14 octobre 1806 – La bataille d’Auerstaedt

Charles William Ferdinand (German: Karl Wilhelm Ferdinand, Fürst und Herzog von Braunschweig-Wolfenbüttel) (1735 – 1806), Duke of Brunswick-Wolfenbüttel,

Le duc de Brunswick ayant eu connaissance, dans la journée du 12, du mouvement d’une partie de l’armée Le Le Le duc de Brunswick ayant eu connaissance, dans la journée du 12, du mouvement d’une partie de l’armée française sur Naumburg, s’était décidé, d’après l’opinion du conseil de guerre, à marcher lui-même sur ce point avec les troupes de sa gauche pour prévenir l’arrivée des Français, et occuper les défilés de Kösen, par où ils devaient déboucher. Mais cette marche déjà tardive s’était opérée avec beaucoup de lenteur.

L’avant-garde, commandée par le lieutenant-général Schmettau, s’arrêta le 13 à cinq heures du soir sur les hauteurs d’Auerstaedt, à deux petites lieues des défilés de Kösen, ayant seulement une grand’garde à une lieue plus près dans le village de Hassenhausen. Ce même jour, le grand quartier-général prussien, où se trouvaient le roi et la reine et les principaux ministres, fut établi à Auerstaedt. Deux prisonniers, faits par une des patrouilles du général  Schmettau sur une reconnaissance française, apprirent au général en chef prussien qu’il y avait déjà beaucoup d’infanterie et de la cavalerie en avant et aux environs de Naumburg; mais le vieux duc  de Brunswick, sans tenir compte de cet avis important, resta aussi tranquille dans sa position que s’il n’eût dû rencontrer aucun obstacle dans son mouvement du lendemain.

Les cartes

Le maréchal Davout.

Cependant, le maréchal Davout, après s’être emparé de Naumburg, avait, comme nous l’avons déjà dit, pris position en avant de cette ville, dès la matinée du 13. Il avait fait occuper le pont sur la rivière d’Unstrutt (Un affluent de la Saale, dans laquelle is se jette à Naumburg) au-dessus de Naumburg, en donnant l’ordre de le couper si l’ennemi s’y présentait. Apprenant, par le retour de la reconnaissance à laquelle le général Schmettau avait fait les deux prisonniers dont nous venons de parler plus haut, que l’ennemi faisait un grand mouvement sur Naumburg, le maréchal se hâta d’envoyer un bataillon du vingt-cinquième régiment, faisant partie de la division Gudin , au-dessus de Kösen, avec ordre de s’y défendre jusqu’à la dernière extrémité, et il s’occupa des dispositions à prendre pour soutenir ce bataillon.

La position où se trouvait le maréchal allait être extrêmement critique. Le grand-duc de Berg, qui avait appuyé jusqu’alors, avec sa cavalerie, les mouvements des corps d’armée, venait de recevoir l’ordre de se rapprocher d’Iéna; le maréchal prince de Ponte-Corvo devait, comme on l’a vu plus haut, se porter avec toutes ses troupes sur Camburg et Dornburg : ainsi, le maréchal Davout, réduit aux seules troupes de son Corps, présentant un effectif de vingt-six à vingt-sept mille combattants, dont quinze cents de cavalerie seulement, se voyait exposé à soutenir avec ces forces les efforts de la gauche de l’armée prussienne, composée en grande partie de corps d’élite, et forte de plus de cinquante mille hommes, dont près de douze mille de cavalerie. Avant de recevoir les dernières instructions de l’empereur, le maréchal Davout, guerrier d’un caractère ferme et d’une intrépidité à l’épreuve, avait senti toute l’importance du poste qui lui était assigné, et la nécessité absolue de défendre les défilés de Kösen et le passage de la Saale jusqu’à la dernière extrémité. En effet, le duc de Brunswick, une fois maître de ces débouchés, se trouvait à même de tourner l’armée française, et par conséquent de la placer entre deux feux.

Cependant, l’empereur, qui n’avait encore, le 13 au soir, qu’une connaissance vague du mouvement de conversion opéré par le duc de Brunswick, envoya pendant la nuit, au maréchal Davout, les instructions que nous avons rapportées, et le maréchal se disposa aussitôt à les mettre en exécution.

