Correspondance de Napoléon Ier – 1795

Paris, 9 prairial an III (28 mai 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

L’on arrête ici les Messieurs à cravates vertes, que l’on soupçonne être des membres de la compagnie de Jéhu. L’on arrête beaucoup de personnes soupçonnées d’être émigrées. On commence à s’apercevoir que les royalistes sont à craindre parce qu’ils se croient favorisés, et qu’il est temps d’arrêter le cours de leurs espérances.

Je t’ai envoyé hier par Casabianca la Constitution. Tout augmente d’une manière effrayante ; on ne pourra bientôt plus vivre : la récolte est attendue avec impatience.

 

Paris, 30 prairial an III (18 juin 1795).

A Mme  PERMON.

Je n’ai jamais voulu être pris pour dupe ; je le serais à vos jeux si je ne vous disais que je sais, depuis plus de vingt jours, que Saliceti est caché chez vous. Rappelez-vous mes paroles, madame Permon. Le jour même du 1er prairial, j’en avais presque la certitude morale ; maintenant, je le sais positivement. Saliceti, tu le vois, j’aurais pu te rendre le mal que tu m’as fait, et, en agissant ainsi, je me serais vengé, tandis que toi, tu m’as fait du mal sans que je t’eusse offensé. Quel est le plus beau rôle en ce moment, du mien ou du tien ? Oui, j’ai pu me venger, et je ne l’ai pas fait. Peut-être diras-tu que ta bienfaitrice te sert de sauvegarde. Il est vrai que cette considération est puissante ; mais seul, désarmé et proscrit, ta tête eut été sacrée pour moi. Va, cherche en paix un asile où tu puisses retenir de meilleurs sentiments pour ta patrie. Ma bouche sera fermée sur ton nom et ne s’ouvrira jamais. Repens-toi, et surtout apprécie mes motifs ; je le mérite, car ils sont nobles et généreux.

Madame Permon, mes vœux vous suivent, ainsi que votre enfant. Vous êtes deux êtres faibles, sans nulle défense. Que la Providence et les prières d’un ami soient avec vous ! Soyez surtout prudente, et ne vous arrêtez jamais dans les grandes villes. Adieu; recevez mes amitiés.

 

Paris, 4 messidor an III (22 juin 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

J’ai reçu ta lettre numérotée 16. La lettre de Chiappe m’a fait plaisir. Il a le plus grand crédit; s’il était ici, il ferait ce qu’il vou­drait. Je ferai ce que je pourrai pour placer Lucien.

Je suis employé comme général de brigade dans l’armée de l’Ouest, mais non pas dans l’artillerie. Je suis malade, ce qui m’oblige à prendre un congé de deux ou trois mois. Quand ma santé sera ré­tablie , je verrai ce que je ferai.

Aujourd’hui on fait la lecture de la Constitution à la Convention. L’on attend le bonheur et la tranquillité de cette Constitution ; je te l’enverrai du moment qu’il sera possible de l’avoir, et quelle sera imprimée.

Buonaparte.

 

Paris. 6 messidor au III (24 juin 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Je vais me presser d’envoyer à ta femme les commissions qu’elle désire. Désirée me demande mon portrait, je vais le faire faire ; tu le lui donneras si elle le désire encore, sans quoi tu le garderas pour toi. Dans quelques événements que la fortune te place, tu sais bien, mon ami, que tu ne peux pas avoir de meilleur ami, à qui tu sois plus cher et qui désire plus sincèrement ton bonheur. La vie est un songe léger qui se dissipe. Si tu pars, et que tu penses que ce puisse être pour quelque temps, envoie-moi ton portrait. Nous avons vécu tant d’années ensemble, si étroitement unis, que nos cœurs se sont confondus, et tu sais mieux que personne combien le mien est en­tièrement à toi. Je sens en traçant ces lignes une émotion dont j’ai eu peu d’exemples dans ma vie. Je sens bien que nous tarderons à nous voir et je ne puis plus continuer ma lettre.

Adieu, mon ami.

Buonaparte.

 

Paris, 18 messidor an III (6 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Je n’ai pas reçu de tes nouvelles depuis que tu es parti ; il faut que, pour arriver à Gènes, l’on passe le fleuve Léthé, car Désirée ne m’écrit plus depuis qu’elle est à Gènes.

Les Anglais ont opéré un débarquement de douze mille hommes, en grande partie émigrés, en Bretagne. Cela ne donne pas ici une grande inquiétude ; l’on est si sur de la supériorité de notre infan­terie , que l’on se moque de ces menaces anglaises.

Les armées d’Italie et des Pyrénées paraissent vivement attaquées.

L’on décrète tous les jours quelques articles de la Constitution. On est fort tranquille. Le pain continue à manquer ; le temps est un peu froid et humide pour la saison, ce qui retarde la récolte. Les louis sont ici à 750 francs.

Buonaparte.

 

Paris, 24 messidor an III (12 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Les Anglais seront obligés de s’embarquer sous peu de jours. Pichegru prépare le passage du Rhin. La Vendée proprement dite est

tranquille. Les chouans ne commencent qu’au nord de la Loire. L’on dit la paix avec l’Espagne imminente.

Les Hollandais paraissent chauds amis de leur révolution. Il est probable que le stathouder n’y rentrera plus ; son parti y est absolument nul.

Le Nord se brouille, et la Pologne conçoit des espérances.

L’Italie s’enrichit toujours des dépouilles et des malheurs de la France.

Galeazzani est, je crois, à Gênes. Hâte-toi de me donner de tes nouvelles.

Le luxe, le plaisir et les arts reprennent ici d’une manière éton­nante. Hier, on a donné Phèdre à l’Opéra, au profit d’une ancienne actrice; la foule était immense depuis deux heures après midi, quoique les prix fussent triplés. Les voitures, les élégants reparaissent, ou plutôt ils ne se souviennent plus que comme d’un long songe qu’ils aient jamais cessé de briller. Les bibliothèques, les cours d’histoire, de chimie, de botanique, d’astronomie, etc., se succèdent. Tout est entassé dans ce pays pour distraire et rendre la vie agréable. L’on s’arrache à ses réflexions ; et quel moyen de voir en noir dans cette application de l’esprit et ce tourbillon si actif ? Les femmes sont partout, aux spectacles, aux promenades, aux bibliothèques. Dans le cabinet du savant, vous voyez de très-jolies personnes. Ici seulement, de tous les lieux de la terre, elles méri­tent de tenir le gouvernail ; aussi les hommes en sont-ils fous, ne pensent-ils qu’à elles, et ne vivent-ils que par et pour elles. Une femme a besoin de six mois de Paris pour connaître ce qui lui est dû, et quel est son empire.

Buonaparte.

 

Paris, 30 messidor an III (18 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Point encore de lettre de toi, et il y a plus d’un mois que tu es parti ! Je n’ai pas non plus de lettre de Désirée depuis qu’elle est à Gènes. L’on est ici assez tranquille. Il y a eu quelque bruit au spec­tacle pour des airs qui chantent le Réveil du peuple et la Marseillaise; la jeunesse parait ne pas vouloir de cet hymne. La Constitution se décrète tous les jours. Au lieu d’être nommé directement par les as­semblées primaires, comme c’était le projet de la commission des onze, il y aura des assemblées électorales, comme en 1790.

Je m’imagine que tu profites de ton séjour à Gènes pour faire venir notre argenterie et les objets les plus précieux.

Louis est à Châlons-sur-Marne depuis cinq à six jours; il achèvera dans cette ville de se faire un homme. Il a bonne volonté ; il y ap­prend les mathématiques, les fortifications, les armes.

J’attends tes lettres pour me décider pour l’achat d’une terre; il n’est pas possible d’avoir rien de passable à moins de 8 à 900,000 francs.

Richard, domestique de Junot, qui était parti avec mes chevaux, a été pris par les chouans à cinq lieues de Nantes. Les chevaux sont ici sans prix; celui que je t’ai donné vaut cinq fois ce qu’il me coûte; ainsi garde-le.

Junot est ici, vivant en bon diable et dépensant à son père le pins qu’il peut. Marmont, qui m’avait accompagné de Marseille, est au siège de Mayence. Il parait que l’armée d’Italie a été battue, que nous avons évacué Vado et Loano.

J’attends de tes lettres avec impatience ainsi que des nouvelles de tout ce qui t’entoure. Salut à ta femme, que je désire beaucoup em­brasser à Paris, où l’on vit plus heureusement qu’à Gènes. C’est ici que l’homme droit et prudent, qui ne se mêle que de ses amis, vit avec toute l’extension et la liberté imaginables, comme il veut, et est absolument libre.

BUONAPARTE.

 

 Paris, 6 thermidor an III (24 juillet 1795).

AU CITOYEN BOINOD, commissaire des guerres.

Je ne vous ai pas écrit, mon ami, parce que je n’avais aucune nouvelle agréable à vous donner. Vous n’êtes pas conservé commis­saire des guerres ; mais il est possible que cela change avant mon départ de Paris, qui ne sera pas encore d’ici à quelques décades. Donnez-moi de vos nouvelles. L’on est ici tranquille. Je vous envoie quelques numéros de la Sentinelle, de Louvet. Les nouvelles du Midi sont affligeantes; l’escadre perd un vaisseau; l’armée d’Italie évacue les positions, les places intéressantes, et perd son artillerie ; le ma­gasin à poudre de Nice saute ; les terroristes nouveaux ont le dessus ; on égorge de tout côté ! Il faut espérer que bientôt un gouvernement ferme et mieux organisé fera cesser tout cela. Adieu, mon ami; écrivez-moi.

Buonaparte.

P. S. Écrire au général Buonaparte sous l’enveloppe du citoyen Casabianca, représentant du peuple, rue de la Michodière, n° 6.

 

Paris, 7 thermidor an III (25 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Je suis général employé à l’armée de l’Ouest ; ma maladie me re­tient ici. J’attends de tes lettres plus détaillées. Je crois que tu as fait exprès de ne pas me parler de Désirée ; je ne sais pas si elle vit encore.

Tout va bien ici ; le Midi seul est agité. Il y a eu quelques scènes produites par la jeunesse ; c’est un enfantillage.

Le 15, l’on va renouveler une partie du Comité de salut public; j’espère que les choix seront bons. L’on fait passer des forces à l’armée d’Italie; désirerais-tu que j’y allasse? Tes lettres sont bien décharnées; à force d’être prudent et laconique, tu ne me dis rien. Quand retournes-tu? Je crois que tes affaires ne doivent pas te retenir plus du mois de thermidor dehors.

Il n’est pas sûr que le projet de Lanjuinais passe [1]1 ; il est possible que l’on n’innove rien sur l’effet rétroactif; dans le principe ce serait commettre la même faute. Je t’ai dans le temps envoyé le rapport de Lanjuinais. Adieu, mon … Continue reading

 

 

Paris, 19 vendémiaire an IV (11 octobre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Tu auras appris par les feuilles publiques tout ce qui me con­cerne. J’ai été nommé, par décret, général en second de l’armée de l’intérieur; Barras a été nommé commandant en chef. Nous avons vaincu, et tout est oublié.

J’ai fait nommer Chauvet commissaire ordonnateur en chef. Lu­cien accompagne Fréron, qui part ce soir pour Marseille.

La lettre de recommandation pour l’ambassade d’Espagne sera expédiée demain.

Après l’orage, je ferai placer Villeneufve en France chef de ba­taillon du génie. Ramolino est nommé inspecteur des charrois. Je ne puis faire plus que je ne fais pour tous.

Adieu, mon ami ; je n’oublierai rien de ce qui peut t’être utile et contribuer au bonheur de ta vie.

Buonaparte,

 

 

Paris, présumée du 20 vendémiaire an IV (12 octobre 1795).

NOTE SUR LA DIRECTION QUE L’ON DOIT DONNER À L’ARMÉE D’ITALIE.

L’on a commis une faute essentielle en ne forçant pas le camp retranché de Ceva tandis que les Autrichiens battus étaient acculés au-delà d’Acqui. Toute notre armée se trouvait disponible pour cette attaque. Le succès ne pouvait pas être douteux, puisque nous aurions, avec trente mille hommes, attaqué seize à vingt mille Piémontais.

Pourquoi la division du général Serrurier, qui s’est trouvée le 3 à Garessio et à San-Gioanni, c’est-à-dire à moins de quatre heures de Ceva, et la division du général Masséna, qui a été jusqu’à Cairo, à peu près à la même distance, n’ont-elles pas profité de leur victoire ? L’on ne pouvait pas cependant ignorer que la prise de Ceva, mettant à notre disposition une partie du Piémont, procurait à l’armée des sou­liers, des vêtements, des subsistances et des moyens de charrois. La prise de Ceva seule peut procurer à l’armée des cantonnements sains, et terminer ce jeu de barres perpétuel que nous faisons depuis plusieurs années sur les pitons des Alpes et de l’Apennin.

