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Les Femmes au Congrès de Vienne.

Les mots de Talleyrand « il faut faire marcher les femmes » et « les femmes, c’est la politique » n’ont jamais été si bien vérifiés qu’à Vienne.

Tous les acteurs du Congrès, rois, empereurs, princes, hommes politiques étaient accompagnés de leurs femmes et/ou de leurs maîtresses qui en coulisse jouaient un rôle très important. Non seulement le Congrès dansait, mais  il intriguait  dans les alcôves et les salons. Les rapports de police du baron Hager ne sont que des notes qui relatent  intrigues, fêtes et coucheries, en particulier  les allées et venues de ces messieurs chez ces dames à toute heure du jour et de la nuit.

Comme le raconte la comtesse Potocka: 

Le Congrès fut bientôt métamorphosé en cour d’amour, à cela près que chaque matin, les ministres échangeaient des notes diplomatiques dont les souverains prenaient connaissance fort à la hâte, pressés qu’il étaient de voler à leurs plaisirs

Talleyrand écrit au roi Louis XVIII : 

Après que j’eus quitté Metternich, il se rendit à la Redoute, car c’est au bal et dans les fêtes qu’il consume les trois quart de ses journées.

Selon le témoignage du comte Nostitz qui décrit de façon étonnante le monde de ces dames du Congrès dans son journal  du 15 janvier 1815, le tsar Alexandre distinguait six beautés: la beauté coquette,  la beauté triviale, la beauté étonnante, la beauté céleste, la beauté du diable et la beauté qui inspire seule du vrai sentiment. Et il est vrai que ces dames rivalisèrent de beauté et de talents pour séduire les hommes présents au Congrès et leur tourner la tête. Leurs toilettes aux bals sont éblouissantes, leurs bijoux les plus beaux et les plus précieux. 

Comtesse  Potocka :

Les belles dames se montrèrent couvertes de diamants, elles distribuèrent des prix dignes de la splendeur de la fête…

La première de ces dames était l’impératrice  d’Autriche….

 

L’impératrice Maria Ludovica (1787-1816)  

Maria Luidovica Beatrice d'Este
Maria Luidovica Beatrice d’Este

Née Maria Luidovica Beatrice d’Este, elle est la troisième femme de François 1er d’Autriche et l‘hôtesse du Congrès. Elle a le même âge que sa belle-fille Marie-Louise, (1791-1847) et elle ne tarda pas à attraper ce mal des princesses habsbourgeoises, la tuberculose et apparaît très malade au Congrès; elle décèdera en 1816 .

Berthier, Goethe, Talleyrand et Grillparzer donnent d’elle la même image :«

Elle est d’une beauté céleste, elle a la grâce d’une française, on dirait un ange, maîtresse de maison  prédestinée à un tel rassemblement de beaux esprits et de beautés. Elle flottait tel un ange au milieu de Congrès. Dans ses antichambres avaient lieu aussi des rencontres plus intimes..

 

 

Dorothée de Talleyrand-Périgord (1793-1862)

Portrait de Dorothée de Courlande
Portrait de Dorothée de Courlande

Lorsque Talleyrand se met en route pour le Congrès, il emmène avec lui sa nièce de 21 ans, Dorothée, princesse de Courlande, femme de son neveu Edmond de Talleyrand–Périgord, et non sa femme Catherine, car il sait que celle qui le servira le mieux dans sa mission de représenter les intérêts de la France est bien sa nièce,  qui est la plus européenne  de par son origine : Dorothée a en effet des liens anciens avec la cour de Prusse et par  ses  trois sœurs, elle est en relation avec les cours d’Europe.  Elle est encore une toute jeune femme, 22 ans  et pour elle, ce sera l’expérience la plus importante de sa vie : 

Vienne, écrira–t-elle en 1841, toute ma destinée est dans ce mot

Talleyrand lui-même écrira dans ses Mémoires : 

Il me parut aussi qu’il fallait faire revenir la haute et influente société de Vienne des préventions hostiles que la France impériale  lui avait inspirées, il était nécessaire pour cela de lui rendre l’ambassade française agréable; je demandais donc à ma nièce, Mme la comtesse Edmond de Périgord, de vouloir bien m’accompagner et de faire les honneurs de ma maison. Par son esprit supérieur et par son tact, elle sut attirer et plaire, et me fut fort utile » 

Et il écrit en janvier 1815 à la duchesse de Courlande :  

