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Retour de la Garde impériale

Fêtes données à la Garde impériale à son retour des campagnes de Prusse et de Pologne, en novembre 1807, par la ville de Paris et par le Sénat.

 

(Histoire anecdotique, politique et militaire de la Garde impériale – Emile Marco de Saint-Hilaire. Paris, 1847)

Paris ne devait plus rien avoir à envier aux plus glorieux souvenirs de l’ancienne capitale du monde ; Paris, comme la Rome des Césars, devait assister au spectacle d’un de ses grands triomphes militaires. La fête donnée par la ville, le 25 novembre 1807[1], à l’élite de la grande armée, à son retour des campagnes de Prusse et de Pologne, offrit le tableau imposant de ces antiques solennités.

Le conseil municipal avait voté des couronnes d’or à la Garde impériale; Napoléon avait approuvé cette expression tout à la fois noble et délicate de l’admiration et de la reconnaissance des Parisiens ; l’offre de ces couronnes était l’objet principal de la fête.

Nicolas Antoine Taunay et Edouard Detaille. Château de Versailles. © RMN
Nicolas Antoine Taunay et Edouard Detaille.
Château de Versailles.
© RMN

La municipalité de Paris reçoit officiellement, le 25 novembre 1807, à la barrière de la Villette la Garde impériale revenant de Pologne après la campagne de 1806-1807.

En dehors de la barrière de la Villette, par laquelle devaient entrer les dix mille soldats de la Garde impériale, on avait élevé un arc de triomphe d’une colossale proportion: vingt hommes pouvaient y passer de front.

A la naissance de la voûte, on voyait à l’extérieur de grandes Renommées représentant des couronnes de lauriers. Un quadrige doré surmontait tout le monument. Sur chacune des faces on lisait les inscriptions composées tout exprès par des membres de l’institut. Le principal caractère de ce monument, quoiqu’on n’y eut employé aucun de ces ornements dont l’architecture moderne est trop souvent prodigue, était la grandeur unie à la simplicité.

De vastes tribunes, en forme d’amphithéâtre, avaient été ménagées, à droite et à gauche, dans l’intérieur de l’arc de triomphe. L’une était destinée à un nombreux orchestre, l’autre au corps municipal de Paris.

Plusieurs tribunes particulières, placées près des amphithéâtres, étaient occupées par les ministres, les grands fonctionnaires de l’État et par des dames richement parées. Dès neuf heures du matin, le mercredi 25 novembre 1807,  malgré un temps sombre et pluvieux, une foule immense se pressait aux abords de l’arc de triomphe; elle attendait la Garde impériale dont les acclamations de l’enthousiasme annoncèrent bientôt l’approche. A quelque distance en avant, les aigles des différents corps se réunirent et ne formèrent plus qu’un groupe qui précéda la Garde.

Accueil par le Conseil municipal
Accueil par le Conseil municipal

Alors le corps municipal fit quelques pas en avant, et le préfet, M. Frochot[2], adressa au maréchal Bessières, sous les ordres duquel  marchait cette troupe d’élite, le discours suivant:

« Monsieur le maréchal, et vous généraux et soldats, qui composez cette garde fidèle dont les rangs impénétrables environnent le trône, vous tous, l'honneur de la France et l'admiration de l'Europe, suspendez pour un instant votre marche triomphale, et, avant de courir vous jeter dans les bras de vos mères et de vos épouses, recevez, si je puis m’exprimer ainsi, les embrassements de la cité toute entière.

Combien la bonne ville de Paris aime à vous revoir, après tout ce que la Renommée a publié de vous ! Avec quel orgueil elle se plaît à rechercher dans vos rangs ceux de ses enfants qui ont été dignes d’elle, et avec quel enthousiasme elle contemple en vous cette héroïque armée dont vous êtes l'élite !

Héros d’Iéna, d'Eylau et de Friedland, conquérants de la paix, grâces immortelles vous soient rendues ! C'est pour la patrie que vous avez vaincu; la patrie éternisera le souvenir de vos triomphes; vos noms, incrustés sur le bronze et le marbre, seront légués, par elle, à la postérité, et le récit de vos exploits, enflammant le courage de nos derniers descendants, longtemps encore après vous, votre exemple, protégera ce vaste empire si glorieusement défendu par votre valeur.

Braves guerriers, ici même un arc triomphe dédié à notre belle armée s'élève sur votre passage; il vous attend. Venez recevoir sous ses voûtes la part qui vous est due des lauriers votés par la capitale. Venez, et que ces couronnes, tressées par la reconnaissance publique, planent sur vos têtes glorieuses.

