Journal de Louis Morin en Espagne (1812-1814)

Le 5e régiment de dragons, régiment délite. KnötelLe 5e régiment de dragons, régiment délite. Knötel

L ‘AUTEUR

Portrait de Louis Morin par Jean-Baptiste Couvelet.
Portrait de Louis Morin par Jean-Baptiste Couvelet.

Jean-Baptiste-Louis Morin est né le 9 mai 1776 à Charleville, Ardennes. Homme cultivé2, il sert comme sergent dans un bataillon de volontaires des Ardennes. Il passe chef de bureau à l’état major de l’armée du Nord puis à l’armée de l’Intérieur le 8 août 1793. Il est sous lieutenant aux grenadiers de la 2e demi brigade de ligne le 16 mars 1796. cinq jours plus tard, il devient aide de camp du général Dupont Chaumont. Lieutenant le 21 mars 1797, il est placé à la suite du 2e dragons le 31 mai 1797. Mis en non activité le 19 septembre 1797, il passe lieutenant à la 66e demi brigade de ligne le 23 octobre. Le 11 avril 1798, il devient aide de camp du général Wirion. Capitaine le 11 avril 1799, il sert à l’armée d’Observation. Il retourne auprès de Dupont Chaumont, le 5 août 1799, puis auprès de Dupont de l’Etang le 4 avril 1800 comme aide de camp. Il est blessé d’un coup de feu au passage du Tessin, le 31 mai 1800. Chef d’escadron, le 23 juin. Il est de nouveau blessé par balle au passage de l’Adige le 2 janvier 1801. Major au 7e dragons, le 16 mai 1806. Colonel en second le 14 octobre 1811. Colonel du 5e dragons le 1er juin 1812. Il reçoit deux balles et est criblé de coups de sabre à Vittoria, le 21 juin 1813, en se précipitant seul au milieu des escadrons anglais afin d’entraîner son régiment. Il tue néanmoins le chef d’escadron ennemi. Blessé à Saint Pierre d’Irube, le 13 décembre 1813. Il passe général de brigade le 12 mars 1814. Il décède à Paris le 26 mars 1814.

Son journal a été acquis en salle des ventes au début des années 1990 par la Fondation Napoléon et publié en août 1991 dans la revue du Souvenir Napoléonien.


LES SOUVENIRS

 

L’Empereur m’ayant nommé par décret du 1er juin 1812 colonel du 5e régiment de dragons, je fus informé de ma nomination le 23 du même mois par le ministre de la Guerre ; je fis le même jour partir de Paris un domestique avec trois chevaux pour arriver à Bayonne le 23 ou le 24 juillet ; je partis moi-même en poste avec mon valet de chambre Hauvette le 21 juillet à une heure du matin. J’arrivai le 22 à Château-Renault, le 23 à Poitiers, le 24 à Bordeaux où je séjournai le 25 et le 26. Je descendis à Bayonne à l’hôtel de Saint-Etienne. Cette ville paraît avoir un assez mauvais esprit, on y débite continuellement mille fâcheuses nouvelles sur l’Espagne[1]. Cependant si son commerce maritime a beaucoup souffert ou plutôt s’il est nul, elle fait beaucoup d’affaires pour tout ce qui a rapport aux fournitures des armées qui sont en Espagne. Les commissionnaires, les marchands, les aubergistes, les selliers, les tailleurs y font fortune ; c’est particulièrement à Bayonne qu’on vend bon marché le superflu de la guerre, quand on sort de l’Espagne, qu’on paye au poids de l’or ce que l’on veut acheter quand on y entre. Il y a de fort jolies promenades appelées les allées marines, elles m’ont paru peu fréquentées.

Un aventurier pendant mon séjour à Bayonne est descendu à l’hôtel de Saint-Etienne, il arrivait de Bilbao avec une escorte de 1. 200 hommes, et avait, disait-il débarqué dans les environs de cette ville ; il se donnait pour ambassadeur des Etats-Unis et porteur de dépêches pour sa Majesté, plusieurs autorités lui ont fait visite ; le lendemain de son arrivée, il a annoncé son départ pour Paris, ses papiers visés par le commissaire général de police étaient, ou paraissaient être en règle, rien ne s’opposait à son départ, il fit charger sa voiture, demander des chevaux de poste, et il disparut, laissant son bagage et 12. 000 frs en or. On l’a fait chercher et je n’ai pas appris qu’on ait pu découvrir ce qu’il était devenu[2].

Le 31 juillet je vais en bateau promener au village du Boucaut peu distant de l’Océan, sur la rive droite de l’Adour ; il y a une très belle jetée ouvrage de nos derniers rois, qui conduit à la mer, elle a au moins 800 toises de longueur, sur deux environ de largeur, elle est bâtie en pierres dures taillées carrément. L’entrée du port est fort difficile, on fait des ouvrages immenses pour détruire ce que l’on appelle la barre, ce sont des sables mouvants qui forment des bancs changeant de place chaque jour et qui rendent à cet endroit la mer très houleuse. Je l’ai vue extrêmement agitée quoique le temps fut calme.

Après avoir beaucoup dépensé d’argent à Bayonne, pour achats de mules et autres objets, j’obtiens du général l’Huillier[3], commandant la réserve à Bayonne la permission de partir pour Yrun ; je laisse dans cette ville ma voiture[4], des livres et plusieurs autres objets d’un transport difficile et je pars le dimanche 2 août, par une chaleur excessive, pour aller coucher à Saint-Jean de Luz, petite ville près la mer ; elle doit être fort malsaine à cause de la laisse de basse mer qui y séjourne et produit des exhalaisons funestes.

Le lendemain 3 je passe le pont de Bidassoa et j’entre en Espagne. Il faut déjà être sur ses gardes pour aller du pont à Yrun, quoiqu’il y ait à peine un quart de lieue de distance, les brigands répandus dans le pays viennent quelquefois enlever des hommes isolés sur cette route. Je trouve à Yrun un ancien ami et compatriote dans le commissaire des guerres Gailly, qui me reçoit avec beaucoup de cordialité, il y a abondance de toutes choses dans cette ville où on se trouverait bien si on n’était pas pour ainsi dire, bloqué de toutes parts, on aperçoit à une demi-lieue de distance à peu près la petite ville de Fontarrabie, fort déchue de ce qu’elle était autrefois ; huit jours avant mon arrivée à Yrun le commandant de Fontarrabie se promenait à 50 pas de la porte de la ville, deux paysans en sortent, le saluent, ils marchent ensemble quelques pas, les paysans lui mettent le pistolet sur la gorge et l’enlèvent.

Le 4 août je séjourne à Yrun, je pars le 5 avec 200 gendarmes à pied, 100 gendarmes à cheval et un bataillon d’infanterie. Le général Charles De Lameth[5], nommé commandant de Santona est chargé du commandement du convoi où se trouve aussi le général Labadie[6] qui se rend dans la même place pour mettre en état les fortifications. Le convoi s’ajuste avec assez de peine, on marche enfin militairement. Le pays est bien cultivé. Les routes sont bonnes, on fait halte au village d’Ernany et on se remet en route pour Tolosa[7] où nous arrivons à trois heures après midi, après une marche de 12 heures ; quelques brigands couronnaient les hauteurs, mais le bon ordre de la colonne leur en a imposé, ils ont vu qu’il n’y avait que des coups à gagner et ils ne nous ont point inquiétés.

Il est pourtant fâcheux de voir de distance en distance les postes établis sur les hauteurs par les bandes pour percevoir les droits sur tout ce qui passe sur les routes, les détachements s’éloignent quand une colonne française arrive et reviennent à leur poste aussitôt que l’arrière garde de la colonne a défilé. Un homme qui resterait à cinquante pas derrière la colonne courrai le risque d’être assassiné. Aussi n’y a-t-il point de traînards. Cette manière de marcher en caravane dès les premiers jours que l’on entre en Espagne, de traverser des villages dépeuplés ou détruits, a quelque chose de sinistre et donne une idée fâcheuse du pays à celui qui y vient pour la première fois. Le pays quoiqu’aussi bien cultivé qu’il peut l’être à cause de la guerre, est généralement sec et aride dans beaucoup de parties, et malgré soi on regrette vivement la France que l’on vient de quitter.

La ville de Tolosa
La ville de Tolosa

Tolosa est une ville assez considérable et où malgré la présence continuelle des brigands autour des murailles, on trouve encore quelques ressources. On commence à s’apercevoir déjà de l’injustice des Français envers les Espagnols. Ils croient que rien n’est bien que chez eux et que lorsque l’on entre en Espagne, on va mourir de faim et surtout qu’on ne trouvera aucun secours pour réparer ou remplacer les équipages. Cette crainte peu fondée force la plupart de ceux qui viennent dans ce pays, à des dépenses et à des embarras inutiles ; si on n’a pas les mêmes facilités qu’en France, s’il en coûte plus cher, on peut néanmoins se procurer à peu de chose près tout ce dont on peut avoir besoin.

On part de Tolosa pour aller coucher à Villaréal[8] qui n’est qu’un bourg, divisé en deux et fort insignifiant ; il est absolument impossible, là, de sortir de la ville sans escorte. Les bandes font journellement feu sur les vedettes. Les troupes de la garnison, là comme dans les autres lieux d’étapes, sont renfermées dans de grandes maisons crénelées, qui sont la plupart du temps celles de l’hôtel de ville, toutes sont belles et d’une bonne architecture dans la province de Guipuscoa et la Biscaye.

La journée de Villlaréal à Montdragon est pénible à cause du paysage d’une montagne que l’on monte et redescend avant d’arriver à Bergara, jolie petite ville près la route et où on faisait beaucoup d’armes autrefois. De là on arrive à Montdragon petite ville située au milieu des montagnes et où les mêmes dangers existent par la présence continuelle des bandes sur ce territoire. Les distributions de vivres en tous genres s’y font avec assez de régularité et si on n’y est pas bien, on ne peut pas dire que l’on y soit mal.

Francisco Espos y Mina (Portrait de Goya)
Francisco Espos y Mina (Portrait de Goya)
Marie-François Auguste Caffarelli du Falga
Marie-François Auguste
Caffarelli du Falga

Le 7 nous partons avec la même escorte ; nous faisons halte à la petite ville de Salinas, et après avoir heureusement traversé le défilé qui l’avoisine, et vu les tristes restes d’un convoi considérable attaqué et pris six mois auparavant par la bande commandée par Mina[9], nous arrivons à Vitoria[10] ; c’est là que nous apprenons les malheureux événements arrivés à l’armée du Portugal le 22 juillet[11] ; un convoi considérable de blessés y arrivait, ceux que nous interrogions nous peignent les choses sans doute beaucoup plus noires qu’elle ne le sont. Le général en chef Caffarelli[12] me fait un accueil fort aimable et m’engage à rester à Vitoria, jusqu’à ce qu’il y ait une occasion pour pousser plus loin, ou jusqu’à ce que les affaires aient pris une autre tournure afin de savoir quelle route je dois prendre.

Vitoria est une grande et jolie ville, la place est superbe et d’une bonne architecture ; comme dans la plupart de celles d’Espagne, il y a beaucoup de fenêtres et de balcons parce que c’est là où se donnent les combats de taureaux, tout ce qui avoisine la place est neuf et bâti régulièrement, l’ancienne ville est sur le penchant d’une colline et n’a guère que trois grandes rues principales qui longent la colline horizontalement avec une infinité d’autres plus petites qui ne sont guères que des escaliers ; elles sont d’ailleurs fort sales, malgré que presque tous les jours des forçats soient occupés à les nettoyer ; peine inutile, les Espagnols paraissent se complaire dans cette ordure, puisque outre cela, il y a entre les différents quartiers des conduits non recouverts où toutes les saloperies et les eaux séjournent et qui répandent une odeur affreuse.

Mon séjour se prolongeant à Vitoria, j’y passe le temps fort tristement, malgré toutes les amitiés que je reçois de MM. l’Intendant Bépières de l’ordonnateur en chef Volland, et du général Thiébault[13], qui chacun occupés de leurs affaires ne sont libres que le soir.

Vers le 15 août le général Caffarelli part pour reprendre Bilbao que les événements de l’armée du Portugal lui avaient fait quitter[14] et il laisse le général Thiébault avec quelques centaines d’éclopés et 500 gendarmes à cheval pour commander et garder Vitoria. On tâche de tout utiliser dans une reconnaissance que je fais le lendemain avec le général Thiébault, nous prenons deux brigands qui sont fusillés. Ce même jour mon valet de chambre Hauvette qui était avec moi depuis six ans, que j’avais toujours traité avec bonté, qui paraissait m’être fort attaché déserte pour aller joindre les bandes insurgées, heureusement il ne m’emporte qu’une montre et des choses de peu de valeur. C’est pour la première fois que j’entends la musique espagnole, si toutes fois on peut appeler musique, des psalmodies aussi insipides que ridicules. Il est inconvenable que la barbarie d’un pareil chant reste enracinée dans un pays où les airs de danse sont les plus vifs et les plus animés. Rien d’aimable en effet comme le fandango, le boléro et le sorongo. Cinq jours après le général Caffarelli rentre de son expédition, et il ramène une centaine de prisonniers de la bande de Durand qu’il avait rencontrée sur son chemin. Un détachement de mon régiment passe à Vitoria pour se rendre dans la Garde impériale. Le convoi dont il fait partie est attaqué près de Vitoria. Je demande à un grenadier que je rencontre avec 4 autres de combien d’hommes était ce détachement ; « nous sommes dix, mon colonel », me répond-il, « et où sont les autres ? » « ah ! les autres, ils ont été tués tout à l’heure ».

