Napoléon, homme de Paix ?
Cet article fut publié en 2003, 5 ans avant la disparition de ce passionné de l’histoire napoléonienne, à l’âge de 85 ans.
Décidément, Ben Weider est mon ami.
J’aime par exemple l’enthousiasme, la hargne, la persévérance avec lesquels il mène son combat pour démontrer que Napoléon Ier a bel et bien été empoisonné à l’arsenic, là-bas, sur le rocher de Sainte-Hélène.
Non pas que je sois personnellement convaincu par ses démonstrations, d’autant que l’enjeu de la querelle ne m’apparaît pas non plus clairement. Mais enfin, qu’un anglophone mène cette croisade, m’amuse au plus haut point.
Eh bien, Ben Weider fait une fois encore la démonstration de sa ferveur napoléonienne, dans un article publié dans le dernier numéro de la très sérieuse revue (anglaise !) First Empire, sous le titre: Napoleon, Man of Peace (Napoléon, un homme de paix). Suivons-le dans son argumentation, très fournie.
Rappelant que, le 29 juillet 1796, William Pitt, s’exclamait devant le parlement de Londres « L’Angleterre n’acceptera jamais la réunion de la Belgique à la France. Nous continuerons à soutenir la guerre tant que la France ne sera pas retournée dans ses frontières de 1789″, Ben (qu’il me pardonne cette familiarité) fait remarquer que Napoléon ne fut en rien responsable de l’annexion de la Belgique, décrétée province française par la Convention, en août 1795.

D’ailleurs, le point de friction entre nos deux pays fut essentiellement les idées de liberté, qu’à Londres, on craignait voir se répandre sur toute l’Europe. Non, le but fondamental de la cour anglaise, fut toujours le rétablissement de la monarchie: elle va donc manigancer sept coalitions, entre 1793 et 1815.
Laissons de coté, pour notre part, la première (1793-1797), dans laquelle Bonaparte, le futur empereur, n’intervient qu’au printemps 1796. Profitant de l’absence de ce dernier (c’est la campagne d’Egypte) l’Angleterre persuade l’Autriche, la Russie et le royaume de Naples de les rejoindre dans la deuxième coalition (1798-1802). D’abord victorieux, les Alliés vont devoir déchanter, le retour de Bonaparte faisant pencher la balance dans l’autre sens. Trois traités (Lunéville, Naples, Amiens) mettent un terme à cette seconde coalition.
Pour Ben, pas de discussion, c’est l’Angleterre qui viole le traité d’Amiens, qui déclare la guerre à la France, qui manigance avec le comte d’Artois les attentats contre le premier Consul. Puis (je cite) « Bonaparte rassemble une armée à Boulogne dans l’intention d’envahir l’Angleterre, et impose la paix ». Mais ce sont les Autrichiens qui prennent l’initiative, envahissant la Bavière. Austerlitz, et le traité de Presbourg mettent un terme à cette troisième coalition.

En 1806, c’est la Prusse, qui n’avait pu agir en 1805 (sic), qui entraîne l’Angleterre, la Russie et la Suède dans une nouvelle coalition. Bien mal lui en prend: c’est Iéna, Auerstaedt et l’entrée de Napoléon à Berlin. Les Russes sont bientôt défaits à Friedland. La 4e coalition se brise à Tilsit.

L’Angleterre ne démord pas, et, en 1809, persuade l’Autriche de remettre le fusil sur l’épaule: celle-ci prend l’initiative des hostilités… auxquelles le traité de Vienne met fin, après, notamment, Eckmühl, Essling, Wagram.
Ben Weider fait un saut par dessus l’Espagne et la Russie (il va y revenir plus tard), et nous indique que, de nouveau, les monarques européens, profitant des déboires de Napoléon, joignent leurs efforts dans la sixième coalition qui, cette fois, va s’avérer victorieuse (entrée des Alliés à Paris le 31 mars 1814).
Et lorsque Napoléon, de retour de l’île d’Elbe, assure les cours de ses désirs de paix, celles-ci font la sourde oreille et se rassemblent de nouveau, jusqu’à Waterloo.