La prise de Ceva, la réunion de notre armée autour de cette place forte, sont d’une telle considération quelles peuvent déterminer la cour de Turin à la paix, et diminuer considérablement les dépenses énormes que coûte au trésor public l’armée d’Italie.

Les Autrichiens, en se repliant sur Alexandrie, ont abandonné les Piémontais à eux-mêmes. Ils doivent s’être ravisés ; s’ils ne l’avaient pas fait, l’on devrait sans délai marcher à Ceva par Millesimo, Monltezemolo et par San-Giovanni dans le temps qu’une division se jette­rait au-delà de Batiffollo. Maître du camp retranché, l’on doit faire marcher l’artillerie de siège et se servir des voitures qui sont en abon­dance dans les environs de Ceva pour transporter les fers coulés.

Ceva à nous, nos armées s’y réunissent ; nous nous trouvons maî­tres d’une partie du Piémont, menaçant Coni, Turin et Alexandrie.

La division qui garde le col de Tende, Briga et le centre investira Coni, ou du moins se portera à Borgo (Borgo-San-Dalmazzo) pour surveiller les mouvements de la garnison de Coni.

L’armée tout entière, renforcée de ce qu’elle attend des Pyrénées, se porterait sur Turin dans février; une division de l’armée des Alpes, de 4 à 5,000 hommes, passerait par le mont Genèvre et viendrait renforcer l’armée sous Turin. Les neiges qui obstruent les cols des Alpes ne s’opposent pas au passage d’une colonne lorsqu’elle est sûre de trouver des amis et des secours de l’autre côté des monts.

Buonaparte.

 

 

Paris, 28 vendémiaire an IV (20 octobre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Je reçois ta lettre du 10 vendémiaire ; je vais envoyer consulter pour ton affaire et les intérêts de ta femme.

Je suis général de division dans l’arme de l’artillerie, commandant en second l’armée de l’intérieur ; Barras commande en chef.

Tout est tranquille ici. L’on attend la formation du pouvoir exécu­tif et le renouvellement de la Convention. Barras, Chénier, Sieyès sont nommés dans plusieurs départements.

Les assignats continuent de perdre ; l’on espère qu’après la forma­tion du gouvernement l’on prendra des mesures. Je crois qu’on ne doit pas en garder beaucoup chez soi.

Je suis excessivement occupé. Fréron, qui est à Marseille, aidera Lucien. Louis est à Châlons. Le mari de madame Permon est mort.

Un citoyen Billon, que l’on m’assure être de ta connaissance, de­mande Paulette ; ce citoyen n’a pas de fortune ; j’ai écrit à maman qu’il ne fallait pas y penser ; je prendrai aujourd’hui des renseigne­ments plus amples.

Buonaparte.

 

 

Paris, 10 brumaire an IV (1er novembre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Il y a déjà huit jours que je suis nommé général en chef de l’armée de l’intérieur.

Le Conseil des Cinq-Cents et celui des Anciens sont réunis; le premier a déjà formé sa liste pour le Directoire exécutif; il parait que les cinq membres seront  Sieyès, Reubel, Barras, Le Tourneur (de la Manche), Cambacérès et La Revellière-Lépeaux ; l’un de ces six membres n’en sera pas.

Ma santé est bonne, quoique je mène une vie très-occupée.

Buonaparte.

 

 

Quartier général. Paris, 19 brumaire an IV (10 novembre 1795).

DISPOSITIONS DE LA FORCE ARMÉE POUR SON SERVICE À PARIS.

La force armée qui est à Paris a pour but,

1° De maintenir la police et de faire le service des tribunaux :

2° De garder le Corps législatif, le Directoire exécutif, et de se trouver toujours dans le cas de dissiper les rassemblements.

La garde nationale de Paris, la légion de police et les compagnies de vétérans sont spécialement chargées, sous la direction du com­mandant temporaire de la place, du premier service.

La garde de Paris fourni à cet effet un corps de garde

de trente hommes par section, ce qui fait. . . ……….1,440 hommes.

Cinquante-trois corps de garde aux barrières,

de differentes forces, ce qui fait……………………………… 480

Cinquante-trois postes aux marchés, aux quais

d établissements publics, en tout…………………………….. 840

Total du service journalier

de la garde nationale de Paris ………………….…2,700

Chaque corps de garde fait des patrouilles dans son arrondisse­ment, et chaque corps de garde placé au chef-lieu de la section donne main-forte aux habitants de la section.

La légion de police, logée aux casernes des ci-devant gardes fran­çaises, rue de Babylone, rue de l’Oursine, rue Mouffetard, rue Popincourt, rue Verte, fournit tous les jours des gardes, 1° aux neuf maisons d’arrêt; 2° à la trésorerie nationale ; 3° à onze établissements publics; 4° à six casernes; en tout 550 hommes et 100 hommes de réserve au Luxembourg.

Les vétérans invalides fournissent tous les jours, à différents édi­fices nationaux, 160 hommes.

La garde du Corps législatif et du Directoire exécutif est confiée :

Au bataillon des grenadiers de la Convention ;

Aux piquets servant de garde provisoire au Directoire exécutif ;

Aux vétérans de la Convention ;

A six bataillons cantonnés à l’École militaire et à deux régiments de cavalerie.

Ces forces réunies doivent toujours offrir présents sous les armes

à l’École militaire, en batterie…     4

qui fournissent d’infanterie, au Luxembourg. . .                      100 hommes.

Aux Tuileries…………………………………………………………….. 500

A l’École militaire et au quartier général. . .                      150

De piquet à l’École militaire, prêta à.marcher au premier                        ordre…………………………………………………………. 500

Total du service de l’infanterie……………….. 1,250

L’artillerie a, au Conseil des Anciens……………………….. 2 pièces de 4

au   Conseil des Cinq-Cents…………………… 2′         id.

au  Petit-Luxembourg………………………….. 2          id.

 

Il y a une réserve au Champ-de-Mars composée de 6 obusiers.

de       4 pièces dis il

de       6          id.        de *     8

de       4          id.        dé        4

20 bouches à feu,

indépendamment des pièces des bataillons.

La cavalerie fournit tous les jours un piquet de quarante hommes

aux Tuileries, ci        40 hommes.

au Luxembourg        25

à l’École militaire     25

Total : 90

Il y a tous les jours soixante hommes de cavalerie de piquet; qui, à neuf heures du soir, se divisent en douze patrouilles de cinq hommes chacune, et restent jusqu’au jour, en faisant de fréquentes patrouilles, au corps de garde central de chaque municipalité.

Les jours de fête l’on ordonne des patrouilles extraordinaires prises sur les piquets de réserve.

En cas d’alarme par raison de feu ou de tocsin, les troupes doi­vent se rendre à leurs casernes, et les réserves doivent envoyer des patrouilles pour maintenir le bon ordre,, ou reconnaître les raisons des rassemblements qui pourraient exister.

Nous avons :

2 demi-brigades cantonnées à Sceaux.

1 demi-brigade cantonnée., à Belle vue.

2 bataillons cantonnés. . . à Saint-Cloud.

1 demi-brigade cantonnée.. à Courbevoie.

1 bataillon cantonné. … à Rueil.

Les bataillons cantonnés à l’École militaire changent tous les dix jours avec ceux-ci.

Il y a deux régiments de cavalerie à Versailles, qui changent tous les dix jours avec ceux qui sont à Paris.

Nous avons une réserve à Saint-Cloud composée de

2 pièces         de       16

4         id.        de       12

6         id.        de       8

6         id.        de       4

6 obusiers.

Cette réserve n’est pas encore complète, mais sera en règle sous peu de jours.

En cas de générale, le bataillon de la légion de police caserné à la rue Verte se rendra aux Tuileries, en envoyant cent cinquante hom­mes à la trésorerie.

Celui qui est à la rue de Babylone se rendra au Luxembourg ; celui qui est aux rues de l’Oursine et Mouffetard se rendra au Luxembourg.

Celui qui est à la rue Popincourt se rendra, en suivant les boulevards, à la place de la Révolution et de là aux Tuileries.

Le parc d’artillerie de réserve qui est à l’École militaire se tient prêt à marcher, les troupes prennent les armes ; 300 hommes de piquet se rendent aux Tuileries, 200 au Luxembourg ; chacun de ces détachements a avec lui deux pièces de 4.

Les grenadiers de la Convention se portent au Corps législatif, la garde provisoire du Directoire exécutif se place au Luxembourg, deux bataillons se rendent aux Tuileries, deux autres se rendrait au Luxembourg avec chacun un obusier et un caisson seulement par pièce, et une pièce de 8 et un caisson.

Toutes les troupes qui sont à Sceaux se mettent sur-le-champ en marche pour se rendre au Luxembourg, hormis les quartiers-maîtres, les caporaux-fourriers, et un piquet de garde de cent hommes qui se rendra, à l’Ecole militaire.

Les troupes qui sont à Bellevue laissent us bataillon pour garder Meudon et le pont de Sèvres, et se rendent à lssy, où elles attendent de nouveaux ordres. Les quartiers-maîtres et les caporaux-fourriers, avec un piquet de cent hommes, se rendent de suite à l’Ecole mi­litaire.

Les troupes cantonnées à Saint-Cloud s’emparent du pont de Saint-Cloud „ où il reste un bataillon en attendant de nouveaux ordres ; le restant se rend aux Tuileries avec quatre obusiers, quatre pièces de 8, ayant un caisson par pièce, en suivant la crête des hauteurs. La compagnie d’artillerie à cheval se rend avec ses pièces au camp de Clamart, où elle attend la cavalerie qui est à Versailles.

Les troupes cantonnées à Courbevoie et à Rueil s’emparent du pont de Neuilly, se portent à la porte Maillot, protègent le passage des troupes qui sont parties de Saint-Cloud, envoient un détachement de cent hommes à l’Ecole militaire avec les quartiers-maîtres et capo­raux-fourriers, et attendent de nouveaux ordres dans cette position.

Les troupes qui se trouveraient à Vincennes se rendront à la bar­rière de la Déchéance1, où elles attendront de nouveaux ordres.

Les troupes qui sont à Franciade [2]Saint-Denis s’approcheront de la Chapelle, à l’intersection du chemin qui conduit à la butte Montmartre, et en­verront des patrouilles sur cette hauteur.

Les deux régiments de cavalerie qui sont cantonnés à Versailles se rendent à la position du camp de Clamart, et envoient une patrouille de cinquante hommes à l’École militaire.

La cavalerie cantonnée à l’Ecole militaire enverra une patrouille de cent hommes au Luxembourg.

La cavalerie qui est au quai d’Orsay se portera aux Tuileries.

Toutes les troupes qui arriveront aux Tuileries feront prévenir l’of­ficier commandant, qui se tiendra, maison de Noailles, au bureau de l’adjudant général de service.

Toutes les troupes qui arriveront au Luxembourg s’adresseront à l’adjudant général commandant au Luxembourg, dans un des salons du Directoire exécutif.

Tous les officiers généraux, commissaires ordonnateurs, agents détachés à l’armée, hormis les garde-magasins, se rendront à l’École militaire.

Tous les avis, rapports, seront envoyés à l’École militaire, où le général en chef est censé se trouver, au logement de l’adjudant géné­ral de service, qui les lui fera passer.

Le commandant des Tuileries aura soin qu’il n’y ait point de ras­semblements dans la rue Saint-Honoré, au Carrousel, au quai du Louvre, à la place de la Révolution’, sur le pont de la Révolution, aux quais, à la rue Saint-Florentin, etc.

Le commandant du Luxembourg aura soin qu’il n’y ait point de rassemblements dans la rue Vaugirard, dans celles de Tournon, et dans les places et rues environnant le Luxembourg.

Le commandant à l’Ecole militaire aura soin qu’il n’y ait aucun rassemblement au Champ-de-Mars, dans les allées qui communiquent aux Invalides, dans la place Bourbon, au pont de la Révolution, et sur les boulevards jusqu’à la rue Vaugirard.

Si des rassemblements persistaient et résistaient, si les patrouilles fréquentes de cavalerie et d’infanterie étaient insuffisantes pour les dissiper, les commandants de ces trois postes sont autorisés à les dis­siper par la force, surtout dès l’instant que la générale aurait battu.

Les commandants des Tuileries et du Luxembourg distribueront leurs pièces et leurs hommes conformément à l’instruction particulière qu’ils auront du général en chef, et se conformeront à la circonstance.