J’ai vu pendant mon séjour à Vitoria exécuter six malheureux qui dans une maison avaient assassiné un officier français. Le supplice qu’ils ont subi est, je pense, le moins effrayant de tous. Aussi d’un peuple immense qui se trouvait là, aucun ne me paraissait ému et j’avoue, à ma honte, que j’en regardais les apprêts avec le plus grand sang froid. Le patient est assis sur un banc derrière lequel est une poutre, le confesseur qui le suit sur l’échafaud ne le quitte pas et l’on peut dire qu’il lui donne l’absolution lorsque son âme s’échappe de son corps. Aussitôt assis, l’exécuteur lui passe au col un collier en fer, il tourne une vis et dans l’instant l’homme est mort. Le prêtre fait ensuite un discours au peuple qui lui rit au nez. Il y a sans doute du mérite à rendre à des malheureux les approches de la mort moins terribles, mais les prêtres espagnols ont si peu de décence dans tout ce qu’ils font et dans l’exercice de leurs fonctions, ils sont si sales, qu’ils perdent tout le fruit de leurs exhortations sur une multitude à qui il faudrait un peu parler aux yeux.

Après avoir fait à Vitoria un séjour de plus d’un mois et ne voyant aucun espoir de rejoindre mon régiment par la route de Valladolid, je consultais le général en chef sur le parti que j’avais à prendre et il me conseilla de retourner à Bayonne pour prendre la route de Saragosse et de Valence et de profiter de l’occasion d’un convoi qui devait ramener en France le maréchal duc de Raguse[15], blessé à la bataille d’Alba de Tormès[16] ; en effet ce convoi arriva le 22 septembre à Vitoria, il y séjourna le 23 et j’obtins de M. le duc la permission de partir avec lui, nous repassâmes dans les mêmes gîtes que pour venir à Vitoria. L’escorte de M. le duc était nombreuse et bien choisie. Il y avait en cavalerie 5 compagnies d’élite, 2 000 hommes de cadres de troisième et quatrième bataillons, 2 pièces de canon et un nombre prodigieux d’officiers isolés, elle marchait avec beaucoup d’ordre, avec trop d’ordre peut-être, car cette marche ressemblait à un triomphe. Le maréchal sur son brancard était au milieu du convoi avec une compagnie d’élite devant et une derrière, dix grenadiers de ces compagnies avaient les mains appuyées sur le brancard, des laquais le précédaient et le suivaient, nul sous aucun prétexte ne pouvait dépasser la litière. Le général Bonnet[17] blessé à la même affaire suivait dans une litière ainsi que le major Ducheyron[18], du 66e d’infanterie mort en arrivant à Bayonne. Avant d’arriver à Ernany, nous rencontrons une colonne française de 2. 000 hommes environ et 150 chevaux ; le général qui la commandait et dont je ne me rappelle pas le nom, nous dit que les Anglais avaient opéré un fort débarquement à Guetaria[19], éloigné de 4 ou 5 lieues de là et qu’il avait été forcé à la retraite ; cependant cette retraite nous parut un peu précipitée, puisqu’il n’était pas suivi et qu’il avait à peine échangé quelques coups de fusil. Le maréchal lui dit des choses assez dures et nous continuons notre chemin croyant d’après ce rapport rencontrer l’ennemi.

Nous ne vîmes aucun parti et nous arrivâmes fort paisiblement à Yrun. Là les bruits de débarquement paraissaient certains, et un convoi très considérable d’habillement qui venait enfin de sortir de Bayonne, reçut ordre de rentrer en France. Je restai un jour à Yrun pour voir ce que cela allait devenir et ne voyant rien de nouveau, je partis le lendemain pour Bayonne. En mettant pied à terre, j’allai avec le colonel Duchastel[20] du 21e régiment de chasseurs voir le général L’Huillier qui nous reçut fort mal, c’est-à-dire comme des gens qui se sauvent de l’Espagne. Nous eûmes toutes les peines du monde à lui faire comprendre que nous n’en étions sortis que pour y rentrer le lendemain par une autre route ; il ne nous mit néanmoins en réquisition pour aller commander la cavalerie qui allait marcher contre les Anglais ; un régiment d’infanterie qui arrivait de l’intérieur à Bayonne ne s’y arrêta pas et poussa le même jour jusque à Saint-Jean de Luz, cependant lorsqu’on eut vérifié les faits, ce fameux débarquement se réduisit à rien ou à fort peu de chose et on nous laissa tranquille.

Le général Souham
Le général Souham

Je trouvai à cette époque à Bayonne, le général Souham[21] qui allait y prendre le commandement de l’armée de Portugal, j’aurais bien désiré repartir avec lui, mais je craignais de perdre un temps parce que l’on parlait de la prochaine jonction des armées du Midi et d’Aragon à Valence, et je me mis en route pour Pau où j’arrivai le 1er octobre.

Je n’avais jamais entendu parler de Pau[22] comme d’une ville agréable, cependant on vante beaucoup de villes en France qui, selon moi, sont loin de la valoir, d’abord cette ville est située dans un pays agréable et fertile, il y a des promenades de la plus grande beauté et où l’on jouit d’une vue admirable, un fleuve qui arrose ses murs et des accidents de terrain très répétés font une espèce de jardin de tout le pays qui entoure la ville, la vie y est à très bon compte, les habitants en paraissent bons et affables, et certes, pendant le peu de jours que j’ai passé à Pau, mon temps n’a pas été à regretter et je m’y suis fort amusé.

Je pars à Pau le 5 octobre pour aller coucher à Oloron, ville autrefois très commerçante à cause de son voisinage de l’Espagne et de la contrebande que facilitent les montagnes qui l’avoisinent. Le chemin de Pau jusque là traverse des pays fort agréables, on ne peut sortir de France par une route qui laisse de plus aimables souvenirs, le 6 je vais à Bedous. C’est un triste et malheureux village, dans un triste et malheureux pays ; j’arrivai le 7 à Urdos, dernier village français. Il est comme tous ceux des montagnes fort resserré et surtout très pauvre. A deux lieues avant d’y arriver, le chemin devient impraticable pour les voitures et même souvent très mauvais pour les chevaux et les bêtes de somme. On nous fait remarquer un rocher immense taillé à pic par la main des hommes, et l’on nous dit que c’est par les Carthaginois, commandés par Annibal lorsqu’il quitta les Espagnes pour marcher contre Rome. C’est une chose curieuse que les garnisons de ces villages frontières, autant vaudrait n’en point avoir ; car quelle résistance pourraient opposer 15 ou 20 soldats, mal armés, mal vêtus et malheureusement souvent mal commandés[23] ? Les paysans des montagnes que j’ai parcouru dans ces cantons, parlent comme ceux des Alpes un français assez pur. Je ne pense pas cependant que la même cause opère les mêmes résultats, on voit beaucoup plus de Savoyards à Paris que d’habitants des Pyrénées. Ceux-ci m’ont dit qu’ils ne quittaient guère leur retraite que pour aller dans les environs, soit en Espagne, soit en France ; ils ont aussi une réputation d’intégrité et de bonne foi comme les autres et je crois qu’ils la méritent.

L’entrée en Espagne par cette route est fort dangereuse dans le rapport des chemins, car on ne parle pas encore de brigands. Nous partons le 8 à la pointe du jour avec dix soldats d’infanterie qui escortaient jusque à Jacca un convoi d’habillement pour l’armée d’Aragon, le chemin devient de plus en plus difficile, on monte toujours, les montagnes n’offrent aucuns de ces beaux sites que l’on voit dans les Alpes ; tout présente ici l’image du chaos et de la désolation ; arrivé enfin au col que l’on appelle ici Port, les chemins deviennent presque impraticables et surtout très dangereux parce qu’ils sont tellement rapides qu’on a été obligé d’y pratiquer des marches que les chevaux escaladent avec peine. On trouve au Port une auberge assez vaste où nous avons le bonheur de pouvoir manger une omelette, du pain et du vin assez bons[24]. Il faisait un temps affreux, la pluie, le vent, la grêle et la neige fondue rendait les chemins beaucoup plus dangereux encore. A quelques cent toises de l’auberge on entre sur le territoire espagnol : rien ne l’annonce qu’un mauvais bâtiment où se trouvait autrefois la douane et qui a été détruit. On redescend presque aussitôt, et la difficulté des passages fait qu’il y a plusieurs sentiers, chacun cherchant les endroits qu’il croit les moins dangereux, de sorte qu’il serait très facile de se perdre sans guides particulièrement lorsqu’il y à de la neige, attendu qu’on pourrait aller se jeter dans des vallées qui n’aboutissent qu’à des précipices où les pâtres vont mener leurs chèvres. Le chemin continue à descendre jusque à Campfranc, premier gîte en Espagne, il est impossible de dépeindre la misère des habitants de ce village. Cependant, malgré la malheureuse position dans laquelle ils sont, nous y avons eu de l’orge pour nos chevaux, on parle à Campfranc tout à fait la langue espagnole, on ne peut plus se faire entendre avec le français. Nous quittons le lendemain 9 ce malheureux village et nous marchons avec un peu plus de précautions parce que quelquefois des partis de la bande de Mina viennent de temps en temps dans les vallées de Campfranc à Jacca et qu’en outre il y à des bandes de voleurs qui arrêtent sur les chemins les voyageurs de quelque nation qu’ils soient ; nous arrivons heureusement à Jacca[25], située sur une haute plaine, le pays commence à redevenir riant et cultivé, et on retrouve le beau soleil de l’Espagne.

Jacca est une ville assez considérable bien bâtie, et où il y a de bonnes maisons, il paraît qu’elle a peu souffert en comparaison du reste de l’Espagne pendant la guerre actuelle, les Français en sont toujours restés les maîtres, elle est défendue par une citadelle régulière et assez forte, et surtout bien armée et approvisionnée. Le chef de bataillon Deshonties, gouverneur de la place, reçoit tous les officiers français avec une aimable cordialité, on obtient des magasins qu’il a formé tout ce que l’on peut désirer ; il paraît administrer sagement le pays puisqu’il est content des habitants et que les habitants paraissent aussi l’être de lui. C’est dans cette ville que pour la première fois j’ai mangé dans une auberge ; c’était chez une vieille française, bonne cuisinière, faisant toutefois beaucoup d’étalage de son savoir-faire, se plaignant amèrement de la cherté du pain et des denrées ; nous nous attendions après cela à déjeuner fort mal et à payer beaucoup ; au contraire, elle nous fit une cuisine fort recherchée, elle nous donna de bons vins et de différentes sortes, un dessert tout à fait galant, du café[26], des liqueurs[27]. Enfin tout ce qu’on peut désirer, et tout cela pour 40 francs. Nous étions huit, en France, on en aurait demandé 200 et on aurait été moins bien servi ; je cite ce fait plutôt comme une chose extraordinaire que comme un objet de comparaison sur ce qu’il en coûte en France et en Espagne, parce que – tout est généralement plus cher – dans le a péninsule.

Jusque alors je n’avais vu d’autres convois que ceux avec lesquels j’avais voyagé ; tout y était purement militaire ; je n’avais par conséquent aucune idée des caravanes qui ont lieu dans ce pays à la suite de grands événements, soit que l’on se porte en avant soit que l’on rétrograde[28]. Ne pouvant quitter Jacca faute de troupes nécessaires pour traverser le pays jusque à Saragosse, le gouverneur m’engagea ainsi que mes compagnons, à attendre l’arrivée d’un convoi considérable composé de personnes de la Cour ou attachées au nouveau gouvernement, de blessés, de malades, et de gens enfin qui refluaient de l’Espagne sur la France. En effet, le lendemain 10 à onze heures du matin arriva un bataillon du 81e formant l’avant-garde et j’allai hors de la ville voir arriver ce fameux convoi. Les chemins pour venir de Ayerbé à Jacca étant absolument impraticables pour les voitures, tous ces grands seigneurs, toutes ces grandes dames avaient été obligés de les abandonner. Je vis ce jour-là un des plus curieux spectacles que l’on puisse s’imaginer. Des dames dans des litières dorées portées par 20 paysans qui se relayaient de temps en temps, d’autres en amazones et montant de superbes chevaux, d’autres sur des mules, celles-ci à califourchon sur des ânes, celles-là portées sur des chaises ajustées en forme de litière, quelques-unes n’ayant pu se procurer une monture marchand à pied dans la boue, quelques autres préférant se faire tenir sur des chevaux énormes de routiers français qui avaient aussi abandonné leurs chariots, des enfants sur des ânes et dans des paniers, d’autres portés par des paysans et suspendus sur un bâton dans une espèce de hamac, d’autres enfin tout bonnement portés à bras par les nourrices, des valets galonnés à cheval, des maîtres à pied, une suite nombreuse de chevaux de main, un nombre prodigieux de mulets chargés de malles, de matelas, d’orge, de paille et de vivres de toute espèce. Ajoutés à cela des généraux français et espagnols ayant tous un cortège plus ou moins nombreux, des officiers, des soldats, les uns blessés ou malades et les autres bien portants, des dames et des seigneurs escortés au milieu de cette bagarre par des pages ou des gardes, tout cela marchant pêle-mêle, au milieu des cris des blessés, des cantinières et des chansons grivoises des soldats bien portants et défilant dans le plus grand désordre après avoir bivouaqué la nuit précédente par un temps affreux. Cette marche a duré depuis onze heures du matin jusqu’à six heures du soir et il n’y avait pas 4 000 personnes dans le convoi. Chacun trouva à se caser tant bien que mal à Jacca et le lendemain désordre plus grand encore au départ parce que le danger avait cessé et que chacun s’en allait pour son compte.

