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Napoléon à travers les caricatures anglaises

Quant au couronnement de Napoléon, il va évidemment susciter aussi bien des caricatures, dont celle-ci

Crying for a new toy - Cruiskhank - Janvier 1803
Crying for a new toy – Cruiskhank – Janvier 1803

Ce dessin illustre le désire de Bonaparte de devenir Empereur. La nurse (la France) est prête à lui donner cette couronne, mais elle ne pense pas que cela rendra l’enfant (Bonaparte) plus sage, ni plus calme. L’enfant (Bonaparte) persiste : « Je veux cette couronne, je la veux, ou je pleure ! »

A new french Phantasmagoria - Janvier 1804
A new french Phantasmagoria – Janvier 1804

Ici John Bull est habillé en marin. Il n’en croit pas ses yeux : voici Boney qui se présente devant lui avec les attributs du couronnement, qui lui demande s’il le reconnaît. Certes, l’Anglais le reconnaît, mais il pense que Boney est en train de jouer un rôle théâtral, ou qu’il a une nouvelle lubie.

Pour les Anglais, Napoléon est d’ores et déjà l’usurpateur, comme cette caricature cherche à le symboliser, d’une manière particulièrement grossière

The corsican Cuckoo. A bird of passage recently discovered in France and supposed to be the most crafty of his species. Cruiskhand - 1804
The corsican Cuckoo. A bird of passage recently discovered in France and supposed to be the most crafty of his species. Cruiskhand – 1804

Dans cette caricature à tonalité très scatologique Napoléon souille la couronne de France, en déféquant sur le coussin de son siège. L’artiste n’a laissé aucun détail de côté : assis sur le bras du  fauteuil, Napoléon a le derrière nu. Les « œufs » qu’il pond ainsi, font fuir un Français, probablement un Bourbon, en se pinçant le nez. –  Le caricaturiste, en titrant son dessin « Le Coucou Corse », fait ici évidemment référence à la particularité de cet oiseau, connu pour pondre ses œufs dans le nid d’un autre oiseau, ce qui détruit ceux qui y sont déjà. Comme le coucou, les ordures que Napoléon répand sur la France, contaminent la monarchie en tant qu’institution en France. Mais Napoléon ne semble en avoir cure : il est ainsi certain de s’emparer du nid royal !

Cette soif d’expansion prêtée à la France et à son chef est plaisamment illustrée dans la caricature ci-dessous.

John Bull guarding the toy-shop or Boney crying for some more play things. Cawse - 1803
John Bull guarding the toy-shop or Boney crying for some more play things. Cawse – 1803

Devant l’enseigne clôturée de la maison d’édition Samuel William (« Fores – caricaturiste du premier consul) John Bull en uniforme de volontaire aux cheveux grisonnants, monte la garde devant un magasin de jouets, qui expose des représentations des centres de l’empire et de la prospérité britannique : la banque, les Indes, la Tour de Londres, le trésor, etc.  Mais en fait ces représentations sont en deux dimensions, ce sont des images, et non des objets. En fait, la maison de jouet ressemble plus à un magasin d’estampe et de caricatures : l’artiste fait ici sa propre publicité.

Devant lui le petit Bonaparte, à qui il ordonne d’ôter ses mains de là, essuie ses larmes avec un large mouchoir, et réclame au moins la Banque d’Angleterre (en haut à droite de la vitrine).

Le message caché de cette caricature est que la puissance et l’opulence de l’Angleterre sont égales à l’effet politique et à la richesse intellectuelle de ses caricatures, que le Premier consul fait alors censurer en France.

Le 2 janvier 1805, Napoléon, à l’occasion de la nouvelle année, fait des ouvertures de paix à George III. C’est le célèbre : « Le monde est assez grand pour que nos deux nations puissent y vivre »

The plum-pudding in danger or States Epicures taking a petit Souper - Gillray - 1805
The plum-pudding in danger or States Epicures taking a petit Souper – Gillray – 1805

C’est ici sans doute l’une des caricatures les plus célèbres de Gillray, dépourvue d’à côtés, ce qui la rend encore plus percutante.

Elle paraît, il faut le souligner, bien avant les victoires décisives des deux nations : Trafalgar et Austerlitz, et présente de ce fait un caractère prophétique remarquable.

Pitt, longiforme et efflanqué à souhait, comme dans la plupart des caricatures, fait face à un minuscule Napoléon. Pitt, armé d’une fourchette, qui a symboliquement la forme d’un trident et d’un couteau à découper, se sert une large portion d’océans, comme récompense de sa maîtrise des mers, tandis que Napoléon se découpe une part contenant toute l’Europe, diminuée de l’Angleterre, de la Suède et de la Russie.