Les ambulances se tiennent prêtes à marcher : l’on chargera plu­sieurs voitures de barils d’eau-de-vie.

BUONAPARTE.

 

 

Quartier général. Paris, 23 brumaire an IV, 9 heures du soir (13 novembre 1795).

AU GÉNÉRAL DE DIVISION MICAS.

Vous voudrez bien, Citoyen Général, vous rendre demain à Vincennes; vous inspecterez les six compagnies de vétérans, les diffé­rentes divisions de gendarmerie et le dépôt devant servir à la forma­tion du cinquième bataillon de la légion de police.

Vous inspecterez le donjon, qui doit servir à contenir les poudres.

Vous vous transporterez à la fabrique de poudre des Minimes; vous veillerez à ce que les ordres que j’ai donnés, pour que les pou­dres qui sont dans ces magasins soient transférées à Vincennes, soient exécutés.

Vous donnerez tous les ordres que vous croirez utiles au bien du service.

BUONAPARTE.

 

 

Quartier général, Paris, 28 frimaire an IV (19 décembre 1795).

AU MINISTRE DES FINANCES.

La trésorerie, Citoyen Ministre, devait avoir soldé vingt-cinq mil­lions pour les fourrages de l’armée depuis le 25. Voilà cependant trois jours ; elle continue toujours dans son système de faire manquer l’armée de l’intérieur. Je vous prie, Citoyen Ministre, s’il est vrai que par un système de malveillance l’on cherche à faire manquer cette armée, de pousser si vivement les agents de la trésorerie qu’ils soient enfin obligés de se démasquer.

Il est indispensable que l’on ne tarde pas plus longtemps à effectuer ce payement ; autrement nous serions obligés, pour me pas las­ser manquer le service, à prendre chez le fermier.

Vous sentez combien cette mesure serait dangereuse.

BUONAPARTE.

 

 

References

References
11 ; il est possible que l’on n’innove rien sur l’effet rétroactif; dans le principe ce serait commettre la même faute. Je t’ai dans le temps envoyé le rapport de Lanjuinais.

Adieu, mon ami; santé, gaieté, bonheur et plaisir. Je t’ai envoyé des lettres de Mariette, Fréron, Barras, qui te recommandent au chargé d’affaires de la République.

Permon est ici; il te salue ainsi que Muiron et Casabianca.

Buonaparte.

 

Paris, 10 thermidor an III (28 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Les émigrés, au nombre de douze mille, étant débarqués dans la presqu’île de Quiberon, près de Lorient, avaient établi des batteries pour défendre le passage de l’isthme. Les vaisseaux anglais et le fort de Penthièvre qu’ils avaient, aidaient à les défendre ; ils se croyaient en sûreté. Hoche les tenait bloqués au-delà de l’isthme. Les émigrés ont voulu faire une sortie le 29 : ils ont été battus. Le 2 thermidor, les colonnes de l’armée du Nord étant arrivées pendant la nuit, on a passé l’isthme, culbuté les avant-postes, enlevé les batteries, et on a tué une grande partie de ces malheureux ; on en a fait dix mille pri­sonniers ; on leur a pris soixante mille fusils, quarante mille habits, des blés, des viandes salées, et plus de cent soixante mille paires de souliers. Telle a été, mon ami, l’issue de cette célèbre descente, où l’on admire l’ineptie de Pitt, d’envoyer douze mille hommes attaquer la France. L’on remarque, parmi les prisonniers, le clergé de l’évê­que de Dol, avec Monseigneur.

Tout va bien. Cette affaire a un peu chagriné le petit Coblentz de ce pays-ci ; on leur voyait hier l’oreille basse, et croire que les vain­queurs de l’Europe avaient quelque courage. Au reste, on est ici très-tranquille.

Buonaparte.

 

Paris, premiers jours de thermidor an III (juillet 1795).

MÉMOIRE SUR L’ARMÉE DTALIE.

L’armée des Alpes et d’Italie occupe la crête supérieure des Alpes et quelques positions de l’Apennin. Elle couvrait le département du Mont-Blanc, le comté de Nice, Oneille, Loano, Vado. Par le moyen des batteries de côtes que l’on avait établies dans ces derniers postes, le cabotage de Marseille, Nice et Gênes s’opérait à la vue de l’escadre anglaise, sans quelle pût s’y opposer.

L’ennemi s’est emparé de Vado. L’escadre anglaise mouille dans cette superbe rade. Les Austro-Sardes ont armé un grand nombre de corsaires. Toute communication avec Gênes se trouve interceptée.

Le commerce, qui renaissait à Marseille, est suspendu. L’armée d’Italie, notre flotte, l’arsenal de Toulon, la ville de Marseille, ne peuvent plus tirer leurs subsistances que de l’intérieur de la France.

Cependant l’armée ennemie étant considérablement augmentée, nous sommes obligés de lui opposer des forces égales. Nous allons donc avoir une armée nombreuse dans la partie de la France la moins abondante en blé, qui, dans les meilleures années, en récolte à peine pour trois mois.

Il est donc indispensable, pour rétablir le cabotage, et assurer les subsistances du Midi, de Toulon et de l’armée, de reprendre la po­sition de Vado. Puisque la possession des mers est momentanément asservie, il appartient à nos armées de terre de suppléer à l’insuffi­sance de notre marine.

Depuis le Saint-Bernard jusqu’à Vado, les Alpes, que notre armée occupe, forment une circonférence de 95 lieues. On ne pourrait donc faire circuler nos troupes de la gauche à la droite en moins de deux ou trois décades, tandis que l’ennemi tient le diamètre et qu’il com­munique en trois ou quatre jours. Cette seule circonstance topogra­phique rend toute défense désavantageuse, plus meurtrière pour  notre armée, plus destructive pour nos charrois, et plus onéreuse au trésor public que la campagne la plus active.

Si la paix avec les Cercles de l’Empire se conclut, l’Empereur n’aura plus que le Brisgau et ses Etats d’Italie à gauche. Il est à croire que l’Italie sera le théâtre des événements les plus importants. Nous éprouverions tous les inconvénients de notre position.

Nous devons donc, même sous le point de vue de la conservation de Vado, porter ailleurs le théâtre de la guerre.

Dans la position de l’Europe, le roi de Sardaigne doit désirer la paix.

Il faut par des opérations offensives :

1° Porter la guerre dans ses Etats, lui faire entrevoir la possibilité d’inquiéter même sa capitale, et le décider promptement à la paix ;

2° Obliger les Autrichiens à quitter une partie des positions où ils maîtrisent le roi de Sardaigne, et se mettre dans une position où l’on puisse protéger le Piémont et entreprendre des opérations ultérieures.

On obtiendra ce double avantage en s’emparant de la forteresse de Ceva, en y rassemblant la plus grande partie de l’armée à mesure que les neiges obstrueront les cols des Alpes, en mettant à contribu­tion toutes les petites villes voisines et en menaçant de là Turin et la Lombardie.

Par les attaques que les Autrichiens ont entreprises sur la droite de l’armée, il ne nous reste aucun doute que leur intention ne soit de porter le théâtre de la guerre sur la Rivière de Gênes, et de me­nacer le département des Alpes-Maritimes de ce côté-là. Nous serions alors obligés de maintenir une armée nombreuse en campagne, c’est-à-dire à force de numéraire; ce qui la rendrait extrêmement onéreuse à nos finances. Nous devons, au contraire, dans la direc­tion de nos armées, être conduits par le principe que la guerre doit nourrir la guerre.

Il est donc indispensable de reprendre promptement Vado, de changer le théâtre de la guerre , de pénétrer en Piémont, de profiter du reste de la belle saison pour s’y procurer un point d’appui où l’on puisse réunir nos armées, menacer de partager le Piémont, et dès lors décider promptement le roi de Sardaigne à la paix, en lui offrant les conditions pour la conclure.

Les Alpes, depuis le mont Saint-Bernard, le mont Cenis, le mont Viso, vont toujours en s’abaissant jusqu’à Ponte-di-Nava; en sorte que le col de Tende est le plus facile et le moins élevé.

L’Apennin, qui commence à Ponte-di-Nava et qui est moins élevé, s’abaisse plus sensiblement vers Vado, Altare, Carrare et par-delà pour s’élever ; de sorte que plus on s’enfonce dans l’Italie on gagne les hauteurs.

Les vallées des Alpes sont toutes dans le sens de la frontière ; de sorte qu’on ne peut pénétrer en Piémont qu’en s’élevant considérable­ment. L’Apennin a ses vallées plus régulièrement placées, de sorte qu’on les passe sans être obligé de s’élever et en suivant les ouver­tures qui s’y rencontrent.

Dans la saison actuelle, il serait imprudent d’essayer d’entrepren­dre rien de considérable par les Alpes ; mais on a tout le temps de pénétrer par l’Apennin, c’est-à-dire par la droite de l’armée d’Italie.

De Vado à Ceva, première place frontière de Sardaigne sur le Tanaro, il y a huit lieues sans jamais s’élever de plus de 2 à 300 toises au-dessus du niveau de la mer. Ce ne sont donc pas proprement des montagnes, mais des monticules couverts de terre végétale, d’arbres fruitiers et de vignes. Les neiges n’y encombrent jamais les passages; les hauteurs eu sont couvertes pendant l’hiver, mais sans qu’il y en ait même une grande quantité.

Dès le moment que les renforts de l’armée des Pyrénées seront arrivés, il sera facile de reprendre les opérations de Saint-Bernard et de San-Giovanni.

Dès le moment qu’on se sera emparé de Vado, les Autrichiens se porteront de préférence sur les points qui défendent la Lombardie. Les Piémontais défendront l’issue du Piémont.

On détaillera dans les instructions qui seront données les moyens d’accélérer cette séparation.

Pendant le siège de Ceva, les Piémontais pourraient prendre des positions très-rapprochées de celles des Autrichiens pour, de concert, inquiéter les mouvements du siège. Pour les en éloigner, l’armée des Alpes se réunira dans la vallée de la Stura, à la gauche de l’armée d’Italie, et investira Démont, en s’emparant de la hauteur de Valloria. On fera toutes les démonstrations qui pourront persuader l’en­nemi que l’on veut véritablement faire le siège de Démont. Par ce moyen il sera obligé de prendre des positions intermédiaires, afin de surveiller également les deux sièges.

L’opération sur Démont est préférable à toute autre, parce que c’est celle où nous pourrons réunir le plus de troupes, puisque toute la gauche de l’armée d’Italie s’y trouvera naturellement employée ; elle inquiétera d’ailleurs davantage l’ennemi, parce que le succès se lie à celui de Ceva et serait d’autant plus funeste au Piémont.

Nos armées en Italie ont toutes péri par les maladies pestilentielles produites par la canicule. Le vrai moment d’y faire la guerre et de porter de grands coups, une fois introduits dans la plaine, c’est d’agir depuis le mois de février jusqu’en juillet. Si alors le roi de Sardaigne n’a pas conclu la paix, nous pourrons continuer nos succès en Piémont et assiéger Turin.          ,

Si, comme il est probable, la paix est faite, nous pourrons, avant qu’elle soit publiée, d’intelligence avec le Piémont, de Ceva nous assurer d’Alexandrie, et aller en Lombardie conquérir les indemnités que nous donnerions au roi de Sardaigne pour Nice et la Savoie.

Le théâtre de la guerre serait alors dans un pays abondant, semé de grandes villes, offrant partout de grandes ressources pour nos charrois, pour remonter notre cavalerie et habiller nos troupes.

Si la campagne de février est heureuse, nous nous trouverons, aux premiers jours du printemps, maîtres de Mantoue, prêts à nous em­parer des gorges de Trente, et à porter la guerre, de concert avec l’armée qui aurait passé le Rhin, dans le Brisgau, jusque dans le cœur des États héréditaires de la maison d’Autriche.

La nature a borné la France aux Alpes; mais elle a aussi borné l’Empire au Tyrol.

Pour remplir le but que nous venons de parcourir dans ce mé­moire, nous proposons au comité :

1° De ne point trop activer la paix avec les Cercles d’Allemagne, et de ne la conclure que lorsque l’armée d’Italie sera considérablement renforcée ;

2° De faire tenir garnison à Toulon par les troupes embarquées sur l’escadre, et restituer à l’armée une partie de la garnison de cette place, qui sera remplacée lorsque la paix avec l’Espagne sera ratifiée ;

3° De faire passer de suite 15,000 hommes des armées des Pyré­nées à l’armée d’Italie ;            ‘

4° D’en faire passer 15,000 autres au moment de la ratification de la paix avec l’Espagne ;

5° De faire passer 15 ou 20,000 hommes des armées d’Allemagne à l’armée d’Italie au moment de la paix avec les Cercles ;

6° De prendre l’arrêté suivant :

Le Comité de salut public arrête :

1° L’armée d’Italie attaquera les ennemis, s’emparera de Vado, y rétablira la défense de la rade, investira Ceva, fera le siège de la forteresse et s’en emparera.