Nous profitons du retour du bataillon du 81e et nous allons le lendemain à Ancenigo où avait bivouaqué le convoi la veille, nous nous jetons pêle-mêle dans trois ou quatre maisons qui composent ce misérable hameau et le lendemain nous partons en bon ordre pour Ayerbé, où nous arrivons sans accident par un temps fort mauvais, il y avait une brigade de troupes italiennes[29] de sorte que les logements y étaient rares. Le capitaine de gendarmerie Mouchet, qui commande la place s’est fort bien retranché dans un ancien château maure, les brigands sont venus l’attaquer très souvent avec des forces supérieures, ils ont toujours été contraints de se retirer après des pertes inutiles ; nous apprenons le lendemain au moment de quitter Ayerbé, qu’un convoi et des courriers qui marchaient derrière nous venaient d’être vigoureusement attaqués à la tour des Maures distante de deux lieues et où nous avions fait halte la veille. Un détachement de 60 dragons Napoléon italiens[30], a chargé les brigands, leur a tué une trentaine d’hommes et a dégagé le convoi.

Nous laissons à Ayerbé le bataillon du 81e et nous partons avec un détachement de 40 chevaux du 18e et du 22e dragons[31] d’un escadron du 9e régiment de hussards[32] et d’un bataillon, devant nous accompagner seulement jusqu’au village de Gurrea à 4 lieues d’Ayerbé. Nous faisons halte à une demi-lieue pour réunir le convoi, parce qu’on nous donne l’avis que quelques partis ennemis rôdent dans les environs ; c’est là où je m’aperçois que mon chien, le fidèle Mylord, me manquait ; j’envoie un petit détachement pour le chercher, parce que nous étions encore en vue de la ville, mais on vient me dire, qu’on l’a vu parcourant la ville en poussant des cris affreux, qu’il est entré et ressorti vingt fois du logement que j’avais occupé, et qu’enfin il avait disparu. Je fus, je l’avoue, vivement affligé de cette perte. Nous marchons dans un pays découvert et stérile, laissant à droite le fleuve Gallego qui nous sépare d’un pays rempli d’insurgés, nous n’en voyons pourtant que fort peu dans un grand éloignement et après avoir fait halte dans un ravin fort agréable au village de Gurrea, nous nous remettons en marche et arrivons à la nuit à Zuera, petite ville ruinée en partie et dont la plupart des habitants se sont enfuis ; elle est située sur le bord du Gallego que l’on passe sur un pont en bois et adossée à des collines qui terminent l’immense plaine que nous venions de parcourir. Comme dans les gîtes précédents la troupe de la garnison est renfermée dans un castillo (petit château fort)[33] pour éviter toute surprise de la part des bandes fort nombreuses dans ce pays, comme dans tout le nord de l’Espagne. Les rapports que l’on nous fait là nous apprennent que la route jusqu’à Saragosse est infestée ; l’escadron du 9e de hussards, n’avait pas ordre de dépasser Zuera de sorte qu’il ne nous restait que les 40 dragons venus de France et qui pour la plupart étaient des enfants ; nous sollicitons en vain le commandant de la place pour avoir quelques gendarmes à cheval[34] connaissant le pays pour éclairer la route dans les endroits les plus dangereux, il s’y refuse, en nous assurant que nous avions assez de monde pour voyager en toute sûreté, qu’il n’y avait aucun danger ; et cependant la veille dix hommes avaient été enlevés à une lieue de là avec un trésor qu’ils escortaient ; nous partons donc le lendemain, nous rencontrons quelques brigands qui s’éloignent à notre approche et après avoir fait deux lieues, arrivés sur une haute plaine d’où on découvre parfaitement Saragosse, nous faisons halte pour envoyer d’avance un détachement au logement, il y avait devant nous un ravin assez profond et une venta à quelques pas sur la gauche ; nous étions bien loin de nous douter que ce même endroit, d’où l’on paraît toucher Saragosse, et où nous goûtions tant de sécurité, devait être le lendemain à la même heure le théâtre d’une sanglante tragédie ; en effet ce même convoi déjà attaqué près de Ayerbé et qui était à un jour derrière nous ayant détaché avant d’arriver sur la hauteur 10 hommes pour aller au logement, ils furent assaillis à ce même ravin où nous étions arrêtés la veille, et accablés par le nombre, ils furent tous égorgés à l’exception de deux à qui les brigands eurent la cruauté de couper les mains et les pieds, on les rapporta dans cet état à Saragosse où ils moururent le lendemain.

Les environs de Saragosse[35] si riants autrefois ne sont plus aujourd’hui qu’un désert, les belles plantations d’oliviers qui faisaient la richesse de ce pays ont toutes été coupées pendant le siège, les villages, les fermes, les campagnes si fertiles sur les bords de l’Ebre, tout est dévasté. Le long siège que cette ville a soutenu, la résistance inouïe qu’elle a opposé à nos armes, sont des événements qui feront époque dans l’histoire de la guerre[36]. Les fortifications qui défendaient les approches de la ville ont été enlevées pendant les premiers jours du siège, mais ensuite chaque couvent, chaque maison devenait un fort dont il faillait faire un siège particulier et dont on ne pouvait se rendre maître qu’en y attachant le mineur et en les faisant sauter avec tous leurs défenseurs, on a détruit ainsi 1 500 maisons, églises ou couvents et la capitulation n’a eu lieu que lorsque les maisons du centre de l’ancienne ville ont commencé à sauter ; c’est particulièrement sur le cosso, grande rue, qui entoure le centre de Saragosse que l’on voit des murailles énormes abattues à coups de balles de fusil, il n’y a pas une seule sur le cosso qui ne soit entièrement criblée de balles du haut en bas, c’est dans cette même rue que des batteries de canons étaient établies dans les chambres d’une maison à une autre maison, on s’emparait du rez-de-chaussée, mais l’ennemi maître encore du premier étage s’y défendait, on le chassait, il se retirait au second, toutes les maisons se communiquaient les unes aux autres par des ouvertures, par des échelles ou des ponts en planches. On se battait dans les rues, dans les caves, dans les chambres, jusque sur les toits ; on s’égorgeait partout ; pendant que ces scènes d’horreurs se passaient, une pluie de bombes et d’obus tombait sur le centre de la ville ; 54 000 habitants sont morts par le fer, le feu, la famine ou les maladies ; on ne peut trouver dans cette ville immense une seule maison qui ait été épargnée. Une grande partie des femmes et des enfants s’étaient réfugiés dans la superbe église de Notre-Dame del Pilar à laquelle ils avaient grande dévotion et sur laquelle ils s’étaient imaginés qu’aucune bombe ne pouvait tomber parce que pendant les premiers jours du siège on voulait ménager cet édifice et sauver les trésors qu’il renfermait, mais cependant plusieurs bombes perdues y tomberont à la fois et produisirent un désordre épouvantable au milieu de la multitude qui y était réunie. Toutes les rues étaient jonchées de cadavres depuis quelque temps, on ne les enterrait plus, les blessés, les malades étaient abandonnés sans secours, la ville se rendit enfin ; c’est alors que les habitants connurent l’étendue de leur malheur ; on les força de brûler, d’enterrer ou de jeter les cadavres dans l’Ebre. Dans les courses que j’ai faites dans les quartiers renversés quoiqu’il se soit passé trois ans depuis ce siège mémorable, j’ai vu encore des restes effrayants de la résistance opposée par les assiégés, des couvents sont remplis de squelettes de moines ayant leurs habits. On y trouve des soldats, des femmes, des enfants sans sépultures entassés, au milieu de ce qui était autrefois des cours ou des jardins.

Je suis resté trois jours dans cette malheureuse ville et j’ai éprouvé une bien grande satisfaction de pouvoir en partir le 17 octobre pour aller à Pina ; à deux lieues de Saragosse, nous avons rencontré environ 50 chevaux de la bande d’un certain Pablo qui ne fait que commencer, ils se sauvèrent lorsque nous voulûmes marcher à eux. La disette est grande dans le pays où nous sommes, tour à tour foulés par les bandes qui y sont fort multipliées et par le passage des troupes françaises, ces malheureux habitants sont réduits aux plus cruelles extrémités ; en effet, nous n’avons pu à Pina rien obtenir ni pour les hommes ni pour les chevaux.

Le 18 nous rencontrons encore quelques partis en allant à Bujarolos qui ne vaut pas mieux que Pina ; je trouvai en route, un ancien maréchal des logis du 7e de dragons qui est maintenant gendarme à cheval ; c’est le plan rude de tous les métiers, ils sont employés aux escortes des courriers et convois, ils sont attaqués presque tous les jours parce que les brigands toujours prévenus de leur passage les attendent au retour ; à une auberge dans un pays isolé et désert, où nous faisons halte, 30 soldats espagnols au service du roi Joseph, avaient tué la veille leur capitaine et un courrier et ensuite avaient pris parti parmi les brigands. Nous trouvons les cadavres de ces malheureux, nous les faisons enterrer.

Le 19 en allant à Caspé nous rencontrons quelques hommes à cheval qui suivent de loin le convoi dans l’espoir d’enlever quelques traînards. On marchait en ordre et ils n’osent s’approcher trop près de l’arrière-garde. Nous séjournons le 20 à Caspé, cette ville bâtie sur une colline de l’autre côté de l’Ebre peut avoir 4 000 âmes de population ; elle présente encore des ressources, les bandes nombreuses qui se trouvent sur la rive gauche de l’Ebre traversent rarement le fleuve, par conséquent, n’ayant à fournir qu’aux troupes françaises, cette ville est moins foulée que les autres qui sont obligées d’alimenter les deux partis.

Le 21 octobre nous remettons en route pour aller à Abatea où nous arrivons à la nuit après avoir traversé un pays fort difficile et presque désert ; la troupe n’est pas mal dans ce village, c’est la première fois que l’on fait une distribution de garouffes pour les chevaux, au lieu d’orge, c’est une espèce de cosse longue et humide qui vient sur un arbre, les chevaux ont beaucoup de peine à s’y faire ; de là on va coucher à Pinell toujours par des chemins de montagne fort dangereux, on y est mal parce que le village est pauvre et ruiné.

Nous quittons Pinell le 23 pour aller à Tortose, le pays est toujours aussi misérable et aussi dépeuplé jusque près de Xerta à deux lieues de Tortose, la scène change alors et nous trouvons des champs bien cultivés, arrosés avec intelligence, des orangers, des grenadiers, et chose fort rare en Espagne des prairies.

Le pays est le même jusqu’à Tortose et présente partout l’image de la plus abondante fertilité. Il y a dans ces parages fort peu de brigands et on y voyage en sûreté avec une escorte de quatre hommes ; en arrivant au bord de l’Ebre pour entrer dans Tortose, nous sommes arrêtés là fort longtemps à cause de l’arrivée d’un convoi beaucoup plus considérable que celui que j’avais vu à Sacca lors de mon séjour dans cette ville ; il était composé de plus de 300 voitures, toutes attelées de 4, 5 , 6 et 7 mules, d’un nombre prodigieux de militaires malades ou blessés, enfin c’était en partie toutes les administrations supérieures espagnoles sorties de Madrid à l’approche de l’armée anglaise. Quoique Tortose[37] soit une ville fort grande, j’ai été bien heureux de trouver place pour moi chez un muletier et pour mes chevaux dans le cloître d’un couvent. Les magasins furent épuisés en un moment ; j’apprends là des nouvelles de mon régiment par le chef d’escadron Rocourt[38] qui rentre en France, il me donne l’espoir de le rejoindre du côté de Valence, Tortose a beaucoup moins souffert que Saragosse pendant le siège[39], mais cependant cette ville est bien loin d’être ce qu’elle était autrefois, les passages continuels des troupes et des convois qui la plupart du temps y séjournent, ont épuisé les ressources des campagnes qui l’entourent. Tout y était hors de prix un poulet s’y vendait 10 francs, un œuf six sous et la livre de pain 20 sous.

Nous avions heureusement pris séjour à Caspé car le gouverneur que nous allâmes voir le soir, et qui assez maladroitement donnait un bal ce jour-là, nous dit que la disette de vivres le forçait à nous faire partir le lendemain, nous en fûmes satisfaits et nous quittâmes sans regret cette ville où la troupe éprouvait beaucoup de privations. Nous nous étions donné rendez-vous hors de la ville, parce que toutes les voitures affluant par différentes rues à la seule issue qui mène au pont, elles y restèrent emmêlées dans un désordre inextricable ; nous les laissons se dépêtrer et nous nous mettons en marche à 9 heures du matin par une chaleur excessive, et dévorés par des milliers de cousins que l’Ebre fait naître, nous traversons une plaine assez fertile et nous quittons la grande route pour prendre à travers champs et éviter de passer sur celle qui côtoie la mer où une station anglaise inquiète par son feu les convois, tuant indifféremment Français et Espagnols ; nous arrivons à 4 heures à Ull de Cona, village charmant où la troupe et nous sommes parfaitement bien, il y avait dans mon logement au premier une terrasse ombragée par des orangers, des roses et des jasmins où on respirait une odeur délicieuse. Il n’y a pas de brigands dans les environs ; la sage administration de M. le maréchal duc d’Albufera, qui empêche les troupes de mener le paysan, en leur faisant donner tout ce dont elles ont besoin, a conservé la tranquillité sur plusieurs points du royaume de Valence et elle n’y est troublée que par des bandes qui viennent quelques fois des provinces voisines y faire des incursions.

Le pays est toujours également beau et également bien cultivé jusqu’à Benicarlos où on va se coucher le lendemain en passant par la jolie petite ville de Vinaroz qui fait un commerce de contrebande fort considérable ; nous y faisons une ample provision de rhum[40] à 40 f. la bouteille pendant la halte, qu’y fait le convoi.

