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Napoléon Bonaparte et la Suisse

L’expérience de la médiation

 Gérard Miège, Versoix


En forme de préambule

L’histoire, en Suisse, aurait quelque peu tendance à jeter un voile de pudeur sur la période napoléonienne, et pourtant Napoléon Bonaparte a joué un rôle déterminant dans l’évolution politique de la Confédération helvétique au début du XIXe siècle.

 

Petit retour en arrière

La paix de Westphalie en 1648 qui mit fin à la guerre de Trente Ans, allait définitivement séparer la Confédération helvétique du Saint Empire Romain Germanique, principalement de la domination des Habsbourg, qui depuis 1291 étaient les ennemis presque héréditaires de la Suisse primitive. En terme de droit international, cette paix scelle la souveraineté pleine et entière de la Suisse. En revanche, elle marque durablement l’alliance française qui, à juste titre, met en valeur les intérêts communs de la France et de la Confédération : d’une part, l’appui du roi garantit la souveraineté de la Suisse, d’autre part, la France s’assure une nombreuse population prête à s’engager dans les troupes mercenaires contre les Habsbourg.

La révocation de l’Edit de Nantes le 18 octobre 1685 ébranla sérieusement cette alliance entre les deux pays et jeta la Suisse dans des troubles religieux entre cantons catholiques et protestants. Il fallut attendre la paix de Baden, le 15 juin 1718, pour rétablir la paix confessionnelle.

Durant une grande partie du 18eme siècle, entre 1718 et le 25 août 1777, date du renouvellement solennel de l’alliance privilégiée entre le royaume de France et la Confédération helvétique, la Suisse semble se retirer sur elle-même . En effet, des conflits internes, sociaux et politiques, éclatent entre les villes et les campagnes, entre les intérêts particuliers des cantons vis à vis de la patrie commune. Dans le domaine social, la fermeture des « registres de bourgeoisies » empêcha l’ascension des individus dans les classes supérieures et aboutit à hiérarchiser la société,  à stopper  l’évolution sociale due à une bonne administration et à une prospérité évidente ; c’est ainsi que les classes dirigeantes prenaient le risque d’une explosion sociale qui n’attendait que son heure.

La Suisse apparaît donc vers le milieu du XVIIIe siècle, comme une union de 13 cantons (états) indépendants, liés entre eux par des pactes divers et particuliers, des alliances fédérales toutes différentes quant aux devoirs et aux droits. A ces 13 cantons, il faut ajouter des pays alliés et des pays « sujets ».

La confédération des treize cantons
La confédération des treize cantons

De cet ensemble d’états fédérés, 5 types de gouvernements émergent :

  • états dits démocratiques gouvernés par une « Landsgemeinde » (assemblée populaire) par ex. Uri, Schwytz
  • états fédératifs, tels les communes du Valais et les ligues grisonnes
  • états oligarchiques, le pouvoir  reposant sur des corporations (Zürich, Bâle, Schaffouse ).
  • états de type aristocratique (Berne, Fribourg)
  • états monarchiques (Neuchâtel, abbaye de Saint Gall)

Mais, de fait, dans tous ces cantons, le pouvoir appartient à une classe de privilégiés, c’est à dire à bien peu d’individus et sa transmission est le plus souvent héréditaire. C’est ainsi qu’à la fin du XVIIIe siècle, la société est divisée en 6 classes sociales :

Les nobles, dépourvus d’influence et peu nombreux, les aristocrates qui gouvernent, les bourgeois aisés, les natifs, les habitants et les sujets.

La Suisse apparaît donc comme une confédération d’états très différents les uns des autres : cantons et alliés, seigneuries et sujets, villes et campagnes, protestants et catholiques, langues allemande, française, italienne et romanche.