2° Dès l’instant que les Autrichiens seront éloignés, on obligera le commandant du fort à recevoir deux bataillons et deux compagnies d’artillerie pour garnison, en forme d’auxiliaires.

3° La droite de l’armée des Alpes se réunira avec la gauche de l’armée d’Italie dans la vallée de la Stura, investira Démont en s’em­parant de la hauteur de Valloria.

4° Le commandant d’armes du port de Toulon enverra à Antibes quatre tartanes armées et quatre chaloupes canonnières ou felouques, à la disposition du général commandant en chef l’artillerie de l’armée d’Italie, pour servir à l’escorte des convois d’artillerie.

5° Il sera embarqué trente-six bouches à feu de siège, avec un ap­provisionnement pour siège, sur des bateaux à rames, qui seront dé­barquées à Vado, pour le siège de la forteresse de Ceva.

6° L’on réunira le plus près possible du camp de Tournoux qua­rante bouches à feu de siège pour le siège de Démont.

7° La neuvième commission fera passer quatre cents milliers de poudre à Avignon, où ils seront aux ordres du général d’artillerie de l’armée d’Italie, et deux cents milliers à Grenoble ; elle prendra ses mesures pour qu’ils y soient rendus avant la fin du mois.

8° L’agence des subsistances militaires se procurera à Gênes, où elle les laissera en dépôt, des blés pour nourrir 60,000 hommes pendant trois mois.

9° La neuvième commission fera passer à l’armée d’Italie tout ce qui est nécessaire pour compléter l’équipage de pont demandé au commencement de la campagne par le général d’artillerie.

10° La commission des transports militaires fera remplacer à l’ar­mée d’Italie les 1,500 mulets qui en ont été tirés pour servir au transport des subsistances à Paris.

 

 

Paris, premiers jours de thermidor an III (juillet 1795).

MÉMOIRE MILITAIRE SUR L’ARMÉE D’ITALIE.

Dans la position actuelle de l’Europe, l’on peut tirer un grand parti de l’armée d’Italie, et la destiner à porter des coups décisifs pour la paix et très-sensibles à la maison d’Autriche.

Elle doit :

1° Chasser l’ennemi de la position de Loano et de Vado, d’où il intercepte l’arrivage de nos subsistances et le cabotage de Gênes à Marseille ;

2° Profiter du reste de la campagne pour prendre des positions où elle puisse se maintenir l’hiver, menacer à la fois le Piémont et pouvoir le protéger contre le ressentiment des Autrichiens ; par ce moyen faire accepter la paix au roi de Sardaigne.

3° Conquérir la Lombardie, détruire l’influence de la maison d’Autriche en Italie, et y offrir au roi de Sardaigne des indemnités pour Nice et la Savoie ;

4° Maître de la Lombardie, s’emparer des gorges de Trente, péné­trer dans l’intérieur du Tyrol, se réunir avec l’armée du Rhin, et obliger l’empereur, attaqué dans l’intérieur de ses Etats héréditaires, à conclure une paix qui réponde à l’attente de l’Europe et aux sacri­fices de tout genre que nous avons faits.

Le premier et le second but peuvent être remplis avant la fin de la campagne.

Le troisième, dans le cours de l’hiver ; et le quatrième, aux pre­miers beaux temps de la campagne prochaine, si les ennemis nous obligent à la faire.

L’on doit renforcer l’armée d’Italie des divisions disponibles des années des Pyrénées; il sera très-facile alors de reprendre sur les ennemis la position intéressante de Vado.

Maître de Vado, l’on doit rétablir les défenses de la rade, afin qu’un convoi y soit à l’abri des insultes des vaisseaux ennemis.

Les Autrichiens se retireront sur les positions qui défendent le chemin de la Lombardie ; ils occuperont de préférence la chaîne de montagnes depuis Priera, Montenotte supérieur, Montenotte infé­rieur…           Les Piémontais occuperont de préférence les positions qui défendent l’entrée du Piémont, c’est-à-dire les hauteurs de San-Giovanni, la Solta, Biestro et Montèzemolo.

L’on doit de préférence, et par un mouvement successif et sans interrompre celui qui nous rendra maîtres de Vado, attaquer ou obli­ger l’ennemi à évacuer, par une fausse marche sur Sassello, toutes ses positions jusqu’à Montenotte inférieur, et à se retirer sur Acqui ou même sur Alexandrie; alors, par Cairo, .Millésime, s’emparer de Ia hauteur de Montèzemolo qui domine Leva, dans le même temps que la division restée pour la défense du Tanaro s’avancerait au-delà de Batiffollo , investirait Leva du côté de Garessio, et opérerait sa jonction avec la division qui serait sur Moutezemolo le plus près pos­sible de Ceva.

Pendant ce temps l’on fera réparer le chemin de la Madone de Savone à Altare, par où passeront les trente-six bouches à feu de siège nécessaires pour prendre Ceva.

Dans le temps que l’on aura investi Ceva, une division de l’armée des Alpes se joindra à la gauche de l’armée d’Italie sur la montagne de Sambuco, au-delà des Barricades, et, s’il est possible, investira Démont en s’emparant de la hauteur de Valloria. L’on fera faire quelques mouvements de grosse artillerie que l’on fera passer dans  la vallée de la Stura, afin de faire croire à l’ennemi que l’on veut sérieusement tenter le siège de Démont, et par là l’obliger à prendre des positions où il puisse à la fois surveiller les opérations du siège de Ceva et celui de Démont, circonstances très-favorables pour le siège de Ceva… La prise de Démont n’étant point nécessaire à l’exé­cution du projet, l’on n’en tentera véritablement le siège que dans le cas où l’on penserait avoir le temps, les moyens et la force néces­saires pour le prendre, sans affaiblir d’aucune manière la division de droite de l’armée d’Italie.

Maître de Ceva, l’on en réparera les fortifications, et l’on mettra cette place dans le meilleur état de défense possible.

Si l’escadre ennemie paraissait dans ces mers, ou si les Autri­chiens se renforçaient considérablement après la prise de Ceva, l’on ne manquerait pas de mettre un ou deux bons bataillons dans la for­teresse de Savone.

C’est autour de Ceva que l’on réunira toute l’armée, en prenant des cantonnements dans tous les villages et bourgs voisins. L’on fourragera fort avant dans la plaine du Piémont, et l’on offrira au roi de Sardaigne la perspective d’une armée considérable prête à en­vahir ses États ; il conclura probablement la paix.

Nos armées en Italie ont toutes péri par les maladies pestilentielles produites par la canicule. Le vrai moment d’y faire la guerre et de porter de grands coups, une fois introduits dans les plaines, c’est d’agir dans le courant de février jusqu’en juillet.

Dans cette saison, les neiges obstruant les cols des Alpes, l’on pourra diminuer de moitié les troupes destinées à les garder, ou augmenter d’autant l’armée d’Italie et marcher sur Turin, si le roi de Sardaigne n’a point fait la paix, ou sur Milan, si la paix est faite.

Maîtresse de la Lombardie jusqu’à Mantoue, l’armée trouverait tout ce qui pourrait lui être nécessaire pour se remonter et pouvoir franchir les gorges de Trente, passer l’Adige et arriver dans l’intérieur du Tyrol, dans le temps que l’armée du Rhin passerait en Bavière et viendrait jusqu’au Tyrol.

Peu de projets de campagne présentent des résultats plus avanta­geux , à la fois plus dignes du courage de nos soldats et des hautes destinées de la République (Pièce de la main de Junot, sans signature).

 

 

A Kellermann, GÉNÉRAL EN CHEF DE l’ARMÉE DES ALPES.

INSTRUCTIONS données par le comité de salut public

Paris, premiers jours de thermidor an III (juillet 1795).

Le Comité fait observer au général Kellermann que l’armée ne s’était étendue, en 1794, au-delà des hauteurs du Tanaro et n’avait prolongé sa droite par Bardi Netto, Melogno, Saint-Jacques, que pour empêcher l’armée autrichienne de se concerter avec l’escadre an­glaise, et pour pouvoir accourir au secours de Gènes, si l’ennemi se portait sur cette ville, soit par mer, soit par le col de la Bochetta ; quelle n’occupait pas Vado comme une position défensive, mais comme une position offensive, mais pour être à portée de déboucher sar l’ennemi, s’il se présentait dans la Rivière ; qu’aussitôt que les Autrichiens s’étaient portés sur Savone, il aurait dû marcher pour les combattre, pour empêcher qu’ils ne s’emparassent de cette ville et ne lui interceptassent sa communication avec Gênes; mais que, puisqu’il ne l’avait pu faire : 1° il aurait dû évacuer Vado, pour ap­puyer sa droite sur Saint-Jacques ; 2° lorsque, par le résultat de la journée du 25, l’ennemi s’était emparé de Melogno et de la crête de Saint-Jacques, il devait dans la nuit profiter de l’avantage qu’avait obtenu à sa droite le général Laharpe pour évacuer Vado, et se ser­vir des troupes de Laharpe pour renforcer l’attaque sur Saint-Jacques et Melogno ; elle eût été couronnée d’un plein succès ; 3° lorsque, le 27, il avait résolu d’attaquer Melogno, il était encore temps de ployer sa droite, pour quelle se trouvât à cette attaque, profitant du nouvel avantage qu’elle avait obtenu le 26 sur la gauche de l’en­nemi ; cette manœuvre eût encore décidé de la victoire. (Mémoires de Napoléon, dictées à Sainte-Hélène.) (A la suite de ces instructions, on lit, dans les Mémoires de Napoléon : Ces dépêches, qui étaient écrites de main de maitre, étonnèrent beaucoup l’état-major, qui cependant devina bientôt qui les avait dictées.)

 

Paris, premiers jours de thermidor an III (juillet 1795).

INSTRUCTION MILITAIRE POUR LE GÉNÉRAL EN CHEF DE L’ARMÉE DES ALPES ET D’ITALIE.

Le premier mouvement à opérer à la droite de l’armée d’Italie, dès l’instant quelle aura reçu des renforts qui doivent la rendre su­périeure en nombre à l’armée autrichienne, c’est de s’emparer de Saint-Bernard et de Rocca-Barbena; l’on pourra alors, par Bardi Netto, sc porter à Notre-Dame-de-la-Neve, dans le temps que, par les hauteurs de Loano, on se portera à Melogno, que l’ennemi se trouverait obligé d’évacuer.

L’on pourrait également se porter par Murialdo sur les hauteurs de Biestro, intercepter le grand chemin de Savone à Altare, Carcare, Coni et à Alexandrie. Si l’ennemi avait transporté de l’artille­rie de siège devant Savone, il se trouverait dans l’impossibilité de la retirer. De Biestro on pousserait une tête sur Montezemolo, pour donner l’alarme aux Piémontais, dans le temps que l’on occuperait véritablement les hauteurs de Pallare, de Carcare. L’ennemi serait obligé d’évacuer Saint-Jacques et Vado ; il ne pourrait le faire que par Montenotte et Sassello, où il n’y a pas de grands chemins. Il sera possible alors qu’il se décide à forcer le passage d’Altare, en­treprise extrêmement hardie.

La position de notre armée serait donc Rocca-Barbena, Melogno, Notre-Dame-de-la-Neve, Biestro, les hauteurs de Pallare et de Carcare.

A la pointe du jour, il faut se porter sur Altare, Mallare, Savone et Saint-Jacques.

Ou l’ennemi évacuera par le chemin de Sassello et par Montenotte, pour courir au secours de ses magasins, ou il se disposera à marcher par Altare à la rencontre de notre armée, ou il l’attendra et prendra des positions sur Altare et Savone ; dans tous les cas, il faut l’attaquer, le vaincre et le poursuivre. La division qui serait à Melogno, Notre-Dame-de-Ia-Neve et Finale, pendant la nuit et le jour suivant, doit le talonner, se porter sur Saint-Jacques, chercher à faire des prisonniers ou à recueillir des déserteurs, afin que dès l’instant que l’ennemi affaiblirait Saint-Jacques, elle s’y portât et s’y plaçât. Son artillerie doit se tenir toujours près de l’ennemi, afin de pouvoir attaquer, si celui-ci se dirige pour se porter sur Biestro.

Le troisième jour, nous sommes maîtres de toutes nos anciennes positions et de tous les bagages de l’ennemi.