Benicarlos est fameux pour les vins qu‘on y récolte ; ce village grand et bien bâti, était fort riche autrefois, mais il a été souvent ravagé par l’armée qui y a séjourné ; cependant nous y avons été fort bien sous tous les rapports ; nous avons visité mes camarades et moi, pendant le séjour que nous y avons fait le lendemain, la forteresse de Peniscola[41] placée sur un rocher dans la mer, on aurait inutilement fait le siège de ce fort tant qu’il aurait eu des vivres ; il s’est rendu sans coup férir après la capitulation de Valence…

Nous nous remettrons en route le 27 octobre pour aller coucher à Torreblanca où nous trouvons encore un convoi de malades et de blessés rentrant en France ; le village offrant peu de ressources, nous y sommes fort mal, on nous dit qu’il n’y a plus de brigands et que l’on peut voyager seul. En effet, nous n’avons été nullement inquiétés.

Le convoi se dirige le 28 sur Castellon de la Plana ; le colonel Mermet du 19e régiment de dragons[42] tombe malade en route ; il revient heureusement nous rejoindre le soir avec les douze hommes que nous avions laissé pour le garder. Le colonel Duchastel du 21e régiment de chasseurs perd pendant la nuit un très beau cheval arabe, qui s’échappe de l’écurie ; il envoie courir après un maréchal des logis de son régiment, un chasseur et un trompette ; ils n’étaient pas revenus quand nous quittons Torreblanca, le lendemain mais vingt-quatre heures après notre arrivée à Valence, ils ramènent ce cheval qu’ils avaient trouvé près du village d’Alcala et arrivés à l’auberge où le colonel Mermet était resté malade et dont il n’était parti que depuis un quart heure, ils trouvèrent un parti de 150 chevaux de la bande de Frayle, le maréchal des logis ne perdit pas la tête, il ordonna au trompette de sonner des appels, comme s’il avait eu une troupe nombreuse à réunir, il fit plusieurs commandements comme si son prétendu escadron fut réuni dans un ravin près de là. Les brigands qui marchaient à lui s’arrêtèrent ; ils étaient à 25 pas. Alors il cria : escadron en avant ; au trot ! marche ! Les brigands firent demi-tour, et le maréchal des logis et les deux hommes en firent autant et firent bien, et se sauvèrent à toute course ; les brigands ne se voyant point poursuivis et apercevant trois hommes seulement qui se sauvaient, s’aperçurent de la ruse mais il était trop tard, nos trois hommes arrivèrent avant eux à Torreblanca d’où on envoya un détachement après eux ; ils se retirèrent aussitôt dans les montagnes.

Nous trouvons Castellon de la Plana encombré d’un autre convoi qui part pour la France ; celui-là était tout composé de militaires venant de l’armée du Midi ; les habitants qui avaient vu passer tous les autres se figurent que nous allons quitter tout à fait l’Espagne et sont par conséquent fort étonnés de voir d’autres troupes françaises qui arrivent ; depuis quelques jours un détachement du 4e de hussards[43] s’était joint à nous ; de sorte que nous avions environ 150 chevaux. Castillon que l’on appelle un village est immense et le convoi est fort bien établi ainsi que nous ; il y a de superbes maisons, et malgré la grande quantité de monde qu’il y avait à loger, personne se n’est plaint.

On part de bonne heure le 29 octobre, quelques-uns avaient pris l’avance sur l’assurance positive qu’il n’y avait absolument rien à craindre des bandes ; nous faisons halte au village de Nulès et vers midi nous nous remettons en marche pour Murviedro ; le convoi pour la première fois marchait mal ordre ; à un quart de lieue du village d’Almenara, je vois deux chevau-légers de la Garde qui faisaient partie du convoi et qui comme moi étaient en avant de l’avant-garde, courir ventre à terre en se dirigeant vers une montagne à la droite de la route, je pique des deux pour voir le motif d’une pareille course ; l’avant-garde me suit au galop, le convoi fait halte et se réunit, et nous apercevons une douzaine de brigands à cheval, qui emmenaient des hommes, garrottés, ils les lâchent à notre approche et se sauvent à toute course ; ils avaient trop d’avance et nous ne pouvons les joindre. Nous ramenons les deux soldats qu’ils avaient pris un moment auparavant et qui étaient nus de la tête aux pieds, ils voyageaient isolément et nous dirent qu’au détour de la montagne où ils avaient été arrêtés, les brigands en avaient déjà pris plusieurs, qu’ils les massacraient à mesure et qu’on allait les poignarder au moment où la tête de la colonne s’était présentée ; on leur donne quelques hardes pour les couvrir et ils marchent avec nous. A quelques pas de là nous trouvons les cadavres de quatre de ces infortunés, un avait la tête coupée et les trois autres les pieds et les mains, un seul respirait encore, nous l’emportons, mais il meurt un instant après[44].

Le château de Sagunte
Le château de Sagunte

Enfin nous arrivons à Murviedro[45] ; c’est l’ancienne Sagunte, il n’en reste rien que des pierres éparses où l’on voit des caractères inconnus ; mais on y voit encore un superbe amphithéâtre bâti du temps des Romains, et qui aujourd’hui serait encore tout entier, s’il n’avait été détruit dans ces derniers temps par les Espagnols pour bâtir la forteresse de Sagunte[46] sur l’emplacement de l’ancienne ville ; elle se trouve sur un mont isolé ; elle était déjà du temps des Espagnols d’un accès fort difficile, mais les travaux immenses que M. le duc d’Albufera y a fait faire la rendent, pour ainsi dire, imprenable, elle est parfaitement armée et approvisionnée et il paraît presqu’impossible de la prendre de vive force. La route de

Murviedro à Valence est tellement couverte de beaux villages pendant 4 lieues que c’est comme un faubourg de cette grande ville, l’agriculture est poussée à sa perfection dans ce pays ; partout des canaux d’irrigation rafraîchissent la terre qui sans cela serait brûlée par un soleil ardent ; cette partie du royaume de Valence jouit d’un éternel printemps ; il n’y gèle jamais et il y pleut fort rarement ; on commence à voir des palmiers ; les orangers, les citronniers et les cédrats y sont fort communs. Le faubourg de Murviedro par où l’on entre a beaucoup souffert, il est entièrement dévasté. Le Guadalaviar[47] que l’on traverse sur cinq ponts superbes n’est autre chose qu’un misérable ruisseau, où on peut à peine faire boire un cheval ; le moindre de ces ponts est aussi beau que le Pont Royal à Paris, ils ont tous dix et douze arches et bien rarement il passe de l’eau sous eux.

Valence[48] est une ville bien grande, bien populeuse et très riche ; elle est fort irrégulièrement bâtie, n’est point pavée, ce qui, malgré les fréquents arrosements, occasionne une poussière fort désagréable dans les beaux jours et une boue dont on a peine à se tirer à la moindre pluie ; à la vérité il y pleut bien rarement et le ciel y est presque toujours serein. On peut citer à ce sujet l’établissement des Serenos qui, la nuit en parcourant les rues avec une lanterne et une pique annoncent les heures et le temps qu’il fait ; ils vont criant d’une voix glapissante : Ave Maria Purissima, son las doce, Sereno ! Je vous salue Marie, il est minuit, le temps est serein ! et comme le temps est pour ainsi dire toujours le même, le nom de Sereno leur est resté. C’est au reste un établissement fort utile puisque ces hommes rôdant toujours peuvent s’opposer aux vols qui seraient sans doute fort fréquents dans une ville aussi populeuse ; ils sont encore fort utiles aux étrangers pour indiquer les logements, qu’ils retrouveraient fort difficilement, attendu qu’il n’y a guère d’autres réverbères que ceux qui sont placés devant les madones et que passé dix heures du soir la ville ressemble à un désert ; on prétend qu’on a plusieurs fois essayé de paver les rues, mais on a craint des pétitions de la part des villages dont la Valence est entourée, et qui viennent en ville ramasser la poussière ou la boue pour fumer leurs terres. Je n’ai eu que de l’agrément à Valence ; le maréchal duc d’Albufera m’ayant ordonné de regarder sa maison comme la mienne et madame la duchesse ayant bien voulu me dire la même chose, je me suis trouvé tout d’un coup aussi bien qu’il soit possible ; je trouvai aussi à Valence le général Saint-Cyr Nuguès[49], mon vieux ami, de sorte que bien reçu par les premières autorités, je le fus de même partout.

 

Le général Saint-Cyr Nuguès
Le général Saint-Cyr Nuguès

Je retrouvai à Valence jusqu’à ce gros Dalté, fournisseur de l’armée d’Aragon et que j’avais connu en Italie, heureux mortel ! Riche et sans soucis, il n’a d’autre bonheur que de manger son argent avec des amis ; c’était lui faire la plus cruelle injure que de rester plusieurs jours sans aller déjeuner chez lui ; et quels déjeuners !! Enfin pour qu’il ne manquât rien à mon bien-être on m’avait logé dans un superbe palais, où l’on m’eut prodigué tout ce qui peut rendre la vie agréable, si j’avais eu besoin de quelque chose.

Les spectacles à Valence quoique bien préférables à ceux de Vitoria et de Saragosse me parurent toujours également insipides. Les comédies sont insoutenables par les invraisemblances et les platitudes qu’elles renferment, je n’ai vu jouer qu’une seule tragédie, le héros enfant au premier acte, meurt au 5e dans une prison, âgé de 90 ans et avec une barbe qui descend jusqu’à terre. La musique des opéras, ou pour mieux dire des saynettes qui sont de petites pièces chantées, ne peut inspirer que du dégoût à un Français qui a été longtemps en Italie ; mais la danse est enivrante, c’est tout ce qu’on peut voir de plus vif et de plus voluptueux. Il est bien extraordinaire que le peuple espagnol naturellement grave prenne autant de goût à des danses aussi vives, et les femmes qui paraissent aussi réservées s’animent et applaudissent avec un transport qui tient du délire, les gestes plus que libres des danseurs ; Anda ! Anda ! s’écrie-t-on de toutes parts, lorsque les danseurs paraissent dans l’ivresse du plaisir ! Anda Muchacha ! Allons, allons petite ! C’est ça, courage, allons ! Il faut avoir vu pareilles scènes pour y croire.

Je n’ai rien dit jusqu’à présent de l’habillement des femmes espagnoles, il est presque partout le même, c’est une robe en baskine de soie noire avec une taille fort longue, dessinant parfaitement les formes qu’elles exagèrent tant qu’elles peuvent ; car plus elles sont prononcées plus elles sont bien, et une mantille ou voile noir sur la tête ; avec ce costume, elles ont l’art d’être très séduisantes ; elles sont d’ailleurs très libres en propos, et on croirait à les entendre qu’elles sont toutes de fort mauvaise compagnie, mais ce serait à tort, l’usage veut que dans ce pays les paroles soient comptées pour rien, on ne juge que sur les faits ; malgré l’uniformité apparente du costume, cependant on distingue le grand monde, par la recherche des broderies en jais, la multiplicité des franges qui prennent quelquefois depuis le bas de la taille, jusqu’au bas de la robe et aussi par la dentelle prodiguée au milieu de tout cela, et enfin par la chaussure qui est un des points essentiels attendu l’exiguité des baskines qui ne descendent guère que jusqu’au mollet. Elles ont en général la gorge fort mal, quand elles ne se sont pas très jeunes, parce qu’elles s’obstinent à la serrer et à la réunir, quelques- unes à présent la fatiguent moins et on prétend qu’elles doivent cet avantage aux Français.

Il y avait autrefois à Valence une superbe promenade appelée l’Alameyda, mais on l’a entièrement détruite pendant le siège, elle allait depuis la ville jusqu’au Grao ou port distant de près d’une lieue. Il n’y a guère au Grao que des pêcheurs et de grands magasins vides aujourd’hui à cause de la guerre ; je ne pense pas non plus que Valence ait jamais eu un commerce maritime bien considérable parce que le port de Grao, malgré les grandes dépenses qu’on a pu y faire pour creuser le bassin, ne peut recevoir des bâtiments ordinaires qu’à 300 toises du rivage où se fait alors le déchargement qui peut être fort dangereux dans les mauvais temps. Il y a dans Valence beaucoup de fort belles maisons, mais je n’y ai vu d’autres édifices remarquables par une fort belle architecture que la douane dont on a fait un château fort. Singularité avec laquelle la ville est bâtie rend la connaissance des rues fort difficile et je ne puis dire la connaître parfaitement quoique j’y ai passé deux mois et que j’aie beaucoup couru.

Le peuple y paraît malheureux, il y a beaucoup de mendiants, comme dans toutes les villes d’Espagne, et là, plus que partout ailleurs, ils ont une manière de demander l’aumône qui ne leur réussit guère auprès des Français parce qu’ils y mettent une audace et une exigence insupportables ; ils entrent sans cérémonie dans les maisons en disant Ave, d’un ton humble, ensuite Ave Maria, d’un ton plus haut, puis auprès du ton le plus arrogant, Ave Maria Purissima ! et ils le répètent à tue-tête jusqu’à ce qu’on leur ait donné ou de l’argent ou des coups.

Louis Gabriel Suchet, duc d'Albufuera. Adèle Gault. Musée de l'Armée
Louis Gabriel Suchet, duc d’Albufuera. Adèle Gault. Musée de l’Armée

Pendant le séjour que j’ai fait à Valence, je suis allé plusieurs fois avec M. le maréchal visiter son duché[50], c’est-à-dire le fameux lac d’Albufera dont il est propriétaire. Le rapport de la chasse et de la pêche est fort peu de chose puisque cela ne rapporte guères que 20 ou 30 mille francs ; mais ce qui en fait la véritable richesse, c’est une lisière de 4 à 500 toises de terrain qui entoure presque partout le lac dont la longueur est de trois lieues sur une lieue et demie de largeur, et où l’on recueille une quantité énorme de riz et de safran ; cet objet rapporte plus de 400 mille francs par an tous frais faits. Il y a cinq ou six villages qui font partie de cette belle propriété.