Durant tout le XVIIIe siècle des troubles éclatent dans toutes les parties de la Confédération :

  • dans le Pays de Vaud, en révolte contre la domination de Berne, le major Davel est décapité.
  • Dans le Jura, le soulèvement de Pierre Péquignat contre le prince évêque de Bâle.
  • A Berne, contre les patriciens, la tentative de conspiration du capitaine Henzi.
  • A Fribourg, la triste équipée de Nicolas Chenaux et de 2.000 paysans contre le régime aristocratique de la ville.
  • A Genève, dès 1707, la  bourgeoisie sous l’impulsion de Pierre Fatio, cherche à renverser les aristocrates qui sont sauvés par l’intervention de Berne et de Zürich : Pierre Fatio est condamné à mort et arquebusé. La lutte de la bourgeoisie et des natifs perdura tout le long du siècle pour trouver son paroxysme en 1782, date à laquelle le gouvernement genevois renversé, fit appel cette fois à la France, au royaume de Piémont-Sardaigne, ainsi qu’à Berne, qui l’aidèrent à reprendre le pouvoir et à l’appliquer dans toute sa rigueur.

Pour résumer ce petit retour en arrière, les gouvernements en place durant le XVIIIe siècle, se  refusèrent souvent à prendre les bonnes décisions qu’il eût fallu au vu des immenses espérances que les peuples des différents états de l’ancienne Confédération  attendaient. C’est pourquoi la révolution française allait trouver en Suisse, patrie de Rousseau, un terrain propice à sa diffusion.

 La Révolution

Dans son journalier, en date du 14 juillet 1789, Louis XVI note « rien » : il en va de même en Suisse. Les 2 premières années de la révolution française n’eurent que peu d’incidence dans la Confédération, du fait de l’éclatement du pays en une multitude d’états, ce qui ne favorisait pas l’émergence d’un chef capable de rallier tous les mécontents.

Soldat suisse
Soldat suisse

Le plus souvent, c’est par l’intermédiaire des soldats mercenaires au service du roi de France que les suisses apprenaient les événements révolutionnaires. Le renouvellement de l’alliance française en 1777 unissait la plupart des cantons suisses à la personne du roi, d’autant plus qu’une grande partie des aristocrates suisses servaient comme officiers dans l’armée royale. L’exemple frappant de la loyauté des mercenaires suisses envers le roi est illustré par le sentiment de déshonneur qui envahit l’ensemble des régiments suisses au service du roi, lorsque sous l’influence d’esprits révoltés, le régiment Lullin de Châteauvieux se mutina à Nancy le 31 août 1790 ; plusieurs officiers furent condamnés, soit à mort, soit aux galères. Les révolutionnaires français et suisses, bien au contraire, considérèrent les soldats mutins comme des héros. Cet incident sera le premier d’une longue série qui marquera durablement la méfiance que les révolutionnaires français auront vis à vis de la Confédération et de ses mercenaires.

Les  massacres  des Suisses aux Tuileries (env. 800 morts) le 10 août et de septembre 1792, en sera la triste manifestation. La nouvelle de ces carnages se propagea très rapidement en Suisse, où elle jeta la consternation dans le peuple et dans les familles patriciennes qui avaient pratiquement toutes un parent parmi les victimes (les Bachmann, Maillardoz, Diesbach, Ernst, Reding, De Salis, etc.). Une diète se réunit à Aarau pour décider de la réponse  à apporter à de si terribles événements : Berne, Fribourg et Soleure étaient, avec l’Autriche, du parti de la guerre contre la France révolutionnaire, mais encore une fois, la désunion régnait et le clan des « sans avis » remporta la majorité des suffrages en se persuadant que, en étant neutre, la Suisse allait pouvoir se sauver et se préserver de l’orage à venir.

Pour la Confédération, l’heure était grave. L’immobilité du régime aristocratique suisse et la pression exercée par les révolutionnaires girondins (1) pour assurer leur pouvoir au sein de l’assemblée furent les principales causes de la ruine de la vieille Confédération et marquèrent le début d’une série de révoltes dans tout le pays.

 