Le général Gudin de la Sablonnière, commandant la 3e division de Davout

La division du général Gudin se mit en marche, avant le jour, et à six heures elle était déjà formée au-delà des défilés de Kösen. Les autres divisions débouchèrent successivement, mais elles furent longtemps à se mettre en ligne, à cause des difficultés que présentait un passage  aussi long et aussi resserré que celui qu’elles avaient à franchir. Le  brouillard était comme à Iéna, tellement épais que le général Gudin s’avança jusqu’auprès de Hassenhausen sans apercevoir l’ennemi et sans et sans en être aperçu. Cependant, l’avant-garde prussienne arrivait à ce moment sur le même point; et les deux troupes se trouvaient à portée de fusil sans s’être encore reconnues. La tête de colonne ennemie avait déjà dépassé le village, lorsque le général Gauthier, qui marchait en tête de la division Gudin, ayant entendu le mouvement des troupes prussiennes, fit avancer quelques pièces d’artillerie, qui, tirèrent dans cette direction. Cette canonnade imprévue et l’apparition des troupes du général Gauthier s’avançant en bon ordre et au pas de charge, déconcertèrent tellement cette partie de l’avant-garde ennemie forte d’à peu près deux mille hommes, qu’elle rétrograda en désordre sur les troupes qui la, suivaient. Trois  compagnies de voltigeurs du vingt-cinquième régiment et un escadron du premier régiment de chasseurs, se précipitèrent sur l’artillerie prussienne, tuèrent ou mirent en fuite ses canonniers, et s’emparèrent des pièces. Le même vingt-cinquième poursuivit vivement la colonne  ennemie.

Le général prussien Schmettau, qui suivait avec le gros de l’avant-garde cette première troupe culbutée, arriva sur ces entrefaites, et  attaqua avec des forces supérieures le vingt-cinquième régiment dans  Hassenhausen. Dans ce même moment, le brouillard étant dissipé, un corps de cavalerie ennemie qui avait tourné, à quelque distance, le village que nous venons de nommer, se trouva sur les derrières de la division Gudin, entre Spielberg et Bukscherau (Punschrau) . Le général français ne fut point déconcerté par ce mouvement, et forma sur-le-champ son infanterie en carré pour donner à la division Friant , qui suivait, le temps d’arriver à sa hauteur. La cavalerie prussienne, après avoir chargé inutilement, à plusieurs reprises, les carrés français, qui lui firent éprouver une perte considérable, renonça à l’espoir de les enfoncer et fit un mouvement rétrograde. Le maréchal Davout arrivait alors avec quelques escadrons et la division Friant. Le cent-onzième régiment (Il est commandé par le colonel Gay)  de cette dernière division, réuni à d’autres bataillons de la division Gudin, chargea l’ennemi, qui occupait une hauteur, couronnée par des bois et soutenue par six pièces d’artillerie; les bois furent emportés à la baïonnette, les canons enlevés, malgré un feu de mitraille et de mousqueterie des plus meurtriers. Le village de Spielberg fut occupé par les troupes du général Friant. Le maréchal Davout fit placer douze pièces d’artillerie en batterie auprès du cimetière, et ce feu, prenant en écharpe la ligne ennemie, jeta beaucoup de désordre dans ses rangs. La cavalerie française chargea en même temps l’extrême gauche de cette ligne,  tandis que le colonel Higonet (Il va trouver la mort durant la bataille), à la tête du cent huitième régiment, emportait le village de Poppel au pas de charge, prenait un drapeau, trois pièces de canon et un grand nombre de prisonniers. Le maréchal Davout continua a porter en avant la division Friant en colonnes serrées, laissant Auerstaedt sur sa gauche, et appuyant sa droite au village de Lißdorf. Malgré le feu des batteries que l’ennemi  avait sur ce point, et qui firent éprouver quelque perte au trente-troisième régiment (Commandé par le chef de bataillon Cartier, qui va être tué durant les combats.), le général Friant suivit toujours son mouvement, en appuyant à droite, pour couper la retraite à ses adversaires, et se dirigeant sur Ekartsberg.

Cette marche oblique, qui éloignait forcément la division Friant de celle du général Gudin, ne tirait pas cette dernière d’embarras. Aux prises, depuis quatre heures, avec des forces supérieures, les troupes du duc de Brunswick étant successivement arrivées en ligne, les  régiments de la division Gudin, que l’attaque de la division Friant avait soutenus et encouragés, se trouvaient maintenant, par le mouvement de celle-ci, livrées à leurs propres forces, et, malgré les plus vaillants efforts, ils commençaient à céder du terrain, lorsque la division Morand , ayant achevé de déboucher, arriva, au pas de  course à leur secours. La première brigade de ce corps se porta rapidement à  la gauche du général Gudin, et enleva à la baïonnette le village de Hassenhausen, dont l’ennemi s’était emparé; mais, emportée par son trop d’ardeur à la poursuite des Prussiens, cette troupe fut ramenée et perdit le village, qui ne fut repris que lorsque le reste de la division fut arrivé en ligne.