On apprend le 20 octobre que l’ennemi fait des mouvements dans les environs d’Alicante et qu’il paraît vouloir se porter en force sur Valence ; l’armée d’Aragon[51] quoique animé du meilleur esprit, bien payée, bien nourrie, bien habillée, est cependant bien faible pour résister à des forces aussi considérables que des Espagnols et des Anglais réunis. Le maréchal se dispose à quitter Valence pour aller à leur rencontre, il a la bonté de me proposer d’être de la partie et de l’accompagner dans la visite qu’il va faire de son armée. Je pars avec lui pour San Felipe ou Jaliva et là et dans les environs, je vois les troupes les plus belles de l’armée française. Je visite avec le maréchal les positions où il se propose de recevoir l’ennemi et les points de retraite dans le cas où il serait obligé de quitter ses positions. L’ennemi s’avance vers Almanza[52], on l’envoie reconnaître et on lui prend 80 cavaliers et leurs chevaux. Le général ennemi détache un corps nombreux sur le flanc droit du maréchal pour déboucher par Requena et tomber sur Valence dont nous étions éloignés de 15 lieues. La position devenait assez critique, cependant le maréchal tint bon ; son audace en impose à l’ennemi qui, comme par enchantement, évacue une belle nuit toutes ses positions ; je n’ai jamais pu savoir le motif d’une pareille démonstration ni d’une pareille fugue.

San Felipe est une ville située dans un climat enchanteur, elle est adossée à une montagne qui la garantit des vents froids, elle est arrosée par un nombre prodigieux de très belles fontaines qui vont fertiliser les campagnes au-dessous de la ville ; ces fontaines sont alimentées par un aqueduc fort curieux, c’est un ouvrage des Maures, les campagnes sont couvertes de palmiers, d’oranges, de grenadiers, de cannes à sucre, on croirait être dans l’Orient, ces palmiers immenses chargés de fruits, les maisons toutes terminées par des terrasses donnent au paysage un air tout à fait étranger. San Felipe fait un commerce considérable d’huile, de soie et d’oranges ; je vais faire une course avec M. le maréchal à Moxente, petite ville où se trouve l’avant-garde de l’armée, nous passons devant le château de Monteza ancien chef-lieu de l’ordre de ce nom, ce n’est plus aujourd’hui qu’un monceau de ruines. Quelques jours après le maréchal retourne à Valence ; il me donne l’ordre en quittant San Fhelipe de prendre le commandement de tous les dépôts de cavalerie de l’armée du Midi[53], qui, depuis peu, se trouvaient réunis à Cullera petite ville à l’embouchure de Xacar, et de lui proposer les mesures que je croirais les plus convenables pour utiliser 500 chevaux et 700 hommes environ qui les composaient.

Je trouve en effet cette troupe dans l’état le plus déplorable, mais sur ma demande, le maréchal donne draps, souliers, chemises et solde pour les hommes et un peu d’orge pour les chevaux qui ne pouvaient s’accoutumer à manger les garouffes. En peu de jours, tout change de face et le 6e jour je fais partir 100 chevaux tout équipés. Cependant la ville de Cullera offrait peu de ressources parce que le terrain qui l’environne est très sablonneux à cause des débordements fréquents du Xucar[54] et du voisinage de la mer ; on y trouvait par conséquent fort peu de vert dont les chevaux avaient un si grand besoin pour se remettre. Je demande au maréchal et j’obtiens pour ces dépôts la garnison de Lyria. Je pars le premier jour de l’An pour Valence par un temps affreux… J’ai pensé me noyer 20 fois dans les torrents qui inondaient les champs de toutes parts, les routes avaient totalement disparu, j’arrive cependant grâce à la vigueur de mes chevaux et aux relais que j’avais établis à Alleyra et à Almuzafes ; je voyageais dans des chemins aussi mauvais et par un temps aussi détestable pour me trouver le soir même à une fête à laquelle monsieur le maréchal m’avait engagé à ne pas manquer. Cependant le temps passait, on parlait confusément du départ d’un convoi considérable pour Madrid ; je n’avais que cette occupation de rejoindre mon régiment et j’attendais ce moment avec une impatience bien vive ; c’était pourtant une contrariété pour moi de retourner par Saragosse, où il était possible que ce convoi s’arrêta fort longtemps, à cause du rassemblement général des insurgés qui, instruits de ce départ, le guettaient au passage dans les défilés qui se trouvent du côté de Calatayad. Le 17 janvier 1813, le maréchal fait disposer des piquets et des postes de distance en distance sur la route et chacun pour son compte, et se rend à Murviedro, distant de 4 lieues de Valence ; je prends le commandement de toutes la cavalerie de l’armée du Midi et d’une troupe espagnole appelée Los Escopetoros ; ces derniers sont de vrais chenapans ou autrement des contre-brigands. On ne peut leur faire entendre raison qu’à coups de sabres ; j’ai toutes les peines du monde à les empêcher de dévaliser les paysans. Le lendemain le convoi se met en route ; le trésor derrière les premières troupes, les voitures sur deux de front, chacun selon son rang, il y en avait 410 de toutes espèces, et au moins 2 000 chevaux ou mules portant des bagages. On arrive sans accident à Castillon de la Plana. Le convoi avait une grande demi-lieue de longueur ; c’est le général Lallemand[55] qui le commandait.

Général Charles (François Antoine) Lallemand
Général Charles (François Antoine) Lallemand

Le convoi poursuit sa route jusqu’à Benicarlos où il arrive le 20 janvier ; j’avais poussé ce jour-là avec ma cavalerie jusqu’à Vinaraz. C’est là qu’on me prévient qu’il y a de nouveau contre-ordre et que le convoi retourne à Valence ; il faisait un temps admirable et chacun prit son parti gaîment, moi surtout, car malgré le chemin que nous venions de faire inutilement il y avait plus d’apparence pour moi de rejoindre promptement en passant par la route directe, qu’en prenant celle de Saragosse, qui d’ailleurs outre les dangers provenant de la présence de l’ennemi était presque impraticable pour les voitures. Je rentre donc à Vinaros d’où j’étais déjà sorti, j’y séjourne, le convoi rentre aussi à Benicarlos, les marquis Saint-Adrien, grand-­maître des cérémonies et Aravacca, majordome du Roi et leur famille viennent me demander l’hospitalité parce qu’ils étaient horriblement pressés à Benicarlos. Nous nous amusons beaucoup, chacun met la main à l’ouvrage ; nous finissons par déjeuner fort bien et dîner mieux encore. On ne part enfin pour Valence, mais après deux jours de marche et à deux lieues du village de Castillon, on reçoit encore un contre-ordre qui nous alarma tous, parce qu’on croyait être obligé de retourner encore par Saragosse. Nous avions dépassé déjà le village de Villaréal et le convoi s’acheminait vers Valence, lorsque ce contre-ordre arriva. Il était motivé sur la présence d’une escadrille anglaise qui menaçait d’un débarquement et celle d’une bande commandée par Frayle, qui avait paru la veille à Nulès avec 5 ou 600 chevaux. Qu’on se figure un convoi aussi nombreux devant faire une contre-marche, par un temps très mauvais, sur une route qui, quoique belle est cependant trop étroite pour l’opérer avec deux voitures de front, toutes ces dames qui étaient enchantées de retourner à Valence se voyant obligées de rétrograder de nouveau ; l’ennemi de tous côtés, les hommes à cheval cherchant tous à gagner la tête du convoi pour éviter le danger, les femmes pleurant et criant de crainte d’être prises, une terreur panique s’emparant de tous ces gens-là, chacun enfin cherchant à fuir, on ne pourra pas encore se faire une idée du désordre qui eut lieu pendant un moment ; heureusement en partant de Castillon, je faisais l’arrière-garde avec 200 chevaux ; je me trouvai pas conséquent en tête du convoi lors de la retraite et à l’aide de quelques coups de sabre aux plus peureux et en barrant entièrement la route, je parvins à arrêter tout ce qui voulait marcher plus vite que moi. Je me mis en position de l’autre côté du village de Villaréal et après avoir vu défiler tout le convoi où il n’y avait plus besoin de vaguemestre pour faire serrer les voitures, je reçus ordre d’aller m’établir à Buriana sur le bord de la mer pour m’opposer autant que possible à toute tentative de débarquement.

Je traversai pour m’y rendre une troisième fois ce même village de Villaréal, au grand étonnement des habitants qui ne savaient que penser de cette fluctuation et j’arrivai à 9 heures du soir à Buriana par une pluie épouvantable. Après avoir établi tous les postes, je me retirai chez moi avec tous les officiers ; il n’y eut rien de nouveau jusqu’au lendemain à 4 heures après-midi que je reçus l’ordre de me rendre à Marviedro. Je partis 10 minutes après ; j’avais 9 lieues d’Espagne qui en sont au moins 13 de France et de chemins de traverse et un temps vraiment déplorable ; j’arrivai à 2 heures du matin et pour consolation, on me prévint à mon arrivée qu’il n’y avait rien dans les magasins et qu’il fallait bivouaquer ou se loger militairement. Je préférai le dernier parti attendu que nous nous trouvions sous la protection de la forteresse de Sagunte.

Je partis seul le lendemain pour Valence, j’allais chez le gouverneur pour me faire donner le même logement que j’avais eu auparavant et qui m’avait été conservé par ordre du maréchal ; en arrivant sur la place San Augustino où il loge, je vis une compagnie de dragons que je pris pour une compagnie de grenadiers de la Garde royale ; je m’avançai vers le commandant pour lui demander qu’elle était cette troupe ; quel fut mon étonnement lorsque j’appris que c’était la compagnie d’élite[56] de mon régiment qui venait me chercher à Valence ! Quel fut également l’étonnement des officiers et de la troupe en voyant que la première personne qui leur parle à Valence était leur colonel annoncé depuis si longtemps.

Le maréchal fit séjourner le convoi à Valence, passa le lendemain la revue de ma compagnie d’élite et il eut la bonté de dire mille choses flatteuses au capitaine Decoux[57] qui commandait cette compagnie. Il remarqua que les porte-manteaux étaient mauvais et il me donna du drap et 3 000 francs pour en faire confectionner pour tout le régiment.

La communication étant ouverte, outre les armées du Centre[58], du Midi[59] et de l’Aragon[60] ; le maréchal se décide à faire passer le convoi par Requena[61] et la Manche ; mais malgré les représentations du général Sparre[62], qui devait le commander, aux personnes qui avaient des voitures et des chariots à leur suite, malgré la certitude où l’on était de tout perdre si le mauvais temps continuait, en passant les montagnes de las Cabrillas et de Contreras, personne ne se rendit, et tout partit avec la même sécurité que si l’on avait dû suivre la grande route ; une dizaine de voitures restèrent embourbées le 2 février jour de notre départ de Valence, le reste arriva à la nuit à Bunol où toutes les voitures parquèrent sur une hauteur à l’entrée du défilé de Cabrillas ; le lendemain on s’enfourna dans la montagne où plusieurs voitures et caissons qui ne purent suivre furent brûlés ; tous ceux qui avaient des voitures furent obligés de marcher, par bonheur, le temps se remit subitement et on arriva assez en désordre à 9 heures du soir à Requena ; on voulut comme la veille faire parquer les voitures, mais il n’y avait pour cela qu’un terrain de l’autre côté de la ville, de sorte que dans l’obscurité et la confusion inséparable d’un pareil convoi, chacun tournait à gauche, à droite ou s’arrêtait pour entrer dans les logements, et l’on se trouva bientôt arrêté sans pouvoir avancer ni reculer, ce qui augmenta encore l’embarras, c’est que ceux qui suivant l’ordre dans le champ désigné ne voyant point arriver d’autres voulurent aussi revenir avec leurs voitures devant leur logement ; on n’y voyait goutte, on ne s’entendait plus, les piétons étaient froissés par les bêtes de somme qui se trouvaient alors pêle-mêle avec les voitures, chacun s’accrochait, criait, jurait ; il n’y eut que le temps et le jour qui purent mettre fin à ce désordre. Je me rappelle d’avoir dit à un ministre espagnol qui le premier avait quitté la route du parc pour faire conduire sa voiture devant son logement que l’ordre du général était de faire brûler toutes celles qui n’étaient pas au parc. Le moyen est doux, me répondit-il. Eh bien ! Monseigneur, lui expliquai-je, si celui-là ne convient pas, on en prendra de violents. A la bonne heure, Monsieur, dans ce cas je vais faire parquer ma voiture.

Louis Ernest Joseph de Sparre (1780-1845), lieutenant-général et pair de France. Il est ici représenté en tant que colonel du 5e dragons. Eugène Lami
Louis Ernest Joseph de Sparre (1780-1845), lieutenant-général et pair de France. Il est ici représenté en tant que colonel du 5e dragons. Eugène Lami

Le 4 février nous arrivons de bonne heure à Utiel où je trouve mon régiment en entier qui attendait sous les armes mon arrivée ; je suis reçu colonel par le général Sparre mon prédécesseur au 5e de dragons. Le voilà donc enfin ce régiment après lequel je cours depuis si longtemps[63]. Les officiers et les sous-officiers viennent me rendre visite et je suis fort satisfait de la tenue et de la tournure des uns et des autres. On me rend compte que la 5e compagnie du régiment avait deux jours auparavant surpris une bande de brigands ; il y en eut 5 de tués et 4 de pris, ceux-ci furent fusillés à notre départ d’Utiel.

