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Les Français en Croatie – 1809-1813

Médaille Marmont

Les relations cordiales aujourd’hui existant entre Paris et le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, la Yougo-Slavie en un mot, sont l’œuvre de la politique serbe avec l’appui de la Russie, et ces relations n’ont fait que* se fortifier pendant le cours de ces deux dernières années. Elles sont de nature à rappeler la grande, l’im­portante époque historique ou le grand Napoléon, grâce à la paix de Vienne, occupait une grande partie de la Croatie et pendant laquelle une véritable amitié se forma entre les Français et la nation croate.

Auguste Fredéric Louis Viesse de Marmont
Auguste Fredéric Louis Viesse de Marmont, duc de Raguse

Ce fut en mai 1809 que, pour la première fois, les troupes fran­çaises pénétrèrent en Croatie; elles venaient de la Dalmatie qu’elles occupaient depuis presque quatre ans. Sous le maréchal Marmont, elles avaient battu les troupes autrichiennes à Gracac, à Ostrovica, à Bilaj et en dernier lieu à Zutalokva, et après avoir opéré leur jonction avec le gros de l’armée française avaient finalement livré les batailles décisives d’Aspernet de Wagram, dans lesquelles les Croates, sous le drapeau autrichien, combattaient dans les rangs ennemis des Français.

Après la paix de Vienne (14 octobre 1809), le général Delzons franchit le premier et en vainqueur la frontière croate à la tête de quelques milliers de soldats et occupa la forteresse de Karlovac (Karlstadt). Les belliqueux et très braves Croates demeuraient à cette époque encore très attachés à l’empereur autrichien. Aussi pour calmer les esprits excités, Napoléon adressa-t-il à la nation croate une proclamation dans laquelle il exaltait les vertus des Croates, mais condamnait leur aveugle attachement à l’Autriche, seule coupable de tous les maux qui les accablaient alors. L’époque était pour la Croatie des plus critiques : la disette et le brigandage sévissaient au sein d’un peuple déjà plus que décimé par ses nom­breuses guerres avec la Turquie.

Avec les Français l’ordre revint peu à peu et la méfiance des débuts de l’occupation à l’égard des nouveaux maîtres se trans­forma assez promptement en franche amitié. La partie du terri­toire croate occupée par les Français (270 lieues carrées environ) fut ainsi que la Dalmatie et la Carniole réunie à l’Ilyrie avec Laibach (Ljubljana) comme capitale. C’était là que résidait le gou­verneur général. Pour la Croatie, la domination française finis­sait à la Save au nord, à l’exclusion de Zagreb (Agram) et à l’est à Sisak.

L’arrivée des Français eut entre autres pour résultat de réveiller parmi les serfs indigènes, astreints à travailler pour leurs seigneurs, des aspirations à la liberté toujours comprimées. La résistance à l’aristocratie et aux grands propriétaires fonciers qui dominaient en tout et partout augmentait de jour en jour; ici et là les paysans se soulevèrent au cri significatif de « Galli sumirs, liberi sumus ». Les Français promirent des réformes, sans cependant consentir à la disparition, du jour au lendemain, des anciennes institutions, par crainte des secousses sociales qui pouvaient en être la consé­quence. L’administration française fut d’ailleurs bienfaisante, sur­tout à partir de la nomination de l’inoubliable maréchal Marmont, duc de Raguse, comme gouverneur général des provinces illyriennes. Dans ses Mémoires bien connus, intéressants aujourd’hui encore non seulement pour les militaires, mais pour ceux qui s’oc­cupent d’histoire, on retrouve de nombreux passages sur la Croatie et les Croates. Marmont, tout comme Napoléon, tenait en haute estime les Croates, pour leurs vertus guerrières d’abord, puis pour leur honnêteté, leur bienveillance et, avant tout, pour leurs habi­tudes de cordiale hospitalité.

L’administration de l’État fut réorganisée, une police spéciale créée ainsi qu’une gendarmerie parfaitement organisée et admira­blement disciplinée. L’armée fut l’objet d’une sollicitude toute par­ticulière et répartie en deux divisions.  Presque tous les officiers étaient des Croates, à la seule exception des généraux, pour la plupart Français. A mentionner cependant le célèbre général croate Slivaric devenu un des favoris de Napoléon et qui, au nouvel an de 1811 vint à Paris à la tête d’une députation de soldats croates qu’il présenta à l’Empereur ; ils lui apportaient les vœux de leur nation. Le général Slivaric forma sur l’ordre de l’Empereur une brigade de soldats croates qui se couvrit de gloire pendant les guerres napoléoniennes. Après la chute de Napoléon le général ne revint plus jamais dans son pays ré annexé à l’Autriche.

