Octobre 1806 – Un village dans la tourmente

Un village dans la tourmente

La mise à feu de Priessnitz en octobre 1806

Hartmut Liebe
Traduction et adaptation Robert Ouvrard

Les moissons, à Prießnitz, un village de la vallée de la Saale entre Cambourg et Naumbourg, s’étaient déroulées à la totale satisfaction des paysans. On s’y réjouissait  d’avance de la fête qui devait se dérouler le 12 octobre 1806. Une compagnie de dragons du régiment de la Reine avait pour la dernière fois bivouaqué à Prießnitz et quitté le village, le matin du 5 octobre. Des bruits inquiétants d’une guerre imminente entre la France et la Prusse couraient ici et là. Soudain, le 10 octobre, les habitants de Prießnitz entendirent le tonnerre de la bataille de Saalfeld, propagé  par les vents de la vallée, si distinct que, bien qu’ils étaient éloignés de 15 heures de marche du champ de bataille, ils pouvaient, dans les champs et les prairies, parfaitement distinguer les tirs de petit ou de gros calibre. Le soir du 10 arriva le…. Johann Michael Zwingler, qui était allé la veille à Rudolstadt, pour livrer du grain à l’armée prussienne, et en revenait à brides abattues. Il raconta que les Prussiens et les saxons avaient été battus à Saalfeld et retraitaient en désordre en direction de Iéna.. Cette nouvelle fut confirmée , le 11 au matin, par des transporteurs qui avaient dû ramener en hâte leurs grains de Rudolstadt à à Iéna, ajoutant  que le chef de l’armée prussienne, le prince de Hohenlohe avait déjà établi son quartier général au château de cette ville. Le lendemain, le dimanche 11 octobre, vers midi, plusieurs femmes, qui s’étaient trouvées au  marché de Naumbourg, apportèrent la nouvelle qu’elles avaient rencontré, sur la route de Iéna à Naumbourg, de nombreux  officiers et soldats blessés,  sur des voitures, des Prussiens et des Saxons, beaucoup sans armes, accompagnés de chevaux  de traits et d’équipages. Ceux-ci leur avaient également raconté que tout était perdu.

Le soir, tout le village fut pris de panique à l’écoute des rumeurs selon lesquelles à Leislau, à une demi heure de marche de Prießnitz en direction de Iéna, se trouvaient des français, qui y avaient emmené le bétail et pillé les maisons. Mais il fut bientôt dit qu’il s’agissait de Prussiens, escortant des prisonniers français. En fait il s’agissait là de de Prussiens et de Saxons en déroute.

Le dimanche 12 octobre, vers 9 heures du matin, on rencontra, sur la route de Naumbourg, un hussard prussien, la tête entourée d’un bandage, qui regardait autour de lui avec un air apeuré. Auprès de lui se trouvait un blessé saxon. Le Prussien assura que les Français se trouvaient déjà à Gera, qu’ils seraient ici certainement vers trois heures, qu’ils pillaient et volaient, etc. A ceci s’ajouta bientôt la nouvelle qu’ils étaient à Kahla, à 8 heures de route. En fait, les habitants de Prießnitz furent avertis suffisamment à l’avance.

Mais personne n’écouta. C’étaient des avertissements en l’air, que personne ne prit au sérieux, qui furent ignorés, repoussés, oubliés. Le curé de Prießnitz, Christian Gottlob Lebrecht Großmann, à qui nous devons la description précise des évènements, décrit cette attitude de la façon suivante :

« Nos coeurs étaient comme endurcis et  insensibles. Personne ne pensait à, au minimum, cacher les siens et à les mettre le mieux possible en sécurité. Chacun resta à sa place, car personne n’imaginait ce qui allait se passer.  La plupart d’entre nous, qui étaient plus jeunes, n’avaient jamais vu la guerre ni fait l’expérience de ses horreurs.; les plus vieux, qui se souvenaient encore de la guerre de sept-Ans, jugeaient le présent à la jauge du passé, l’art moderne de conduire la guerre par rapport à l’ancien, se rassuraient  avec la magnimité de l’ennemi, qui, durant la guerre de Sept-Ans, s’était mieux comporté que les amis, et ils étaient approuvés par les leurs, qui ne connaissaient que les Prussiens du régiment du prince de Brunswick, qui avaient bivouaqué chez nous, des hommes particulièrement polis, bons, gais et les avaient observé donner la main chez leur hôte, aidant à  ramasser et engranger l’avoine. Le pire que l’on pensait devoir craindre était des demandes et des réquisitions  exagérées. »

