intrigues, qu’il faudrait chercher à
découvrir. Petit-être faudrait-il, si l’abbé David est en liberté  chez lui, s’informer s’il a reçu ses papiers, et le faire arrêter de manière à les saisir tous. Cet homme a eu le premier fil de la conjuration Il serait assez convenable de chercher à paralyser les bruits que des coteries ont l’art de répandre, et d’en distraire le public en faisant courir dans un sens différent des nouvelles arrivant de Londres soit de tout autre endroit. Il est facile de donner un peu plus de couleur aux journaux.

Le commissaire général de police de Boulogne est un bon jeune homme, mais bien jeune; il n’est pas donné à cet âge de connaître la perversité du cœur humain. Il donne trop facilement des permissions de séjourner à Boulogne. Faîtes arrêter Hyde et l’abbé Ratel. Donnez des instructions pour faire aussi arrêter Montjoie, qui finira par se présenter sur le Rhin.