La République helvétique

L’élan révolutionnaire français trouva en Suisse un terrain favorable à sa diffusion  car une grande partie de l’ancienne confédération était formée de pays « sujets » qui avaient de plus en plus de peine à supporter le joug de leurs suzerains . Tel était le cas du Pays de Vaud, du Bas-Valaisou du Jura bernois qui dépendait de l’évêché de Bâle où une révolte se produisit en 1792 : l’évêque ayant demandé l’intervention de l’Autriche pour la mâter, la France révolutionnaire aida les révoltés à proclamer la République rauracienne, qui devint l’année suivante le département du Mont Terrible. De même, la Valteline qui appartenait aux Ligues grisonnes fut incorporée à la République cisalpine par Bonaparte en 1797. Dans le Pays de Vaud, sujet de ces « messieurs » de Berne, le désir d’indépendance se concrétisa grâce au patriote Frédéric César de la Harpe qui, réfugié à Paris, incitait le Directoire* à agir. Le général Ménard concentra ses troupes sur la frontière et n’eût plus qu’à attendre que le fruit soit mûre : le 23 janvier 1798 la révolution éclata à Lausanne et le 24, le « comité de réunion » proclama l’indépendance de la République lémanique. A Genève la révolution commença en 1792 avec la chute du régime aristocratique, mais tout y fut confus et il fallut attendre la ruine de la maison royale de Savoie pour que, n’ayant plus de secours à attendre de personne, Genève soit annexée à la République française le 15 avril 1798 et qu’elle devint le chef lieu du département du Léman.

Du Pays de Vaud, la révolution s’étendit à l’ensemble des pays « sujets » de la Confédération : le Bas-Valais, l’Argovie, la Thurgovie, le Tessin, etc. qui tous proclamèrent leur indépendance .

La République Helvétique en 1801
La République Helvétique en 1801

Berne fut attaquée par 2 armées françaises : une au nord, commandée par le général Schauenbourg et la seconde, au sud sous les ordres du général Brune. Le 5 mars 1798, la chute de Berne paralysa toute tentative de résistance et l’ancienne Confédération des 13 cantons s’écroula.

Le 12 avril 1798, le bâlois Pierre Ochs proclama, du haut du balcon de l’hôtel de ville de Aarau, la naissance de la République helvétique, une et indivisible, formée de 19 cantons qui ne sont plus que de simples divisions administratives dirigées par un préfet. Un Directoire de 5 membres commandera à l’exécutif, le législatif étant dévolu à un Sénat et à un Grand Conseil.

Incontestablement, le nouveau régime accomplit en peu d’années (1798-1803), des prodiges dans tous les domaines : égalité des citoyens, liberté de la presse, liberté de conscience, égalité des langues, unification des poids et mesures, réforme du droit civil et pénal, suppression de la torture, développement de l’instruction publique, liberté du commerce, etc.

Malheureusement, cette politique hardie, souvent copiée sur celle de la République française, ne convenait nullement à l’esprit et à l’histoire des suisses, trop dissemblables du fait de la religion, de la langue et des us et coutumes. De plus, l’attitude des autorités militaires françaises, qui étaient venues en Suisse en libérateurs, les fit apparaître bien vite à la population locale comme de vulgaires profiteurs : entretien de l’armée, fournitures de matériels de tout genre, extorsion de fonds, etc. Le commissaire français Rapinat fut vite détesté.

Cette situation extrêmement tendue fut aggravée par l’état de guerre dont la Suisse allait être le théâtre. En effet, le 19 août 1798, sous couvert du traité d’alliance entre la République française et la République helvétique, le gouvernement suisse se vit dicter par le Directoire de Paris sa politique étrangère, ainsi que son droit de déclarer la guerre ou de faire la paix. Cet état de fait poussa les alliés, lors de la deuxième coalition formée contre la République française, à occuper la partie orientale du territoire suisse afin de couper les communications entre les armées françaises d’Italie et d’Allemagne ; la guerre allait inévitablement se passer sur le sol helvétique, précisément près de Zürich ; la première bataille fut gagnée par l’archiduc Charles d’Autriche, mais à la seconde, le 26 septembre 1799, le général Masséna écrasa les troupes russes du général Korsakof. Tout l’est de la Suisse retomba sous le joug de l’armée française. Deux mois plus tard, le général Bonaparte prenait le pouvoir à Paris.

 

La Médiation

A la suite de ces événements, le pays est totalement ravagé. De plus la guerre civile fait rage entre partisans fédéralistes, favorables à un retour au régime de l’ancienne confédération  et partisans unitaires fidèles à la république. Les premiers se recrutaient principalement dans la Suisse primitive allemande, les seconds dans les anciens pays sujets. L’armée française réprima sévèrement ces soulèvements réactionnaires, ce qui envenima encore plus le sentiment anti-français. Après moult révoltes et répressions, Bonaparte, premier consul de la République française, se persuada que les Suisses tenaient plus, tout comme les Français lors du coup d’état du 18 brumaire, à leur égalité qu’à un sentiment de liberté, toute illusoire. Bonaparte, qui est très au fait de la situation en Suisse, de ses coutumes et de ses différentes mentalités, est convaincu que les Suisses ne souhaitent que retrouver leur tranquillité.

