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7 mars 1815 – Le jour où Vienne appris le retour de Napoléon.

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“H. L. Bulwer (Essai  sur Talleyrand – Paris, 1868). Passages soulignés par nous.)) Ce fut le 7 mars 1815 qu’à Vienne, où le Congrès était alors réuni (et où, entre parenthèse, je me trouvais) on reçut la première nouvelle officielle de l’évasion de Napoléon de l’île d’Elbe. …”

Mardi 7 mars 1815

Le Congrès apprend l’évasion de Napoléon ((Pictet de Rochemont parle, le 10 mars, „d’escapade“ !)) de l’île d’Elbe ((Voir la note au 26 février.)) . Une bombe ayant explosé au cours d’une des réunions n’aurait pu provoquer une telle consternation ((« Ce n’était pas chose totalement imprévue pour quelques ministres, et principalement pour M. de Metternich, que cet événement, objet d’effroi pour le plus grand nombre et qui fit passer M. de Talleyrand d’une hauteur insultante à la plus honteuse pusillanimité. » Hardenberg, cité par Allonville )).

J’ai aujourd’hui, cœur chéri, une nouvelle étonnante à te dire, qui ne va cependant pas t’étonner, car tu as souvent prédit cet évènement. Napoléon a disparu de l’île d’Elbe, avec toute son armée, qui toutefois n’est forte que de 1000 à 1500 hommes, et, jusqu’à présent, on ne sait pas où il s’est dirigé. La nouvelle est arrivée aujourd’hui par un courrier de l’ambassadeur anglais à Florence, et est donc fiable. C’était une grande imprudence des Anglais de ne pas avoir eu, au minimum, des navires autour de l’île, et pourtant ils n’en avaient pas. Il y avait une sorte d’observateur anglais, Campbell, mais il ne disposait que d’un tout petit bâtiment. Il avait observé les plans de Napoléon, seulement, incapable de s’y opposer, il s’était éloigné, dans la crainte d’être pris. Quand il a jugé la situation sûre, il était revenu, et avait alors appris que Napoléon, au soir du 26, avait mis voiles. Il s’était embarqué sur de petits bâtiments, trois je crois, dont deux qu’il avait loués, emportant six jours de vivres. Le 27, il était encore en vue de l’île. Il se dirigeait vers le nord. On se perd en conjecture sur la question de savoir où il se dirige (Humboldt) ((Briefe Wilhelms,))

Je dois croire que Votre Majesté sait déjà, ou qu’Elle aura appris avant de recevoir cette lettre, que Buonaparte a quitté l’île d’Elbe. Mais, à tout événement, je m’empresse de lui en transmettre la nouvelle. Je l’ai eue d’abord par un billet de M. de Metternich, auquel j’ai répondu que je voyais, par les dates, que cette évasion de Buonaparte se trouvait liée à la demande que Murat avait faite à l’Autriche de lui accorder pour ses troupes un passage par ses pro­vinces. Le duc de Wellington m’a ensuite communiqué une dépêche de lord Burghest, dont j’ai l’honneur de joindre ici la traduction, ainsi que l’extrait d’une lettre du vice-consul d’Ancône, extrait que le duc de Wellington m’a aussi communiqué. C’est le 26, à neuf heures du soir, que Buonaparte s’est embarqué à Porto-Ferrajo, il a emmené avec lui environ douze cents hommes, dix pièces de canon, dont six de campagne, quelques chevaux et des provisions pour cinq ou six jours. Les Anglais, qui s’étaient chargés de surveiller ses mouvements, l’ont fait avec une négligence qu’ils auront peine à excuser. ((Ce à quoi les Anglais répondront, à juste titre, que Napoléon n’était pas, à Elbe, considéré par les traités comme un prisonnier (article 3 du traité de Paris))). La direction qu’il a prise, celle du nord, semble indi­quer qu’il se porte ou du côté de Gênes ou vers le midi de la France. Je ne puis croire qu’il ose rien tenter sur nos provinces méridionales. Il ne s’y hasarderait qu’à la faveur d’intelligences (NDLR – De renseignements) qu’il n’est pas à supposer qu’il ait. Il n’en est pas moins nécessaire de prendre des précautions de ce côté et d’y mettre des hommes de choix et parfaitement sûrs. Du reste, toute entreprise de sa part sur la France serait celle d’un bandit. C’est ainsi qu’il devrait être traité, et toute mesure permise contre les brigands devrait être employée contre lui. (Pallain)