Les succès l’embellissent et lui plaisent, elle est ici fort à son avantage, on la trouve bien partout, son succès continue et même augmente, elle fait bien tout ce qu’elle essaie de faire

1814, à Vienne, Rapport de police. Comte La Garde Chambonas :(Leipzig 1843)

La comtesse de Périgord faisait les honneurs chez le prince avec une grâce ravissante. Son esprit brillant et enjoué tempérait de temps en temps la gravité des matières politiques qui envahissaient la conversation. Sa démarche, ses gestes, son attitude, le son de sa voix forment un ensemble enchanteur. Elle a sur la figure et dans toute sa personne un charme irrésistible sans lequel la beauté la plus parfaite est sans pouvoir. C’est une fleur qui semble ignorer le parfum qu’elle exhale. La dernière de ces grâces de Courlande, la ravissante duchesse d’Acerenza, réunit tout ce que nous admirons chez les deux autres.

Friedrich von Gentz 1815: (Journal, Leipzig 1861)

Aussi remarquable par la subtilité de son esprit que par la dépravation de son cœur, cette femme a été pour moi un objet d’étude et d’amusement.

Elle plut en effet beaucoup,  prit un amant, Clam Martinic et fit le projet à la fin du Congrès de partir avec lui, de ne plus retourner à Paris, laissant mari, enfants et Charles-Maurice que cet abandon plongea dans un abattement indescriptible si on en croit les témoignages de ses contemporains. Il était tombé amoureux de sa nièce et cet attachement durera le restant de ses jours.

Fort utile, voilà un mot qui pourrait s’appliquer à beaucoup d’autres femmes qui apparurent à ce Congrès. Influentes aussi, car elles influencèrent beaucoup les hommes qui faisaient la politique  du Congrès. Ces hommes étaient amoureux, une sorte de folie amoureuse s’était emparé d’eux , Metternich, Alexandre de Russie, Lord Steward, les rois et princes héritiers, tous n’avaient en tête que les femmes, les rapports de police du Congrès sont très instructifs sur le sujet :  il n’est question que de rendez-vous amoureux, d’heures d’entrée et de sortie de chez ces dames …

 

Metternich et Wilhelmine, duchesse de  Sagan (1782-1839)

Wilhelmine von Sagan
Wilhelmine von Sagan

La duchesse de Sagan, Wilhelmine, était la sœur  aînée de Dorothée. Née en 1782, elle a donc 33 ans au début du Congrès. On la surnomme la «Cléopâtre de Courlande»

Héritière d’une immense fortune, celle du duc de Courlande, son père, elle a déjà fait parler d’elle, car elle a une personnalité forte et une vie amoureuse agitée : maîtresse à 18 ans du suédois Armfeld,  elle en a une fille qu’elle n’élèvera pas, se marie avec Louis de Rohan, divorce et se remarie à un russe Trouzbezkoi, dont elle divorce encore un an après. Elle déclare « Je me  ruine en maris »,car elle verse une pension à ses ex-maris.

Depuis quelques années, elle est  la maîtresse de Metternich. Lorsque le Congrès débute, elle est en train de rompre avec lui, soit sur ordre du tsar Alexandre (il n’est pas convenable que vous soyez liée à un écrivain, lui  dit–il),  soit aussi parce qu’elle a compris que Metternich ne quitterait jamais sa femme Lorel pour elle. Cette rupture rend le chancelier d’Autriche fou de jalousie, car elle a déjà un autre amant, il ne pense qu’à ça,  et n’a la tête qu’à ce chagrin d’amour. Comment un politicien aussi important peut-il s’occuper dans  un tel état  d’esprit des affaires politiques ? Gentz, le secrétaire particulier de Metternich le raconte : on ne peut lui parler, il est toujours entouré des « dames » de Courlande qu’il met au courant des affaires politiques.

A sept heures, je vais pour le dîner chez Metternich. Comme d’habitude, (quand il se trouvait en compagnie de la duchesse de Sagan) il ne m’écoute pas. Toute la clique des putains de Courlande était là. (Die ganze Hurengesippschaft) Metternich a initié ces femmes à tous les secrets politiques, ce qu’elles savent est incroyable. Alors Talleyrand apparaît et me fascine. A la première ébauche contre la déclaration, il semble que le diable le possède, il ne me laisse pas placer un mot….