Bonaparte, Premier consul
Bonaparte, Premier consul

D’autre part, seul ce retour à la sérénité peut lui assurer et lui garantir, avec la Suisse  dans l’orbite française, une base stratégique en face de l’Autriche, de l’Allemagne du Sud et de l’Italie.

«  j’ai besoin, par dessus tout, d’une frontière qui couvre la Franche Comté ; un gouvernement stable et solide, ami de la France »

Cette évidence le conforta dans son idée de redonner à la Suisse une constitution de type fédéraliste qui était mieux à même de répondre à l’attente de la majorité de la population helvétique et plus fidèle à son histoire. Pour ne prendre aucun risque, il laissa pourrir la situation et en effet, du mois d’avril 1801 à la fin de l’année 1802, la Suisse ne fut que chaos et désespoir.

Le Premier consul Bonaparte
Le Premier consul Bonaparte

« Habitants de l’Helvétie, vous offrez depuis deux ans un spectacle affligeant. Des factions opposées se sont successivement emparées du pouvoir ; elles ont signalé leur empire passager par un système de partialité qui accusait leur faiblesse et leur inhabileté.

Dans le courant de l’an X, votre gouvernement a désiré que l’on retirât le petit nombre de troupes françaises qui étaient en Helvétie. Le gouvernement français a saisi volontiers cette occasion d’honorer votre indépendance. Mais, bientôt après, vos différents partis se sont agités avec une nouvelle fureur ; le sang suisse a coulé par des mains suisses.

Vous vous êtes disputés, trois ans, sans vous entendre. Si l’on vous abandonne plus longtemps à vous-mêmes, vous vous tuerez, trois ans, sans vous entendre davantage. Votre histoire prouve d’ailleurs que vos guerres intestines n’ont jamais pu se terminer que par l’intervention efficace de la France.

Il est vrai que j’avais pris le parti de ne me mêler en rien de vos affaires. J’avais vu constamment vos différents gouvernements me demander des conseils et ne pas les suivre, et quelquefois abuser de mon nom, selon leurs intérêts et leurs passions.

Mais je ne puis ni ne dois rester insensible au malheur auquel vous êtes en proie ; je reviens sur ma résolution ; je serai le médiateur de vos différents ; mais ma médiation sera efficace, telle qu’il convient aux grands peuples au nom desquels je parle.

Tous les citoyens qui, depuis trois ans, ont été landammans, sénateurs, et ont successivement occupés des places dans l’autorité centrale, pourront se rendre à Paris, pour faire connaître les moyens de ramener l’union et la tranquillité et de concilier tous les partis.

Habitants de l’Helvétie, revivez l’espérance ! ! !

Votre patrie est sur le bord du précipice ; elle en sera immédiatement tirée ; tous les hommes de bien seconderont ce généreux projet.

Mais si, ce que je ne puis penser, il était parmi vous un grand nombres d’individus qui eussent assez peu de vertu pour ne pas sacrifier leurs passions et leurs préjugés à l’amour de la patrie, peuples de l’Helvétie, vous seriez bien dégénérés de vos pères ! ! !

Il n’est aucun homme sensé qui ne voie que la médiation dont je me charge est pour l’Helvétie un bienfait de cette Providence qui, au milieu de tant de bouleversements et de chocs, a toujours veillé à l’existence et à l’indépendance de votre nation, et que cette médiation est le seul moyen qui vous reste pour sauver l’une et l’autre.