La nouvelle est aujourd’hui arrivée à Vienne que Buonaparte était sorti de l’île d’Elbe le 26 février avec une corvette, un brick et quelques petits bâtiments emmenant avec lui mille deux cents hommes. On ne sait encore rien ici de ses projets; on sait seulement qu’il s’est dirigé vers le nord, ce qui porte à supposer qu’il se proposait de débarquer du côté de la rivière de Gênes, sans doute pour exciter des insurrections en Italie et profiter, à la faveur des intelligences qu’il s’y est ménagées, des dispositions révolutionnaires des peuples de ce pays. Cette nouvelle a déjà dû vous parvenir, et je pense même que vous pouvez avoir actuellement des informations plus étendues que celles que nous avons ici. Si, comme je l’espère, on agit dans cette circonstance avec prudence et fermeté, en arrêtant le mal à sa source, et ne lui laissant pas le temps de faire des progrès, cet événement ne pourra avoir aucune suite fâcheuse; il en aura même d’utiles; celle d’abord de faire cesser les indécisions de l’Autriche à l’égard de Murat, avec lequel Buonaparte est très probablement d’ac­cord, et ensuite, lorsque l’entreprise aura échoué et que son au­teur aura succombé, de faire cesser toute crainte de voir éclater des révolutions en Italie, ceux qui les désirent et les fomentent ne pouvant plus conserver l’espoir de parvenir à l’accomplisse­ment de leurs vues, parce qu’il n’y aura plus pour eux de centre d’action, ni de chef autour duquel ils puissent se rallier.

Il n’est nullement à croire que Buonaparte ait eu le projet de venir dans le midi de la France. Mais s’il y venait, il ne pour­rait y être regardé que comme un brigand ((Souligné par nous.)) et devrait être traité comme tel. On ne saurait, à cet égard, s’exprimer trop nette­ment; ce n’est point dans des circonstances semblables qu’il y a des ménagements à garder, et, le cas arrivant, il faudrait parler dans ce sens et d’une manière très ferme et très pro­noncée.

Il serait bien à désirer que l’on pût diriger les journaux dans ce qu’ils diront de l’entreprise de Buonaparte ((Que penser ici de l’attitude de Talleyrand, qui choisit d’appeler Buonaparte son ancien souverain, qu’il a servi si longtemps ?)), quel qu’en soit l’objet. En parler comme d’une chose très grave ce serait lui donner une importance que sans doute elle n’aura pas et redou­bler les inquiétudes qu’elle peut causer aux personnes disposées à s’alarmer facilement. C’est à quoi je vous prie, Monsieur le comte, de vouloir bien donner toute votre attention. (Jaucourt)

Ce fut au milieu de la gaieté d’un bal, le 5 mars (sic), et au moment même où le congrès allait se séparer, que d’un petit groupe de souverains réunis dans un coin du salon, et trahissant le sérieux de leur conver­sation par le sombre aspect de leur physionomie, sor­tirent ces paroles comme un sourd murmure : « Bona­parte s’est échappé de l’île d’Elbe. » Le prince de Metternich fut le seul qui devina de suite l’intention de l’ex-empereur de marcher aussitôt sur Paris. Le succès d’un plan si téméraire était certainement douteux ; mais dans l’espoir qu’on avait encore le temps d’influen­cer l’opinion publique, une proclamation proposée par l’Autriche, à l’instigation du duc de Wellington, et signée le 13 mars par la France et les quatre grandes puissances, dénonça l’ex-empereur   d’Elbe  en   des termes qui ne pouvaient s’appliquer qu’à un pirate ou à un maraudeur. Ce langage, Louis XVIII s’en était servi à Paris, le 6 mars, et il pouvait, lui, l’employer avec quelque convenance ; mais de pareilles expressions avaient beaucoup moins de sens et devaient paraître moins justifiées lorsqu’elles sortaient de la bouche de princes qui, peu de temps encore auparavant, traitaient ce pirate et ce maraudeur de « roi des rois ; » elles étaient tout à fait inconvenantes de la part d’un souverain traitant ainsi le mari de sa fille de prédilection. ((H. L. Bulwer (Essai  sur Talleyrand – Paris, 1868). Passages soulignés par nous.))