La duchesse de Sagan tient un des plus importants salons où se rencontrent les diplomates et les  personnalités du Congrès. Elle-même est une tête politique. Un rapport de police raconte : 

M. de Talleyrand passe toutes ses soirées chez Madame de Sagan, où il se flatte de de percer les secrets du prince de Metternich.

Il fréquente assidûment son salon pendant tout le Congrès. 8 avril 1815 « à minuit j’étais chez la duchesse de Sagan » (Talleyrand : lettre à la duchesse de Courlande)

Portrait de Catherine Bagration par Isabey
Portrait de Catherine Bagration par Isabey

Elle a une relation particulière avec le tsar Alexandre, son tsar qui lui avait rendu visite chez elle en Bohême  et qui lui verse une pension. Wilhelmine a une rivale, autre femme importante du Congrès, autrefois maîtresse,  elle aussi de Metternich, la Bagration. Les deux femmes habitent le même palais Palm, ont un salon qui est très couru et les espions relatent fidèlement les  visites de ces messieurs chez ces dames .

En allemand  on nomme cela « le klatsch » du Congrès ; les cancans, dont sont pleins les archives de la police de Vienne.

 

 

Jeanne de Courlande, duchesse d’Acerenza

C’est la troisième Grâce de Courlande, la sœur des deux premières, elle défraie aussi la chronique par ses liaisons, et déçoit les espérances de Gentz qui la traite de « Putain de Courlande » par dépit amoureux.  Elle est aussi belle que ses deux sœurs et réunit tout ce qu’on peut admirer chez ses sœurs.

La quatrième sœur, Pauline, princesse de Hohenzollern  n’arrivera au Congrès que début  mars 1815.

La duchesse de Courlande, mère des quatre sœurs, amie intime de Talleyrand, est mise au courant des faits et gestes de chacun  par Talleyrand qui lui relatait le Congrès dans des billets quotidiens.

 

La Bagration

Portrait de Catherine Bagration par Isabey
Portrait de Catherine Bagration par Isabey

La grande rivale de la duchesse de Sagan est Catherine Bagration, veuve depuis 1812 du général russe Bagration tombé à Borodino. Elle changeait souvent d’amant, était appelée « le bel ange nu » à cause de ses décolletés impressionnants ou « l’ Andromède russe ». Avant son mariage, elle avait eu une fille de Metternich, nommée Clémentine. Pour se venger de Metternich, elle raconte tout ce qu’elle sait ou a entendu et ce qui est contre l’Autriche. Elle ne se gêne pas pour raconter les pires horreurs sur  Vienne et l’Autriche ! Au moment du Congrès, de nombreux messieurs se pressent dans son salon, le  parti russe surtout. Certains disent même que son salon est un bordel !

 

Ces deux dames (la Sagan et elle) sont le scandale du Congrès, car elles allient la débauche et la politique, ce sont des agents russes et prussiens  qui ont trop d’influence sur le Congrès elles sont dirigées par le baron Humboldt, selon un contemporaint.

 

Alexa princesse Gabrielle Auesperg-Lobkowitz

Jeune veuve de 20 ans, « la beauté qui inspire de vrai sentiments ». Alexandre s’en éprit et en fut amoureux tout le temps du Congrès. Ce qui ne l’empêchait pas de faire de nombreuses visites à la Bagration et à beaucoup  d’autres, si bien qu’on pensa qu’il avait attrapé une maladie vénérienne !

 

Madame Schwarz

Epouse d’un banquier de Pétersbourg , elle était déjà la maîtresse d’Alexandre avant de venir à Vienne. Elle intrigue et est surveillée de près par la police.

 

Elisabeth, impératrice de Russie (1779-1835)

Femme de ce dernier, née Louise Marie de Bade, mariée de puis 1793 avec Alexandre. Une beauté gracieuse délaissée par son époux, élégante, angélique et mélancolique.

Elisabeth, impératrice de Russie (1779-1835)
Elisabeth, impératrice de Russie (1779-1835)

Grande duchesse Catherine de Russie (1788-1819)

Sœur préférée d’Alexandre, mariée en première noce au duc d’Oldenbourg, elle est à Vienne où son mariage avec l’archiduc Charles occupe les conversations, ensuite épouse le prince héritier Charles de Wurtemberg qui la trompe avec la Bagration ..

Catherine Pavlovna de Russie

La comtesse Laura Fuchs-Gallenberg

Le comte de la Garde la décrit comme une femme bonne et belle qui fait la grâce de son salon toujours plein.

