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René Nicolas Dufriche Desgenettes (1762-1837)

Portrait de Desgenettes en Égypte
Portrait de Desgenettes en Égypte, par Denon

René-Nicolas Dufriche Desgenettes nait le 23 mai 1762, à Alençon. Son père Jean Dufriche est un avocat au Parlement de Rouen, qui avait acheté une terre dite « Les Genettes » dont il avait ajouté le nom à son patronyme, sans doute pour s’accorder une consonance respectable; sa mère est originaire de Fougères.

Après de premières études au collège des jésuites d’Alençon, il suit, dès 1776, les cours à Sainte-Barbe et au collège du Plessis à Paris. Il s’intéresse alors à l’étude des sciences naturelles. Après avoir été reçu maître ès arts (l’équivalent alors de notre baccalauréat), il s’oriente vers des études de médecine. Ses premières leçons « pratiques » ont lieu dans les services hospitaliers de Pelletan et de l’anatomiste Félix Vick d’Azyr, qui est alors le secrétaire perpétuel de la Société Royale de Médecine et qui sera le premier médecin de Marie Antoinette.

Héritant confortablement de sa mère en 1784, il décide de voyager. En particulier,  il se rend à Londres où il suit l’enseignement de Hunter et Moore. De retour en France il fréquente les services de Desbois de Rochefort et d’Alexis Boyer à l’hôpital Saint Louis. Puis il entreprend un voyage en Italie où il restera quatre ans, qui le mène à Florence, à Sienne, à Rome enfin à Naples. En 1789, il est de nouveau en France, et passe ses derniers examens à Montpellier, soutenant, le 6 juillet, sa thèse sur « La physiologie des vaisseaux lymphatiques ».

Après quelques mois passés dans le laboratoire de Chaptal, à Montpellier, il retourne à Paris en octobre 1791. Quelques temps après l’arrestation de la famille royale à Varennes, l’agitation politique est alors forte, et Desgenettes prend fait et cause pour les Girondins (notamment Buzot, Guadet, Rolland, Rabaud-Saint-Etienne, Condorcet) – qui seront plus tard éliminés par les Montagnards, sous la Terreur. La plupart de ses amis finissent sur l’échafaud, lui se réfugie à Rouen.

Puis, sur les conseils de son maître Vicq-d’Azyr il s’engage dans l’armée. En raison de sa connaissance de la langue italienne, il est affecté en mars 1793 à l’hôpital ambulant de l’armée de la Méditerranée.

Desgenettes  séjourne alors à Fréjus, Grasse, Antibes, Sospel, Oneille et Nice. Il a l’occasion de rencontrer et de faire la connaissance du jeune capitaine d’artillerie, Napoléon Bonaparte, qu’il éblouit par son intelligence et l’étendue de sa culture qui, quelques années plus tard, le fera nommer médecin en chef de l’expédition d’Egypte.

Mais avant, il est affecté à la division commandée par le général Masséna. Il doit alors faire face à une épidémie de typhus, contre laquelle il lutte avec succès.

Le 24 nivôse an II (13 janvier 1794), il prend la direction de l’hôpital d’Antibes, sur lequel affluent à cette époque tous les malades, puis retrouve l’armée le 30 fructidor (16 septembre1794) pour y diriger en chef le service de santé de la division de droite, alors à Loano. Les représentants le chargent, le 2 nivôse an III, d’organiser le service médical de l’expédition maritime destinée à reconquérir la Corse tombée au pouvoir des Anglais.

Après cette malheureuse expédition Desgenettes rejoint l’armé active à Albenga.

Le 7 brumaire an IV (29 octobre 1795), sur la proposition de Barras, et à la recommandation de Bonaparte, il est nommé médecin ordinaire de l’hôpital du Val-de-Grâce et de la 17e division militaire (Paris). Un an plus tard, il est nommé professeur de physiologie et de physique médicale. Il côtoie alors Dominique Larrey et leur destin va souvent se croiser.

Dominique Larrey. Portrait de Girodet. Base de données Joconde
Dominique Larrey. Portrait de Girodet. Base de données Joconde

Ces nouvelles fonctions ne lui permettent pas de participer à la campagne d’Italie au cours de laquelle Bonaparte acquiert sa popularité.

Le 11 janvier 1798, il épouse la fille de Colombier, ancien Inspecteur général des hôpitaux sous Louis XVI, qui est la belle-sœur de Thouret, le directeur de l’école de Santé de Paris.

Bonaparte, de retour à Paris après la paix de Campoformio, revoit Desgenettes, et obtient cette fois du Directoire que son protégé soit attaché à l’armée d’Angleterre le 23 nivôse an VI; dont l’organisation sur les côtes de l’Océan n’a pour but que de cacher les préparatifs de l’expédition de la Méditerranée.