Ce fut le 7 mars 1815 qu’à Vienne, où le Congrès était alors réuni (et où, entre parenthèse, je me trouvais) on reçut la première nouvelle officielle de l’évasion de Napoléon de l’île d’Elbe. Toutes les armées, ou au moins une grande partie étaient encore sur le pied de guerre. Il aurait pu manifestement choisir un autre moment. Dès que l’on eut la certitude qu’il avait débarqué dans le sud de la France, les troupes furent mises en mouvement, et le 13, le célèbre manifeste, qui mettait pour ainsi dire Napoléon hors la loi, fut publié. ((In Erinnerungen des Prinz August von Thurn und Taxis. Leipzig, 1912. C’est lui qui a apporté à Munich l’annonce de la victoire des Alliés à Paris, en 1814, et il accompagne Wrede au Congrès de Vienne. Ce dernier, à la demande de l’Autriche, y représente la Bavière à la place de Mongelas.))

Un courrier autrichien de Florence et un courrier anglais de Livourne, arrivés à la fois, viennent de nous apprendre la nouvelle que Napoléon s’est échappé de l’île d’Elbe avec tous ses entours. (…) Quant à moi, je regarde toute l’aventure comme un coup de folie et d’extravagance, dicté par le désespoir, et sur quelque endroit qu’il se soit porté, j’ai un pressentiment sûr que c’est l’acte final de sa carrière, et que sa dernière heure sonnera bientôt. (Hospodar)

Hier après-midi (7 mars – NDLR), vers 3 heures, est arrivée l’inattendue nouvelle, par des courriers anglais et toscan, que, le 26 février, Bonaparte a quitté Elbe à bord de sa propre corvette. On début, on n’a pas voulu croire cette nouvelle, mais elle s’est rapidement confirmée. Le prince Metternich s’est aussitôt rendu à Schönbrunn, chez l’impératrice Marie-Louise, avec laquelle il a eu un long entretien, à l’issue duquel celle-ci s’est rendu en ville, chez son illustre père. On ne peut aujourd’hui méconnaître la sensation générale au sein de toutes les parties politiques. Certains supposent que Bonaparte fait voile vers Naples, d’autre vers la France. On ne peut pour l’instant présumer du changement que  va apporter cet évènement sur le Congrès; chacun doit vraisemblablement désormais se hâter de terminer les affaires. Une activité inhabituelle règne au sein du Conseil aulique de la guerre ; l’armée d’Italie va être portée à 180.000 hommes et le FM prince de Schwarzenberg devrait s’y rendre dans quelques jours. On s’attend à de grands évènements. Hier soir, 3 courriers sont arrivés de Toscane ; d’après les dernières nouvelles, on aurait aperçu Bonaparte, et plusieurs navires, à hauteur de Caprara (Augsburger Allgemeine Zeitung du 14 mars)

Nous étions à la Cour la nuit de l’arrivée de la dépêche de Burghersch, contenant la nouvelle de la fuite de de Bonaparte ; et, bien que tout était fait pour cacher l’appréhension sous un masque d’indifférence, il n’était pas difficile de sentir que la peur était dominante chez toutes les personnes de la Cour impériale et royale assemblés ici ; pourtant, la majorité de leurs principaux officiers tentèrent d’amoindrir l’évènement, mais la tâche était trop difficile pour eux. (Castlereagh)

Dans la nuit précédente, les discussions s’étaient prolongées jusqu’à 3 heures du matin, et Metternich avait interdit qu’on le réveille. Pourtant, vers 6 heures, un serviteur viole la consigne. Le chancelier a raconté la suite dans ses Mémoires.