Car il est temps enfin que vous songiez que, si le patriotisme et l’union de vos ancêtres fondèrent la République, le mauvais esprit de vos factions, s’il continue, la perdra infailliblement ; et il serait pénible de penser qu’à une époque où plusieurs nouvelles républiques se sont élevées, le destin eût marqué la fin d’une des plus anciennes. »

Bonaparte à St. Cloud, le 30 sept. 1802

Le 10 décembre 1802, Bonaparte convoqua à Paris des délégués de tous les cantons et de tous les partis. Il posa d’emblée les bases de la constitution qu’il désirait voir adopter :

Citoyens Députés des dix-huit cantons de la République helvétiques, la situation de votre patrie est critique. La modération, la prudence et le sacrifice de vos passions sont nécessaires pour la sauver. J’ai pris, à la face de l’Europe, l’engagement de rendre ma médiation efficace. Je remplirai tous les devoirs que cette auguste fonction m’impose ; mais ce qui est difficile sans votre concours devient simple avec votre assistance et votre influence.

La Suisse ne ressemble à aucun autre Etat, soit par les événements qui s’y sont succédé depuis plusieurs siècles, soit par sa situation géographique et topographique, soit par les différentes langues, les différentes religions, et cette extrême différence de mœurs qui existe entre ses diverses parties.

La nature a fait votre Etat fédératif ; vouloir la vaincre ne peut pas être d’un homme sage.

Les circonstances, l’esprit des siècles passés avaient établi chez vous des peuples souverains et des peuples sujets. De nouvelles circonstances, et l’esprit différent d’un nouveau siècle, d’accord avec la justice et la raison, ont rétabli l’égalité des droits entre toutes les portions de votre territoire.

Ce qui est en même temps le désir, l’intérêt de votre nation et des vastes Etats qui vous environnent, est donc :

1° L’égalité des droits entre vos dix-huit cantons ;

2° Une renonciation sincère et volontaire aux privilèges de la part des familles patriciennes ;

3° Une organisation fédérative, où chaque canton se trouve organisé suivant sa langue, sa religion, ses mœurs, son intérêt et son opinion.

Je méditerai tous les projets, toutes les observations que, collectivement ou individuellement, ou par députation de canton, vous voudrez me faire passer.

Bonaparte, à St. Cloud le 10 déc. 1802

Une commission de quatre sénateurs est mise en place pour encadrer cette « consulta helvetica » à laquelle participent 60 délégués helvétiques. Les 4 sénateurs sont :

  • François Barthélémy (1747-1830 )
  • Jean Nicolas Démeunier (1751-1814
  • Pierre Louis Roederer (1754-1835)
  • Joseph Fouché (1759-1820)

Durant tout le mois de janvier 1803, la commission sénatoriale délibère avec les envoyés suisses qui lui soumettent les différentes propositions de constitution, tant fédérales qu’unitaires.

Le 24 janvier 1803, le projet de constitutions cantonales est achevé . Bonaparte convoque alors cinq délégués de chaque camp, ainsi que les quatre sénateurs. Sa connaissance des institutions et des traditions suisses fait l’admiration de ceux-ci :

La réception du premier consul a été pleine de bienveillance, la profondeur et l’abondance avec laquelle il nous a parlé des intérêts de l’Helvétie nous a montré combien il les avait étudiés.

Citoyen Rüttiman, député.

Le 19 février, Bonaparte promulgua l’Acte de médiation qui permit à la Suisse de retrouver, sinon sa pleine et entière indépendance, du moins sa tranquillité et garantit à la France un Etat sûr, un glacis protégeant efficacement sa frontière de l’est.

Le 21 février 1803, Bonaparte reçut, aux Tuileries, l’ensemble des députés de la « consulta helvetica ». Son dernier mot pour clore cette affaire, sera adressé au député bâlois Pierre Ochs, celui-là même qui avait, en 1798, proclamé la République helvétique :

Monsieur Ochs, lui dit-il, la révolution est finie.

Par l’Acte de médiation, la Suisse redevient une Confédération de 19 cantons souverains ( Appenzell, Argovie, Bâle, Berne, Fribourg, Glaris, Grisons, Lucerne, Saint-Gall, Schaffouse, Schwytz, Soleure, Tessin, Thurgovie, Unterwald, Uri, Vaud, Zoug et Zürich ) dont le lien central sera une Diète fédérale où siégeront des députés de chaque canton. Chaque année, pendant un mois, cette assemblée devra se réunir, alternativement dans les 6 plus grandes villes du pays, à savoir : Fribourg, Berne, Soleure, Bâle, Zürich et Lucerne. Le canton accueillant devenait le canton directeur et son premier magistrat portait le nom de « Landamman ». Il n’y a plus en Suisse ni pays sujets, ni privilèges de lieux, de naissance, de personnes ou de familles. La libre circulation des personnes, des denrées, des bestiaux et des marchandises est garantie. Aucun droit d’octroi, d’entrée ou de douane ne peut être établi dans l’intérieur de la Suisse.

