Napoléon a-t-il tué la Révolution?
Cet article est une traduction d’une contribution de Tom Holmberg, publiée sur le site des NapoleonicSeries. Qu’il reçoive ici l’expression de mes remerciements.
Nous avons fini le roman de la Révolution, nous devons maintenant commencer son histoire, cherchant seulement ce qui est vrai et faisable dans l’application de ses principes, et pas ce qui est spéculatif et hypothétique. »
Après le coup d’état de de Brumaire (9-10 novembre 1799), qui le place sur le chemin de l’empire, Napoléon déclare, « la Révolution s’est faite selon les principes qui l’on commencée; elle est finie.« Cette phrase célèbre, prononcée juste après la conquête du pouvoir, montre clairement ce que Napoléon veut dire à propos du nouveau régime, envers ceux qui l’ont précédé. Comme l’homme lui-même, cette phrase et celle qui figure en exergue, sont toutes deux fortement complexes et ambiguës. Elles indiquent que le nouveau régime est tout à la fois coupure avec le passé immédiat et continuité avec ce passé. Quel fut le rapport de Napoléon avec la révolution ? Dans quelle mesure fût-il son héritier ou son traître ? A-t-il sauvé la révolution ou l’a-t-il liquidée ?
Il est nécessaire, pour commencer, de définir ce que l’on entend par la Révolution. Il n’y a pas eu une Révolution, mais vraiment une succession de révolutions, les Français ayant lutté pour créer un nouveau système politique et social. Par la Révolution voulons-nous dire celle de Barnave, ou de Mirabeau, ou de Lafayette, ou de Brissot, ou de Danton, ou de Robespierre, ou de Hébert, ou de Tallien, de Babeuf, ou de Barras ? Tous furent des hommes de la Révolution, pourtant tous en avaient une conception différente. Nous allons considérer plusieurs des principes fondamentaux qui ont guidé la plupart de ces révolutionnaires. En général, ces principes incluent l’égalité de traitement au regard de la loi, plus ou moins de centralisation, l’élimination des privilèges, une certaine la tolérance religieuse et la primauté donnée au talent et non pas à la naissance.
Georges Lefebvre a écrit que l’empereur était
« … un enfant des philosophes, il détestait la féodalité, l’inégalité civile, et l’intolérance religieuse. Voyant dans le despotisme éclairé une réconciliation de l’autorité avec les réformes politiques et sociales, il en est finalement devenu son représentant le plus illustre. Dans ce sens il fut l’homme de la Révolution.«
R. Palmer a observé que Napoléon considérait le gouvernement jacobins de Robespierre et du Comité de sûreté publique comme le seul gouvernement sérieux de la période révolutionnaire. Pendant le « règne de la terreur » Napoléon fut fortement identifié avec les Jacobins. Édité en 1793, le Souper de Beaucaire, soutient les jacobins contre les Girondins fédéralistes. Ce que Napoléon admirait c’était le gouvernement fortement centralisé des jacobins, leur engagement pour traiter de façon décisive les problèmes qui se posaient à la république naissante, et leur tentative de forger une France stable et forte, tout en gagnant la guerre contre ses ennemis.
Napoléon sentait clairement, comme les jacobins, qu’un état fort et centralisé était essentiel pour consolider les avancées réalisées par la Révolution et, en même temps, il souhaitait provoquer la stabilité que beaucoup de Français espéraient après les bouleversements de la décennie passée. Dans ses yeux, cela signifiait le besoin d’une direction forte. De 1799 jusqu’à sa mort à St. Hélène, Napoléon parlait de lui comme de l’homme avait terminé la Révolution. Par ceci il voulait dire que les buts fondamentaux de la Révolution énumérés ci-dessus avaient été atteints et qu’il était temps de les consolider et de les institutionnaliser ces gains. La France, après dix ans de révolution, manquait toujours d’une base appropriée sur laquelle institutionnaliser les accomplissements révolutionnaires, jusqu’à ce que Napoléon leur fournisse leur cadre administratif.
Bonaparte était venu, comme il le disait, pour finir le roman de la Révolution.
Selon H.A.L. Fisher
pour guérir les blessures, pour corriger les extravagances, pour fixer les conquêtes. C’était son orgueil de n’avoir pas appartenu à la race des ‘idéologues’, d’avoir vu les faits avec …….( le verre plat), et qu’il était venu afin de substituer une période de travail à une période de bavardage… il voulait créer une méthode de gouvernement basé sur le consentement populaire, et conçu dans l’intérêt, non de n’importe quelle faction particulière, mais de la France dans son ensemble.
Comme Napoléon lui-même l’explique au Conseil de l’état en 1802:
je ne gouverne pas parce que je suis un général, mais parce que la Nation croit que j’ai les qualités civiles nécessaires pour gouverner. Si je n’avais pas cette opinion, le gouvernement ne pourrait tenir.