La fête des moissons fut joyeusement préparée, comme si la paix la plus profonde régnait, et se déroula avec solennité l’après-midi du 12 octobre. Les paroissiens de Prießnitz et de Janisröder, hommes et femmes, jeunes et vieux, en vêtements de fête s’étaient réunis dans l’église de Prießnitz, entonnant  des chants de reconnaissance et de louange, attendant le prêche. Le prêche commença. Le prédicateur Großmann, le père de l’auteur, recommanda à ceux qui étaient rassemblés, de considérer, compte tenu des événements, la circonstances de cette récolte, comme un symbole de notre dépendance envers Dieu.

A peine avait-il commencé de parler de guerre et de paix, que le regard des auditeurs se porta en un instant du prêtre à un homme qui, à grand pas, entrait dans l’église, provoquant un murmure. On put entendre seulement les mots : soldats et français. Le prêtre, interrompu un instant, voulu continuer.

« Mais toute l’assistance se leva, la moitié sachant ce dont il s’agissait, l’autre moitié l’ignorant, hésita un instant, avançant, reculant, puis s’enfuyant par la porte, sans qu’on puisse l’arrêter. Entre-temps, quelques Chasseurs français, arrivés au village par la route du Voigtland, avaient attachéavec une corde à un cheval, le maire du village, Johann Andres Zeutschel, qui dans sa hâte, au lieu des 50 Carolin qu’ils réclamaient, n’en avait trouvé que 25,  l’avaient emmenéavec eux, au galop, une heure et demie en direction de Naumbourg, d’où il revenait et retrouvait enfin les siens, après cette dangereuse aventure. D’autres avaient, avec une  une violence guerrière, sous les jurons et les menaces,  les uns et les autres…….. brisé les fenêtres de quelques maisons, arraché les portes…….

Comme les étrangers faisaient demi-tour, Großmann s’adressa à eux. Il voulait savoir qui ils étaient et ce qu’ils voulaient. Ils lui répondirent en français, lui demandant ce que tous ces gens bien habillés signifiaient, ce que l’on fêtait ainsi; ils exigèrent qu’on leur livra les Prussien qui aurait pu être au village – et  de fait certain auraient effectivement aperçu, comme il fut raconté plus tard, un Prussien s’enfuyant à travers le village et les jardins. Großmann leur assura que les Prussiens  avaient depuis longtemps quitté le village, et que personne n’avait connaissance ou n’avait pu avoir connaissance d’un Prussien, puisqu’ils étaient tous dans l’église. Finalement, ils menacèrent de mettre le feu au village, si le Prussien ne leur était pas livré et s’en allèrent. Plus personne au village ne doutaient que les cavaliers étaient français. La plupart des habitants retournèrent chez eux, se barricadèrent et réfléchirent au moyen de se sauver et de sauver leurs biens.

« Pourtant, il y eut alors encore des maisons et des familles, où, avec une incroyable naïveté et insouciance, au milieu de ces terribles évènements, on profita de la fête, bu du café, fuma, mangea des gâteaux, etc. Parce que l’on prit  les cavaliers ennemis qui nous entouraient , pour ni plus ni moins qu’un corps de reconnaissance, qui, lorsqu’il aurait rempli la mission pour laquelle il avait été envoyé, se retirerait de lui-même, et que l’on espérait toujours la protection des Prussiens, que l’on croyait sur la rive droite de la Saale. Mais une demie-heure s’était à peine écoulée que les sceptiques et les insouciants  furent terriblement tirés de leurs rêves, car, de tous les côtés arrivèrent des cavaliers ennemis, dans toutes les rues et ruelles, dans tous les chemins et tous les sentiers, faisant irruption  dans les cours et les maisons, dérobant les chevaux, les restituant pour de l’argent, s’en emparant de nouveau,