Le quatrième, pousser l’ennemi et l’obliger à s’éloigner le plus possible sur Alexandrie ; et il est bien facile de pousser des têtes de colonnes sur Montenotte et de s’emparer du château de Sassello.

Si cette opération est exécutée avec beaucoup de résolution et d’ardeur, elle peut décider le sort de la campagne. L’ennemi poussé sur Acqui, ou plus loin, l’on doit se porter sur Montezemolo dans le temps que la division de Bardi Netto se portera sur San-Giovanni et celle du Tanaro sur Ceva, au-delà de Batiffollo, et ce jour on pas­sera le Tanaro avec le reste de l’armée.

Maître de Montezemolo, il faut forcer le camp retranché de Ceva, prendre la ville immédiatement après, diriger un corps de troupes pour bloquer le port de Ceva.

L’armée d’observation serait occupée, selon les circonstances, à poursuivre les Autrichiens, ou même à se replier par la plaine, par une marche secrète, et à se porter sur l’armée piémontaise qui se réunirait à Mondovi, à Coni ou à toute autre position. L’artillerie de siège se trouvera à Oneille le jour de l’affaire et se rendra à Vado, Inique nous serons maîtres de Montezemolo. A l’instant que l’équi­page de siège sera débarqué à Vado, il faudra forcer le commandant du fort à recevoir deux compagnies d’artillerie et deux bataillons de garnison comme auxiliaires, et aussitôt pourvoir à l’approvisionne­ment de ce fort en munitions de guerre et faire faire à l’artillerie les autres ouvrages et les défenses nécessaires.

L’art du général qui commandera le siège de Ceva, c’est de tenir les ennemis le plus éloignés possible et de tomber quelquefois sur les rassemblements qui se formeraient dans la plaine.

L’armée qui assiège Ceva communique avec Oneille par Ormea, et avec Vado par Carcare et Cairo.

Si l’on obtient quelque succès il sera facile d’enlever Acqui, Alba, Altare, enfin de se tenir maître jusqu’au Tanaro, ayant l’air de me­nacer Alexandrie.

Dans la supposition que l’on suivra en tout les instructions ci-des­sus , il est indispensable que l’on attaque les postes qu’a l’ennemi, comme on le propose, en les tournant tous.

II sera indispensable que l’attaque de la gauche de l’ennemi pré­cède de trois jours ; si, au contraire, on attaque tout simplement San-Giacomo et pour le prendre de force, il faut alors que l’attaque de la gauche ne se fasse que deux jours après.

La gauche de l’armée d’Italie et la droite de l’armée des Alpes se réuniront et investiront Démont. L’opération pour tourner la Brunette a déjà été faite l’année passée. Se porter, de concert, par les hauteurs de Sambuco, après quoi attaquer Valloria par les deux côtés; maître de cette hauteur, on se trouvera avoir trois marches d’avance.

La division du centre surveillera le mouvement des troupes qui lui seront opposées, afin de pouvoir, par une attaque faite à propos, faire une diversion.

Si l’attaque de Démont précède celle de Ceva, il faudra avoir beau­coup de circonspection et marcher dans la règle, ayant toujours les cols de droite et de gauche bien gardés.

Le service de l’artillerie consiste dans un service d’équipages de montagne et un service de siège.

Celui de montagne sera peu nombreux. On se servira bien de pièces de 3 à dos de mulets qui sont tous prêts, et d’obus de six pouces qui produisent un grand effet.

L’’équipage de siège de l’armée des Alpes se réunira auprès du Tannaro le plus tôt possible ; celui pour Ceva s’embarquera à Antibes sur des bateaux à rames, comme cela s’est déjà pratiqué l’année passée.

L’on armera la petite ville de Bredis et d’Albenga, et l’on y mettra quelques compagnies de garnison et quelques escouades d’artillerie.

L’on ne fatiguera pas la cavalerie pour la conduire dans ces mon­tagnes. Lu seul régiment de hussards peut suivre la marche des co­lonnes ; le reste de la cavalerie se rendra d’Ormea sur le Tanaro, pour pouvoir mettre des contributions dans la plaine et faire des prisonniers piémontais.

Maître de Ceva, l’on en établira la défense. L’on prendra conseil de la saison et des circonstances qu’il n’est jamais possible de prévoir à la guerre. Le but de l’art après sera de se procurer des quartiers d’hiver commodes en Piémont, et de se préparer à entrer en campa­gne au mois de janvier ou de février.

L’on écoulera alors toute proposition de paix et l’on suivra tout pourparlers qui aura l’air d’y conduire.

L’on affectera beaucoup de prédilection pour les officiers et soldats piémontais. Si l’on faisait quelques prisonniers de marque, les re­présentants et les généraux leur feront des civilités et leur garantiront qu’ils peuvent disposer de leur solde d’activité.

L’on ne fera le siège rie Démont que dans le cas où l’on pourrait avoir le temps de prendre cette place. Lorsque la saison sera avancée et que le col d’Argentière sera difficile et menacera de se fermer, si Démont n’était pas pris, ou fera tenir la division de D*** sur Ceva en opérant la jonction au-delà de Carcare.

Le but de la campagne d’été sera de prendre Turin ou de marcher en Lombardie.

L’on doit faire tous les préparatifs, soit en équipage de pont, soit en équipage d’artillerie ou de vivres pour entreprendre cette campa­gne avec succès.

Si l’on entre en Lombardie, le but devra être de pénétrer dans le Mantouan pour s’emparer, au commencement de In campagne pro­chaine , des gorges de Trente ; l’on cherchera à pratiquer des intelli­gences utiles, à donner l’alarme et à être au fait des mouvements qui se passent dans cette ville. L’on n’entreprendra pas le siège, parce que l’on croit la saison trop avancée, même pour passer les débouchés du Tauaro. Au reste, les circonstances de l’hiver ou des négociations pourront décider à cette opération ou du moins au blocus.

 

 

Paris, premiers jours de thermidor an lIl (juillet 1795).

INSTRUCTION pour les représentants du peuple

ET LE GÉNÉRAL EN CHEF DE L’ARMÉE D’ITALIE.

Le Comité de salut public, ayant pris en considération la situa­tion politique de l’Europe et la position militaire de l’armée des Alpes et d’Italie, a senti :

1° Qu’après la paix conclue entre la République et les rois de Prusse et d’Espagne, après les succès que toutes nos armées ont ob­tenus sur les ennemis, il n’était plus possible que le roi de Sardaigne conservât l’espoir de reprendre les départements du Mont-Blanc et des Alpes-Maritimes, et que, dès lors, il n’a plus aucun intérêt à continuer la guerre ;

2° Que la crainte des armes de l’Empereur et les troupes qu’il a en Piémont peuvent retarder une paix utile aux deux États ;

3° Que les renforts que l’armée autrichienne de Lombardie a reçus, les attaques quelle a tentées sur plusieurs positions de la droite de l’armée d’Italie, ne laissent aucun doute sur ses intentions d’établir le théâtre de la guerre sur les Etats de Gênes et de menacer le dé­partement des Alpes-Maritimes ;

Que le premier principe qui doit nous animer dans la direction des armées de la République, c’est qu’elles doivent se nourrir par la guerre aux dépens du pays ennemi ; que si l’armée d’Italie ne chan­geait pas au plus vite le théâtre de la guerre, elle deviendrait extrê­mement onéreuse au trésor public, ne pouvant être entretenue sur un pays neutre qu’à force de numéraire ;

4° Que l’occupation de Vado par les ennemis, en interceptant le rabotage avec l’Italie, a suspendu notre commerce, a arrêté l’arrivage de nos approvisionnements et nous oblige à substanter, par l’intérieur de la République, la marine de Toulon , l’armée d’Italie, la ville de Marseille et les départements circonvoisins, qui ne récoltent pas ordinairement pour trois mois, et que, si des circonstances momenta­nées nous empêchent de tenir la mer, il appartient à nos armées de terre de suppléer à l’insuffisance de notre marine ;

5° Que les Alpes, que notre armée occupe depuis Genève jusqu’à Vado, forment une demi-circonférence de 95 lieues, d’une communication extrêmement difficile, de sorte qu’il nous faut au moins deux décades pour communiquer de la droite à la gauche, tandis que l’en­nemi, occupant un diamètre dans une belle plaine, peut faire circuler ses troupes dans trois ou quatre jours ; cette seule circonstance topo­graphique rendant la défensive extrêmement désavantageuse, plus meurtrière pour nos soldats et plus destructive de nos charrois que la campagne la plus sanglante -,

6° Que nos armées en Italie ont toutes péri par les maladies pesti­lentielles produites par la canicule; le vrai moment d’y faire la guerre et d’obtenir de grands succès, une fois introduits dans la plaine, c’est d’agir depuis février jusqu’en juillet;

7° Que si la nature a borné la France aux Alpes, elle a aussi borné l’Empire aux montagnes du Tyrol. L’on peut, dans la Lombar­die , offrir au roi de Sardaigne des indemnités pour la Savoie et le comté de Nice ;

8° Que le moment peut venir de combiner les opérations de l’ar­mée du Rhin avec celles de l’armée d’Italie, et d’aller, de concert, dicter une paix glorieuse, digne à la fois du courage de nos soldats et des destins de la République, jusque dans le cœur des Etats héré­ditaires de la maison d’Autriche.

Après toutes ces considérations, le Comité de salut public a donné les ordres les plus pressants pour faire filer des armées des Pyrénées toutes les troupes qui y étaient disponibles ; il a porté ses sollicitudes sur toutes les parties administratives de l’armée, pour y faire passer tout ce qui peut lui être nécessaire. Il reste aux généraux à prendre leurs mesures, à combiner leurs opérations avec cette précision, cette résolution et le secret qui sont le sur garant de la victoire.

Lorsque les renforts seront arrivés à l’armée d’Italie, elle s’empa­rera des positions de Saint-Bernard, Saint-Jacques, Vado.

Les Autrichiens se retireront alors sur Montenotte inférieur, Montenotte supérieur, afin de protéger l’évacuation de leurs magasins et d’observer les mouvements ultérieurs de notre armée. Il est indispen­sable de les chasser de ces positions intéressantes, soit en les y atta­quant de vive force, soit par une fausse marche sur Sassello, mena­cer leur communication avec Alexandrie. La promptitude à suivre la victoire que l’on aurait remportée en les chassant de Saint-Jacques et de Vado sera le sûr garant du succès que l’on obtiendra à l’attaque de Montenotte.

Lorsque l’on aura obligé les Autrichiens à se retirer du côté d’Alexandrie le plus qu’il sera possible, l’on se portera par Millesimo sur Biestro et Montezemolo, dans le temps que la division restée à Saint-Bernard, pour tenir en échec les Piémontais. se portera par San-Giovanni à Montezemolo.

La division restée sur le Tanaro opérera sa jonction, le plus près possible de Ceva, avec le reste de l’armée, et tous, de concert, enlè­veront le camp retranché de Ceva, investiront la citadelle pour en commencer le siège.

La cavalerie campera au pied des montagnes, dans la vallée du Tanaro, et de là fera des courses, mettra à contribution une partie de la plaine.

L’artillerie nécessaire au siège de la forteresse de Ceva mouillera dans la rade d’Oneille, au commencement de l’action. Lorsque l’on sera maître de Montezemolo, elle débarquera à Vado.

Dès l’instant que l’on sera maître d’Altare, un bataillon de pion­niers raccommodera le chemin d’Altare à la Madone de Savone.

Le général commandant l’artillerie fera rétablir les batteries qui défendaient la rade de Vado ; il prendra de l’artillerie à Finale, à Savone et en tout autre point de la Rivière de Gènes, où elle serait inutile à notre défensive.

Lorsque l’artillerie de siège sera arrivée à Vado et que nous se­rons maîtres de Montenotte, l’on obligera le commandant du fort de Savone à recevoir dans le fort deux bataillons et deux compa­gnies d’artillerie, afin de protéger notre retraite en cas d’événements malheureux. Nos troupes y resteront en qualité d’auxiliaires.

Cependant, les Piémontais, dès l’instant qu’ils verront que nous nous fixons au siège de Ceva, pourraient prendre des positions très-rapprochées de celles des Autrichiens, pour pouvoir, de concert, inquiéter les opérations du siège. C’est afin de les éloigner de cette réunion, que la droite de l’armée des Alpes se réunira dans la vallée de la Stura avec la gauche de l’armée d’Italie ; maîtres des Barri­cades, les Français s’empareront de la position de Sambuco, et enfin investiront Démont, en s’emparant de la hauteur de Valloria.