Dans tout ce qui précède, il est clair, pour Ben Weider, que jamais Napoléon n’a pris l’initiative de la guerre, qu’il fut toujours un homme de paix. Et il développe sa démonstration.
1795: refusant le commandement de l’armée de l’Ouest, Bonaparte dit, malgré les ennuis qui s’en suivent « Jamais mon épée contre le peuple ».
Avril 1797: après sa victoire sur l’archiduc Charles, Bonaparte lui écrit
"N'avons nous pas fait tuer assez de gens et provoqué suffisamment de misère ? Pour moi, si les offres que j'ai l'honneur de vous faire, pouvaient sauver la vie d'un seul homme, je m'en considèrerais plus fier que de la gloire triste que peut procurer une victoire militaire"
Septembre 1797: c’est Bonaparte seul qui décide de la paix avec l’Autriche, alors que le Directoire est avide de conquêtes. Et Ben précise:
"Talleyrand est le tampon entre le gouvernement belliciste et le général pacifiste"
Nous voilà le 25 septembre 1799. Le tout nouveau Premier Consul écrit au roi d’Angleterre et à l’empereur d’Autriche, les priant
"de ne pas refuser le bonheur d'apporter la paix au monde". Las ! Le premier ne répond pas, les armées du second franchissent la frontière méridionale de la France et la Riviera française ! Napoléon (sic) doit alors "abandonner son travail éprouvant d'administration (re-sic) pour sauver la France de l'invasion. Il est épuisé par des jours et des nuits de travail, il est maigre , sa peau ridée est devenue transparente, il peut à peine se tenir debout. C'est dans ces conditions qu'il passe le Saint-Bernard et gagne la bataille de Marengo !"
Les années qui suivent sont des années privilégiées pour la France. Ben Weider écrit que le plus ardent souhait de Napoléon est alors que la paix dure éternellement. Hélas, on le sait, c’est Pitt qui déclare la guerre à la France, le 16 mai 1803.
Janvier 1805. L’empereur nouvellement couronné écrit aux cours européennes (y compris l’Angleterre, précise Ben Weider), pour leur présenter les avantages de la paix et la stupidité de la guerre.
Fin novembre 1805: afin d’éviter que le sang coule, Napoléon tente une négociation avec le tsar. C’est ce dernier qui passe à l’attaque. Il est vaincu à Austerlitz. Napoléon lui rend les prisonniers et quitte pacifiquement l’Autriche, encensant le tsar et recherchant son amitié, dans le but d’instaurer la paix sur en Europe. Écoutons Ben
" Il est (Napoléon) bon, généreux, intelligent et rationnel et n'a jamais compris que les souverains européens se foutent de leurs soldats et du bonheur de leurs peuples. Chaque fois qu'il les a tenu à sa merci, il les a oubliés plutôt que de les broyer....leur permettant de reconstituer leurs forces pour l'attaquer plus tard"
12 septembre 1806: la Prusse déclare la guerre à la France. Napoléon écrit à Frédérique-Guillaume:
"Cette guerre sera une guerre sacrilège. Je reste inébranlable dans mes liens d'alliance avec votre Majesté".
La Prusse répond par un ultimatum…. et est anéantie à Iéna, le 14 octobre suivant. Napoléon reprend sa plume:
"Ce sera pour moi un sujet éternel de regret pour moi que deux nations, qui pour de nombreuses raisons devraient être amies, aient été conduites dans une querelle si peu justifiée. Je souhaite restaurer la confiance qui régnait entre nous"
14 juin 1807. C’est Friedland. Napoléon veut la paix et l’amitié du tsar. Il lui écrit, alors que les deux armées se font face.
"Le temps est venu pour l'Europe de vivre en paix, protégée de l'influence maligne de l'Angleterre. Pourquoi cette guerre ? Quel avantage à s'entretuer quand nos peuples ont un tel respect mutuel, tant de raisons d'être amis ?"
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Le tsar répond par une attaque massive, mais, une fois battu, acceptera de rencontrer Napoléon sur un radeau.