Ce balancement entre espoir se proplongea durant une bonne heure. Il est difficile de le savoir avec exactitude, car plusieurs personnes s’étaient réfugiées dans le clocher de l’église, et ils en avaient arrêté l’horloge, de peur que que sa sonnerie n’attire l’attention sur eux et les fasse découvrir.  Pendant ce temps, les cavaliers s’étaient répandus dans les environs et au sud de Molau. Dans la direction du Vogtland on ne voyait que des chevaux et des cavaliers, qui chevauchaient à toute allure en direction de Naumburg.

 

Le pillage de Prießnitz.

Christian Gottlob Lebrecht Großman décrit le pillage du village d’une manière très impressionnante. Pas seulement le pillage, mais également le comportement des habitants, qu’il note très exactement. Il s’appuie pour cela sur les descriptions détaillées des différents…… Certes,  celles-ci varient grandement……

« Bientôt, dans le crépuscule, arriva l’infanterie, qui assiégea notre village de trois côtés. Tout comme sur une fourmillière l’armée innombrable de ces insectes, en ….. en prévision d’un long hiver, avec une hâte infatigable, transporte, amène, conduit, les infatigables soldats de Napoléon  transportaient, amenaient, conduisaient – selon leurs propres dire ils avaient derrière eux une route de 14 heures – tout ce que nécessitait leur campement, pour les hommes et le bétail, rations, portions, nourriture, breuvage. Poluets, canards, oies, cochons, vaches et veaux……..  ; pots, casseroles, assiettes, plats et tout l’attirail de cuisine  résonnaient,…… ; …..

Durant ce temps, dans le village, toutes les pièces de toutes les maisons étaient remplies d’individus, qui …., et qui avec une violence inouie mettaient la main sur les biens des habitants, dans les cuisines, les caves et les souterrains; des torches inombrables, rssemblant à des….. dans les granges et les celliers, autour de la paille et du foin: une couronne lumineuse des bivouacs, qui entouraient le village comme une couronne birllante, …..et une étincelle ou une braise aurait suffit, car les rues et les chemins étaient couverts de paille éparpillée, pour que s’abatte sur nous un malheur, malheur portant bien inférieur à celui qui devait plus tard s’abattre sur nous (…)

Durant ces terribles dévastations….., dans et en dehors du village, depuis le soir jusque vers deux heures du main, lorsque les guerriers, fatigués, enfin s’endormirent, seuls quelques habitants, en majorité des hommes et des vieilles femmes, étaient restés. Quelques-uns s’étaient réfugiés et avaient ainsi trouvé la sécurité  dans les maisons réquisitionnées pour les officiers: d’autres s’étaient dissimulés, morts de peur, dans les greniers, les pigeonniers et les …. , dans les moindres recoins des granges.; d’autres s’étaient réfugiés au plus haut du clocher de l’église, bien au-dessus des cloches, d’autres durent faire le service dans le camp, apporter de l’eau, se procurer du bois, …. des poulets et des oeis, etc. Certains, en proie à la plus extrême des frayeurs,  étaient grimpés sur un gors chêne, ou sur un peuplier dénudé, y dormant , attachés á une branche, avec une partie de leurs biens; d’autres, ….. se tinrent, à ciel ouvert, à côté d’une sentinelle française, se réchauffant, dans cette nuit glaciale d’automne, à son bivouac.  Mais la plupart errèrent ,…, poursuivis de village en village comme des…., dans les jardins et dans les bois, les fossés et les ….., , mais les femmes et les jeunes filles, même celles réfugiées entre les tombes de l’église, car même cette derniére avait été dévastée, ne purent pas toujours échapper aux mauvais traitements des sauvages soldats.  Le matin glacial du 13 octobre arriva enfin, apparaissant à beaucoup de ces fuyards tremblant de froid, comme une délivrance.  Les tambours et les tropempettes donnèrent le signal du départ. Les ennemis nous quittèrent et prirent la route de Naumbourg pour rejoindre….. »