L’on commencera dès lors les travaux comme si l’on voulait véri­tablement faire le siège de Démont. L’on y fera même venir quelques pièces de grosse artillerie, sans cependant trop s’embarrasser, afin de pouvoir, si la saison devenait très-mauvaise, repasser le col d’Argentière, ou faire toute autre opération que des succès plus rapides que nous ne l’imaginons, et dont l’histoire de notre guerre offre plusieurs exemples, rendraient nécessaires.

Maître de Ceva, l’on en réparera les fortifications ; l’on y réunira toute l’armée à mesure que les neiges obstrueront les cols des Alpes.

On lèvera des contributions dans toute la plaine du Piémont ; on fera tous les préparatifs pour entrer en campagne immédiatement après la saison des pluies.

L’on accueillera toutes les propositions de paix qui seraient faites par le roi de Sardaigne.

Les représentants et les généraux mettront la plus grande affecta­tion à traiter les prisonniers piémontais avec plus d’égards, plus de civilité et des soins plus marqués, n’oubliant aucune circonstance qui pourrait le faire remarquer par les Autrichiens, et accroître la mésin­telligence qui existera nécessairement entre ces deux puissances.

Le général d’artillerie complétera l’équipage de siège de l’armée, pour que, réuni à celui de l’armée des Alpes, l’on puisse attaquer Turin ou Alexandrie, ou toute autre place de la Lombardie, en fai­sant deux attaques. Il fera en sorte de compléter, avant le mois de janvier, un équipage de pont, pour la grande campagne d’Italie, consistant :

1° Dans les cordages, outils tranchants et ancres propres à pouvoir construire deux ponts de bateaux de deux cents toises chacun, en deux décades; l’on trouve assez ordinairement sur le Pô une partie des bateaux nécessaires.

2° Un équipage de cinquante nacelles en bois, des dimensions de 22 pieds sur 6 pieds 1 /2, sur baquets, afin de pouvoir promptement passer l’Oglio et le Mincio.

Le commandant du génie tiendra prêt, à la suite de l’équipage de siège, un équipage pour une compagnie de mineurs.

Le commissaire ordonnateur prendra des mesures pour avoir, à la même époque, les ambulances et les caissons de vivres nécessaires pour l’armée.

Au mois de février, si la paix est conclue avec le roi de Sardaigne, l’on aura soin qu’Alexandrie ne soit pas occupée par les Autrichiens, et l’on entrera en Lombardie, dont on s’emparera.

Aux premiers beaux temps de la campagne prochaine, l’on fran­chira les gorges de Trente et les montagnes du Tyrol.

Si la paix n’était point faite avec le roi de Sardaigne, l’on porte­rait jusque dans sa capitale les horreurs de la guerre.

L’on indique aux représentants du peuple et aux généraux le but que le Gouvernement se propose, afin de les mettre à même de se décider, et de prendre le parti le plus conforme dans les cas qui ne seraient pas prévus (Pièce de la main de Junot, annotée de la main du général Bonaparte, et.

1 Pièce de la main de Junot, annotée de la main du général Bonaparte, et dans laquelle se retrouvent textuellement plusieurs passages du Mémoire militaire sur l’armée d’Italie, voir ci-dessus).

 

Paris, 12 thermidor an III (30 juillet 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Tu recevras ci-joint le passe-port que tu demandes. Tu recevras demain une lettre de la Commission des relations extérieures au ministre à Gènes : il est prié de te donner l’assistance nécessaire pour tes affaires.

Tu en as dû recevoir une de Fréron, qui te recommande à Villard.

Lucien s’est fait arrêter ; un courrier qui part demain porte l’ordre du Comité de sûreté générale de le mettre en liberté.

Je remplirai tous tes désirs ; de la patience et du temps !

La paix avec l’Espagne rend la guerre offensive en Piémont infail­lible. L’on discute le plan que j’ai proposé, qui sera infailliblement adopté. Si je vais à Nice, nous nous verrons, et avec Désirée aussi. Je n’attends que ta réponse pour t’acheter une terre.

Je vais écrire à madame Isoard quelle donne de l’argent à Lucien; je le placerai à Paris avant de partir.

Je pense que, lorsque tu auras envie de revenir, tu m’en prévien­dras avant. Il est probable que tu obtiendras une place de consul en Italie.

Tout est tranquille. La paix conclue avec l’Espagne et Naples, que nous avons apprise hier, nous a comblés de joie. Les fonds publics montent, les assignats gagnent.

Il n’a pas encore fait chaud ici ; mais les moissons sont aussi belles qu’il est possible de se l’imaginer. Tout va bien. Ce grand peuple se donne au plaisir ; les danses, les spectacles, les femmes, qui sont ici les plus belles du monde, deviennent la grande affaire. L’aisance, le luxe, le bon ton, tout a repris ; l’on ne se souvient plus de la terreur que comme d’un rêve.

La nouvelle de la belle victoire de Quiberon et de la paix avec l’Espagne change dans un instant la nature de nos affaires.

BUONAPARTE.

 

Paris, 30 thermidor an III (17 août 1795).

A SUCY, COMMISSAIRE ORDONNATEUR.

Je Vous fais mon compliment de vous être rendu à l’armée. Vous y serez utile et vous aurez la douce satisfaction de concourir de vos moyens au bien de la patrie. La fortune, la faveur et l’estime des hommes varient et sont en perpétuelle oscillation ; l’orgueil bien placé d’avoir été utile et d’avoir mérité l’estime du petit nombre fait pour apprécier le génie et le beau est aussi invariable, aussi constant avec vous que le sentiment de l’honneur (mot douteux) et le tact de ce (mot illisible) naturel.

L’on m’a porté pour servir à l’armée de la Vendée comme général de la ligne : je n’accepte pas ; nombre de militaires dirigeront mieux que moi une brigade, et peu commanderont avec plus de succès l’artillerie. Je me jette en arrière, satisfait de ce que l’injustice que l’on fait aux services est assez sentie par ceux qui savent les apprécier.

Tu occupes, mon ami, une place délicate : si le génie actif, l’expé­rience consommée étaient arbitrairement exclus de l’armée où tu te réunis avec des représentants incapables (six mots illisibles)…. de fripons, pour ne rien dire de plus, il ne pourrait pas percer et mériter une réputa­tion ; mais, mon ami, dans ce meilleur des mondes, faire le mieux qu’il est possible et se tenir récompensé de son témoignage, voilà le grand secret, avec lequel l’on n’est jamais ni imposteur, ni flatteur, ni acre, ni importun, ni vindicatif, ni criminel.

Rien de nouveau ici; l’espérance seule n’est pas encore perdue pour l’homme de bien : c’est te dire l’état très-maladif où se trouve cet empire.

Santé, constance, gaieté, et jamais de découragement. Si l’on trouve les hommes méchants et ingrats, souviens-toi de la grande, quoique bouffonne maxime de Scapin : Sachons-leur gré de tous les crimes que l’on ne commet pas.

 

 

Paris, 3 fructidor an III (20 août 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Je suis attaché, dans ce moment-ci, au bureau topographique du Comité de salut public pour la direction des armées, à la place de Carnot. Si je demande, j’obtiendrai d’aller en Turquie comme géné­ral d’artillerie, envoyé par le Gouvernement pour organiser l’artillerie du Grand Seigneur, avec un bon traitement et un titre d’envoyé très- flatteur. Je te ferai nommer consul, et ferai nommer Villeneufve ingénieur pour y aller avec moi. Tu m’as dit que M. Anthoine y était déjà. Ainsi, avant un mois, je viendrais à Gènes, nous irions à Li­vourne, d’où nous partirions; dans ce cas, veux-tu acheter une terre ?

L’on est ici tranquille, mais des orages se préparent peut-être; les assemblées primaires vont se réunir dans quelques jours. Je mènerai avec moi cinq à six officiers ; je t’écrirai plus en détail après-demain.

Bientôt Vado sera repris.

La commission et l’arrêté du Comité de salut public qui m’emploie pour être chargé de la direction des armées et des plans de campagne, étant très-flatteurs pour moi, je crains qu’ils ne veulent plus me laisser aller en Turquie ; nous verrons. Je dois voir aujour­d’hui une campagne.

Je t’embrasse ; écris-moi toujours, dans l’hypothèse que j’allasse en Turquie.

Buonaparte.

 

 

Paris, 6 fructidor an III (23 août 1795).

AU GÉNÉRAL KELLERMANN, COMMANDANT EN CHEF L’ARMÉE D’ITALIE.

Le Comité de salut public vous a fait passer, Général, par le der­nier courrier, des instructions relatives à la direction qu’il entend donner à l’armée d’Italie, lorsqu’elle aura reçu les renforts qui sont partis des armées du Rhin et des Pyrénées (voir plus haut). Mais, d’ici à ce temps- là , la droite de l’armée se trouve supporter seule les efforts des en­nemis. Il semble au Comité qu’il serait possible, par quelque opéra­tion offensive, faite par la gauche de l’armée des Alpes, de produire une diversion qui pourrait elle-même avoir un objet d’utilité immédiate.

Le roi de Sardaigne, en donnant dernièrement le commandement de ses troupes au général Dewins, commandant en chef l’armée au­trichienne, parait s’être décidé à concentrer ses moyens et à combiner ses attaques sur les positions de la droite de l’armée d’Italie, et par ce moyen favoriser peut-être l’attaque de Savone, qui doit être l’ob­jet de tous les efforts de l’ennemi. Il est temps, d’ailleurs, de relever le courage de nos soldats, de les tirer d’une défensive pénible et à la longue décourageante.

Le fort d’Exilles, situé dans un pays qui fut longtemps français, contraint le sentiment d’affection que les habitants nous ont conservé. Ne serait-il pas possible, Général, de faire marcher une partie des troupes que nous avons dans le Mont-Blanc, une partie de celles qui gardent les vallées inférieures, y réunir quelques divisions d’artillerie de siège et faire sauter ce fort ? Celte opération, très-utile par elle-même, le serait par l’effet moral quelle produirait sur la brave armée que vous commandez, et par la diversion très-avantageuse au projet que les ennemis pourraient avoir sur Savone.

Si des circonstances locales ou accidentelles vous faisaient penser qu’un fourrage armé, dans quelqu’une des vallées de la gauche de l’armée des Alpes, produirait une partie du même but, sans être sus­ceptible des inconvénients quelconques qui pourraient se rencontrer à l’expédition d’Exilles, le Comité s’en rapporte entièrement à votre prudence.

Que les braves soldats que vous commandez se ressouviennent qu’ils sont toujours les vainqueurs du Mont-Saint-Bernard, de Saorgio, du Tanaro et de Cairo ! Le Comité vous engage à faire visiter l’île d’Albenga, à tenir les batteries qui la défendent sur un pied res­pectable , à y faire placer des grils à boulets rouges ; il nous serait très-désavantageux que les ennemis s’en emparassent. Votre tour d’attaquer avec succès et avec des moyens proportionnés aux forces de l’ennemi n’est pas éloigné; vous remplirez alors l’attente de la patrie, que vous n’avez cessé de servir avec zèle [1].

 

 

Paris, 8 fructidor an III (25 août 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

J’espère que tu auras un consulat dans le royaume de Naples, à la paix avec cette puissance.

L’on est ici fort tranquille. L’on va renouveler le tiers de la Con­vention. Je suis accablé d’affaires, depuis une heure après midi à cinq heures au Comité, et depuis onze heures du soir jusqu’à trois heures du matin.

La loi du 17 nivôse a été discutée hier, et a été décrétée après de très-longues discussions.

Le 20 du mois, l’on va réunir les assemblées primaires et procé­der à l’élection du tiers de la législature ; après quoi l’on organisera le pouvoir exécutif, et nous nous trouverons gouvernés par la nou­velle Constitution.

Nous n’avons aucune nouvelle. Le Rhin sépare nos armées; le siège de Mayence ne se fait pas. La Vendée est toujours dans le même état. Nos troupes des armées des Pyrénées filent à l’armée d’Italie et de la Vendée.

Buonaparte.

 

 

Paris, 12 fructidor an III (29 août 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

L’on ne peut liquider notre affaire Milleli sans les pièces justi­ficatives.

L’armée de l’intérieur a accepté la Constitution. Plusieurs sections de Paris out demandé l’éloignement de la force armée et la révoca­tion du décret qui restreint le renouvellement de la Convention au tiers; elles ont été très-mal reçues. Tout est d’ailleurs assez tran­quille ; le peuple de Paris en masse est bon; quelques jeunes gens voudraient pousser plus loin la réaction, mais cela n’est pas dangereux.

Adieu, mon cher ami ; santé, gaieté et bonheur. Je n’ai rien reçu de Marseille que tu m’annonces.

Buonaparte.

 

 

Paris, 13 fructidor an III (30 août 1795).