Les Croates étaient très fiers de leur armée dans laquelle ils voyaient comme un symbole de cette autonomie si ardemment dési­rée en souvenir de l’époque glorieuse où ils formaient un royaume indépendant. Napoléon lui-même estimait très fort ces soldats et ne parlait d’eux qu’en les appelant» mes braves Croates». A la bataille de la Bérésina et pendant toute la retraite de Russie, les régiments croates combattant sous le drapeau français témoignèrent d’une bravoure surhumaine.

A Karlovac (Karlstadt), Marmont avait été l’objet d’une réception grandiose. Le maréchal se révéla bientôt un organisateur consommé et un administrateur des plus capables ; en .outre un ami de la nation croate tel qu’elle n’en avait que rarement rencontré. A la petite mais si pittoresquement située forteresse de Karlovac fut désormais dévolu un rôle des plus importants dans la Croatie française, puis­qu’elle était devenue le siège des autorités civiles et militaires du pays.

General Claude Carra de Saint-Cyr (1756-1834)

Le premier commandant en fut le général Carra-Saint-Cyr, auquel succéda le général Delzons. Les règlements militaires furent traduits en langue croate pour les mettre à la portée du public, car les Croates, leur aristocratie exceptée, qui parlaient l’allemand et le français, ne comprenaient pas cette dernière langue. Très nombreuses furent encore les réformes introduites par lès Français dans l’administration, la justice, les finances, l’instruction publique et l’hygiène populaire. Remarquables surtout furent les constructions grandioses élevées par eux, ainsi que de magnifiques routes, toutes choses qui arrachèrent à l’empereur d’Autriche, après l’évacuation du pays par les Français, cette exclamation. : « Dommage que les Français ne soient pas restés plus longtemps » — Au contraire de ce qui se faisait sous la domination autrichienne la plupart des em­plois civils étaient occupés par des Croates. Aux Français est due encore l’introduction du notariat public inexistant jusqu’alors. Des tribunaux et des autorités organisés suivant le système français étaient chargés d’appliquer des lois françaises comme le code Napoléon, le code pénal, les codes de procédure civile et commer­ciale. Bien que la langue officielle fût le français, seul permis à côté de l’italien et de l’allemand, ces différentes lois avaient été traduites en langue croate. Néanmoins les Français se montrèrent très coulants à cet égard et la langue du pays que nombre d’entre eux avaient apprise fut tacitement conservée, tandis que du temps de l’absolutiste Autriche, l’usage du croate était formellement in­terdit et celui de la langue allemande seul autorisé.

A signaler aussi que ce furent les Français qui fondèrent en 1812 à Karlovac la première loge maçonnique, à laquelle s’affilièrent non seulement de .nombreux citoyens parmi les plus honorables, mais même quelques ecclésiastiques. On se raconta pendant longtemps encore toutes sortes de tours de magie attribués aux francs-maçons par la superstition populaire.

Le général Bertrand
Le général Henri-Gratien Bertrand

Après la catastrophe de 1812 en Russie le puissant empire fran­çais commença à vaciller sur ses bases ; on ne manqua pas de s’en apercevoir en Illyrie aussi. A Marmont avaient succédé comme gouverneurs le général Bertrand, puis le général Junot et enfin le célèbre ministre de la police Fouché, duc d’Otrante. Et quoique l’on comprît bientôt que les Français ne demeureraient plus long­temps les maîtres de la Croatie, une députation d’enthousiastes de la France se rendit, après la catastrophe de 1812, de Karlovac chez le gouverneur-général pour l’assurer de leur fidélité et obtenir encore de lui quelques faveurs pour leur pays. A mentionner parmi les membres de cette députation le maire de Karlovac, Sporer, et le commandant de la milice, le juge Lopasic.

Après leur départ, nombreux furent les récits et les anecdotes qui coururent sur le compte des Français en Croatie. Sur celui du maréchal Marmont, par exemple, qui avait témoigné d’une telle admiration pour les deux chevaux composant l’attelage de Mme Ruka-vina, une richissime propriétaire, que cette dame lui fit cadeau de l’équipage tout entier, cadeau que le maréchal  avait royalement revendu.

Lorsque les troupes autrichiennes rentrèrent en Croatie, la popu­lation dans son ensemble pleurait sur le départ de ses bons amis les Français ; nombre d’habitants s’étaient expatriés à leur suite.

Après le retour des Autrichiens en 1813, la Croatie revécut là vie moyenâgeuse et de tracasseries policières de la vieille Autriche qui ne savait gouverner que par la force. Toutes les améliorations in­troduites par les Français furent, cela va de soi, abolies et la Croatie retomba dans un état de dépression intellectuelle absolue.

(…)

Docteur Deak.