La première nouvelle du départ de Napoléon de l’île d’Elbe m’est arrivée de la manière suivante. Dans la nuit du 6 au 7 mars, il y avait eu chez moi une réunion des plénipoten­tiaires des cinq puissances, et la conférence s’était prolongée jusqu’à trois heures du matin. Comme les cabinets étaient réu­nis à Vienne, j’avais défendu à mon valet de chambre de venir troubler mon sommeil dans le cas où il arriverait des cour­riers à une heure avancée de la nuit. Malgré ma défense, ce domestique m’apporta, vers six heures du matin, une dépêche apportée par un exprès, et qui portait la mention : Pressée. Je lus sur l’enveloppe ces mots : « De la part du con­sulat général I. R., à Gênes. » Comme il y avait à peine deux heures que j’étais couché, je mis la dépêche, sans l’ou­vrir, sur ma table de nuit, et j’essayai de me rendormir. Mais une fois dérangé dans mon repos, je ne pus retrouver le som­meil. Vers sept heures et demie, je me décidai à décacheter le pli. Il ne contenait que ces six lignes : « Le commissaire anglais Campbell vient d’entrer dans le port pour s’informer si l’on n’a pas vu Napoléon à Gênes, attendu qu’il a disparu de l’île d’Elbe. La réponse ayant été négative, la frégate anglaise a, sans plus tarder, regagné le large. »

Je fus habillé en un clin d’œil, et avant huit heures j’étais chez Sa Majesté. L’Empereur lut l’avis ci-dessus ; puis il me dit, avec ce calme parfait qui ne le quittait jamais dans les grandes circonstances : « Napoléon semble vouloir courir les aventures, c’est son affaire; la nôtre est d’assurer au monde le repos, qu’il a troublé pendant de si longues années. Allez sans retard trouver l’Empereur de Russie et le Roi de Prusse ; dites-leur que je suis prêt à donner l’ordre à mon armée de reprendre le chemin de la France. Je ne doute pas que les deux Souverains ne marchent d’accord avec moi. »

À huit heures un quart j’étais chez l’Empereur Alexandre, qui me tint le même langage que l’Empereur François. À huit heures et demie, le Roi Frédéric-Guillaume III me fit la même déclaration. À neuf heures j’étais rentré. J’avais déjà prié le feld-maréchal prince de Schwarzenberg de se rendre chez moi. À dix heures, les ministres des quatre puissances, se rendant à mon invitation, se réunirent dans mon cabinet. A la même heure, des aides de camp couraient déjà dans toutes les directions pour porter aux corps d’armée qui se retiraient l’ordre de faire halte.

C’est ainsi que la guerre fut décidée en moins d’une heure.

Lorsque les ministres vinrent chez moi, ils ignoraient encore l’événement. Talleyrand entra le premier; je lui fis lire l’avis que j’avais reçu de Gênes. Il resta impassible, et nous eûmes ensemble la conversation laconique que voici :

Talleyrand : « Savez-vous où va Napoléon ? »

Moi : « Le rapport n’en dit rien. »

Talleyrand : « II débarquera sur quelque côte d’Italie et se jettera en Suisse. »

Moi : « II ira droit à Paris. »

Voilà l’histoire dans toute sa simplicité.

Tous les participants au Congrès ont, on s’en doute, gardé un souvenir indélébile de l’évènement.