LE COMITÉ DE SALUT PUBLIC

AU GÉNÉRAL en chef de l’armée d’Italie.

Nous vous faisons passer, Général, une note qui nous a été envoyée de Suisse.

Nous avons examiné avec attention le projet que l’on suppose à l’ennemi ; nous l’avons trouvé conforme à ses vrais intérêts et à la répartition actuelle de ses troupes.

Les hauteurs de Briga sont effectivement la clef du département des Alpes-Maritimes, puisque l’on peut de là intercepter le grand chemin , et dès lors nous obliger à évacuer Tende.

Nous vous engageons à y porter une sérieuse attention, et à placer quelques troupes qui puissent au besoin renforcer nos postes des hau­teurs de Briga, et tenir en observation les mouvements que ferait l’ennemi partant du camp de Briga.

Votre droite serait peut-être mieux appuyée si elle était sur les hauteurs de Caprauna, et dès lors plus près d’Ormea.

II y a, entre Caprauna et la position de la tête de votre ligne, des chemins par où l’ennemi peut s’introduire, partant de Garessio, et attaquer par derrière dans le temps que les colonnes parties de leurs positions actuelles attaqueraient de front. Peut-être aussi que cette ligne eût été plus forte, plus courte, plus facile à défendre, si la droite eût été appuyée sur les hauteurs qui couvrent Alassio, et eût suivi la crête des montagnes qui dominent l’Arrosia.

Ces idées que le Comité vous communique sont du reste absolument subordonnées aux circonstances et à la force respective des deux armées ; c’est à vous à les apprécier et à agir en conséquence.

L’audace des chaloupes anglaises et l’indolence des Génois, qui laissent enlever dans leurs rades leurs propres bâtiments, vous prescrivent de faire établir une batterie avec un gril à boulets rouges dans un point où elle puisse accorder protection et sûreté à nos convois. Vous devez à cet effet vous concerter avec le gouverneur de San-Remo, et exiger de lui qu’il fasse établir ladite batterie, ou du moins qu’il fournisse de San-Remo, ou de quelque autre point, le peu de pièces qui sont nécessaires pour cette batterie.

Le Comité attend avec quelque impatience que les secours qui doi­vent être arrivés rendent à nos armes l’audace que la victoire cou­ronne, et rétablissent une bonne fois la supériorité que doivent avoir les braves soldats de la liberté (Cette minute porte la signature de Doulcet ; mais elle est entièrement de la main du général Bonaparte. La mise au net a été signée et expédiée le len­demain par les membres du Comité de salut public, Doulcet, Louvet, Merlin (de Douai), Jean Debry, Le Tourneur et Sieyès.

 

 

NOTE DU GÉNÉRAL BUONAPARTE (En marge de cette pièce, on lit les apostilles suivantes :

Le général de brigade Buonaparte a servi avec distinction à l’armée des Alpes, où il commandait l’artillerie. Mis en réquisition près le Comité de salut public, il a travaillé avec zèle et exactitude dans la division de la section de la guerre chargée des plans de campagne et de la surveillance des opérations des armées de terre; et je déclare avec plaisir que je dois à ses conseils la plus grande partie des mesures utiles que j’ai proposés  au Comité pour l’armée des Alpes et d’Italie. Je le recommande à mes collègues comme un citoyen qui peut être utilement employé pour la République, soit dans l’artillerie, soit dans toute autre arme, soit même dans la partie des relations extérieures.

Doulcet.

En adhérant aux sentiments qu’exprime mon collègue Doulcet sur le général de brigade Buonaparte, que j’ai vu et entretenu, je crois que, par les motifs mêmes qui fondent son opinion et la mienne, le Comité de salut public doit se refuser à éloigner, dans ce moment surtout, de la République, un officier aussi distingué. Mon avis est qu’en l’avançant dans son arme le Comité commence à récompenser ses services, sauf ensuite, après en avoir conféré avec lui, déli­bérer sur sa proposition, s’il y persiste.

27 fructidor an III.

Jean Debry.

 

13 fructidor an III (30 août 1795).

Dans un temps où l’impératrice de Russie a resserré les liens qui l’unissaient à l’Autriche, il est de l’intérêt de la France de faire tout ce qui dépend d’elle pour rendre plus redoutables les moyens mili­taires de la Turquie.

Cette puissance a des milices nombreuses et braves, mais fort ignorantes sur les principes de l’art de la guerre.

La formation et le service de l’artillerie, qui influe si puissamment dans notre tactique moderne sur le gain des batailles, et presque exclusivement sur la prise et la défense des places fortes, est encore dans son enfance en Turquie.

La Porte, qui l’a senti, a plusieurs fois demandé des officiers d’ar­tillerie et du génie ; nous y en avons effectivement quelques-uns dans ce moment-ci ; mais ils ne sont ni assez nombreux ni assez instruits pour produire un résultat de quelque conséquence.

Le général Buonaparte, qui a acquis quelque réputation en com­mandant l’artillerie de nos armées en différentes circonstances et spé­cialement au siège de Toulon, s’offre pour passer en Turquie avec une mission du Gouvernement, il mènera avec lui six ou sept offi­ciers, dont chacun aura une connaissance particulière des sciences relatives à l’art de la guerre.

S’il peut, dans cette nouvelle carrière, rendre les armées turques plus redoutables, et perfectionner la défense des places fortes de cet empire, il croira avoir rendu un service signalé à la patrie et avoir, à son retour, bien mérité d’elle.

Buonaparte.

 

 

Paris, 13 fructidor an III (30 août 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

J’ignore ce qu’est devenu Antoine Rossi ; on m’assure qu’il vit près d’Avallon, en Bourgogne. La paix avec l’Empire se traite. La Vendée a toujours des forces; on prétend que les Anglais veulent tenter un nouveau débarquement.

Je voudrais avoir mon portefeuille avec tous mes papiers. Donne-moi des nouvelles de la situation politique de la Corse.

Buonaparte,

 

 

Paris, 15 fructidor an III (1er septembre 1795)

A JOSEPH BUONAPARTE.

Tu as désiré avoir des lettres pour Villard de la part de son père; je te les envoie.

Chiappe doit aller à l’armée des Alpes ; Ritter et Mayre restent à celle d’Italie.

Il y a ici, comme partout, un peu de mouvement dans les têtes, à cause du renouvellement de la Convention ; les royalistes s’agitent : nous verrons comme cela tournera.

Demain est l’adjudication de la terre que je veux t’acheter.

Schérer passe à l’armée d’Italie, Kellermann à celle des Alpes, Canclaux à celle des côtes de la Méditerranée ; c’est un camp que l’on forme pour surveiller les mouvements des malintentionnés du Midi. Hoche passe à la Vendée, Moncey aux côtes de Brest.

Je continue auprès du Comité de salut public. J’attends tes lettres pour me décider.

Buonaparte.

 

 

Paris, 19 fructidor an III (5 septembre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Le Comité a pensé qu’il était impossible que je sortisse de France tant que durera la guerre. Je vais être rétabli dans l’artillerie, et pro­bablement je continuerai à rester au Comité.

Après-demain ont lieu ici les élections et les assemblées primaires. La paix avec Hesse-Cassel est ratifiée.

Les biens nationaux et des émigrés ne sont pas chers ; mais les patrimoniaux sont à des prix fous.

Si je reste ici, il ne serait pas impossible que la folie de me marier ne me prit. Je voudrais à cet effet un petit mot de ta part là-dessus ; il serait peut-être bon d’en parler au frère d’Eugénie ; fais-moi savoir le résultat, et tout est dit.

Chauvet, qui va à Nice dans dix jours, te porte les livres que tu as demandés.

Le célèbre évêque d’Autun et le général Montesquiou ont la per­mission de rentrer, et sont effacés de la liste des émigrés.

Buonaparte.

 

 

Paris, 20 fructidor an III (6 septembre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Le consulat de Chio est vacant ; mais tu m’as dit que tu ne vou­lais pas d’une ile. J’espère quelque chose de mieux en Italie.

On a décidé hier que tout homme qui aurait soutenu le siège de Toulon ou exercé des emplois sous le roi était réputé émigré. Fréron et Tallien ont parlé avec la plus grande force. C’est aujourd’hui que se réunissent les assemblées primaires de Paris; il y a beaucoup de placards pour et contre, mais l’on espère que l’on sera sage. Il n’y a pas de doute pour la Constitution, qui sera unanimement acceptée : le seul doute est pour le décret qui ordonne que les deux tiers de la Convention resteront en place.

Je continuerai à rester à Paris, spécialement pour ton affaire.

Tu ne dois avoir, quelque chose qui arrive, rien à craindre pour moi ; j’ai pour amis tous les gens de bien de quelque parti et opinion qu’ils soient. Mariette est extrêmement zélé pour moi : tu connais son opinion. Doulcet, je suis très-lié avec lui; tu connais mes autres amis d’une opinion opposée.

Continue à m’écrire exactement; parle-moi de ce que tu veux faire. Vois à arranger mon affaire de manière que mon absence n’em­pêche pas une chose que je désire.

J’écris à ta femme. Je suis très-content de Louis ; il répond à mon espérance et à l’attente que j’avais conçue de lui. C’est un bon sujet; mais aussi c’est de ma façon : chaleur, esprit, santé, talent, commerce exact, bonté, il réunit tout. Tu le sais, mon ami, je ne vis que par le plaisir que je fais aux miens. Si mes espérances sont secondées par ce bonheur qui ne m’abandonne jamais dans mes entreprises, je pourrai vous rendre heureux et remplir vos désirs. Ce que tu me dis de Félicien est bien flatteur : qu’il aille en Corse, qu’il s’en retourne avec son argent. Je lui ferai avoir une belle place aux environs de Paris, où il vivra très-bien et pourra rendre sa femme heureuse.

Je sens vivement la privation de Louis; il m’était d’un grand se­cours : pas d’homme plus actif, plus adroit, plus insinuant. Il faisait à Paris ce qu’il voulait; s’il eût été ici, l’affaire de la pépinière serait finie, ainsi que celle de Milleli. Depuis que je n’ai plus Louis, je ne peux vaquer qu’aux affaires principales. Ecris-lui, et dis-lui que tu attends le premier dessin qu’il doit envoyer pour constater ses pro­grès, et que tu ne doutes pas qu’il ne tienne sa promesse d’écrire aussi bien que Junot avant la fin du mois.

J’aurai demain trois chevaux : ce qui me permettra de courir un peu en cabriolet et de pouvoir faire toutes mes affaires.

Adieu, mon bon ami ; amuse-toi, tout va bien ; sois gai ; pense à mon affaire, car j’ai la folie d’avoir une maison. Puisque tu n’y es pas et que tu veux rester à l’étranger, il faut bien que l’affaire d’Eugénie se finisse ou se rompe. J’attends ta réponse avec impatience. Tu peux rester à Gènes tant que tu voudras ; ton motif est simple, c’est de tirer de Corse le peu d’épingles qui nous restent. Salut de ma part à Felicino.

 

 

Paris, 22 fructidor an III (8 septembre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

J’ai écrit hier à ta femme, mon ami; elle aura reçu ma lettre. Les assemblées primaires seront réunies dans trois jours. L’armée de Sambre-et-Meuse et celle du Nord ont accepté la Constitution ; plu­sieurs communes environnantes de Paris ont aussi accepté. Quelques sections de Paris sont agitées par l’esprit insurrectionnel ; ce sont quelques aristocrates qui voudraient profiter de l’état d’affaissement où l’on a tenu les patriotes pour les expulser et arborer la contre-ré­volution ; mais les vrais patriotes, la Convention en masse, les ar­mées sont là pour défendre la patrie et la liberté : cela n’aura au­cune suite.

Je t’envoie un journal où il y a des faits relatifs à Toulon. Tout va bien ici ; l’on est tranquille ; le petit mouvement qui existe dans les têtes ne fait pas une grande sensation.

Je ne vois dans l’avenir que des sujets agréables, et, en serait-il autrement, il faudrait encore vivre du présent : l’avenir est à mépri­ser pour l’homme qui a du courage.

Buonaparte.

 

 

Paris, 25 fructidor an III (11 septembre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Tu recevras ci-joint une lettre du général Rossi, qui s’est retiré dans le Morvan, en Bourgogne, où il attend la paix qui le ramènera en Corse.

Les assemblées primaires de Paris n’ont pas voulu accepter le dé­cret qui n’a donné faculté aux électeurs de nommer qu’un tiers de la législature; elles ont accepté la Constitution, la section des Quinze-Vingts, faisant partie du faubourg Saint-Antoine, accepte et s’est ralliée autour de la Convention ; les armées en font de même, la ville de Rouen et plus de mille communes : l’on attend aujour­d’hui des nouvelles du reste de la France. Il y a quelque fermen­tation à Paris dans les sections ; mais il parait que leur coup est manqué.