Salut, aigles belliqueuses, symbole de la puissance de notre magnanime Empereur; portez sur toute la terre, avec son grand nom, la gloire du nom français !  Mais c'est trop retenir vos pas, généreux guerriers, quand tous les cœurs vous appellent; entrez donc dans nos murs enorgueillis de vous recevoir; entrez-y au milieu des chants d'allégresse et de triomphe, et que la mémoire de ce beau jour vive à jamais dans les annales de la cité et dans les fastes de l’Empire ! »

Le maréchal Bessières répondit en ces termes à ce discours:

« Monsieur le préfet, et vous Messieurs les membres du conseil municipal, ces couronnes dont vous décorez les aigles, cet arc de triomphe, toute cette pompe brillante pour célébrer le retour de la Garde impériale, sont une nouvelle preuve de votre affection pour l'Empereur, et un hommage éclatant rendu à son armée. Les aînés de cette grande famille militaire vont se retrouver avec ravissement dans le sein d’une cité dont les habitants ont constamment rivalisé avec eux d’amour, de dévouement et de fidélité pour notre glorieux monarque. Animés des mêmes sentiments, la plus parfaite harmonie existera toujours entre les habitants de la bonne ville de Paris et les soldats de la Garde impériale. 

Tels sont, Messieurs, les sentiments qui animent la Garde impériale; je m'estime heureux de vous les exprimer en son nom ! »

Ces quelques paroles du maréchal Bessières furent accueillies par des cris de Vive l’Empereur ! mille fois répétés par le peuple et les soldats. Alors le préfet attacha les couronnes d’or, votées par la ville de Paris, aux aigles de la Garde impériale, au milieu du cercle formé par son état-major général ; puis, le conseil municipal s’étant placé sous l’arc triomphal, l’orchestre exécuta ce chant, dont les paroles étaient d’Arnault et la musique de Méhul :

CHŒUR

Les voici ! réunissez-vous ;
Heureuses femmes, tendres mères !
Ces vainqueurs, ce sont vos époux,
Ce sont vos enfants ou vos frères.

Quand ces intrépides soldats,
Triomphant d’abord de vos larmes
Au premier signal des combats,
Se sont élancés sur leurs armes,
Vous leur disiez, dans un transport
Que leur valeur n’a pas dû croire :
Français, vous courez à la mord !…
Français, ils volaient à la gloire !

CHOEUR.

Les voici ! Etc.

Voyez-vous ce peuple empressé
Dont la foule les environne ;
Sa reconnaissance a tressé
Le rameau d’or qui les couronne.
Ah ! Qu’on suspende à leurs drapeaux
Ces prix de leurs nobles services ;
Placés sur le front des héros,
Ils cacheraient leurs cicatrices.

CHŒUR,

Les Voici ! Etc.

 

Souvenirs d’un officier de la Grande Armée

Jean-Baptiste Barrès

La ville de Paris avait voté des couronnes d’or pour nos aigles, et une grande fête pour l’arrivée de la Garde impériale dons la capitale. Afin que tous les corps qui la composaient fussent réunis, il fallu ralentir la marche do ceux qui faisaient tête de colonne, et les faire tourner autour de Paris pour donner place à ceux qui nous suivaient. C’est ainsi que nous parcourûmes Dammartin, Louvres, Luzarches, Gonesse, Rueil, en attendant  que les dernières troupes arrivassent aux portes de Paris.

25 novembre. – La ville de Paris avait fait élever, près de la barrière du Nord ou Saint-Martin, un arc triomphal de la plus grande dimension. Cet arc n’avait qu’une seule arcade; mais vingt hommes pouvaient y passer de front. A la naissance de la voûte, et à l’extérieur, on voyait de grandes Renommées présentant des couronnes de laurier. Un quadrige doré surmontait le monument, des inscriptions étaient gravées sur chacune des faces.

Retour de la Garde
Retour de la Garde

Dès le matin, l’arc de triomphe était entouré par une foule immense de peuple. Arrivés de Rueil, vers 9 heures, nous fûmes placés en colonne serrée dans les champs qui bordent la route et le plus près possible de l’arc de triomphe, en laissant la route libre pour la circulation.

