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Le drapeau de Bernadotte

L’éclat de Jean-Baptiste Jules Bernadotte, ambassadeur de France à Vienne en 1798


Le maréchal Jean-Baptiste Bernadotte
Le maréchal Jean-Baptiste Bernadotte

Le général Bernadotte, sur proposition de Bonaparte, avait été nommé par le Directoire ambassadeur de France à Vienne, en janvier 1798. Il prend son poste le 8 février de la même année et  installe son ambassade au palais Caprara-Geymuller, dans la Wallnerstrasse.

Palais Caprara-Geymüller à Vienne
Palais Caprara-Geymüller à Vienne

Le 13 avril, il fait arborer le drapeau tricolore au balcon de sa résidence.

L’intention de Bernadotte, à l’origine, était de placer sur l’entrée de l’ambassade l’emblème de la République, suivant en cela l’exemple  des autres ambassades françaises, notamment à Turin. Il avait commandé à un artiste de Vienne une peinture ayant pour sujet la République. Peu satisfait du projet qui lui avait été présenté, il avait demandé au Directoire de s’adresser à un artiste français. Mais les choses traînaient en longueur et il avait finalement décidé, de son propre chef, de commander au tailleur Kaiser un drapeau tricolore, portant la mention République française, ambassade de France. C’est ce drapeau, livré en fin d’après-midi, que Bernadotte fait hisser, vraisemblablement aux alentours de 18 heures.

La foule s’attroupe, car l’évènement est inhabituel. Ordinairement, à Vienne, les drapeaux ne surgissent qu’en cas d’incendie. De plus, la hampe est particulièrement longue et peinte aux trois couleurs. Certains y voient là la représentation d’un arbre de la Liberté. Bientôt, cette foule, devenue de minute en minute plus importante (le chef de la police Ley l’évalue à 300 personnes), réclame que le drapeau soit enlevé, et s’en prend aux gardes stationnés devant l’ambassade, pendant que des injures sont échangées avec le personnel massé au balcon. Une pierre est lancée contre une des fenêtres de l’ambassade, vraisemblablement depuis la maison d’en face, que jouxte un cabaret – du nom de Wo der Wolf den Gänssen prediget – où certains des manifestants ont sans doute passer une après-midi joyeuse. 

Bientôt, Bernadotte lui-même, se présente, en uniforme « bleu, brodé d’or, avec un ceinturon doré, un sabre, et un chapeau bordé d’or surmonté d’un panache tricolore ». Il harangue la foule.

« Je fis quelques pas au milieu de ceux qui composaient l’attroupement; je les invitai à se retirer, en leur déclarant avec une énergie républicaine que toute insulte risquée par eux contre le représentant du gouvernement français était un outrage contre la nation généreuse dont les intérêts lui sont confiés, et les exposait au châtiment le plus sévère » (Lettre à Talleyrand)

Je viens d’apprendre les nouvelles du 13 et 14 avril de Vienne : j’ignore tous les détails; il est arrivé vingt lettres qui toutes se contredisent sur les principaux faits. C’est avec une impatience démesurée que j’attends des éclaircissements, et surtout de votre part, ma bonne amie; je ne serai pas tranquille jusqu’à ce que je sache ce que vous faites, si vous n’avez pas été bien effrayée, la scène de l’événement s’étant passée si près de vous. Et moi qui n’était pas avec vous !  (..) Je bénis le ciel de n’avoir pas loué la maison à l’ambassadeur; il n’y a rien de stable avec ces gens-là. Je suspends tout jugement sur l’affaire même, jusqu’à ce que j’en sois plus instruit; mais elle ne peut être que fâcheuse de manière ou d’autre. Si les Français sont les fauteurs et les instigateurs, je ne prévois que la guerre; sinon la chose pourra s’arranger. Quel siècle et quel avenir ! (Metternich à sa femme – Francfort, 22 avril 1798.)