Le convoi se remet en marche après une halte de trois heures et arrive encore à la nuit à Villalgordo, misérable village ravagé maintes fois par les bandes et les troupes espagnoles. On n’y trouve rien, quelques habitants seulement y étaient encore et nous demandaient l’aumône. Le régiment bivouaque sur une hauteur en arrière du village, ce qui restait de maisons sur pied est démoli pour les feux de la partie du convoi et des troupes qui bivouaquent.

Le 5 le convoi couche à Minglanilla et traverse non sans peine pour y arriver les montagnes de Las Contreras ; le régiment qui ce jour-là faisait en partant l’arrière-garde, après avoir fait halte pendant trois heures au pont de la Venta de Contreras doit reprendre la tête ; il a beaucoup de peine à se tirer d’affaire dans les mauvais chemins de la montagne. On arrive à la nuit.

Le général Armand-Joseph-Henri Digeon
Le général Armand-Joseph-Henri Digeon

Le 6 le régiment couche à Ledana et je reste à Ynienta où était le quartier-général de la division. C’est le général Digeon[64] qui la commande, homme aimable sous tous les rapports et dont je reçois un accueil fort gracieux.

Le 8 le régiment séjourna à Ledana. Je profite de ce séjour pour aller jusqu’à Villanueva de la Jarra conduire le convoi et y faire mes adieux à toutes les connaissances tant françaises qu’espagnoles ; la division du général Darricau[65] prend sous sa garde le convoi et il part avec elle.

Augustin Darricau, général et comte de l'Empire
Augustin Darricau, général et comte de l’Empire

Le régiment loge seul le 9 à Gambaldon, misérable village presque abandonné. Le 10 à Buenache de Alarion où nous achetons quelques chevaux à des officiers d’infanterie pour remonter nos hommes à pied.

Le 11 en passant par Valverde[66], nous allons à La Parra où je suis forcé de faire mettre mon hôte le curé au bivouac sans feu pour obtenir de l’orge pour mon régiment, j’ai eu la cruauté de ne pas me laisser attendrir par trois jolies nièces qui intercédaient pour lui.

Juan Martín Díez, El Empecinado, par Francisco Goya.
Juan Martín Díez, El Empecinado, par Francisco Goya.

Le 12 à Cuenca[67], nous y trouvons 45 malades de la bande de l’Empecinado qui sont faits prisonniers. Cette ville est bâtie partie sur le haut et partie sur le penchant d’une colline fort escarpée ; tout ce qu’il y avait de riche et les principaux habitants se sont enfuis à notre approche. Le général Digeon me donne le commandement de cette place où nous sommes obligés de prendre des mesures violentes pour ne pas mourir de faim. Je fais des visites domiciliaires dans tous les couvents pour y découvrir les blés cachés ; je fais arrêter et conduire en prison la plupart des abbesses. Le général me donne l’ordre de faire arrêter toutes les nièces ou gouvernantes des chanoines émigrés, cette mesure a lieu et cent au moins sont mises dans différents couvents, elles pleurent beaucoup mais elles finissent par payer pour leur oncle ou pour leur maître tout le montant de la contribution. Les maisons des émigrés qui n’avaient pas de représentants sont saccagées par les soldats et la plupart rasées jusqu’à terre. Le régiment est mal à Cuenca parce qu’on est obligé d’aller fourrager à trois ou quatre lieues de là et que les hommes et les chevaux n’y avaient pas une minute de repos.

Nous restons dans cette ville jusqu’au 26 février et nous nous séparons du général Darricau qui était venu nous y rejoindre et sous les ordres duquel la division de dragons s’est trouvée pendant son séjour à Cuenca ; cet officier général ancien colonel du 32e régiment d’infanterie et avec lequel j’ai fait la guerre m’a traité avec une bonté toute particulière ; nous couchons le 26 à Valverde à six lieues de là ; il n’est pas inutile de dire qu’une lieue d’Espagne équivaut à 2 lieues de poste de France. Il faut une heure et quart pour en parcourir une au grand pas d’un cheval. Ce village de Valverde est extrêmement fatigué ; il a beaucoup souffert à cause des bivouacs fréquents qui ont eu lieu dans les environs et la moitié au moins des maisons sont démolies ; le 27 nous passons par Honrrubia pour aller coucher à San Clemente, bourg très considérable de la Manche – il y a presque toujours eu dans cet endroit une junte insurrectionnelle de sorte que toujours à l’approche des troupes françaises les habitants quittent leurs maisons et se sauvent dans les campagnes. C’est une chose fort triste que la sombre solitude de ces villes désertes et c’est en même temps un inconvénient fort fâcheux parce qu’on ne sait à qui s’adresser pour tout ce dont on peut avoir besoin. Les soldats d’ailleurs ne trouvent personne dans les logements où ils se placent, commettent mille désordres qu’il est impossible d’empêcher. San Clemente est toujours désert quand les Français y arrivent. Le peu de misérables qui y restent se répandent au départ de la troupe dans les maisons abandonnées et détruisent ou volent ce qui s’y trouve encore, on a cherché plusieurs fois à dissuader les habitants de recourir à une si fâcheuse extrémité ; mais leur haine pour les Français est plus forte que le désir de conserver leurs propriétés.

Le 28 le régiment couche à San Pedroneras où il est bien.

Le 1er mars, nous arrivons au Toboso – patrie de l’héroïne de la Manche. C’est un beau et bon village, il paraît que depuis le temps où l’aimable auteur de Don Quichotte a écrit sa joyeuse histoire, les femmes de Toboso, n’ont pas embelli, celles que nous avons vues auraient pu passer pour autant de Dulcinées. Il est fort plaisant de lire cette véridique histoire en voyageant dans le pays où s’est illustré ce fameux guerrier, de reconnaître l’exactitude géographique de son auteur et de s’arrêter à chaque pas dans ces lieux consacrés par les hauts faits du héros. Qu’aurait dit Don Quichotte s’il était arrivé à Toboso pendant notre séjour, en voyant tant de chevaliers le casque en tête et armés de toutes pièces.

Le lendemain 2 nous rencontrons en passant à Quintanar les géants contre lesquels Don Quichotte livra ce fameux combat qui lui fut si fatal, les moulins n’ont pas changé de place. Nous couchons à El Coral del Almaguer où nous sommes parfaitement bien, hommes et chevaux.

Bataille d'Ocana (Vernet)
Bataille d’Ocana (Vernet)

Le 3 après avoir fait halte au village de Villatolas, nous arrivons à Ocana[68] où s’est livrée il y a quatre ans la bataille de ce nom, on en voit peu de débris, parce qu’il y eut peu de monde tué et qu’une grande partie de l’armée espagnole fut faite prisonnière de guerre. Ocana est une assez jolie ville située à l’extrémité de la plaine immense de la Manche et sur le bord des ravins qui avoisinent la Tage. Quoique cette ville ait beaucoup souffert par les combats livrés sous ses murs, nous y trouvons encore des ressources et les habitants nous accueillent avec cordialité. Nous nous y établissons trois régiments de dragons, le 5e, 12e et 21e. Je profite de quelques jours de repos pour faire de nombreuses réparations. Le 19 mars je reçois l’ordre de partir avec deux cents chevaux pour aller en colonne mobile pour la rentrée des contributions en argent, mules et grains ; je vais ce même jour au village de Santa Cruz où je reçois 200. 000 réaux. J’emmène en otage l’alcalde et les corregidors pour me répondre du transport à Ocana de 600 sacs de grains que je parviens à réunir. Je fais le lendemain la même opération à Tarancon en passant par la Zarza misérable hameau imposé à une contribution considérable et où il n’y avait que 4 ou 5 maisons, je n’en exige rien. Il y avait à mon arrivée à Tarancon un poste de la partida de l’Empecinado, fort de 12 à 15 hommes ; je le fais charger et il se sauve dans la montagne, Tarancon située dans un pays très fertile est une ville du 3e ordre, mais elle a tant souffert par la présence des armées françaises et espagnoles et des bandes qu’elle est entièrement aux abois. C’est peine perdue que vouloir en rien tirer à présent ; d’ailleurs les principaux habitants se sauvent toujours quand les Français arrivent ; j’aurais fait démolir leurs maisons si j’en avais eu le temps, je voulais d’abord les brûler, mais par ce moyen, l’innocent voisin du coupable aurait été victime.

Je vais le lendemain coucher à Torrubia qui est un fort bon village en passant par Fuente Pedroneras y Acebron où j’enlève des otages pour garant du payement des contributions. Je me remets en marche le 22 pour aller coucher à Vittatobas. A la hauteur de Fuente Pedroneras, je rencontre un escadron ennemi que je fais charger par un peloton soutenu d’un autre ; il se sauve, je marche toujours avec le reste de ma troupe ; à une lieue de-là ces pelotons que j’avais à la poursuite de l’ennemi engagent une fusillade assez vive ; je presse ma marche et malgré l’avantage que présentait le terrain pour découvrir, je n’aperçois plus l’ennemi ni les nôtres. Après avoir marché un certains temps je prends le parti de m’arrêter pour faire chercher ce que pouvaient être devenus ces pelotons, qu’un paysan qui se sauvait et que je fis heureusement attraper me dit avoir vu se dirigeant sur ma gauche poursuivant l’ennemi à toute course ; après une demi-heure d’attente, je vis une poussière très forte à travers de laquelle brillaient les casques ; je fis aussitôt sonner le ralliement par tous les trompettes et nos gens se dirigèrent sur moi ; je fis de violents reproches à l’officier de n’avoir pas rendu compte à temps de ce que c’était que cette troupe et de la direction qu’elle prenait car si j’eusse été prévenu, j’aurais parfaitement pu lui barrer le chemin ; ils ne firent aucuns prisonniers ; ils donnèrent seulement quelques coups de sabre aux plus paresseux qui pourtant parvinrent à se sauver à cause que nos chevaux fatigués des courses précédentes et de celles qu’ils venaient de faire pour les joindre, refusaient le service et d’ailleurs cette troupe, qui était de la bande de l’Abuelo (grand-père) avait formé son arrière-garde des hommes les mieux montés.

Nous nous remettons en route, à une demi-lieue du village de Vittatobas ; je fais halte et sortir dix hommes pour aller reconnaître le village, sous les ordres du capitaine adjudant major Riguerer ; je m’aperçois un instant après sur la grande route qui était à un quart de lieue sur ma droite un piquet d’hommes à cheval qui sortaient à toute course du village ; je fais partir sur le champ douze hommes au galop pour soutenir l’adjudant major dans la crainte que l’ennemi n’occupât ce poste et je mets au trot le reste de la troupe ; le village ne s’aperçoit par le chemin que nous tenions que lorsqu’on en est à une portée de fusil ; en le découvrant je vis sortir l’adjudant major au grand galop avec un de mes sapeurs qui avait cinq chevaux en main ; aussitôt qu’ils me voient, ils lâchent tous ces chevaux et rentrent dans le village ; ne sachant que penser de cette manœuvre, je partis au galop avec 50 chevaux et laissai le reste pour garder l’argent et les otages et j’entrai moi-même dans le village où je trouvai la place jonchée de morts et de mourants et pas un Français, ni un paysan ; étonné d’un pareil carnage, j’allais moi-même, ne voyant plus d’ennemis à combattre, sortir du village pour le faire cerner et réunir ma troupe dans la crainte de quelqu’embuscade, lorsque je vis arriver le capitaine Rigueur que je croyais pris ou tué dans cette échauffourée, avec sept hommes, le sabre à la main ; il me raconta alors, qu’aussitôt après m’avoir quitté, il avait trouvé un troupeau qu’il y avait laissé trois hommes des dix qui étaient partis avec lui, et que près d’arriver au village, il avait surpris une vedette ennemie, qu’il l’avait tuée et que d’après cela, jugeant le poste occupé, il avait dit à ses sept hommes qu’il fallait faire voir à leur nouveau colonel à quels hommes il commandait qu’ils allaient se porter au grand galop sur la place, qu’ils y trouveraient l’ennemi et le surprendraient, qu’ils étaient trop peu pour s’occuper à faire des prisonniers et qu’il fallait tout tuer. Tout cela fut exécuté en un instant. Cet officier me dit ensuite qu’il était certain d’avoir tué plus d’hommes que ceux qui étaient étendus là et que pour son compte, il avait tué ou blessé mortellement le chef dont en effet on trouva le chapeau et le sabre et qu’il l’avait laissé pour mort sur les marches de la maison de ville. Il me dit qu’il avait trouvé environ 50 cavaliers sur la place et que sans leur donner le temps de monter à cheval, ils en avaient tué tant qu’ils avaient pu, mais que n’étant que huit, ils n’avaient pu empêcher que quelques-uns ne se sauvassent ; je fis soigneusement cerner le village et visiter les maisons , qui avoisinaient la place, on y trouva 20 chevaux et quelques hommes blessés mortellement. J’envoyai chercher l’alcalde et lui ordonnai de faire sur le champ publier un ban pour prévenir les habitants, que lui alcalde, allait être pendu au balcon de la municipalité si on trouvait des brigands dans les recherches qui allaient être faites dans les maisons et que le chef de famille où un seul serait trouvé sans être dénoncé serait également pendu. Je ne donnai qu’un quart d’heure à l’alcalde pour faire trouver le chef de la bande qui ne pouvait être loin puisque l’on suivait ses traces par le sang qu’il avait perdu., jusqu’à la maison même de l’alcalde ; le quart d’heure passé et rien n’arrivant, on lui mit la corde au col et on le hissait déjà lorsque sa famille vient annoncer qu’on allait amener Cherimbolo, chef de ces brigands ; en effet on l’apporta aussitôt sur la place, il avait deux coups de sabres terribles sur la figure, et un coup de lance[69] [70] donné par un de mes sapeurs et qui le traversait de part en part, je le fis porter dans une maison où on en avait déjà réuni six autres aussi blessés que lui, on décrocha l’alcalde qui me supplia de lui donner 10 grenadiers pour faire la recherche lui-même.