Dès le 1er pluviôse (22 mars 1798), Desgenettes reçoit l’ordre de se rendre à Toulon pour y remplir les fonctions de médecin en chef. En 1798, il est nommé médecin chef de l’armée d’Orient. Il se montrera si vaillant qu’au moment du départ Bonaparte l’invitera à bord du navire amiral l’Orient.

Arrivé en Egypte, Desgenettes et ses subordonnés ont à faire face à de nombreuses maladies, dues au climat brûlant, aux bivouacs continuels et au manque d’eau potable. Il instaure des mesures d’hygiène et de prophylaxie rigoureuses: toilette, nettoyage des vêtements, désinfection des locaux, surveillance de l’alimentation. Les médecins observent des cas de variole, de scorbut, la fièvre de Damiette, la conjonctivite aiguë contagieuse et la dysenterie. Ils acquièrent aussi une bonne expérience de la médecine militaire.

Desgenettes a à faire face à une épidémie de peste au cours de la campagne de Syrie. Dans le but de soutenir le moral des troupes, il nie l’existence de la maladie et interdit que ce nom soit prononcé. Il emploie le terme de « fièvre bubonneuse » ou de « maladie des glandes ». Un jour, il boit ce qui reste de la potion d’un pestiféré afin de prouver que la salive n’est pas contagieuse [1]ça n’est qu’en 1894 que Yersin découvrira le vecteur transmis par la puce du rat .

Selon la tradition, Desgenettes se serait inoculé publiquement le pus d’un bubon pesteux, afin de ranimer le courage des soldats; il n’en résulta rien de mauvais pour lui, et nous savons aujourd’hui que les bacilles pesteux sont détruits par la suppuration.

Desgenettes s'inoculant la peste
Desgenettes s’inoculant la peste

 

Quoi qu’il en soit, ses qualités médicales, son courage et son abnégation redonnent confiance aux soldats décimés par l’épidémie.

Le 28 avril 1799, c’est la célèbre scène qui va immortaliser le nom de Desgenettes. Bonaparte s’était vu dans l’obligation de lever le siège de la forteresse de Saint-Jean-d’Acre, demandant au personnel du Service de Santé d’évacuer les blessés et les malades.

Mais que fallait-il faire des pestiférés,lorsque l’armée française aurait évacué. Dans la crainte d’un massacre par les Turcs, Bonaparte aurait suggéré à Desgenettes, en présence du général Berthier, son chef d’état-major, d’abréger leur vie par de fortes doses d’opium, ce à quoi Desgenettes répondit: « Mon devoir, à moi, est de conserver ces malheureux. » Devant la détermination de son médecin-chef, Bonaparte s’incline et les mourants seront donc transportés jusqu’à Jaffa.

Une arrière-garde est laissée à Jaffa pour garder les pestiférés. Cependant contraint d’abandonner la ville, Bonaparte s’interroge sur l’opportunité d’une évacuation des malades. Il demande au pharmacien en chef Royer du laudanum (dérivé de l’opium) destiné à hâter la fin de certains malades en phase terminale. Leur mort a également été attribuée à un incendie.

Les pestiférés de Jaffa
Les pestiférés de Jaffa

De cet épisode [2]qui alimentera, et continue d’alimenter, de nombreuses controverses il résulta une certaine tension entre Bonaparte et Desgenettes. L’armée étant de retour au Caire, Bonaparte s’exclama devant les membres de l’Institut d’Egypte que « la chimie était la cuisine des médecins. » Desgenettes lui répliqua sèchement: « Comment définissez-vous la cuisine des conquérants? »

Les deux hommes ne s’adressèrent plus la parole jusqu’au départ de Bonaparte pour la France, le 22 août 1799, Desgenettes ne rentrant en France qu’en septembre 1801.

Toutefois, Bonaparte ne lui tiendra pas rigueur par la suite de cet incident : devenu Premier Consul de la République, il fait nommer Desgenettes médecin en chef à l’hôpital militaire d’instruction de Strasbourg ; mais sa nouvelle qualité de professeur adjoint à l’École de médecine de Paris, et le besoin de stabilité après une campagne pénible, conduisent celui-ci à solliciter la faveur de continuer ses fonctions de médecin à l’hôpital du Val-de-Grâce, ce que le premier Consul approuve, le 8 nivôse an X (29 décembre 1801), sans aucun doute en raison de sa conduite passée, connue, particulièrement à Saint-Jean-d’Acre.

La même année, Desgenettes est nommé membre de l’Institut et membre associé des Sociétés de médecine de Marseille et de Montpellier ; il publie, vers le commencement de l’an XI, son Histoire médicale de l’armée d’Orient, qui produisit une grande sensation dans le monde savant.

Au lendemain de la proclamation de l’Empire, le 18 mai 1804, Desgenettes est fait Membre de la Légion d’Honneur, le 25 prairial an XII (14 juin 1804), il est désigné en même temps que Larrey, Percy et Heurteloup, inspecteur général du Service de Santé des Armées.