L’armée de Sambre-et-Meuse a passé le Rhin et s’est emparée du  duché de Berg, de la ville et de la citadelle de Düsseldorf. Cette opération, qui était méditée depuis deux mois, a eu le plus grand succès et n’est pas des moins brillantes de la guerre ; elle aura une influence immédiate sur la paix avec les Cercles.

Je pense que tu ne peux pas venir que le passage de Gènes à Marseille ne soit libre ; alors le nouveau gouvernement sera en fonc­tions. Volney est parti, il y a un mois, pour l’Amérique. Gentili est ici, qui réclame une retraite. Sébastiani, qui est capitaine de dra­gons, part bientôt pour son régiment, qui est à l’armée d’Italie.

L’on attend avec impatience des nouvelles de l’armée d’Italie : l’on sent très-bien qu’il importe à notre commerce et à nos subsis­tances que le cabotage soit promptement ouvert avec Gènes.

Adieu, mon ami.

BUONAPARTE.

 

 

Paris, 26 fructidor an III (12 septembre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Comme je pense que l’on ne manque pas de faire courir à Gènes des bruits faux sur ce qui se passe ici, je t’écris tous les jours.

La Constitution est acceptée par tout le monde; le décret du 5, sur la conservation des deux tiers des membres de la Convention, est accepté par la majorité des assemblées primaires de la Républi­que. A Paris, sur quarante-huit sections, il n’y a encore eu que celle des Quinze-Vingts qui ait accepté le décret. Les armées accep­tent tout, la Constitution et le décret. Ainsi, tout va très-bien, et ce choc, qui eût pu être fatal à la liberté, assure pour longtemps b République. La tranquillité n’a pas été troublée ici un seul ins­tant. Le passage du Rhin par nos troupes accélérera la paix avec les Cercles de l’Empire. Nous attendons avec quelque impatience que Farinée d’Italie reprenne sa supériorité.

Le gouvernement va incessamment être organisé ; un jour serein se lève sur les destins de la France. Il y a une assemblée qui a demandé un roi; cela a fait rire.

BUONAPARTE.

 

 

Paris, 29 fructidor an III (15 septembre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

La majorité de la République a déjà accepté la Constitution et le décret sur le renouvellement.

Des sections de Paris continuent à être en fermentation ; cepen­dant la chose publique parait sauvée. Notre armée de la Vendée est très-considérable.

Je viens de lire, dans un rapport imprimé que Cambon a fait sur les affaires du Midi, la phrase suivante : » Nous étions dans ces « imminents dangers, lorsque le vertueux et brave général d’artillerie Buonaparte se mit à la tête de cinquante grenadiers et nous ouvrit le passage. »

Il est probable que, sous un mois, le gouvernement sera orga­nisé; alors on sera nécessairement plus tranquille. Si la paix se con­clut, ce pays prospérera plus que jamais ; les esprits ont une acti­vité et un mouvement qui seront très-favorables au commerce.

Je reçois ta lettre du 12; il n’y a rien de nouveau. Lyon, Bor­deaux et la majorité de la République ont accepté. Avant un mois, la Constitution sera exécutée.

Nous ne savons pas encore si Marseille a accepté ; nous aurons des nouvelles aujourd’hui.

Buonaparte.

 

 

Paris, 1er vendémiaire an IV (23 septembre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Je viens de recevoir ta lettre du 19 fructidor avec une incluse pour Muiron. Nous attendons la conclusion des affaires de Corse avec quelque intérêt; ici tout est tranquille.

La Convention a la majorité pour les deux tiers. Avant un mois il n’y aura aucun choc; la Constitution sera établie.

L’armée du Rhin continue à faire des progrès ; elle fera conclure la paix avec les Cercles bientôt. Nous attendons avant peu des nou­velles satisfaisantes de l’armée d’Italie.

La Vendée est toujours dans le même état; la paix est bien né­cessaire à la République.

L’on disait hier qu’il y avait quelque mouvement à Marseille; la loi sur les émigrés n’y aura pas satisfait beaucoup de monde.

BUONAPARTE.

 

 

Paris, 5 vendémiaire an IV (27 septembre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Je reçois ta lettre du 24 fructidor.

Il est question, plus que jamais, de mon voyage; cela serait même décidé, s’il n’y avait pas tant de fermentation ici ; mais il y a dans ce moment quelque bouillonnement et des germes très-incendiaires ; cela finira sous peu de jours.

J’ai reçu les pièces de M. de Villeneufve; il ne peut pas espérer davantage que d’être capitaine; ce ne sera qu’avec beaucoup de fa­veur que je le ferai comprendre pour cette mission en cette qualité ; mais le principal est de servir et d’être utile.

Tu dois avoir reçu, il y a dix jours, une lettre de Rossi, pour sa mère. Lucien est en route pour venir ici ; si j’y suis encore, je verrai à lui être utile.

Il y a beaucoup de chaleur dans les têtes ; le moment parait cri­tique ; mais le génie de la liberté n’abandonne jamais ses défenseurs. Tontes nos armées triomphent.

La commission de la marine a donné ordre à l’agent maritime de faire toucher au consul ses appointements et de le placer.

BUONAPARTE.

 

 

Paris, 14 vendémiaire an IV, 2 heures du matin (6 octobre 1795).

A JOSEPH BUONAPARTE.

Enfin, tout est terminé ; mon premier mouvement est de penser à te donner de mes nouvelles.

Les royalistes, formés en sections, devenaient tous les jours plus fiers. La Convention a ordonné de désarmer la section Lepelletier; elle a repoussé les troupes. Menou, qui commandait, était, disait-on, traître ; il a été sur l’heure destitué. La Convention a nommé Barras pour commander la force armée ; les comités m’ont nommé pour la commander en second. Nous avons disposé nos troupes; les enne­mis sont venus nous attaquer aux Tuileries; nous leur avons tué beaucoup de monde ; ils nous ont tué trente hommes et blessé soixante. Nous avons désarmé les sections et tout est calme. Comme à mon ordinaire, je ne suis nullement blessé.

Le général de brigade,
Buonaparte.

P. S. Le bonheur est pour moi; ma cour à Eugénie et à Julie.

 

 

Présumé du 15 vendémiaire an IV (7 octobre 1795).

RAPPORT DU GÉNÉRAL BUONAPARTE SUR LA JOURNÉE DU 13 VENDÉMIAIRE.

Le 13, à cinq heures du matin, le représentant du peuple Barras fut nommé commandant en chef de l’armée de l’intérieur; le général Buonaparte fut nommé pour commander en second.

L’artillerie de position était encore au camp des Sablons, gardée seulement par 150 hommes; le reste était à Marly avec 200 hom­mes. Le dépôt de Meudon était sans aucune garde. Il n’y avait aux Feuillants que quelques pièces de 4 sans canonniers, et seulement 80 mille cartouches. Les magasins des vivres étaient disséminés dans Paris. Dans plusieurs sections l’on battait la générale. Celle du Théâtre-Français avait des avant-postes jusqu’au Pont-Neuf, qu’elle avait barricadé.

Le général Barras ordonna à l’artillerie de se porter, sur-le-champ, du camp des Sablons aux Tuileries, fit chercher des canonniers dans les bataillons de 89 et dans la gendarmerie, et les plaça aux pièces, envoya à Meudon 200 hommes de la légion de police qu’il tira de Versailles, 50 cavaliers des quatre armes et 2 compagnies de vété­rans, ordonna l’évacuation des effets qui étaient à Marly sur Meu­don, fit venir des cartouches, et fit établir un atelier pour en faire à Meudon, assura la subsistance de l’armée et de la Convention pour plusieurs jours, indépendamment des magasins qui étaient dans les sections.

Cependant il arrivait de tout côté des rapports que les sections se réunissaient en armes et formaient leurs colonnes. Il disposa ses troupes pour défendre la Convention, et prépara son artillerie pour punir les rebelles.

Il plaça du canon aux Feuillants pour battre la rue Honoré ; il mit des pièces de 8 à tous les débouchés, et, en cas de malheur, il plaça des pièces de réserve pour faire un feu de flanc sur la co­lonne qui aurait forcé un débouché. Il laissa dans le Carrousel 2 obusiers et 2 pièces de 8, pour pouvoir foudroyer les maisons d’où l’on tirerait sur la Convention.

A quatre heures, les colonnes des rebelles débouchèrent par toutes les rues pour se former. Il eût dû profiter de cet instant si critique, même pour les troupes les mieux aguerries, pour les foudroyer; mais le sang qui devait couler était français ; mais il fallait laisser ces malheureux, couverts déjà du crime de la révolte, se souiller encore de celui de fratricide : aux révoltés devait appartenir l’hon­neur des premiers coups.

A quatre heures trois quarts les rebelles, se trouvant formés, com­mencèrent l’attaque de tous les côtés ; ils furent partout mis en dé­route. Le sang français coula; le crime comme la honte de cette terrible journée tomba sur les sectionnaires.

Parmi les morts, l’on reconnut parfois des émigrés, des prêtres et des nobles ; parmi ceux qui furent faits prisonniers l’on trouva que la plupart étaient des chouans de Charrette.

Cependant les sections ne se tenaient pas pour battues. Elles s’é­taient réfugiées dans l’église Saint-Roch, dans le théâtre de la Ré­publique et le Palais-Égalité, et partout on les entendait faire sus­citer les habitants aux armes. Pour épargner le sang qui eut coulé le lendemain, il fallait ne pas leur donner le temps de se recon­naître, et les poursuivre avec vivacité.

Le général ordonna au général Montchoisy, qui était à la place de la Révolution avec une réserve, de former une colonne qui, ayant 2 pièces de 12, se porterait par les boulevards pour tourner la place Vendôme, opérer sa jonction avec le piquet qui était à l’état-major, et réunir la division en bataille.

Le général Brune, avec 2 obusiers, déboucha par les rues Saint-Nicaise et Rohan.

Le général Cartaux envoya 200 hommes et 1 pièce de 4 de sa division par la rue Saint-Thomas-du-Louvre, pour déboucher dans la place du Palais-Égalité.

Le général Brune, qui avait eu un cheval tué sous lui, se porta aux Feuillants. Ces colonnes se mirent en mouvement. Saint-Roch, le théâtre de la République furent forcés ; les rebelles les évacuè­rent. Les rebelles se retirèrent alors dans le haut de la rue de la Loi (rue Richelieu) et se barricadèrent de tout côté. L’on envoya des patrouilles et l’on tira pendant la nuit plusieurs coups de canon pour s’y op­poser, ce qui effectivement réussit.

A la pointe du jour, le général apprit que des individus de la commune de Saint-Germain, avec 2 pièces de canon, étaient en marche pour secourir les rebelles, et envoya un détachement de dragons qui leur enleva les pièces et les ramena aux Tuileries.

Cependant les sectionnaires expirants faisaient encore contenance ; ils avaient barricadé les issues de la section Lepelletier, et placé des canons aux principales rues.

A neuf heures, le général Berruyer se rangea en bataille avec sa division dans la place Vendôme. Il se porta avec 2 pièces de 8 â la rue des Vieux-Augustins, et il les braqua sur le chef-lieu de la section Lepelletier.

Le général Vachot, avec un corps de tirailleurs, se porta sur la droite, prêt à se porter à la place Victoire.

Le général Brune se porta au Perron, et plaça 2 obusiers au bout de la rue Vivienne.

Le général Duvignau, avec la colonne du centre et 2 pièces de 12, se porta aux rues Richelieu et Montmartre. Mais le courage avait manqué aux sectionnaires avec la crainte de voir leur retraite coupée; ils évacuent le poste et oublient, à la vue de nos soldats, l’honneur des chevaliers français qu’ils avaient à soutenir.

La section de Brutus donnait encore quelque inquiétude ; la femme d’un représentant y avait été arrêtée. L’on ordonna au général Du­vignau de longer le boulevard jusqu’à la rue Poissonnière. Le gé­néral Berruyer vint se ranger à la place Victoire.

Le général Brune alla occuper le Pont-au-Change ; l’on ferma la section Brutus et l’on se porta sur les places de Grève, d’où l’on fouilla l’ile Saint-Louis, du Théâtre-Français, du Panthéon. Partout les patriotes avaient repris courage ; partout le progrès de la guerre civile avait disparu ; partout le peuple convenait de leur folie et de son égarement.

Le lendemain, l’on désarma les deux sections de Lepelletier et de Théâtre-Français, et les chasseurs et les grenadiers de la garde nationale.

((ce rapport est tout entier de la main du général

2Saint-Denis