On accorde généralement à Napoléon d’avoir consolidé les gains de la Révolution (à part engendrer le Code Civil, Napoléon était peut-être plus fier de sa réputation d’être celui qui avait consolider la Révolution que de n’importe quel autres titre, fait observer Robert B. Holtman). En ce sens, il peut être crédité d’avoir sauvé la Révolution, en la finissant. Si les Bourbons étaient revenus au pouvoir en 1799 à la place de Napoléon, ils auraient eu, à ce moment-là, moins de mal à remettre les pendules à l’heure qu’ils n’en eurent en 1814. Comme François Furet l’a formulé : l
a France révolutionnaire était en effet sous le charme du nouveau souverain, qui était son fils et l’avait sauvé du danger d’une restauration… La France avait finalement trouvé la monarchie républicaine qu’elle cherchait depuis 1789.
Le Code Napoléon, une des oeuvres les plus durables de l’empereur, a mis en application de nombreux principes de la Révolution et les a rendus permanents.
Au prince Eugène, son vice roi en Italie, Napoléon écrivit je ne cherche rien moins qu’une révolution sociale. La féodalité avait été supprimée et les carrières étaient ouvertes à tout ceux ayant des capacités, indépendamment de la naissance (partout où j’ai trouvé le talent et le courage, je l’ai récompensé. Napoléon, 1816). Napoléon est devenu le personnification des objectifs révolutionnaires de la bourgeoisie. Il a réformé et modernisé les établissements français (l’historien Jacques Godechot a dit qu’avec Napoléon l’ère médiévale était finie et l’histoire moderne avait commencée). Il a apporté beaucoup pour l’ordre et la stabilité en France et a forgé un sens de l’unité. Il a essayé d’unir sous son aile les révolutionnaires et les émigrés – nobles, clergé et d’autres qui choisir ou furent forcés de s’exiler sous la Révolution
(je suis devenu l’arche d’alliance entre l’ancien et le nouveau, le médiateur normal entre les vieux et nouveaux ordres… j’appartenais aux deux. Napoléon, 1816).
Les ventes des biens pris aux nobles qui avaient émigré ou avaient été les ennemis avoués de l’État, de l’Église, ou de la couronne (les biens nationau ») – bénéfice important pour les classes moyennes et les paysans de la Révolution, furent reconnus non seulement dans le serment du couronnement de Napoléon, mais également par la signature du Concordat avec le pape.
Robert B. Holtman a observé,
cette tâche de consolidation a fait de Napoléon un conservateur en France, désireux de préserver les gains de la Révolution, mais un révolutionnaire dans les pays étrangers d’ancien régime.
On a dit que plusieurs des réformes de Napoléon étaient la suites logique des réformes commencées sous la Révolution (tout comme on a dit que plusieurs des réformes de la Révolution étaient la suite de celles commencés sous l’ancien régime). Il est important de garder à l’esprit que Napoléon a également apporté ces réformes aux pays de l’empire, où, là, elles étaient vraiment révolutionnaires. Owen Connelly a dit que
Napoléon… était un instigateur conscient de Révolution partout en Europe. En fait, je crois fermement que c’était la raison de sa perte. Il était, pour les puissances légitimes de l’Europe, un Jacobin couronné… [Ces puissances ] purent, à la fin, mobiliser contre lui ceux-là même qui se précipitaient pour tirer le plus des gouvernements que Napoléon avaient installés.«
Les principes dont Napoléon a hérité de la Révolution et consolidés en France, il les a exportés vers les pays qui sont tombés sous l’Empire français. Alors que les réformes de Napoléon en France n’étaient plus révolutionnaires, ces mêmes réformes, en dehors de la France, étaient profondément révolutionnaires (Goethe décrira Napoléon comme la Révolution couronnée.). Ce fut le but de beaucoup des chefs de la Révolution : révolutionner le reste de l’Europe. Napoléon l’a accompli.
Le principe de l’égalité avait été reconnu au moment de l’abolition des droits féodaux et des privilèges dans l’empire et dans la soumission de tous les membres de la société à un schéma commun de justice, le Code Napoléon. La Légion d’honneur fut également prévue pour stimuler l’égalité, tout autant comme reconnaissance du talent.
(…) l’établissement de la légion d’honneur, récompense pour les services militaire, civil, et juridique, unissait, côte à côte, le soldat, le savant, l’artiste, le prélat et le magistrat; c’était le symbole de la réunion de tous les domaines, de toutes les parties. (Le Mémorial de Sainte-Hélène, 1821)
L’Empereur, exécutant suprême, était considéré comme le représentant du vœu général . Un tel exécutif puissant avait été également une caractéristiques du rapport entre la Convention et le Comité de la sûreté publique, la législative et le Directoire. La Révolution, comme Napoléon, avait forgé un fort sillon d’autorité.