Don-Juan-Martínez-de-Rozas
Don-Juan-Martínez-de-Rozas

Ce même Cherimbolo que je menaçai de faire fusiller sur le champ si on trouvait d’autre officier que lui, m’indiqua une maison où se trouvait un autre chef nommé Don Juan Martinez, brigand fort réputé dans le pays et qui était entré dans le village avec dix hommes un moment avant l’action. J’envoyai sur-le-champ un officier avec 20 hommes et l’ordre de faire pendre tous les habitants de cette maison en commençant par le chef de la famille si, dans cinq minutes, ce chef n’était découvert ; ils nièrent d’abord que personne fut caché chez eux et surtout la maîtresse de la maison qui paraissait n’ajouter aucune foi aux menaces qu’on lui faisait, mais quand elle se vit enlever de terre, elle fit signe qu’elle voulait parler, il était temps ; elle indiquait du doigt un espèce de belvédère où était caché ce Martinez déjà déguisé en paysan et qui de sa cachette observait tout ce que nous faisions sur la place. On lui fit reprendre ses habits qui était ceux d’un commissaire des guerres qu’il avait pris deux jours avant et sur lequel il s’était avisé de placer des épaulettes d’officier général français. On me l’amena et il se jeta à mes genoux en me suppliant de ne le faire pas fusiller parce que, disait-il, il n’avait jamais tué de Français que les armes à la main ; je fus fâché qu’on ne l’ait pas tué en le prenant, mais je ne crus pas devoir faire massacrer un homme désarmé. Quelques recherches que nous ayons pu faire après cela, nous n’avons pu en découvrir que 17 en tout tués ou blessés, excepté ce seul Martinez qui, se trouvant dans la maison où on le découvrit au moment de l’action, échappa au carnage. Nous n’avons pas eu un seul homme blessé. Ce village outre toutes ses contributions paya 60 000 réaux[71] pour n’avoir pas annoncé à Ocana la présence des brigands. Je rentre le 24 mars à Ocana où j’apprends que malgré nos recherches cinq ou six brigands blessés étaient partis le jour même que nous de Villatobas. Les chevaux pris à ces brigands ont servi à remonter 20 hommes à pied de mon régiment.

Le 30 l’armée fait un mouvement pour se concentrer en arrière du Tage ; la division part d’Ocana et fait halte à Aranjuès[72] où elle passe ce fleuve. Cette résidence royale qui, autrefois, était un séjour enchanteur est presque entièrement dévastée, on a abattu à cause des nombreux bivouacs et pour le service de l’artillerie une partie des plus beaux arbres ; les jolies habitations des personnes attachées à la Cour sont la plupart démolies, le peuple fait chaque jour de nombreux dégâts pour avoir les fers et les plombs ; le château seul a été respecté jusqu’à ce moment ; il n’a rien de bien extraordinaire, mais cependant avec toutes ses dépendances, ce séjour devait autrefois être digne de sa destination. Nous séjournons le 31 à Colmenar de Dreja[73] et nous nous établissons le 1er avril à une lieue en arrière du village de Chinchon, qui autrefois présentait de grandes ressources mais qui a été saccagé en 1811 pour avoir fait feu sur un régiment français qui y passait ; il y a eu plus de 200 habitants massacrés par les soldats. Cependant le pays est si productif que nous y avons trouvé beaucoup de ressources encore et de bons logements. Nous y restons jusqu’au 5 que nous en partons pour aller coucher à Madrid ; nous avons soin d’emporter des vivres en tous genres pour 5 jours attendu qu’on ne peut rien obtenir des magasins de Madrid. Nous faisons halte au hameau de Peralecco pour y prendre de la paille et nous arrivons à 3 heures à Madrid[74]. Nous nous formons en bataille sur le Prado. Les officiers de la brigade vont rendre visite à M. le général comte Gazan[75], commandant en chef l’armée du Midi en l’absence du maréchal. Il y aurait de l’inconséquence à juger de Madrid sur ce que j’ai pu en voir pendant deux ou trois jours que j’y ai été. Tout ce que je puis dire, c’est que la ville est parfaitement bien bâtie, que les promenades sont très belles et les fontaines qui les décorent du meilleur goût et plus belles sans contredit que ce que l’on voit à Paris dans ce genre. Le palais des Rois qui est d’une architecture un peu lourde n’est pas achevé, mais il présente une masse noble et imposante. Je crois qu’autrefois, Madrid devait être une ville fort belle et fort agréable ; aujourd’hui elle est dans un état de délabrement qui fait pitié ; les rues ne sont plus nettoyées parce que les mules destinées à l’enlèvement des immondices ont été employées au service de l’armée ; beaucoup de maisons sont abandonnées et détruites, le peuple dans la plus affreuse misère se porte à mille excès violents pour vivre. Le libertinage occasionné par le besoin est poussé à un point qui fait horreur. Enfin c’est une immense population entièrement abandonnée à elle-même sans magistrats pour s’occuper de pourvoir à la subsistance et réprimer les délits. Le désordre, la confusion et la misère y sont au comble.

Les villages et les maisons qui se trouvent sur les routes avoisinant Madrid sont renversés, toute la campagne est ravagée. Nous allons le 6 avril à Colmenarejo où le régiment bivouaque parce que toutes les maisons sont détruites.

Nous étions fort près de l’Escurial où j’ai regretté de ne pouvoir aller cependant ce que j’en ai vu m’a frappé d’étonnement et je n’ai pu concevoir pourquoi on avait précisément choisi pour bâtir un édifice aussi extraordinaire, un pays aride et adossé à une montagne qui ne présente que des rochers affreux.

La sierra Guararrama
La sierra Guararrama

Le lendemain nous passons les montagnes de Guadarrama[76] pour un temps superbe, quelques jours avant 200 hommes d’infanterie y avaient péris dans une tourmente ; lors de notre départ de Madrid beaucoup de personnes, entre autres l’ambassadeur de France, les ministres et les officiers de la maison du Roi partirent avec nous, ce qui ne laissait pas que de former un convoi considérable ; nous nous trouvions en queue de ce convoi au bas de la montagne et recevant ordre de gagner la tête. Nous marchons pendant deux heures au milieu de tout cet attirail et nous arrivons à la nuit à Villacastine. Le régiment est tout entier logé dans une seule maison, on met les chevaux dans un immense magasin qui, je crois, servait autrefois de dépôt pour les laines de la province de Ségovie. Il y a beaucoup de ces établissements à Villacastine, je ne pense pas qu’ils soient utilisés de longtemps parce que tous les troupeaux sont détruits, les régiments en traînent des milliers à leur suite pour les distributions de la viande.

Le 8 avril nous allons à Arrevalo[77] nos provisions en tous genres étaient épuisées surtout l’orge ; je fais prendre quelques sacs de blé dans deux ou trois villages par où nous passons. Nous aurions été fort bien à Arrevalo si le quartier-général ne s’y était trouvé avec nous.

Le 9 nous nous rendons à Medina del Campo où nous trouvons les premières troupes de l’armée du Portugal qui nous paraissent fort bien tenues[78]. L’on nous donne des vivres pour la première fois depuis notre départ de Chinchon.

Le 10 nous nous mettons en marche à 4 heures du matin pour venir à Toro[79] où nous arrivons à 8 heures du soir. 10 chevaux meurent de fatigue pendant la route.

On nous avait fait craindre la famine dans l’armée du Portugal, mais nous trouvons de grandes ressources en blé, orge et vin à Toro. Cette ville est bâtie sur une éminence bien élevée au bord du Duero, que l’on traverse sur un pont de pierre, elle est assez considérable, mais la cavalerie y manque d’eau ; il faut aller à la rivière qui, quoiqu’au bas de la montagne sur laquelle est la ville ne laisse pas d’en être éloigné d’une demi-lieue à cause des détours qu’il faut prendre. Le général en chef Reille[80] commandant l’armée du Portugal arrive le lendemain ; il nous promet que nous ne manquerons de rien sur son territoire.

Nous restons à Toro jusqu’au 25 de mai. Dans notre séjour à Toro, je m’occupe de réparation et de confections pour remettre mon régiment en état de faire campagne[81] ; je suis également chargé de la rentrée des contributions de la province et je pars avec deux cents chevaux pour activer cette opération sur la rive gauche du Duero. Je reste dix jours en colonne mobile, je n’ai aucune occasion de tomber sur les brigands qui infectent cette province. Ils sont instruits de tous mes mouvements et se sauvent toujours à mon approche. Dans ces différentes courses, j’ai prélevé un million de réaux.

Le 25 mai au soir, on est instruit que les armées espagnoles et anglaises se sont portées en force sur Salamanque qui a été évacuée par nos troupes ; je reçois l’ordre de me tenir prêt à marcher avec mon régiment pour aller à leur rencontre à une marche de Toro et je pars le 26 mai à 4 heures du matin pour aller les combattre.

La suite à l’ordinaire prochain.

Toro 26 mai à 2 heures du matin, an 1813.

NOTES (d’origine)

[1]  Bayonne, dans les Basses-Pyrénées, est sous l’Empire une « ville très forte…l’entrée de son port est difficile mais les vaisseaux y sont en sûreté », écrit on dans le dictionnaire géographique portatif de 1795. La ville est animée par un commerce de draperies, de serges, de bura, de camelot, d’étoffes, de soie, de rubans et de dentelles. On y trouve de l’épiceries comme de la clincaillerie, de la verrerie. C’est aussi un marché où l’on trouve du vin, des eaux de vie et des jambons. On y trouve des commerces d’or, argent, fer. Le port y apporte un commerce de pêche à la morue. Dès le mois de mai 1808, la ville devient la base arrière des opérations françaises en Espagne. Le 2 août, cette position est officieusement confortée par l’arrivée des 2e, 4e et 12e régiment d’infanterie légère. Des 14e, 15e, 43e, 44e et 51e régiment d’infanterie de ligne. Du 26e régiment de chasseurs à cheval, des 12e, 13e, 14e et 15e escadrons de marche ainsi que de 400 polonais de la Garde. Le 5 août, Napoléon fait de Bayonne la base arrière effective par l’ordre d’y constituer des magasins de vivres, de biscuits et de farine comme des grands dépôts d’habillement, puis de poudre.

[2]  Ces cas similaires de grivèleries et de supercheries sont assez fréquents dans la suite des armées du 1er Empire. Ainsi dans l’Ain, un soi disant neveu du ministre Dejean se fait loger aux frais de l’Etat durant une semaine à Bourg.

[3]  François Lhuillier de Hoff, né en 1759 à Cuisery, Saône et Loire. Commandant la réserve d’infanterie de Bayonne en 1812. Il décède à Orléans en 1837.

[4]  Depuis la fin du Consulat beaucoup d’officiers, dès le grade de capitaine, font usage de voitures pour leur transport.

[5]  Charles Malo François de Lameth, né en 1757 à Paris. Commandant la place de Santona, le 15 juin 1812. Il décède à Paris en 1832.

[6]  Peut il s’agir il de Jean de Labadie, né en 1719 à Clairac, Lot et Garonne pourtant décédé le 1er mars 1812 à Bayonne ?

[7]  Tolosa, « jolie ville d’Espagne…dans une vallée agréable & fertile » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[8]   « ville…dans une situation fort agréable » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[9]   Chef de guérillas. Il y a deux Mina : le premier, Xavier Mina, capturé par Harispe en 1810 et le second, notre homme, Francisco Espoz y Mina, son oncle. Redouté des français, il est toutefois emprisonné au retour de Ferdinand VII et pendu.

[10]  « jolie et considérable ville d’Espagne au bout d’une belle plaine.les grandes rues sont bordées de beaux arbres qui ne sont pas le moindre agrément de la ville » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[11]  Il s’agit de la bataille des Arapilles, où les troupes françaises perdent 2 000 tués et 3 000 blessés et les anglo- portugais 694 tués et 4 270 blessés.

[12] Marie François Auguste Caffareli comte du Falga, né en 1766 au Falga, Haute Garonne. Adjudant général chef de brigade le 28 mars 1794. Commandant en Biscaye et Navarre de juillet à décembre 1811. Décédé en 1849 à Leschelles, Aisne.

[13] Paul Charles François Adrien Henri Dieudonné, baron Thiébault, né en 1769 à Berlin. Général de brigade le 6 mars 1801. Gouverneur de Toro, Zamora, Cuidad Rodrigo. Il décède en 1846 à Paris. Auteur de Mémoires célèbres.

[14]  Suite à la bataille de Fuentès de Onor, les 4 et 5 mai 1811, l’armée française commandée à Masséna se replie en Espagne entre Ciudad Rodrigo et Salamanque.

[15] Marmont n’a jamais été blessé à Alba de Tormès mais aux Arapiles.

[16]  28 novembre 1810. Le général Kellermann remporte une victoire sur les troupes de Del Parque mais Morin veut parler en fait des Arapiles.

[17]  Il s’agit en fait de Jean Pierre François Bonet, né en 1768 à Alençon. Général de division le 27 août 1803. Il est blessé aux Arapiles. Décédé en 1857 à Alençon.

[18] Ducheyron, major au 66e régiment d’infanterie de ligne est blessé le 22 juillet 1812 aux Arapiles.

