Napoléon à travers les caricatures anglaises

Dès le coup d’état de Brumaire, les caricaturistes s’en donnent à cœur joie, critiquant tout autant la démocratie que le jeune général considéré comme un arriviste.

Bonaparte, sous la forme d’un crocodile, animal symbolisant l’Égypte, dont il vient de s’échapper,  chasse les députés du Conseil des Anciens, représentés ici par des grenouilles, qui noyaient les décisions dans d’interminables débats, rendant les chambres de véritables marécages où les idées stagnaient.

Sur cet autre  dessin Bonaparte commande avec autorité ses soldats, baïonnettes au canon,  lors de l’attaque du Conseil des Cinq-Cents. Pour une fois, il n’est pas représenté de façon caricaturale, au contraire de ses soldats : Gillray l’a ici dessiné avec une relative exactitude. Pour autant, l’exagération de son uniforme et des plumes de son chapeau tentent de donner une note comique à la scène. Les soldats eux, sont affublés de lèvres épaisses, de faces de lune et de grands nez. Ils brandissent fièrement un drapeau tricolore sur le quel est écrit « Vive le triumvirat Buonaparte – Seyes – Ducos ». Un jeune tambour participe à la scène, frappant son instrument sur lequel est inscrit « Vive la Liberté ». Les membres du Conseil sont tous vêtus de la même façon : longues robes blanches, ceintures bleues et chapeau rouge. Paniqués, ils cherchent à s’enfuir par tous les moyens ; certains s’enfuient par la fenêtre.

Exit Liberty or Buonaparte closing the Farce of Égalité at Saint-Cloud, near Paris - Gillray - 1799
Exit Liberty or Buonaparte closing the Farce of Égalité at Saint-Cloud, near Paris – Gillray – 1799

Bonaparte, simplement vêtu d’une longue chemise blanche serrée par une ceinture, et de bottes, arrive au beau milieu d’une réunion du Directoire, dont il invective violemment les membres, les accusant d’avoir voulu le faire disparaître ainsi que ses soldats (allusion est faite à la bataille d’Aboukir et à Nelson), comme seul récompense de ses victoires en Italie.

Les Directeurs grimacent de peur devant cette apparition spectrale brandissant une longue épée ébréchée, qui s’approche de la table.
Le dessinateur parodie ici l’apparition du Christ ressuscité devant ses disciples. Comme lui, il porte une plaie au côté droit, et sa chemise blanche ressemble fort à un linceul. Dans leur mouvement de recul, les Directeurs font apparaître, sur la table, un papier sur lequel est écrit « Sujet : Envoyer Bonaparte en Egypte pour l’empêcher d’organiser le Directoire ». La caricature suggère ici que le Directoire a cherché à se débarrasser de Bonaparte en l’envoyant en Égypte, ou, au moins, l’écarter le temps nécessaire à la réorganisation du gouvernement.

Mais selon certains auteurs, Bonaparte peut être également vu comme Banquo dans le Macbeth de Shakespeare

The Grand Consul of the Great Nation !! Perusing John Bull's Dispatches !! John Cawse - 1800
The Grand Consul of the Great Nation !! Perusing John Bull’s Dispatches !! John Cawse – 1800

Bonaparte, qui porte ici un costume militaire parfaitement ridicule, jette un regard furieux sur une dépêche qu’il vient de recevoir adressée à « Mounseer Beau-Naperty », et qui contient des conseils à la prudence Un papier tombe de sa main gauche : on peut y lire « La conquête des Chouans, vieille chanson remise en musique »., signifiant qu’en Angleterre, on ne croit pas aux promesses de réconciliation de Bonaparte.
Derrière lui, les deuxième et troisième consuls, apparaissant comme deux bouffons, essayent de lire par-dessus son épaule. A gauche, le messager, porteur du bonnet rouge, attendant la réponse de Bonaparte.

La signature de la paix d’Amiens, le 27 mars 1802, entre la France et l’Angleterre ouvre la France aux visiteurs anglais, ce qui conduit à une vision plutôt sympathique de Napoléon et des Français.

The First Kiss this ten years ! or the Meeting of Britannia and Citizen Francois - Gill Ray - 1800
The First Kiss this ten years ! or the Meeting of Britannia and Citizen Francois – Gill Ray – 1800

On voit ici un Bonaparte, non caricaturé et en habit de Consul, mondain, souhaitant la bienvenue à Paris à John Bull et sa jeune épouse Hibernia, représentant ici l’Angleterre et l’Irlande, récemment unis par l’acte d’Union de 1801. John Bull remercie son hôte en usant d’un jeu de mot : Bonaparte devenant Bonny-Party. Le dessinateur met également dans sa bouche le mot « gammon », qui a le double sens de « balivernes, bobards », mais aussi de « quartier de lard fumé » : cela sous-entend que pour John Bull, il ne s’agit pas d’une simple visite de courtoisie. Son épouse (l’Irlande) lui coupe la parole, en lui indiquant qu’il doit d’abord apprendre les bonnes manières.
La politesse de Bonaparte contraste ici avec la gaucherie de John Bull et la grossièreté de sa nouvelle femme.

A trip to Paris - Charles Ansell - 1802
A trip to Paris – Charles Ansell – 1802

Les caricaturistes anglais ont désormais pris l’habitude de représenter John Bull en hobereau portant haut-de-forme, veste de couleur et culotte, opposant l’instinct conservateur  aux débordements des jacobins.
Créé par John Arbuthnot en 1712, John Bull est un bourgeois grassouillet portant un chapeau haut-de-forme et dont le gilet est taillé dans un l’Union Jack. Il est fréquemment accompagné d’un bulldog. Gentleman-farmer conservateur, il sera explicitement utilisé comme antithèse du sans-culotte pendant la Révolution française.

Parmi ces visiteurs, le plus célèbre d’entre eux fut sans doute le leader de l’opposition anglaise, Fox, accompagné de Erskine et Combe, le 3 septembre, au lendemain de l’élévation de Bonaparte comme Premier Consul à vie

English Patriots bowing at the Shrine of Despotism - Williams C. - 1802
English Patriots bowing at the Shrine of Despotism – Williams C. – 1802

Les trois visiteurs, à gauche, se prosternent devant Bonaparte, dans une posture parfaitement ridicule, avec leurs postérieurs plus hauts que leurs têtes et leurs épées pointant vers le ciel. Fox, le plus à gauche, est coiffé d’un bonnet révolutionnaire, et se prosterne si bas que son pantalon se déchire. Erskine, au milieu, habillé de l’habit noir des hommes de loi, a retiré son chapeau rouge, qu’il met à terre. Sur un papier qui sort de sa poche est écrit « O’Conners Brief ». A côté de lui, Combe, le maire de Londres (on le reconnaît à sa chaîne d’or), a lui aussi un papier sortant de sa poche, sur lequel on peut lire : « Essay on Porter Brewing by H. C. ».
Assis sur un élégant siège orné de symboles révolutionnaires, Bonaparte reçoit ces hommages avec hauteur. Il a un pied posé sur une petit tabouret, l’autre sur le tapis couvrant son podium. On notera qu’il porte ici un costume de Directeur, et non de Premier consul.