Ce fut le rôle de Napoléon dans l’Histoire, de fondre la vieille France avec la nouvelle observe H.A.L. Fisher. Napoléon a dit qu’il voulait cimenter la paix à la maison, au moyen de tout ce qui pouvait réunir les Français et fournir la tranquillité dans les familles. Comme Mirabeau, Napoléon n’a pas vu d’incompatibilité entre Révolution et Monarchie. Napoléon a fait ce que les Bourbons ne purent faire : réconcilier les éléments de la Monarchie avec des éléments de la Révolution – là ou Mirabeau échoua en 1790. Napoléon réussi largement à attirer dans son gouvernement des hommes de tout les bords – depuis les ex-Jacobins jusqu’aux ci-devant nobles. La signature du Concordat (15 juillet 1801) a permis à Napoléon de réconcilier les différences religieuses qui avaient déchiré la France pendant la Révolution (en même temps, le Concordat a assuré la liberté religieuse. Elle a reconnu le catholicisme comme religion de la majorité des Français, mais n’en a pas fait une religion « d’État » comme l’était l’église d’Angleterre en Grande-Bretagne. Protestants et juifs eurent la permission de pratiquer leur religion et de garder leurs droits civiques.) Une amnistie générale signée par Napoléon (26 avril 1802) autorisait à tous les émigrés, sauf un environ millier d’émigrés les plus notoires à revenir en France. Ces deux décisions aidèrent à apporter la tranquillité relative à ces régions de la France qui avaient longtemps été en guerre contre la Révolution. Albert Soboul a écrit que
stabilisant la société sur la base fondamentale de la Révolution, [ Napoléon ] intégrait les émigrés retournés dans une nouvelle hiérarchie sociale; et, tout en renforçant le principe de l’autorité, il a fondu ces émigrés dans un nouvel ordre qui, tout d’abord, avait été construit contre eux.
Et la liberté ? Des trois principes fondamentaux de la Révolution – liberté, égalité, et fraternité – ce fut la liberté qui a souffert plus sous Napoléon. L’historien Albert Vandal a observé
qu’ on peut reprocher à Bonaparte de n’avoir pas établi la liberté, il ne peut être accusé de l’avoir détruite, pour l’excellente raison que, à son retour d’Egypte, il ne l’a trouvée nulle part en France.
Les Français désiraient sauvegarder ce qu’ils avaient acquis pendant la Révolution, qu’il s’agisse des droits ou la propriété, ils voulaient que cela leur fut garanti. Beaucoup ont alors estimé que cette garantie pourrait venir seulement avec la restauration et la conservation de l’ordre. Ils étaient disposés à sacrifier leurs libertés pour cette garantie, pour cet ordre.
En l’absence de liberté politique, il assurerait aux Français leurs différents droits. Dans le Code Napoléon, il sanctifiait l’égalité, leur bien le plus cher. Il garderait la plupart des établissements révolutionnaires tout en parfois les amalgamant avec ceux du vieux régime, reconstitués mais adaptés. Son travail s’avérerait si solide, qu’il a rendu toute restauration totale du passé impossible. a écrit Albert Mathiez.
Napoléon fut surtout un pragmatique, prêt à adapter ce qui fonctionnait, que ce soit emprunté à la Révolution ou à l’Ancien Régime. Il s’est occupé des problèmes se posant à la France en termes pratiques, pas dans l’abstrait (suivre un cours différent aujourd’hui serait philosopher, pour ne pas régner. Napoléon, 1800). Les solutions auxquelles Napoléon arrivait, laissent peu de doute qu’il fut l’héritier et le continuateur de la Révolution. François Furet a écrit que
(…) il fut choisi par la Révolution, de laquelle il reçu ce pouvoir étrange d’incarner non seulement la nouvelle nation (une puissance que d’autres avant lui, notamment Mirabeau et Robespierre, avaient possédée, mais d’accomplir également son destin.«
Napoléon avait assurément senti qu’une révolution avait été nécessaire. Le but atteint, il estima qu’il était nécessaire de finir la Révolution et de commencer la tâche de gouverner. Il a exporté vers les pays sous hégémonie française plusieurs des acquis de la Révolution. Il a concrétisé ces accomplissements dans le Code Napoléon. Sans Révolution, Napoléon, en dépit de ses talents, n’aurait pas été plus qu’un obscur officier militaire de province . Il a unifié un pays déchiré par dix ans de différends politiques et religieux (tous les titres ont été oubliés; il n’y avait plus d’aristocrates ou de Jacobins... » Le Mémorial De Sainte-Hélène, 1821). Tandis que la liberté dépérissait, il a favorisé l’égalité et a ouvert toutes les carrières à ceux qui avaient du talent.
Amené au trône, écrit Chateaubriand, il a assis le peuple, là, près de lui. Roi prolétaire, il a humilié des rois et des nIobles dans son anti-chambre. Il a nivelé les rangs, non par l’abaissement mais en les élevant. I
Il a assuré la tolérance religieuse. Il a consolidé et a préservé les gains de la Révolution. Alexis de Tocqueville a écrit que Napoléon est tombé, mais ce qui était vraiment substantiel dans son travail a duré; son gouvernement est mort, mais son administration a continuée de vivre…
Le prince de Condé a ainsi résumé Napoléon :
un tiers philosophe, un tiers Jacobin, et un tiers aristocrate.