Le titre de la caricature comprend une citation du drame de Shakespeare « La Tempête ».

La bataille navale de Trafalgar ne va pas manquer pas de stimuler la verve des caricaturistes

John Bull exchanging News with the Continent. - Woodward - Décembre 1805
John Bull exchanging News with the Continent. – Woodward – Décembre 1805

Debout de chaque côté du Channel, John Bull et Napoléon échangent des nouvelles.

Le premier est allongé, à gauche, sur les falaises du Mensonge. Il écrit nerveusement des dépêches, qui sont ensuite envoyées à l’Angleterre par un trompette français, coiffé du bonnet rouge. Derrière les deux personnages une ville, identifiée par son nom : Vienne. Parmi les fausses nouvelles ainsi envoyées : « Le Journal de l’Empire : l’archiduc Charles meurt de fatigue », « Le Journal des Spectacles : l’opéra Angleterre envahi », « La Gazette de France : La Flotte anglaise dispersée », « Le Publiciste : la flotte combinée en déroute », « Le Mémorial anti-Britannique : 20.000 Autrichiens tués ». « Le Moniteur : Paix séparée avec l’Empereur », « Le Journal de Paris : Falsifications et Fausses Nouvelles ».

En face de lui, sur la falaise de la Vérité, John Bull, revêtu de son costume traditionnel, est un vendeur de journaux, coiffé d’un chapeau portant la devise « Britannia domine les Océans » annonce la défaite de Trafalgar. Dans le fond, se déroule une bataille navale.

Survenue pratiquement le même jour, la défaite des Autrichiens à Ulm suscite la verve des caricaturistes, parmi lesquels, inévitablement, Gillray

The surrender of Ulm
The surrender of Ulm

Revêtu d’un uniforme immaculé décoré de galons et de boutons dorés, le général autrichien Mack, se prosterne, rendant son épée et les clés de Ulm à Napoléon. Mack est suivi de cinq autres officiers autrichiens, qui lui ressemblent tant par l’accoutrement que par la mimique.

Napoléon reçoit avec hauteur les généraux qui se rendent, depuis un trône constitué d’un tambour. Il est représenté de façon minuscule, dans son costume de Premier consul.  Il pointe son épée qu’il tient dans sa main droite en direction de Mack, tandis que sa main gauche montre des grenadiers porteurs de sacs remplis d’argent : «  Voilà votre salaire ! Il y a 10 millions ! 20 millions ! Mes ressources de conquérant ne consistent pas seulement en mes soldats ! Je hais les victoires obtenues au prix du sang !»

Des rangées de soldats, derrière lui, assistent à la scène. Ils élèvent des baïonnettes ornées de drapeaux tricolores.

Sur la gauche de l’image, derrière Mack et ses officiers, les murs d’une massive forteresse dominent l’horizon, représentant vraisemblablement la ville d’Ulm, dont les murs sont ornés de canons.

L’évènement est donc ici présenté comme un acte de lâcheté de la part des deux protagonistes, qui préfèrent un arrangement à une bataille honorable.

Après la bataille d’Austerlitz, et durant la courte période durant laquelle les Whigs sont à la tête de l’Angleterre, les caricaturistes, en général anti-Fox, ne se retiennent pas

Pacific Overtures - or a Flight from Saint-Cloud's "Over the water to Charley" - Gillray - 1806
Pacific Overtures – or a Flight from Saint-Cloud’s « Over the water to Charley » – Gillray – 1806

Sur cette scène politique anglaise, on joue des “ouvertures pacifiques”, « nouvelle pièce dramatique ». L’auteur joue ici sur les mots « peace » et « piece ». Le chef d’orchestre est le nouveau premier ministre Grenville, mais les musiciens de son orchestre jouent chacun une partition différente. Un George III médusé – qui a derrière lui le regretté Pitt –  lit avec sa lorgnette (il faut y voir ici une allusion au thème de Gulliver) l’offre de paix faite par un Napoléon guerrier (« Ma reconnaissance en tant qu’Empereur – réduction de l’armée anglaise – abandon de Malte et de Gibraltar, etc.), qui se situe sur un nuage (« cloud » en anglais – allusion à Saint-Cloud), et ayant derrière lui Talleyrand, assis sur une corne d’abondance d’où s’échappe les bienfaits de la paix. Des squelettes de grenadiers français, brandissent des drapeaux anglais, écossais et irlandais. L’Irlandais Arthur O’Connore, un doigt sur le nez, rappelle aux Whigs qu’ils ont participé à la trahison.