A midi, tous les corps étant arrivés, les aigles furent réunies à la tête de la colonne et décorées par  le préfet de la Seine. Des couronnes d’or avaient été votées par la municipalité, qui, avec les maires de Paris entourait le préfet, M. Frochot et tout notre état-major général, ayant à sa tête le maréchal Bessières, son commandant en chef. Après les discours d’usage et la rentrée des aigles à leur place habituelle, 10.000 hommes en grande tenue s’avancèrent pour défiler sous l’arc de triomphe[3], au bruit des tambours, des musiques des corps, de nombreuses salves d’artillerie et des acclamations d’un peuple immense, qui s’était porté sur ce point.

De la barrière au palais des Tuileries[4], les mêmes acclamations nous accompagnèrent. Nous défilions entre les haies formées par la population de la capitale. Toutes les fenêtres, tous les toits des maisons du faubourg Saint-Martin et des boulevards étaient garnies de curieux. Des pièces de vers où nous étions comparés aux dix mille immortels et des chants guerriers étaient chantés et distribués sur notre passage.

 

Des vivats prolongés saluaient nos aigles. Enfin, l’enthousiasme était complet, et la fête digne de s beaux jours de Rome et de la Grèce.

En arrivant aux Tuileries, nous défilâmes sous le bel arc de triomphe qui avait été construit pendant notre absence. A la grille du Carrousel, après avoir déposé nos aigles au palais, où elles restaient habituellement pendant la paix, nous traversâmes le jardin des Tuileries et y laissâmes nos armes, formées en faisceaux.

On se rendit ensuite aux Champs-Élysées, où une table de dix mille couverts nous attendait. Elle était placée dans les deux allées latérales. Au rond-point était celle des officiers, présidée par le maréchal. Le dîner se composait de huit plats froids, qui se répétaient indéfiniment; tout était bon; on était placé convenablement, mais malheureusement la pluie contraria les ordonnateurs et les héros de cette magnifique fête.

Après le dîner, nous fûmes déposer nos armes à l’école militaire, où nous étions casernés, et  rentrâmes dans Paris pour jouir de l’allégresse générale, des illuminations, des feux d’artifices, des danses publiques et jeux de toute espèce. Les pauvres eurent aussi leur part dans ce gigantesque festin.

Nous venions d’être absents de Paris ou de Rueil un an, douze mois et cinq jours.

Durant plusieurs jours, les fêtes continuèrent.

Le 26, tous les spectacles de la capitale furent ouverts à la Garde. On avait réservé pour elle le parterre, l’orchestre et les premières loges, ainsi que les premiers rangs des autres. Je fus du nombre de ceux qui furent désignés pour le Grand Opéra[5]. On joua le Triomphe de Trajan[6], pièce de convenance et pleine d’allusion à la campagne qui venait de se terminer. La beauté du sujet, les brillantes décorations, la pompe des costumes et le gracieux des danses et du ballet m’enivrèrent de plaisir.

Quand Trajan parut sur la scène, dans son char de triomphe, attelé de quatre chevaux blancs, on jeta du centre du théâtre des milliers de couronnes de lauriers dont tous les spectateurs se couronnèrent comme des Césars : ce fut une belle soirée et un beau spectacle.

Le 28, le Sénat conservateur nous donna ou voulut nous donner une superbe et brillante fête. Tout était disposé pour qu’elle fût digne du grand corps qui l’offrait, mais malheureusement le mauvais temps la rendit fort triste, et même désagréable.

On avait élevé un temple à la Gloire, où toutes les victoires de la Grande Armée étaient rappelées sur des boucliers, entourés de couronnes de laurier et entremêlés de trophées qui réunissaient les armes des peuples vaincus; des inscriptions évoquaient les grandes actions que la fête avait pour objet de célébrer; des jeux de toute espèce, des orchestres et une infinité de buffets bien garnis remplissaient ce beau jardin. La neige qui tombait en abondance, l’humidité du sol et le froid noir de l’automne glacèrent nos cœurs, nos estomacs et nos jambes. Beaucoup de militaires demandèrent à se retirer, mais les grilles étaient fermées; il fallut parlementer avec le Sénat; tout cela entraînait des longueurs qui irritaient. Enfin, la menace d’escalader les murs s’étant répandue, la consigne fut levée, les portes ouvertes et tous les vieux de la Garde s’échappèrent comme des prisonniers qui recouvrent la liberté. Il n’y resta, je crois, que les fusi1iers et ceux qui, n’ayant pas d’argent pour dîner en ville, trouvaient qu’il valait encore mieux manger un dîner froid que de ne pas dîner du tout.

Ils durent s’en donner, car il y avait de quoi et du bon. Les officiers étaient traités dans  le palais. Je fus, avec plusieurs de mes camarades, dîner chez Very, ensuite aux Français.