Membre, en l’an XIII, de la commission envoyée, par l’Empereur, en Toscane, pour étudier le caractère de l’épidémie qui régnait alors, Desgenettes est, en l’an XIV en Espagne avec d’autres médecins français pour y faire des recherches sur l’épidémie de fièvre jaune, étudier les ravages faits par cette terrible maladie, reprenant ses fonctions au Val-de-Grâce en janvier 1806.

Le 6 avril 1807, Desgenettes est nommé par l’Empereur médecin-chef de la Grande Armée, et à ce titre il va participer aux campagnes napoléoniennes. Mais, contrairement à ce que l’on lit souvent, il ne sera pas présent à Eylau, ni à Friedland, ni à Wagram [3]Comme le démontre Henri Ducoulombier dans sa toute récente excellente biographie.

Desgenettes obtient un congé, au mois de mai 1808, et revient à Paris. Il en repart au mois d’octobre pour accompagner l’Empereur en Espagne. Il  est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1809, puis baron de l’Empire en 1810.

Desgenettes participe à la campagne de Russie, étant fait prisonnier à Vilna durant la retraite. Mais le seul énoncé de son nom lui vaut la liberté , accordée par le tsar, en signe de reconnaissance pour les soins qu’il a prodigués aux soldats russes. Il est même raccompagné par sa Garde de Cosaques jusqu’aux avant-postes français (Magdebourg en Saxe) le 20 mars 1813.

Il en partit pour Paris, chargé d’une mission secrète du Vice-Roi auprès de Napoléon, s’en acquitte, et repart dans le courant d’avril pour aller reprendre ses fonctions de médecin en chef de la Grande Armée.

Durant la campagne d’Allemagne de 1813, Desgenettes est médecin Chef de la Garde Impériale; après la défaite de Leipzig il est bloqué dans la citadelle de Torgau, enraye une épidémie de typhus et ne rentre en France qu’après la chute de l’Empire et le départ de Napoléon pour l’île d’Elbe, en mai 1814. Il apprend alors qu’ un décret impérial du 5 octobre 1813 l’avait nommé médecin en chef de la Garde impériale; les circonstances ne lui permettent évidemment pas d’exercer ses nouvelles fonctions.

Sous la première Restauration, après des démêlés avec l’administration, il perd ses fonctions militaires mais il conserve ses fonctions de médecin du Val-de-Grâce et de professeur d’hygiène à la Faculté.

Pendant les Cent-Jours, Desgenettes se rallie à l’Empereur, qui lui rend sa place de médecin de la Garde Impériale ; il sera présent à Waterloo le 18 juin 1815.

Ses mérites sont tels que Louis XVIII le maintient dans ses fonctions au Val de Grâce, ainsi que sa Chaire à la Faculté. Dès lors, Desgenettes se consacre à l’enseignement avec François Broussais comme adjoint. Il réintègre le Conseil général de Santé des armées en 1819 (ancienne Inspection générale). Il est fait commandeur de la Légion d’Honneur et fait partie de la commission qui a préparé la formation de l’Académie Royale de Médecine dont il est membre en 1820.

Suite aux manifestations d’étudiants à l’occasion des obsèques du professeur Hallé, où il exalte l’esprit de tolérance, il est révoqué en 1822, en même temps que Jussieu, Vauquelin, Dubois, Pinel, Chaussier et quelques autres.

Lorsque l’Europe apprend la mort de Napoléon (1821), Desgenettes venait d’être officiellement chargé de désigner des médecins devant partir pour Sainte-Hélène.

Après l’abdication de Charles X en 1830, la monarchie de Juillet se souvient de cette révocation, et il est réintégré et élu membre de l’Académie des Sciences en 1832. Frappé d’apoplexie en 1834 au cours d’une de ses leçons il reste lucide mais diminué. A titre honorifique le 2 mars 1832 le gouvernement le nomme médecin chef de l’Hôpital des Invalides, qu’il demandait en vain depuis 1819 et il consacrera dès lors son temps à la rédaction de ses Mémoires, qu’il ne pourra terminer.

Après la Révolution de 1830, le baron Desgenettes est nommé, le 14 novembre, maire du Xe arrondissement de Paris, et en remplit les fonctions jusqu’aux élections municipales de 1834.

René-Nicolas Dufriche, Baron Desgenettes, meurt le 3 février 1837, aux Invalides à Paris, des suites d’une seconde attaque d’apoplexie.

Il est inhumé au cimetière du Montparnasse.

Tombe de Desgenettes au cimetière Montparnasse
Tombe de Desgenettes au cimetière Montparnasse

 

References

References
1 ça n’est qu’en 1894 que Yersin découvrira le vecteur transmis par la puce du rat
2 qui alimentera, et continue d’alimenter, de nombreuses controverses
3 Comme le démontre Henri Ducoulombier dans sa toute récente excellente biographie.