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Une mastectomie au XIXe siècle – Dominique Larrey opère Fanny Burney

Fanny (Frances) Burney, écrivain anglais née en 1752, quatrième enfant et seconde fille du docteur Charles Burney et de son épouse Esther. Son premier roman, Evelina, fut aussitôt un grand succès. Elle épouse, à l’âge de 41 ans, un émigré français, Alexandre d’Arblay et donne naissance, en 1794 à leur fils unique, Alexandre. D’Arblay retourne en France en 1810 où sa femme et son enfant le rejoignent aussitôt.

Durant l’été 1811, elle prend conscience d’une inflammation et d’une grosseur au sein droit. L’année d’après (elle a alors 50 ans) la grosseur est très douloureuse et elle peut à peine se servir de son bras droit. Le docteur Dubois, médecin de l’impératrice Joséphine, est alors d’avis qu’une opération pour extraire la grosseur est devenue inévitable, si elle veut conserver la vie. Des mois plus tard,  Fanny écrivit un récit décrivant la dure épreuve dans une longue lettre à sa sœur Hetty.


L’opération fut effectuée à son domicile. Avec l’autorisation de la police, on avait placé de la paille sur la route passant devant sa maison, afin d’atténuer le bruit des sabots des chevaux et des roues des carrosses pendant la période de « danger et de fièvre pour la malade ». La patiente avait du donner une permission, signée de sa main, d’opérer au chirurgien, le baron Dominique Larrey, le célèbre chirurgien de la Grande Armée de Napoléon. On lui avait demandé de préparer un fauteuil ainsi qu’une réserve de serviettes, et d’attendre son arrivée, vers une heure de l’après-midi.

A trois heures de l’après-midi, 4 cabriolets s’arrêtèrent dehors et sept hommes habillés de noir, les docteurs et les assistants arrivèrent, vêtus militairement, et insistèrent pour que la servante et les infirmières récemment engagées quittent la pièce. On donna à Fanny un « cordial » pour la calmer.

Sans prêter attention au fauteuil, ils commencèrent d’installer un lit au centre de la pièce

« … Étonnée, je me tournais vers le docteur Larrey (le chirurgien) qui avait assuré qu’un fauteuil suffirait; mais il hocha la tête et ne me regarda pas. M. Dubois demanda deux vieux matelas et un drap usagé.

 « Je me mis à trembler violemment, plus de dégoût et d’horreur de la préparation que de douleur. Il arrangea les choses à son goût, puis me demanda de monter sur le lit. J’hésitais un instant, si je ne devais pas m’échapper brusquement.  Je regardais la porte, les fenêtres. Je me sentais désespérée. »

Pour calmer sa patiente, le docteur Dubois autorise une des nurses à rester dans la pièce. Sachant qu’elle n’avait pas réellement d’autre alternative si elle voulait survivre – et bien sûr qu’il n’y avait aucune garantie que l’opération réussisse – elle enleva sa robe de chambre.

« Tout me persuadait… que seule cette intervention pouvait me sauver. Je montais, sans que l’on me le demande, sur le lit et Mr. Dubois m’installa sur les matelas, étendant un mouchoir de baptiste sur mon visage. Mais celui-ci était transparent, et je vis au travers, que le lit fut tout de suite entouré par les sept médecins et ma nurse. Je refusais d’être tenue, mais lorsque, au travers du mouchoir, je vis l’éclair de l’acier poli, je fermais les yeux… Je n’osais pas offrir à ma peur convulsive la vue de cette terrible incision. »

Fanny voit le chirurgien dessiner une croix et un cercle sur son sein et réalise  que l’intention est

« d’enlever le tout. À cette idée, j’eu un sursaut et je rejetais le voile… et expliquais ce dont je souffrais. On m’écouta attentivement, mais dans un profond silence, puis Mr Dubois me remis en place et étendit le voile sur mon visage… Sans espoir, désespérée et m’abandonnant, je fermais à nouveau mes yeux, repoussant toute vision, toute résistance, toute interférence. » 

L’opération commence alors.

Elle est la proie d’une

« terreur qui surpasse toute description, et la plus terrible des douleurs. Cependant – au moment où l’acier plonge dans son sein – coupant les veines, les artères, la chair, les nerfs – on eut pas besoin de me dire de ne pas retenir mes cris. Je poussais alors un long hurlement qui continua pendant tout le temps de l’incision – et je m’étonnais pourtant de ne pas l’entendre dans mes oreilles ! Une terrible agonie !… »

Lorsque ce fut terminé, et l’instrument retiré de la plaie, la douleur ne sembla pas diminuer, car l’air qui soudainement s’y précipita ressembla à une multitude de poignards, minuscules mais durs et aiguisés, qui en déchiraient les bords; mais lorsque, à nouveau, je sentis l’instrument – décrivant une courbe – coupant dans la masse, si je puis ainsi m’exprimer, tandis que la chair résistait comme si elle voulait s’opposer à la main de l’opérateur et la fatiguer, l’obligeant à passer de la droite à la gauche – alors que je crus que j’allais mourir. Je n’essayais plus d’ouvrir mes yeux, qui d’ailleurs restaient hermétiquement clos… « 

« ..J’en conclus que l’opération était terminée – Et pourtant non ! L’horrible découpage repris – et encore plus terrible que jamais, pour séparer le fond, les fondations de cette horrible grosseur, des parties sur lesquelles elle adhérait.. Ici encore, aucune description n’est possible – pourtant ce n’était pas fini. Le docteur Larrey agit de sa propre main et, Oh Cieux, je sentis alors le couteau raclant contre les côtes, …. Tout ceci fut fait, alors que je souffrais la pire torture en silence… »

L’opération dure 17 minutes et demie, Fanny s’évanouit deux fois. Lorsqu’on la retire de son lit, elle est consciente et regarde le docteur Larrey .

« Je vis le bon docteur Larrey, presqu’aussi pâle que moi, son visage zébré de sang, et une expression de chagrin, d’appréhension  et presque d’horreur « . Puis « lorsque tout fut fini, et     qu’ils me soulevèrent pour que je puisse être mise au lit, mes forces furent complètement annihilées… mes mains et mes bras…. pendaient comme si j’étais sans vie. »

Cette nuit là, la fièvre, comme prévu, monta et Fanny vomit fortement. Elles souffrit de « violents spasmes » et on lui administra « des potions calmantes et anti-spasmodiques ». Mais, lorsque, le matin suivant, le docteur Larrey visita sa patiente, il vit que la fièvre avait disparu, et le soir du même jour, Fanny put « prendre un peu de bouillon »



Fanny Burney survécut sa mastectomie. La famille d’Arblay retourna en Angleterre en 1812, mais était de retour en Belgique au moment de la bataille de Waterloo. La même année, elle retourna à Londres, puis vécut à Bath jusqu’à la mort de Fanny, à l’âge de 88 ans, en 1840, soit 28 ans après sa terrible opération !


Référence : « Fanny Burney, Her Life, » Kate Chisholm. Chatto & Windus Ed. (épuisé)