Inoubliable restera le jour où la première nouvelle du débarquement de Napoléon à Golfe Juan (entre Cannes et Antibes) arriva à Vienne ((En fait, à ce moment, si l’on sait à Vienne que Napoléon s’est enfuit de l’île d’Elbe, l’endroit vers lequel il se dirige n’est pas encore connu.)). C’était un dimanche soir, le 5 ou le 6 mars, je crois, dans la soirée, de sorte que mon mari appris la nouvelle à Cour, où la société s’était réunie pour une représentation théâtrale, et me la murmura ; car on ne pouvait pas de nouveau nommer le nom de l’ennemi vaincu, alors même que l’on avait espéré le voir banni pour toujours. Quoique les politiciens étaient habitués à se contrôler, ce moment terrible se lisait sur leurs visages. Elle  était le plus profondément inscrite dans les traits de Talleyrand ; elle s’extériorisait  le plus chez Stewart, et la pâleur d’Alexandre, sa physionomie morose exprimait clairement  ce que sa bouche n’aurait à aucun prix avoué. Son allure, ordinairement si triomphante, avait disparu. Pourtant, on espérait s’emparer de nouveau de ce prisonnier de l’Europe, que l’on avait de façon incompréhensible si mal surveillé, avant qu’il ne mette de nouveau le feu au monde. Dans cet espoir on s’efforçait de faire « bonne mine à mauvais jeu » (en français dans le texte), et l’on publia, le 13 mars, l’avis de proscription, qui a si souvent été blâmé. (Bernstorff

C’est là (chez Sidney Smith) que j’ai d’abord appris la nouvelle de l’évasion de Bonaparte. Le soir, chez la Pichler, les détails… L’Autriche envoie déjà plus de troupes en Italie. La nouvelle fait grande sensation, ce soir durant le spectacle de la Cour, Wellington et Talleyrand sont calmes. (Bertuch)

Au milieu de cette agitation arriva, le 7 mars, la nouvelle que Napoléon s’était échappé de l’île d’Elbe ; elle émanait du consul autrichien à Gênes, et fit l’effet d’un choc électrique sur le Congrès. Au Burg, où nous étions ce soir-là, étaient présentés à ce moment-là deux pièces de théâtre français, « Les rivaux d’eux-mêmes»((Comédie en un acte de Charles-Antoine Pigault de l’Épinoy, datant de 1798.)) et « Le calife de Bagdad » ((Opéra-comique en un acte de Boieldieu, représenté pour la première fois en 1809 au Burgtheater.)). Chacun se frappait la tête, et on était anxieux de savoir vers où Napoléon s’était dirigé. J’entendis plusieurs généraux et diplomates exprimer le sentiment qu’on devait se saisir de l’empereur et le condamner sévèrement. Le roi de Prusse, qui entendait les conversations, dit, avec le calme qui le caractérisait : avant de le rendre inoffensif, encore fallait-il s’en saisir, et cela ne serait pas si simple. (Baden)

Au milieu d’une fête, d’une représentation de toutes les divinités de l’Olympe et du Parnasse, vient retentir, comme un coup de tonnerre, cette nouvelle étonnante : Napoléon a quitté l’île d’Elbe, Napoléon est en France ! La personne de qui je tiens ces détails, et qui en fut le témoin oculaire, le comte de Salmoni, homme de beaucoup d’esprit, me conta que l’alarme fut grande parmi les dieux de l’Empyrée, et que, parmi ceux de la terre, l’empereur Alexandre, en homme sage, se retira le premier de la fête, pour dérober au public l’impression qu’il éprouvait. (Choiseul) ((Il s’agit de la représentation théâtrale « amateur », organisée dans la salle des Redoutes, à laquelle participent tous les souverains et leurs invités. En plus de la pièce de Kotzebue, on présentait un « Ballet et tableau mouvant, dont le sujet est le moment où Psyché est présentée aux Dieux par l’Amour ». C’est donc vraisemblablement durant cette deuxième partie que ce situe l’évènement rapporté par la comtesse de Choiseul.))