[19]  « Petite ville d’Espagne dans la province de Guipuscoa avec un château et un bon port » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[20] Louis Claude Duchastel, né en 1772 à Saumur. Colonel le 30 janvier 1812. Il décède en 1850 à Charonne.

[21]  Joseph Souham, né en 1760 à Lubersac, Corrèze. Général de division en 1793. Commandant en chef, par intérim, de l’armée du Portugal, le 4 octobre 1812. Il décède en 1837.

[22]  « très jolie ville de France sur une hauteur, au pied de laquelle passe le Gave béarnois…fabrication de toiles, draps, mouchoirs & chapeaux » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[23] Morin fait il allusion aux chasseurs de la montagne ? Par décret du 6 août 1808, Napoléon décide de lever 34 compagnies de Miquelets dits “Chasseurs de la Montagne ”. Ces compagnies doivent assurer la couverture des

Pyrénées tandis que l’armée Française est engagée dans la péninsule ibérique. Troupe « garde frontière », ils sont recrutés parmi les populations locales avec promesse de ne pas partir. Ils mènent des actions de contre guérillas efficaces. Ils sont dissout en 1814.

[24]  Le vin espagnol est alors très réputé en Europe entière et est souvent heureusement découvert et bu par les soldats français arrivant en Espagne.

[25]  « Ancienne ville d’Espagne, au royaume d’Aragon, sur la rive d’Aragon, aux pieds des Pyrénées, avec un évêché » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[26] Introduit en France en 1654, il est la boisson de l’aristocratie avant la Révolution. Il se répand rapidement dans la société française, à cause de ses vertus toniques, et est servi dans les cafés. Il est la boisson de 9 parisiens sur 10. Sous l’Empire, on le prend désormais infusé et non plus à la turc. Avec le blocus, il redevient une denrée rare.

[27]  Si le vin est au XIXe le grand champion de l’alcool, l’apparition de l’eau-de-vie en Lorraine, en 1690, et en Bourgogne, précipite l’alcoolisation de la société sous l’Empire. Ses dérivés sont légions : calvados, kirsch et marc coulent à flot dans les gosiers français. Le punch est à la mode dans les soirées mondaines, tandis qu’un verre de rhum de la Jamaïque, pris entre les rôti et les entremets, restaure l’appétit.

[28]  Avec les menaces de la guérilla constante et ses actions toujours plus osées, les déplacements sont font avec des convois de plusieurs centaines voir milliers d’hommes, tel le convoi que prend Hippolyte d’Espinchal, en janvier 1812, de Bayonne pour se rendre à Madrid, se composant de 2 000 fantassins, deux pièces d’artillerie et une centaine d’officiers isolés.

[29] En 1814, le 8e régiment d’infanterie napolitain est à la division Harispe.

[30]  S’agit il sans doute de dragons de la Garde royale italienne, sous les ordres du général Schmarz, au corps d’Observation des Pyrénées Orientales au 1er janvier 1808.

[31]  Les 18e et 22e dragons sont à la division Treillard de l’armée du Centre en juin 1813. Le 18e compte 2 escadrons pour 275 hommes et le 22e compte 2 escadrons pour 388 hommes.

[32] Le 9e hussards est présent en Espagne de 1810 à 1811. Le colonel Morin fait sans doute ici référence au 9e bis de hussards devenu 12e de l’arme.

[33]  Ce type de fortification est souvent le fruit du travail de la garnison qu’il abrite. Ils sont répartis les long des grands axes routiers vers des points névralgiques.

[34]  Le 23 janvier 1810, 20 escadrons de gendarmerie sont formés en Espagne. En fin d’année, des gendarmes chevau légers armés de lances sont entraînés pour être incorporés dans des unités.

[35]  « Grande, très belle, bien peuplée & commerçante ville d’Espagne sur la rive gauche de l’Ebre, qu’on passe sur deux ponts, dans un terrain fertile & abondant en tout ce qui est nécessaire à la vie » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[36]  Saragosse connaît deux sièges. Le premier commence le 15 juin 1808 et dure jusqu’au 9 août. Il est mené par Moncey, Junot, Verdier et Lefèbvre-Desnouettes. Le second siège commence le 20 décembre 1808 et se termine, le 27 janvier 1809, avec la prise de la ville. Il est conduit par Lannes. Les pertes espagnols sont estimées à plus de 50 000 mort, celles des français à 3 000 tués et 5 000 blessés.

[37]  « ville & viguerie d’Espagne sur la rive gauche de l’Ebre, dans la Catalogne, avec un évêché succursale de Taragone, une petite université & un château. L’église cathédrale est très belle » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[38] Capitaine au 5e dragons, il est blessé à Ocana, le 19 novembre 1809.

[39]  Le siège de la ville est fait le Suchet, fin 1810. La garnison est alors de 11 000 hommes avec « des provisions considérables » (PIGEARD (Alain) : « agenda des batailles de Napoléon 1805 – 1815 » hors série n°9 Tradition Magazine). Elle tombe le 2 janvier 1811 livrant ente 9 400 et 10 000 hommes, 182 pièces d’artillerie et 30 000 boulets. 4 à 500 soldats français y trouvèrent la mort.

[40] Durant le 1er Empire, le rhum et le punch, sont des alcools très à la mode.

[41] « très forte ville d’Espagne, au royaume de Valence, à 12 lieues S.O. de Tortose, sur le bord de la mer, sur une pointe de terre fort élevé » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[42]  Joseph Antoine Mermet. Né en 1775 à Belfort. Colonel du 19e dragons le 14 octobre 1811. Décède à Montpellier, Hérault en 1820.

[43] Le 4e hussards arrive en Espagne dès 1808.

[44] Un charnier de 173 corps retrouvés à l’extérieur de Valencia atteste de cette barbarie des guérilleros. Voir « les horreurs de la guérilla à Valencia » in Feuille de Route n°51, novembre 2005.

[45]  Le 23 septembre 1811, Murviedro tombe aux mains des troupes du général Habert. Les troupes françaises utilise cette position pour procéder au siège de Sagonte.

[46]  Le 25 octobre 1811, après un siège mené d’après les plan des généraux du génie Valée et Rogniat, et après avoir repoussé deux assauts, les 28 septembre et 18 octobre 1811, Sagonte tombe aux mains de Suchet après un combat opposant les 30 000 hommes de l’armée de Valence, sous les ordres de Blake, aux 17 000 hommes de Suchet. Malgré une bonne contenance, les espagnols qui ne résistent pas aux baïonnettes françaises, laissent 12 canons, 4 700 prisonniers et 4 drapeaux. Les français perdent 700 hommes, morts ou blessés. La prise de Valence a pour but de lancer le corps d’armée de Suchet dans le royaume de Murcie et de Grenade.

[47]  « rivière d’Espagne qui prend sa source dans les montagnes qui séparent la nouvelle Castille du royaume de Léon, & se jette dans la Méditerranée au dessous de Valence » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[48]  Ou Valença d’Alcantara, ville considérable d’Espagne très forte par sa situation, sur un roc, près de la rivière de Savar, dans l’Estramadure, sur les fronts du Portugal avec nu vieux château » in dictionnaire géographique portatif de 1795. La ville subie un premier siège très court le 28 juin 1808. Un second, mené par Suchet, amène sa rédition le 9 janvier 1812.

[49]  Né à Romans, Drôme, en 1774. Général de brigade le 6 août 1811. Chef d’état major général de l’armée d’Aragon le 15 septembre 1811. Décédé à Vichy, Allier en 1842.

[50] Suchet est fait duc d’Albuféra le 24 janvier 1812.

3 Au 1er janvier 1814 l’armée d’Aragon se compose du 1er régiment d’infanterie légère, 3e régiment d’infanterie légère, 23e régiment d’infanterie légère, 7e régiment d’infanterie de ligne, 14e régiment d’infanterie de ligne, 16e régiment d’infanterie de ligne, 20e régiment d’infanterie de ligne, 44e régiment d’infanterie de ligne, 60e régiment d’infanterie de ligne, 67e régiment d’infanterie de ligne, 79e régiment d’infanterie de ligne, 114e régiment d’infanterie de ligne, 115e régiment d’infanterie de ligne, 116e régiment d’infanterie de ligne, 122e régiment d’infanterie de ligne,      4e hussards,  12e hussards, 29e    chasseurs,  24e  dragons,  13e  cuirassiers,  5e  bataillon des

équipages militaires, 11e bataillon des équipages militaires, 2e compagnie d’infirmiers plus des gendarmes, de l’artillerie, du train d’artillerie et des sapeurs.

[52]  « petite ville d’Espagne dans la nouvelle Castille, sur les frontières du royaume de Valence » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[53] Les régiments de cavalerie de cette armée sont, au 21 juin 1813, le 2e hussards, le 21e chasseurs, le 4e dragons, le 5e dragons, le 12e dragons, le 14e dragons, le 16e dragons, le 17e dragons, le 21e dragons, le 26e dragons, le 27e dragons.

[54]  « rivière d’Espagne qui prend sa source dans la nouvelle Castille, dans la sierra de Cuenza & se jette dans la Méditerranée entre Collera & Gandie » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[55] François Antoine Lallemand, né à Metz en 1774. Général de brigade le 6 août 1811. Il est rappelé en France le 21 juin 1812. décède à Paris en 1839.

[56]  Les compagnies d’élite des régiments de dragons portent les épaulettes rouges et le bonnet d’oursin sans plaque.

[57]  Sous-lieutenant au 5e dragons, il est blessé à la bataille d’Austerlitz le 2 décembre 1805. Capitaine, il est blessé, le 3 novembre 1809, au combat de la Guardia.

[58] Sous le commandement de Drouet d’Erlon.

[59] Sous le commandement de Gazan.

[60] Sous le commandement de Suchet.

[61] « ville fortifiée d’Espagne sur la petite rivière d’Olian, qui se jette dans le Xucar, dans le royaume de Castille, sur les confins du royaume de Valence, avec un château » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[62] Louis Ernest Joseph Sparre, né en 1780 à Paris. Colonel du 5e dragons le 28 mars 1808. Général de brigade le 11 avril 1812. Chef d’une brigade de la 3e division de l’armée du Midi le 4 avril 1813. Décédé en 1845 à Paris.

[63] Il compte 265 hommes répartis en deux escadrons, au 1er janvier 1814.

[64]  Alexandre Elisabeth Michel vicomte Digeon, né en 1771 à Paris. Général de brigade le 31 mars 1807. Commandant la 1ère division de dragons de l’armée d’Andalousie le 10 octobre 1812. Il décède en 1826 à Ronqueux.

[65] Augustin Darricau, né en 1773 à Tartas. Général de division le 31 juillet 1811. Commandant la 6e division de l’armée du Midi en janvier 1812. Il décède en 1819 à Dax.

[66]  « Petite ville d’Espagne sur les frontières du Portugal, dans un vallon fort agréable, dans l’Estramadure » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[67]  « Ville d’Espagne, dans la Nouvelle Castille, capitale du pays de la Sierra, avec un évêché succursale de Tolède, sur la rivière de la Xucar » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[68]   « Ville d’Espagne, dans la Nouvelle Castille, dans une belle plaine & très abondante » in dictionnaire géographique portatif de 1795. Les 18 et 19 novembre 1809, Soult y gagne une victoire sur les Espagnoles de Don Juan de Arizagua. Ces derniers y perdent 5 000 hommes, 15 000 prisonniers, 46 canons, 23 drapeaux et 3 000 chevaux.

[69] Les sapeurs des régiments de dragons portent le bonnet à poil sans plaque et pas le casque.

[70]  Les régiments de dragons ne sont pas armés de la lance, sauf les sapeurs des 7e et 13e régiments, s’il ne s’agit pas d’une lance d’un cavalier espagnol retournée contre ses propriétaires, le 5e serait le 3e régiment à doter ses sapeurs d’une telle arme.

[71]  16 000 francs germinal.

[72]  « Maisons de plaisance du roi d’Espagne dans la Nouvelle Castille sur le Tage » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[73] « Bourg de la Castille Vieille » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[74] « Belle, bien peuplée, & très grande ville, capitale de l’Espagne, résidence ordinaire des rois, dans la Nouvelle Castille, avec un beau palais, une grande quantité d’églises & autres édifices publics magnifiques, une académie fondée par Philippe IV, une très belle bibliothèque publique, plusieurs places superbes…les rues quoique très belles & ornées de fontaines de marbre & décorées de statues, sont mal propres & mal pavées.Madrid jouit d’un air pur & serein. Madrid est dans un terrain fertile & agréable « in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[75] Honoré Théodore Maxime Gazan, né en 1765 à Grasse. Général de division le 19 octobre 1799. Commandant de l’armée d’Andalousie le 3 janvier 1813. Il décède à Grasse en 1845.

[76] « Petite ville d’Espagne dans la Vieille Castille… Elle est remarquable par son trafic de fromages » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[77] « Petite ville d’Espagne dans la Vieille Castille, avec titre de duché » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[78] Le 22 juillet 1812, l’armée du Portugal est battu aux Arapiles et contrainte à la retraite.

[79] « Ancienne ville d’Espagne au royaume de Léon. au bout d’une plaine, sur un coteau qui fournit d’excellent vin » in dictionnaire géographique portatif de 1795.

[80] Honoré Charles Michel Joseph comte Reille, né en 1775 à Antibes. Général de division le 30 décembre 1806. Commandant en chef de l’armée du Portugal le 16 octobre 1812. Il décède en 1860 à Paris.

[81] Sans doute refait il faire des pantalons en drap de bure comme le donne Charmy dans son type de 5e dragons en Espagne.