J’ai vu quelqu’un qui est arrivé de Rastadt; la nouvelle des scènes de l’ambassadeur y a fait une sensation terrible. Je trouve que la conduite de la Cour a tenue est parfaite, et des enragés seuls pourraient lui en vouloir; la conduite de Bernadotte est horrible, et il est généralement blâmé par tous les Français, dont il y a une quantité dans ces environs. On attend avec impatience l’arrivée de nouvelles de Paris, pour savoir quelle sera la résolution du Directoire; je ne crois pas qu’elle puisse nous être défavorable. (idem – 24 avril 1798).

Notre ambassadeur est en fait particulièrement remonté, il menace même de mettre en pièces quelques-uns des manifestants.  La police survient, on parlemente, on discute, on monte dans le bureau de l’ambassadeur: Bernadotte refuse d’amener le drapeau tricolore, qu’il entend bien défendre.

En bas, des piquets de cavalerie et d’infanterie ont pris place dans la rue, pour maintenir les manifestants, qui lancent des pierres sur les fenêtres. Les autorités de la ville  mobilisent la garnison, les portes sont fermées, les autorités civiles sommées de ramener l’ordre.

Bernadotte s’est réfugié à la nonciature, non loin de là (Am Hof). Il envoie une lettre de protestation au Ministre des affaires extérieures, et exige que les abords de l’ambassade soient dégagés. 

Entre-temps, les choses se sont gâtées: le drapeau français a été arraché, déchiré, en partie brûlé, sur le Freyung. La foule enfonce les portes du palais, brise les fenêtres, traîne des carrosses dans la rue, les endommage avant qu’ils ne soient emportés par la police. Le saccage n’est interrompu que par l’arrivée de l’armée autrichienne, de la cavalerie appelée des faubourgs, qui disperse les manifestants, dispose des barrages et…s’installe dans l’escalier pour garder la chambre de Bernadotte ! Des coups de feu seront même échangés, sans dommages.

Vers deux heures du matin le calme est rétabli. Entre-temps, Bernadotte aura écrit trois fois à Thugut. Son collègue, le baron von Degelmann, ambassadeur désigné d’Autriche à Paris, et qui n’a pas encore rejoint son poste, va passer une partie de la nuit à faire des aller et retour avec la Chancellerie, porteur de messages de mécontentement de Bernadotte.

Bernadotte ne décolère pas: il demande ses passeports à la Hofburg, ce qui lui est accordé après une tentative  de la Cour pour tenter de le calmer. Au lieu de quitter Vienne de bon matin, comme lui conseillent les autorités autrichiennes, il part le 15 avril, un dimanche, vers midi, dans cinq calèches, les honneurs protocolaires dus à un représentant diplomatique lui étant rendus, tandis qu’une escorte militaire assure sa sécurité sur le territoire autrichien. L’ambassadeur de France quitte l’Autriche, après un séjour de soixante-six jours. De Wels, il envoie une note au Directoire, datée du 16 avril, annonçant la fin de son ambassade. Il rejoint Rastadt, en passant par Munich et Stuttgart.

De nos jours, le palais Caprara-Geymuller existe toujours, et, non loin de là, la Fahnengasse (la rue du drapeau) rappelle cet évènement peu commun de la vie diplomatique.

Sources.

  • L’ambassade de France à Vienne – André Lewin – Vienne 1995
  • Bernadotte, maréchal de France – T.T. Höjer. Plaon, Paris, 1943.
  • Mémoires de Metternich.
Le drapeau de Bernadotte
Le drapeau de Bernadotte

Le drapeau tricolore est hissé, par l’ambassadeur français Bernadotte, dans la Wallnerstrasse le 13 avril 1798.
Gravure en taille-douce de Johann Balzer (1738-1799)
Description de l’émeute provoquée par l’ambassadeur Bernadotte hissant le drapeau tricolore à Vienne le 13 avril 1798 (Musée historique de Vienne – in Catalogue de l’exposition Kaiserturm Österreich – 1804-1848 – Schallaburg – 1996)