Ce jour-là (c’était le 7 mars) il y avait à la cour un ballet  pantomime, « Les noces de Psyché ». Tout l’Olympe était représenté : le prince Leopold de Cobourg était Jupiter. On l’appelait alors « Jupiter tonnant », car, dans la romance du Cid, il chantait toujours, avec son accent, « tonnez, tonnez » au lieu de « donnez ». Le visage expressif et noble du prince, avec ses yeux d’un brun prononcé semblait être fait pour le rôle du roi des Dieux. Junon, personnifiée par la grave et fière comtesse Kinsky-Wrbna ne lui cédait en rien en majesté. Venus, Apollon, Diane et les autres Dieux avaient également trouvés des représentants très acceptable, les Grâces et les Muses étaient regroupées, entourées de nuages, pendant que, à leurs pieds, un choix des plus belles jeunes filles, fêtaient, par des danses et des chants, les fiançailles de l’Amour (le jeune comte Tolstoï) et de Psyché (la comtesse Leo Starhemberg, qui deviendrait plus tard ma belle-sœur). Ma sœur Konstantine représentait Clio, j’étais moi-même Caliopée, avec une tunique bleu ciel et une couronne de laurier dans mes boucles brunes    (…). Bien que n’ayons sûrement pas été, dans cette noble assemblée des Dieux, les plus remarquables, ma voix, si j’avais vraiment été Caliopée, aurait fait mourir de peur, non seulement les Dieux sur la scène, mais également les spectateurs, car ils auraient pu entendre les mots accablants « Napoléon s’est enfuit de l’île d’Elbe ! ». En fait, cette terrible nouvelle était arrivée quelques heures auparavant, on se la murmurait sur la scène, dans les coulisses, sur les sièges du parterre, en particulier ceux où se trouvaient les ministres et les Princes. Ces maîtres du monde ne laissaient rien paraître. Le visage enjoué, les jumelles dans la main, ils faisaient comme si seul le spectacle les intéressait. Pourtant, quelques fronts assombris trahissaient l’agitation intérieure, et les remarques chuchotées, qu’ils échangeaient entre eux, concernaient sûrement plus l’avenir prochain, que celui de l’Olympe. On aurait pu entendre l’empereur Alexandre murmurer à l’oreille de l’empereur François « j’ai à ma disposition 300.000 hommes, qui peuvent se mettre au service des Alliés à n’importe quel moment ». (Thürheim)

Au milieu de ces joies et de ces magnifiques divertissements, M. de Talleyrand (sic) reçut un courrier qui apportait la nouvelle du débarquement de Napoléon. On eût dit la foudre éclatant par un beau jour sans nuages et pulvérisant des mortels d’autant moins préparés à ce choc imprévu, qu’ils avaient déjà oublié leurs revers et leur abaissement. Le lion avait fait le mort; il revenait rugissant et superbe ! Tout se prosternait à son approche. Il n’était plus temps d’échanger des notes et de négocier; c’était un sauve-qui-peut général, on n’avait plus la tête à rien ! — Des courriers furent lancés dans toutes les directions afin d’arrêter les armées qui, chacune, s’acheminait vers son pays. — On pourrait affirmer que, ce jour-là, souverains et ministres couchèrent le chapeau sur la tête et l’épée au côté, tant l’alarme fut grande ! (Potocka 1)

Un courrier arrivé hier à midi a apporté la nouvelle totalement inattendue, que Napoléon Bonaparte, le prince souverain de l’île d’Elbe, s’en est éloigné sur une flottille, avec une partie de ses gardes les plus fidèles et plusieurs canons, sans que l’on puisse en même temps savoir quelle direction avait pris la flottille, bien que l’on soupçonne qu’elle a pris la direction de l’Italie ou de Naples. Cette nouvelle a provoqué à la Cour une extraordinaire agitation, et un grand nombre de courriers ont été aussitôt préparés. Cette nouvelle a, en général, également provoqué quelque sensation, d’autant plus que l’on sait, que les Provinces italiennes  nourrissent de toutes façons l’esprit de sédition, et tiennent toujours à Napoléon, que le roi de Naples, soucieux pour son trône vacillant, le recevra avec joie et marchera de concert avec lui. Quoiqu’il arrive, Napoléon mènera au bout difficilement son plan, élaboré avec encore tant de précautions et d’intelligence, cela coûtera du sang, des troubles et peut-être une guerre civile (si par exemple il doit se tourner contre la France), en résulter (…) Certains font remarquer que l’évasion de Napoléon de l’île d’Elbe a pour origine le fait que, depuis une tentative d’assassinat il ne se croyait plus en sécurité sur l’île, qu’il pensait qu’il était entouré de meurtriers et de traîtres, et avait donc pris la fuite. Les journaux parlaient depuis un certain temps de cette situation, mais je ne crois pas que cela soit la cause de son évasion. (Perth)

Avant le ballet, on a également joué une pièce en un acte de Kotzebue, « Die alten Liebschaften« , avec les deux comtesses Zichy (Julie et Sophie), et le comte Széchenyi.

