Napoléon à travers les caricatures anglaises
A la fin de l’été 1803, quoiqu’il en soit, la peur de l’invasion est à son plus haut degré.

Ce sentiment d’alarme est très explicitement reflété dans cette caricature qui montre George III sous les traits de John Bull, recevant avec contrariété le dramaturge Sheridan, qui lui assure que 1000 bateaux, chacun portant 150 soldats, sont sur le point de faire voile pour l’Angleterre. Derrière eux, des affiches propagent l’alarme et le désespoir, tandis que Sheridan en porte d’autre sous le bras. L’idée ici est que les journaux à grands tirages, certains sous la responsabilité de Sheridan, servaient plus à propager l’inquiétude qu’à la calmer.
Ou encore dans celle-ci :

John Bull, à gauche, habillé en marin et torse nu, patauge dans les eaux du Channel et défie Bonaparte de le rejoindre. Les côtes des deux pays sont ici hérissées de forteresses et de canons. Les (petits) navires français sont prêts à faire passer l’armée. On aperçoit la petite tête de Bonaparte, ornée d’un énorme chapeau, menaçant de passer à l’attaque. John Bull est ici un marin particulièrement costaud qui se moque de lui et de ses vociférations : que Bonaparte vienne, s’il l’ose !
On voit ici une situation en fait inverse de la réalité : c’était l’Angleterre qui se barricadait et était sur la défensive.
Une autre représentation de cette sorte de défi est offerte par Woodward

Dans cette autre caricature représentant cette confrontation de part et d’autre du Channel, Bonaparte, à gauche et John Bull, à droite se font face, sur leurs falaises respectives et observent la bataille navale qui se déroule dans la Manche. Bonaparte essuie les larmes qui lui coulent des yeux, avec un énorme mouchoir, et se lamente sur la destruction de ses chaloupes canonnières par la flotte anglaise. John Bull, se son côté, ricane de satisfaction, perché sur une colonne sur laquelle on peut lire « Constitution anglaise ». Costaud comme à l’habitude, il fume sa pipe avec un plaisir manifeste. A la base de la colonne, le lion britannique monte la garde et rugit, pour avertir Bonaparte.
Cette arrivée imminente des Français est annoncée comme le résultat naturel de l’ascension de Bonaparte

Napoléon a atteint la France depuis la Corse et, par le jeu de son ambition et de son pouvoir, acquiert une influence de plus en plus grande, confirmant la crainte de l’invasion durant le mois d’août 1803.
En Angleterre, certains rêvent même de renverser les rôles !

Chevauchant le lion britannique, John Bull traverse à toute allure la campagne française et attaque les minuscules cavaliers français, à cheval sur des grenouilles. Le lion se dresse sur ses pattes de derrière et se prépare á se saisir de sa proie. Un drapeau anglais flotte, attaché à sa queue, et son arrière train est marqué du sceau de George III, « GR ». Emmenant la charge, John Bull, comme toujours d’imposante stature, lève son épée, criant qu’il souhaite seulement mettre la main sur Bonaparte. Celui-ci, se croyant suffisamment en sécurité dans une modeste maison campagnarde, s’est hissé à la cheminée, mais implore le ciel de le protéger de se terrible personnage. Sur la gauche, des navires signalent un port.
L’une des causes de la rupture de la Paix d’Amiens, pour les Anglais, est la soif immodérée de Bonaparte pour les annexions territoriales

Le (toujours) petit Bonaparte joue à saute-mouton avec les souverains étrangers. Il a déjà sauté par-dessus la Hollande, puis l’Espagne, qui se plaint ici du dos. Le voici sur le dos du Hanovre, qui exprime des regrets de s’être laissé entraîner dans le jeu. Bonaparte l’annonce : le prochain sera John Bull, mais ce dernier ne l’entend pas de cette oreille. L’artiste a ici illustré l’intransigeance de l’Angleterre face à la politique de la France qu’elle juge expansionniste.

Cette caricature au caractère scatologique joue sur le mot “évacuation ». Ici. Assington est obligé de s’accroupir, le derrière nu, au-dessus d’un chapeau, dans lequel il « évacue » Malte, le Cap de Bonne Espérance, la Guadeloupe et la Martinique. Devant lui, Bonaparte le tient par la cravate, le menace de son épée et lui demande de tout donner, bien content qu’il doit être qu’il lui laisse l’Angleterre. Un officier français (serait-ce Andreossy ?) arrive dans le champ visuel de la caricature, tenant lui-même le chapeau, mais se pinçant le nez.
Addington est représenté effrayé de l’effort qu’il doit faire, soulignant la reluctance de l’Angleterre à se séparer de Malte. Il exprime aussi (dans la bulle) la crainte de ne plus pouvoir nourrir sa grande famille, ce qui est une allusion à son népotisme.
Bonaparte est ici le « Little Boney », son allure anguleuse étant soulignée par le dessin de son épée et de son fourreau. Addington, au contraire, à bien y regarder, apparaît comme un géant comparé à Bonaparte et à l’officier français.
L’année 1804 est marquée par deux évènements propres à exciter la verve des dessinateurs. Le premier est l’exécution du duc d’Enghien

Dans l’obscurité d’une forêt, à la nuit, deux soldats français masqués (l’un à gauche, l’autre au centre) lève des torches et éclairent la scène du meurtre du duc d’Enghien ( !). Le duc, bras et jambes écartelés, est ligoté à un arbre et est forcé de voir comment Bonaparte l’assassine. Celui-ci, dans une pose théâtrale, plonge, une seconde fois, son épée dans le cœur du duc.
Cinq démons arrivent en volant et se posent au-dessus de la tête de Bonaparte. Ils portent des chapeaux rouges révolutionnaires et amènent une couronne : c’est la récompense promise au meurtrier, en attendant qu’une main vengeresse le leur rende. Tout à fait à droite, quatre personnages arrivent, sous la lumière de la lune, en armures et portant des boucliers. L’un de ces boucliers est porteur de l’aigle des Habsbourg : c’est François II ; un autre est décoré d’un ours, c’est Alexandre Ier ; les deux derniers ne portent que des croix. François et Alexandre appellent à l’union avec l’Angleterre pour venir à bout du tyran.
La scène est bien sûre totalement fantaisiste par rapport à l’évènement, déjà suffisamment tragique en soi.
Cette caricature – anonyme, comme on peut s’en douter – aborde également le sujet :

On voit ici le jeux de mot : obéissant aux ordres de son maître, Caulaincourt traîne derrière lui un paisible agneau, qui n’est autre que le duc d’Enghien, que le général ramène en France par le pont de Kehl, brandissant une feuille de papier sur laquelle on peut lire « Mon doux maître, je tiens la victime » !