« Il est convaincant, parce qu’il est sincère » écrit Alexandre. Et Ben Weider de le suivre: Oui, Napoléon fut toujours sincère dans son désir de paix totale et universelle, à l’opposé des tyrans de l’Angleterre, de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie.
Cette Angleterre qui ne désarme pas: 2 septembre 1807: bombardement de Copenhague; 11 novembre 1807: décret obligeant les bâtiments neutres à faire escale dans les ports anglais. Malgré cela, en 1810, Napoléon fait de nouveau des avances de paix à l’Angleterre, que celle-ci repousse.
Abandonnant un temps l’Angleterre, Ben Weider aime à souligner que l’empereur
"se dévouait entièrement aux lourdes tâches qui étaient les siennes et que le peuple français lui avait confiées, sans se préoccuper de son bonheur à lui".
"Sous son autorité, tous les pays d'Europe furent témoins du développement de lois dont l'efficacité sociale et le sens civique ne sont plus à démontrer. Tous les pays ont profité de son génie, de sa capacité d'organisation et de son incomparable esprit de tolérance".
S’appuyant sur l’Encyclopedia Judica, Ben nous rappelle même que
"Napoléon proclama l'émancipation des Juifs dans les États italiens, et la majorité des juifs d'Italie considérèrent Napoléon comme un libérateur et un sauveur politique, l'appelant < Helek Tov > - littéralement: < Good Part > par référence à < Bona Parte >".
En Palestine, Napoléon promulgua d’ailleurs un manifeste promettant aux Juifs leur retour dans leur pays, anticipant par là la création de l’État d’Israël. Dans l’Europe entière, il réunit des Assemblées de Notables juifs et institua des Consistoires de Rabbins. C’est lui qui fit venir le Grand Sanhedrin à Paris, en 1807. Ce comportement vis-à-vis des Juifs fit même craindre aux autorités autrichiennes qu’il le considèrent comme le Messie.
Comme Ben Weider sait bien que l’on va lui poser d’autres questions, il y répond par avance.
Le népotisme de Napoléon ? Allons bon ! Certes, il aurait mieux valu qu’il n’eut pas de frères et sœurs, mais il a toujours agit par esprit de famille et dans le but de rendre heureuse sa mère, Laetitia (et de passer en revue la famille: Joseph, jaloux et incompétent, Lucien, qui passa son temps à le combattre, Louis, dépressif et léthargique, Jérôme, intéressé uniquement par les honneurs, le sexe. Seul Eugène échappe à la critique).
La guerre d’Espagne ? C’est Villeneuve (« médiocre, incompétent, pusillanime« ) qui est le responsable de la chute de l’Empire ! Sa défaite, à Trafalgar, assurait la maîtrise des mers à l’Angleterre. Napoléon était forcé, pour amener celle-ci à la paix, de lui bloquer le continent. L’Espagne devait alors être un allié sans faille. D’où l’intervention ! CQFD.
La Russie, pour finir ? Napoléon ne l’a pas attaquée, c’est Alexandre qui a violé les accords de Tilsit, en ouvrant ses ports à l’Angleterre, donnant ainsi le signal des hostilités. Mais même lorsque la guerre est imminente, il écrit au tsar « Je souhaite éviter la guerre, je reste fidèle aux sentiments qui nous unissaient à Tilsit et Erfurt ». Le 17 avril, il envoie de nouvelles offres de paix à Londres, proposant l’évacuation des troupes anglaises ET françaises hors d’Espagne, du Portugal et de Sicile. Castlereagh ne répondra pas. Après la victoire de la Moskova, il refuse d’exploiter son succès, alors qu’il pourrait annihiler l’armé russe, ceci dans le but de prouver ses bons sentiments et son désir de paix !
Et l’auteur de conclure:
"Jamais le dicton < Votre bon cœur vous perdra > n'a jamais été plus vrai que dans le cas de Napoléon !"
Oui, décidément, Ben Weider est mon ami !
Robert Ouvrard
PS. Si l’anglais vous rebute, vous pouvez toujours vous reporter à Napoléon et la Paix, d’Arthur-Levy, et paru en…1902.