Cependant, au milieu de cet engagement critique, le maréchal Davout avait envoyé des officiers pour s’assurer du mouvement que faisait le prince de Ponte-Corvo, espérant qu’une des divisions de ce corps d’armée déboucherait par Camburg, ce qui aurait singulièrement amélioré la situation où lui, maréchal Davout, se trouvait alors.

La division Dupont arriva effectivement à Camburg, mais elle avait ordre d’y prendre position. Le besoin d’être appuyé devenant plus pressant pour le maréchal Davout, il renvoya un aide de camp au prince de Ponte-Corvo pour lui faire part de l’état des choses, et l’engager à détacher cette division qui était à portée. Le maréchal Bernadotte, se renfermant dans la stricte exécution des instructions qu’il avait reçues, répondit qu’il ne croyait pas pouvoir se priver des troupes qu’on lui demandait. Ce fut une grande faute dans l’ensemble des opérations de la bataille (voir le dossier Bernadotte). En effet, un seul régiment suffisait, à tout évènement, pour défendre le pont et garder le défilé de Camburg,  avec quelques pièces en batterie sur la rive droite de la Saale, et il est certain que si le général Dupont avait débouché sur ce point avec sa division, moins le régiment dont nous venons de parler, et se fût porté sur Salza, l’affaire engagée par le maréchal Davout eut été décisive dès onze heures du matin ; et encore plus brillante en résultats qu’elle ne le fut, par le nombre des prisonniers qu’on aurait faits, et par la prise de plusieurs pièces d’artillerie, que l’ennemi put emmener. Le maréchal Davout aurait eu alors toute facilité de manoeuvrer par sa droite, et de déborder les points de retraite du duc de Brunswick sur Rastenberg; mais, se voyant privé d’un secours sur lequel il devait naturellement compter, il se résigna à toutes les chances de sa position. Engagé comme il l’était, Davout pouvait se confier encore dans la vigueur des dignes généraux et chefs qui combattaient sous ses ordres, et surtout, dans l’étonnante valeur de ses troupes. Le succès qu’il obtint à l’aide de ces moyens positifs passa toutes ses espérances.

Bataille d’Auerstaedt

Le combat durait depuis huit heures du matin, et, à onze heures, toute la partie de l’armée prussienne qui s’était portée au devant du maréchal Davout se trouvait engagée, à l’exception de deux divisions de la réserve. Ces troupes avaient fait de grandes pertes; le duc  de Brunswick, le général Schmettau, et plusieurs autres, grièvement blessés, avaient quitté le champ de bataille. A ce moment, le roi Frédéric-Guillaume, qui venait d’apprendre que le maréchal Möllendorf   était maltraité à Iéna, voulant déboucher tout prix, ordonna une attaque générale. Un corps nombreux de cavalerie prussienne, commandé par le prince Henri de Prusse, frère du roi, tomba avec la plus grande impétuosité sur la division Morand, déjà  assez occupée de se défendre contre la forte division d’infanterie du général Wartensleben  : les régiments français soutinrent cette nouvelle attaque avec une fermeté au-dessus de tout éloge. Les cavaliers prussiens, repoussés une première fois, revinrent à la charge, sans pouvoir entamer ces intrépides adversaires, et le prince Henri, ayant été blessé, ses troupes vinrent se placer derrière l’infanterie. Le général Morand, reprenant alors l’offensive, aborda cette même infanterie ennemie qui avait momentanément cédé l’attaque à la cavalerie du prince Guillaume.