De treize cantons, la Confédération s’agrandit de 6 nouveaux Etats, essentiellement formés des anciens pays sujets ou alliés, à savoir : Argovie, Thurgovie, Tessin, Vaud, Saint-Gall et Grisons .

Bonaparte choisit comme premier landamman Louis d’Affry (1743-1810). Issu d’une vieille famille patricienne fribourgeoise ayant fourni durant plusieurs générations des officiers au service du roi de France, il était l’envoyé du canton de Fribourg à la « consulta ».

Louis d'Affry
Louis d’Affry

Au citoyen Talleyrand, ministre des relations extérieures :

Je désire, Citoyen Ministre, que vous expédiez un courrier extraordinaire au général Ney, pour lui faire connaître que l’acte de médiation a été prononcé ; qu’il est convenable que M. d’Affry soit bien reçu et bien traité à Berne ; qu’il doit lui donner une garde d’honneur française et suisse, comme au premier magistrat du pays ; qu’on doit lui marquer les plus grands égards, devant honorer en lui une nation amie qu’il est de notre intérêt de concilier et de nous attacher.

Bonaparte à Paris, le 22 février 1803

 

La Suisse pendant la médiation

Les événements qui se passèrent en Suisse pendant la périodes de la Médiation (1803-1813) vont de pair avec la politique européenne : maître d’une grande partie du continent, Napoléon commandait à tout . La conscription et le blocus continental mirent à mal l’économie du pays : l’importation du coton et de la soie fut pratiquement impossible, sauf à passer par le marché noir en provenance de Russie. A l’inverse, cette situation encouragea le développement de nouvelles techniques dans les domaines de l’agriculture et du tissage. Pays satellite du « Grand Empire », la Suisse ne dût sa survie et sa tranquilité qu’au respect scrupuleux de ses alliances avec l’Empereur.

L’obligation de fournir annuellement quatre régiments de soldats (soit 16.000 hommes) rencontra de fortes résistances. A partir de 1811, ce chiffre fut ramené à 12.000 hommes. Partant de rien et dans l’urgence, il fallut mettre en place de nouvelles institutions et promulguer des lois ; lorsque vers 1813, l’empire commença à craquer, l’ouvrage était suffisamment solide pour survivre à une nouvelle crise.

Car l’Acte de médiation avait posé les bases d’un nouveau fédéralisme qui affirmait l’égalité entre les cantons au sein de la Confédération, et qui garantissait la liberté de conscience. Ces 10 années de Médiation permirent à la Suisse de prendre conscience d’elle-même, de la nécessité absolue qu’elle avait à rester unie dans sa diversité et de se secourir dans l’adversité.

Napoléon en 1814
Napoléon en 1814

Après le désastre de Russie, malgré des victoires encore éclatantes, l’Empire courait à sa perte . Suite à la bataille de Leipzig en 1813, les alliés (Russie, Autriche et Prusse) se trouvèrent aux portes de la Suisse . En dépit d’une proclamation de sa neutralité dans le conflit, les troupes autrichiennes entrèrent dans le pays par Bâle et Schaffouse pour se diriger sur Neuchâtel et Genève. L’armée autrichienne du général Bubna arriva sous les murs de la cité de Calvin qui, après la capitulation de la garnison française, décréta son indépendance. Dans le même temps, Neuchâtel, qui appartenait au général Berthier, réclama le retour de la suzeraineté du roi de Prusse sur son territoire. Le Valais, qui jusqu’alors était le département du Simplon, s’affranchissait aussi.

Berne tenta en vain de retrouver ses anciennes possessions, à savoir l’Argovie et le pays de Vaud ; mais à la demande pressante du général Jomini et de César de la Harpe, Alexandre Ier de Russie intervint et consacra le statut quo politique des nouveaux cantons établis par l’Acte de Médiation. La Diète, réunie à Zürich, adopta une nouvelle constitution qui allait permettre de sceller en 1815 un « nouveau pacte fédéral ».