La nouvelle de l’évasion, jusqu’ici gardée secrète ((Metternich aurait souhaité attendre le lendemain pour rendre la nouvelle publique, pour préserver  la soirée !)), va rapidement se répandre dans le public.

Karoline Pichler, de son côté, apprend la nouvelle au cours d’une réunion dans son propre Salon :

C’était un soir où j’attendais de la société. Déjà plusieurs dames et messieurs étaient rassemblés, lorsque le comte Stolberg entra (( Dans son Journal, Stolberg se contente d’écrire : le soir, chez Madame von Pichler.)), avec une allure qui annonçait l’irritation et la morosité, s’assit à sa place habituelle près du sofa, et ne pris pas, ou très peu, part à la conversation. Durant une vive discussion, à laquelle participait le reste de la société, il me murmura : Connaissez-vous la nouvelle qui vient d’arriver ? Napoléon s’est enfuit de l’île d’Elbe, et la guerre recommence » Nous parlâmes encore – moi à moitié incrédule, parce que de tels bruits, sont quelquefois propagés volontairement par des spéculateurs en bourse. Mais bientôt arriva la major Kronenthal, de la cour de Bade, il s’approcha de nous et confirma la nouvelle, qui fut confirmée par d’autres arrivants. (Pichler)

Talleyrand, a été informé le matin, alors qu’il était encore au lit. À son « lever », Dorothée lui fait la conversation, lorsqu’un valet apporte un message de Metternich. La comtesse ouvre le pli, y jette les yeux et y lit la nouvelle. Or, elle doit se rendre, dans la journée, chez l’épouse de Metternich, pour répéter avec la troupe de comédiens de salon, « Le Sourd ou l’auberge pleine » ((Comédie en trois actes de Pierre Jean-Baptiste Choudard (1794))). « Ah ! Mon oncle ! Et ma répétition ? », dit-elle à son oncle. Ce à quoi Talleyrand répond tranquillement : « Elle aura lieu ».

Lorsque  les ministres vinrent chez moi, ils ignoraient encore l’évènement. Talleyrand entra le premier. Je lui fis lire l’avis que j’avais reçu de Gênes. Il resta impassible ((Pourtant, dans ses Mémoires, Hardenberg écrira : « Cet évènement d’effroi pour le plus grand nombre fit passer M. de Talleyrand d’une hauteur insultante à la plus honteuse pusillanimité »)), et nous eûmes ensemble la conversation laconique que voici : Talleyrand : Savez-vous où va Napoléon ? – Moi : le rapport n’en dit rien – Talleyrand : il débarquera sur quelque côte d’Italie et se jettera en Suisse – Moi : Il ira droit à Paris. (Metternich)

Ma bonne Auguste, conçois-tu rien de plus  extraordinaire que ce qui vient d’arriver ? L’empereur est parvenu à quitter l’île d’Elbe, les uns disent qu’il va en France, d’autres qu’il va rejoindre le roi de Naples. (Eugène)

Cette effrayante nouvelle bouleverse toutes les imaginations; on court, on s’arrête, on s’interroge, on voit des groupes dans toutes les rues. Mme de Liedkerque, fille de M. de la Tour du Pin, ministre plénipotentiaire au congrès, a arrêté aujourd’hui trois fois mon mari dans les rues pour lui demander des nouvelles. C’était à eux à en savoir !… (Du Montet)

Le courrier anglais qui nous a apporté hier la nouvelle du départ de Bonaparte de l’ile d’Elbe a fait une très-grande sensation, on attend les détails avec une vive impatience. (Starhemberg)