 

La comtesse Fifi Palffy de Ligne

Fille du prince de Ligne et mariée à un mari ennuyeux qu’elle trompa bientôt avec un jeune anglais sur le départ duquel elle versa un torrent de larmes

 

Julie Zichy la beauté céleste

Epouse du ministre de l’intérieur autrichien , maîtresse du roi de Prusse, elle a des bontés pour Metternich et tous les hommes en sont amoureux

 

Fanny von Arnstein (1758-1818)

Fanny von Arnstein

Née à Berlin le 29 novembre 1758, l’épouse du banquier viennois Daniel Arnstein, Franziska (Fanny) tient un salon très fréquenté et un grand train de maison ; elle soutint le combat des tyroliens contre Napoléon. Les Prussiens, mais aussi le cardinal Consalvi sont ses hôtes. Elle défend avec enthousiasme les idées de liberté et ses idées sont scandaleusement prussiennes. Elle mourra à Vienne le 8 juin 1818.

 

 

 

Aurora von Marassé, dame de compagnie française de la Bagration

La baronne de Montet raconte dans ses souvenirs : 

Fille d’un général de division français qui avait fui en Autriche, sans ressources après la mort de son père en 1805, elle devint dame de cour, elle habitait et recevait dans sa mansarde, sous les toits du palais Palm comme dame de compagnie de la Bagration et gouvernante de Clémentine. Elle fréquentait les plus grands qui lui faisaient de somptueux cadeaux . Tout en n’ayant pas de ressources elle-même, elle soutenait les valets sans poste et intervenait pour eux. Sa mansarde était le lieu de rendez-vous des diplomates qui voulaient échapper aux services d’espionnage de la police de Vienne. Apres le départ des princesses de Courlande , elle arriva chez moi , affamée, elle n’avait rien mangé depuis 24 heures…. 

 

La Bigottini, danseuse (1784-1858)

La Biggottini
La Biggottini

De son vrai nom Marie Taglioni, elle était la maîtresse de Eugène de Beauharnais à Paris et se taille un beau succès lors des spectacles. Maîtresse de Franz Palfy, elle a de lui un enfant, au grand scandale de la cour.

 

 

 

 

 

Conclusion

Il est difficile de faire  un portrait  plus détaillé de toutes les dames qui ont marqué le Congrès; il est en tout cas certain qu’elles ont joué un rôle important au Congrès, directement par leurs conseils éclairés ou leurs idées, ou indirectement en influant sur l’humeur des décideurs du Congrès. La plus importante à de sujet, fut sans doute  Wilhelmine de Sagan, de par sa position auprès de Metternich, mais aussi de par sa beauté et son intelligence .

Sa sœur cadette Dorothée a aidé Talleyrand à rétablir de la France une image plus positive

Oui ,Talleyrand avait raison : « les femmes, c’est la politique »


Cet article n’aurait pu exister sans l’aide de mon amie Françoise Aubret-Ehner. Qu’elle en soit remerciée.

 

 

Bibliographie

 

En français

Mémoires de Talleyrand

Chronique de la duchesse de Dino, 4 vol. Paris, Plon 1909

Mémoires de la Comtesse Potocka ,  Paris , Plon 1897

Gaston Palewski. Le miroir de Talleyrand, lettres inédites à la duchesse de Courlande pendant le Congrès de Vienne, Paris, Perrin 1976

Gugliermo Ferrero. Talleyrand au Congrès de Vienne, Paris De Fallois 1996

Pallain. Correspondance inédite de Talleyrand et de Louis XVIII pendant le Congrès de Vienne

Rosalynd Pflaum. Les trois grâces de Courlande,  Paris, Albin Michel 1986

 

En allemand

August Fournier. Die Geheimpolizei auf dem Wiener Kongress, Wien, 1913

Clemens Brühl. Wilhelmine von Sagan, Berlin, 1941

Corti. Metternich und die Frauen,  Wien 1948.

Dorothy Guis Macguigan. Wilhelmine von Sagan  zwischen Napoleon und Metternich, Wien, Amalthea, 1975

Freiherr von Bourgoing. Vom Wiener Kongress, Zeit und Sittenbilder, Wien 1943

Hilde Speil. Wiener Kongress in Augenzeugenberichten,  Wien 1965

Walther Tritsch. Metternich,  Berlin 1934


Conférence présentée au Congrès « Le Congrès de Vienne ou l’invention d’une nouvelle Europe » – Paris, avril-août 2015