 

La Restauration

La nouvelle du débarquement de Napoléon à Golfe Juan le 1er mars 1815 fut connue à Vienne le 9 mars et à Zürich le 10. Elle jeta la consternation dans le camp des coalisés. A nouveau, la Suisse fut divisée : le sentiment des Vaudois et des Argoviens penchait plutôt du côté de Napoléon, alors que Genève et Bâle se voulaient neutralistes. Au contraire les anciens cantons aristocratiques emmenés par Berne, se rangeaient résolument dans le camp des alliés afin d’abattre «  l’usurpateur ». Il était clair qu’une partie des cantons avait choisi , contre l’Empereur, le retour à l’ancienne monarchie ; de fait, pour les Alliés, Louis XVIII c’était la paix, Napoléon la guerre. La pression se fit extrême sur les cantons de Vaud et d’Argovie afin qu’ils se rallient à la thèse des alliés ; le tsar alla même jusqu’à les menacer de terribles sanctions. Le 20 mai, la Diète signa une alliance avec les coalisés, mais le 18 juin 1815, Napoléon était définitivement battu à Waterloo. Le 8 juillet, un armistice fut signé entre Louis XVIII et les Alliés. Le 12 août, Pictet de Rochemont fut envoyé à Vienne pour représenter les intérêts suisses au congrès de la dite ville.

Pictet de Rochemont
Pictet de Rochemont

Son grand mérite fut d’obtenir des puissances du continent, France comprise, la reconnaissance de la neutralité perpétuelle de la Confédération helvétique. Le 16 mars 1816 pris fin la conférence internationale, qui, entre autres sujets, fixa définitivement les frontières de la Suisse, qui se retrouvait voisine de 6 pays : la France, le Piémont-Sardaigne, l’Autriche, la Bavière, le Wurtemberg et le grand duché de Bade. A l’intérieur, 22 cantons égaux en droits formaient la nouvelle Confédération, dont l’autorité supérieure était dévolue à une Diète fédérale, dans laquelle chaque canton avait une voix. Berne, Zürich et Lucerne devenaient à tour de rôle le siège du gouvernement.

 

 En forme de conclusion

Pour conclure, la période de la Médiation  permit à la Suisse, en dehors des vicissitudes de la guerre à ses frontières et d’un certain marasme économique dû au blocus continental, de prendre conscience de son unité nationale et de faire l’apprentissage de son caractère multiconfessionnel et de son plurilinguisme. Tous ces  éléments, essentiels dans la vie du pays, formèrent la base sur laquelle, en 1848, fut construite la Suisse moderne.

En cela, le rôle de Napoléon Bonaparte ne peut être relégué aux oubliettes de l’Histoire. Par son intervention directe dans les affaires de plusieurs Etats européens, tel la Suisse, l’Empereur a forcé à des réformes en profondeur qui resteront, bien après sa chute, gravées dans leurs législations.

Repères Bibliographiques

  1. Louis d’Affry, G. Andrey & A.J. Czouz-Tornare, Slatkine Ed., 2004
  2. Histoire illustrée de la Suisse, W. Rosier, Payot Lausanne Ed., 1923
  3. La Suisse et la Révolution Française, E. Chapuisat, Editions du Mt Blanc
  4. Histoire de la Suisse, W. Partin, Payot Ed., 1980
  5. Bonaparte et la Suisse, V. Monnier, Slatkine Ed., 2002
  6. Correspondance  de Napoléon 1er, Tomes 3&4, Bibl. des Introuvables, 2002

Voir aussi sur ce site : L’œil du cyclone révolutionnaire au tournant du XVIII siècle : La République Helvétique

Note

(1) Girondins : en 1791, les girondins formaient un groupe politique qui occupait la droite de l’assemblée législative : parmi les plus connus il y a Brissot, Vergniaud, Guadet, Gensonné, etc. En 1792, ils parvinrent au pouvoir en plaçant Mr. Roland au ministère de l’intérieur. En 1793 les montagnards les rendirent responsables des défaites militaires, au mois de mai, ils furent mis hors la loi et 21 d’entre eux furent guillotinés le 31 octobre 1793.