La mêlée devint alors terrible. Vainement le feld-maréchal Kalckreuth, qui avait remplacé le duc de Brunswick dans le commandement en chef, renforça-t-il sa gauche par une partie de la réserve et deux régiments de la garde royale; ces troupes fraîches durent céder à l’impétuosité des Français; le général Morand s’empara du moulin d’Emsen, et y fit mettre, en batterie, son artillerie, qui, prenant en flanc la ligne prussienne, y causa de grands ravages. Pendant ce temps, le maréchal Davout avait fait porter la division Gudin, qui formait son centre, sur le village de Taugwitz : ce poste fut enlevé à la baïonnette; on y prit quatre pièces de canon et un millier d’hommes. La perte de Taugwitz devenait d’autant plus fâcheuse pour l’ennemi, que c’était un des meilleurs points de sa position : aussi, cet évènement, qui avait lieu vers une heure de l’après-midi, commença-t-il à décider l’avantage en faveur du corps d’armée français. Débordés sur leurs ailes, repoussés par leur centre, les généraux prussiens auraient peut-être pris le parti de la retraite, si le Roi, qui pendant tout ce combat d’Auerstaedt, n’avait point quitté le champ de bataille, n’eût, de son propre mouvement, fait avancer deux divisions de sa réserve, qui n’avaient point encore donné; il les fit appuyer par tout ce qu’on put réunir de cavalerie. Ce renfort allait replacer les troupes françaises dans une situation fort critique, et donner aux combattants  des deux partis un nouveau degré de fureur et d’acharnement.

Le feld-maréchal Kalckreuth, l’un des meilleurs généraux de l’armée prussienne, et qui n’avait eu d’abord qu’un commandement secondaire, parce qu’il s’était montré opposé au parti de la guerre, s’étant mis à la tête des troupes dont nous venons de parler, les plaça en arrière du village de Taugwitz, couvrant son front par le petit ruisseau qui coule de Popel à Rehehausen. Son but était de protéger le ralliement des divisions déjà battues : et en effet, celles-ci, évacuant les hauteurs de Hassenhausen, cherchaient à se reformer derrière la nouvelle ligne. Mais ce dernier mouvement, forçant l’ennemi à abandonner une grande partie de son artillerie, redoubla l’ardeur des Français, qui s’avancèrent sans hésiter sur la réserve prussienne. Le maréchal Kalckreuth, repoussé bientôt de position en position, ne s’arrêta que sur la hauteur d’Eckartsberg, où, favorisé par le terrain et soutenu par les divisions qui s’étaient ralliées, il se flattait de mettre un terme à la poursuite et aux succès des Français.

Le maréchal Davout, qui était loin de regarder comme décisif l’avantage qu’il venait d’obtenir après une lutte aussi opiniâtre, allait en effet tenter de nouveaux efforts pour déposter le feld-maréchal Kalckreuth. Pendant que les généraux Friant et Morand recevaient l’ordre de marcher rapidement sur les ailes de l’ennemi, le maréchal marchant lui-même à la tête de la division Gudin, la dirigea sur le plateau central d’Eckartsberg. De cette dernière attaque dépendait la gloire de la journée pour le corps d’armée français : Davout mit cette considération sous les yeux de ses troupes ; aussi, malgré toute la fatigue dont elles étaient accablées, ayant combattu pendant huit heures, elles se précipitèrent, plutôt qu’elles ne marchèrent sur la nouvelle ligne prussienne. Le général Petit , à la tête de quatre cents hommes d’élite des 12e et 21e régiments , formant la tête de la division Gudin, leur fit gravir le plateau principal d’Ekartsberg, sous le feu meurtrier de l’artillerie et de la mousqueterie ennemies. Les Prussiens furent abordés à la baïonnette, sans que les assaillants tirassent un seul coup de fusil. Cette attaque impétueuse, soutenue par les brigades du général Grandeau-Dabaucour , eut tout le succès que le maréchal en espérait. Les Prussiens, enfoncés, culbutés, prirent la fuite avec tant de précipitation, que le général Petit put s’emparer d’une batterie de vingt pièces de canon abandonnées, sans avoir été  enclouées, par ceux qui les servaient; elle fut dirigée sur-le-champ contre les fuyards, et augmenta la confusion de leur déroute. Le feld-maréchal Kalckreuth, entraîné lui-même, ne put donner aucun ordre; et les Prussiens, poursuivis jusqu’au delà des bois d’Eckartsberg, se dispersèrent sans pouvoir se rallier. Les divisions Friant et Morand avaient obtenu un pareil succès sur les troupes qui leur étaient opposées. La poursuite dura jusqu’à la nuit; et le général Vialannes , avec sa brigade de cavalerie, poussa jusqu’à Buttelstedt, à trois lieues d’Ekartsberg, ramassant sur son chemin un grand nombre de prisonniers, de chevaux et s’emparant de plusieurs drapeaux, sans éprouver de résistance.