Peu après, l’Impératrice nous donna à dîner à la caserne, par escouade: c’était l’ordinaire, mais considérablement augmenté, et arrosé d’une bouteille de vin de Beaune par homme.

Enfin, le 19 décembre, la Garde donna une grande  fête à la Ville de Paris. Elle eut lieu le soir, dans le Champ de Mars et le palais de l’école militaire; les apprêts furent longs, parce qu’ils furent grandioses et tout militaire. Dans la vaste enceinte du Champ de Mars, on avait placé, sur des fûts de colonnes, des vases remplis de matières inflammables, ou des aigles avec des foudres ailés remplis d’artifice. Les vases et les aigles alternaient et se communiquaient par un dragon volant, qui devait les embraser tous en même temps. Au-dessous des aigles étaient liés numéros des régiments qui formaient la brigade, avec le nom du général qui la commandait, et sous les pots à feu, les noms d’une affaire et du général de division qui y commandait les deux brigades. Au milieu, une immense carte géographique du nord de l’Europe faisait voir en lettres énormes les principales villes et le lieu de nos grandes batailles; et le chemin suivi par la Grande Armée, dans les campagnes de 1805, 1806  et 1807, était tracé par des étoiles blanches sous lesquelles, ainsi que sous le nom des villes, il y avait un feu gras coloré, qui devait brûler, pendant que l’artifice qui entourait la carte serait lui-même en feu. Au-dessus de la carte, on voyait des Victoires ailées aussi garnies d’artifice, etc.

La Garde à pied se rendit en armes dans cette enceinte, pour faire l’exercice à feu avec des projectiles d’artifice. Quand la nuit fut tout à fait close, l’Impératrice mit le feu à un dragon volant qui, au même instant, le communiqua à toutes les pièces d’artifice. Au même instant aussi, les 4 000 à 5,000 hommes à pied de la Garde firent, avec les cartouches artificie1les un feu de deux rangs des plus nourris. Cette voûte des cieux éclairée par des milliers d’étoiles flamboyantes, ces épouvantables détonations qui retentissaient dans tous les points du Champ de Mars, les cris de la multitude qui encombrait les  talus, tout concourait à donner à cette fête militaire les plus grandes proportions, la plus noble opinion de vouloir des hommes, quand ils déploient toutes leurs facultés pour faire du beau et du sublime.

La Grande Armée tenait sa place dans cette fête de la Garde impériale, puisque tous les corps d’armée, les divisions, les brigades et les régiments y figuraient par leurs numéros.

Les feux et les salves d’artillerie terminés, nous rentrâmes au quartier. Le bal commença ensuite et se prolongea fort tard dans la nuit. Plus de quinze cents personnes de la cour et de la ville y assistaient; on dit qu’il fut magnifique…

 

NOTES

[1] Le 16 novembre, Napoléon a quitté la capitale pour un grand voyage en Italie, et il n’assiste donc pas à ces festivités !

[2] Nicolas Thérèse Benoit Frochot (1761 – 1828), Conseiller d’État et premier Préfet de la Seine. Il fut à l’origine de nombreuses réformes à caractère social (prisons, hôpitaux, Mont-de-piété et service des enfants abandonnés), des premiers embellissements et aménagements de voirie décidés par Napoléon (par exemple la numérotation des immeubles) Sur des terrains, situés hors des limites du Paris de l’époque, il crée les cimetières du Père-Lachaise, de Montmartre, du Montparnasse et de Passy.Il sera impliqué dans la conspiration Malet.

[3] Le défilé se fait dans l’ordre suivant : fusiliers, chasseurs à pied, grenadiers à pied, chasseurs à cheval, mameluks, grenadiers à cheval, gendarmes d’élite. (in : Le maréchal Bessières. André Rabel, Paris, 2004.

[4] Le cortège est accompagné de l’état-major de paris, emmené par le général Hulin, commandant de la place (idem)

[5] Volontaire sans doute désigné d’office…d’autant que Bessières assiste aussi à la représentation.

[6] Le Triomphe de Trajan, tragédie lyrique en trois actes, remplie d’allusions flatteuses á l’égard de Napoléon, oeuvre de Joseph-Alphonse Esmenard (1770 – 1811), musique de Jean-François Lesueur (1760 – 1837) et Loiseau de Persuis (1769 – 1819). L’œuvre, représentée pour la première fois le 23 octobre 1807, restera longtemps au répertoire.