Dans la tribune du haut, le duc de Clarence, futur Guillaume IV et sa maîtresse, l’actrice Jordan. Au-dessous, les radicaux Horne Tooke et Sir Francis Burdett applaudissent des deux mains Napoléon et Talleyrand. Ils sont au-dessus de la loge occupée par le prince de Galles et Mrs Fitzhebert.

A l’arrière plan un vaisseau anglais, symbole de la puissance anglaise.

Si la victoire de Trafalgar (21 octobre 1805) a apaisé les craintes de débarquement français, les victoires continentales de Napoléon qui suivent – Ulm, Austerlitz – font de lui le maître de l’Europe

Tiddy-Doll, the Great French Gingerbread Baker, drying out a new Batch of Kings - His Man, Hopping Talley, mixing up the Dough - Gillray - Janvier 1806
Tiddy-Doll, the Great French Gingerbread Baker, drying out a new Batch of Kings – His Man, Hopping Talley, mixing up the Dough – Gillray – Janvier 1806

Cette brillante satire, bien que publiée en janvier 1806, contient un grand nombre de détails prophétiques. Napoléon, en grand uniforme, maître de l’Europe, est ici dépeint sous les traits d’un boulanger sortant, tout chauds du four – qui porte le nom de «New-French Oven, for Imperial Gingerbread » , les nouveaux rois de Bavière, de Württemberg et de Baden : ce sont les termes du traité de paix de Presbourg. Dans un panier, les nouveaux rois, issus de sa famille : Joseph, qui deviendra roi de Naples en mars, Louis, future roi de Hollande en juin, Jérôme, appelé sur le trône de Westphalie en août ! Les souverains chassés sont ensevelis sous de la cendre dans le four, rempli de boulets de canons. Talleyrand, de dos, méchamment présenté ici avec son pied bot (mais le dessinateur se trompe de pied !) et porteur d’une croix rappelant son passé d’ecclésiastique,  est occupé de son côté avec la Hongrie, la Pologne et la Turquie. Sur la commode, Sheridan, Fox, Burdett, Moira, Tierney, et Lord Derby, membres de l’opposition, à qui le dessinateur reproche leur politique d’apaisement, attendent que le boulanger impérial s’occupe d’eux.

Le modèle de Tiddy-Doll fut un fabricant de petits gâteaux secs du nom de Ford, un personnage célèbre de Londres, mort en 1752.

A little Man with a great Appetite siting down to Dinner. Anonyme - 1806
A little Man with a great Appetite siting down to Dinner. Anonyme – 1806

 

Les conquêtes napoléoniennes sont ici représentées comme des mets disposés sur une table, pour la consommation de Napoléon. Celui-ci, assis à cette table, ignore les bouteilles d’alcools français et de Bordeaux tout comme les différents plats étiquetés « Swiss Cheese », « Turkey (la Turquie) », «Dutch Herrings », « Naples Biscuit », « Polish Goose » etc. Au contraire, son regard affamé est attiré par une belle tranche de « English Roast Beef », présenté dans son jus : le plat à la forme des falaises anglaises à Douvres, gardées par des vaisseaux de guerre anglais.

On voit ici le message : l’ambition de Napoléon est décrite sous les formes d’un appétit insatiable. En dépit de tous les mets présentés sur la table, son assiette est encore vide, et il prépare son couvert pour couper le roast-beef.

L’année 1806 va être marquée, le 28 mars, par la décision de la Prusse, de bannir les navires anglais de ses ports. Le 5 avril, l’Angleterre met l’embargo sur les navires prussiens et le 21 avril le roi annonce d’autres mesures.

The magnanimous minister, chastising Prussian perfidy - Gillray - 1806
The magnanimous minister, chastising Prussian perfidy – Gillray – 1806

Cette caricature cherche à montrer la loyauté de Fox, exprimée le 23 avril dans un discours contenant également une attaque véhémente contre la Prusse. Le ministre, au centre du dessin, lève son épée contre le roi Frédérique Guillaume III, agenouillé et suppliant. Toutefois, il tient dans son dos une note sur l’état de la Nation, qu’il donne ainsi à lire à Napoléon. Le caricaturiste fait ainsi référence à un précédent discours du 3 avril dans lequel il annonçait que l’Angleterre n’était pas prête pour la guerre. Indubitablement, Gillray doute de l’intégrité de Fox, et le considère alors comme le véritable danger pour l’Angleterre.

 

Source : Napoléon Ier à travers la caricature. Sous la direction de Pierre Mathis. Éditions Neue Zürcher Zeitung. 1998