Vous ne pouvez vous faire une idée, chère Hélène, de tout ce que j’éprouve depuis l’évasion de Napoléon. Les progrès rapides que fait cet usurpateur ne peuvent que répandre l’effroi dans tous les pays et laisse entrevoir des suites plus fâcheuses les unes que les autres. Dès que j’ai appris que cet homme avait reparu sur le continent, j’ai senti vivement toutes les conséquences qui en pouvaient résulter. (La comtesse Nesselrode à sa sœur – Nesselrode)

Les Anglais tâchent d’excuser leurs Officiers qui auraient dû mieux surveiller. Je disais à Sir Sidney Smith : vous ne l’auriez pas laissé échapper, pardonnez-moi me répondit-il, nous n’avions pas d’ordre de l’arrêter. (Gagern)

Toute la ville est dans la plus complète agitation imaginable à cause de l’ évasion de Bonaparte de  l’ile  d’Elbe ,on dit qu’il est parti à Naples – si  c’est le cas tous ces dignes imbéciles couronnés, n’ont que ce qu’ils méritent – Leur stupidité  n’a jamais été égalée – nos troupes  marchent aussi vite qu’elles peuvent sur  l’Italie mais les gens disent que le petit homme aura le temps de conquérir tout le pays avant qu’ ils soient prêts au combat. (Wilhelmine)

L’Ambassade de France est consternée. Ils sont tous taciturnes et ne répondent que par des monosyllabes à mes questions. Tout ce que j’ai pu savoir, c’est que Talleyrand, en apprenant cette nouvelle, a dit d’un air tranquille : « Voilà un coup de maître. Je m’y attendais et j’ai écrit à ce sujet au roi. Les efforts de Bonaparte seront vains, mais ne manqueront pas d’apporter encore de la confusion qui prolongera nécessairement notre séjour à Vienne ». (Weil – 1853)

Pour le Congrès (où, depuis le 8 février, les Huit ne se sont pas réunis !), le retour de Napoléon, et son rétablissement sur le trône de France, sont intolérables ((mettant le pied sur le sol de France, Napoléon se serait écrié : «  le Congrès est dissous »)). Alors, dans une proclamation que l’empereur François a atténuée, jugeant les termes proposés par Talleyrand trop brutaux , il est déclaré hors la loi ((« Bonaparte avait parfaitement le droit de quitter l’île d’Elbe ; il a rompu son serment dès-lors qu’il a foulé le sol français, dans le but de redevenir le souverain de la France. » (20 mars – Gentz à Rahel von Varnhagen))).

Le départ de Bonaparte de son île d’Elbe à la tête de deux cents hommes fait de lui un brigand dans quelque lieu qu’il aille : ainsi cela finit sa souveraineté, et tout l’échafaudage princier de ses frères (Talleyrand à la duchesse de Courlande – Palewski)

La nouvelle de l’entreprise de Napoléon (7 mars) a répandu l’inquiétude générale et a fortement rapproché les parties. Elle a atteint Lord Wellington. Il était inquiet en raison du mauvais esprit de l’armée française et de la connivence que Napoléon na avec elle. Esprit guerrier, tendance libertaire, esprit de vengeance, morgue offensée, mécontentement au sujet de la perte des dotations, du prestige de l’armée et du peuple, et un déchainement de ce tempérament hostile est à craindre. (Stein)

Il n’y a ici (à Vienne) rien de nouveau. Le Congrès tire à sa fin ; cela n’ira peut-être pas plus loin que Pâques. En attendant, voici un intermède qui commence. Napoléon s’est échappé de l’île d’Elbe. Il y a là une nouvelle source de troubles. Quand cela finira-t-il ? (Archiduc Charles)

Pour le baron Stein voilà « un retournement exceptionnel de situation », celui qui l’avait, le 15 décembre 1808,  proscrit, se retrouve dans une situation légale « bien plus terrible, sur une décision des grandes puissances européennes. » ((In Pertz, „Aus Stein’s Leben“, Berlin, 1856.))