Trafalgar – Rapport du Lieutenant Paul Harris Nicholas – Royal Marines, HMS Belleisle

J’avais à peine 16 ans lorsque j’embarquais sur le Belleisle, de 80 canons, et rejoignis la flotte au large de Cadix, sous le commandement d Lord Nelson, dans la première moitié d’octobre 1805.

Le 19 de ce mois, l’apparition d’un navire s’avançant toutes voiles dehors au devant de la flotte et tirant des coups de canon, excita notre attention, et toutes les lunettes furent dirigées sur l’étranger, dans l’attente de la nouvelle que les navires bientôt se répétèrent : « L’ennemi approche ». Le signal fut immédiatement donné pour une chasse générale et, en quelques minutes, toutes les voiles furent issées par l’équipage enthousiaste. Nos navires d’avant-garde furent en vue de l’escadre combinée le matin suivant et, dans l’après-midi du 20, elle était visible depuis le pont. Tout fut préparé pour la bataille, et comme notre escadre d’observation resta près d’elle durant la nuit, les esprits furent constamment agités du bruit des canons et des roquettes.

Le jour pointant, l’horizon apparu couvert de navires. On découvrit toute la force ennemie, dans le sud, à environ 9 miles, entre nous et la côte, au large de Trafalgar. Je fus réveillé par les vivats de l’équipage et par le bruit qu’il fit en se ruant dans les coursives pour apercevoir la flotte ennemie. La joie manifestée dépassait tout ce que j’avais vu, même les cris de bienvenue accueillant nos maris après une longue absence.

Il y avait une faible brise du nord-ouest et une forte houle. Le signal ordonnant de hisser toutes les voiles et de former deux divisions fut envoyé. Le Victory, le vaisseau de Lord Nelson, conduisait la ligne au vent, et le Royal Sovereign, portant la flamme de l’amiral Collingwood, commandant la flotte en second, la ligne sous le vent. A huit heures, l’ennemi se dirigea vers le nord, et, en raison du faible vent, ne put se former avec précision, présentant l’allure d’une ligne convexe sous le vent.

A neuf heures, nous étions à environ six miles d’eux, les bonnettes envoyées des deux côtés.; notre progression n’excédant pas un mile et demi par heure, nous gardâmes toutes les voiles possibles., jusqu’à ce que nous arrivâmes sur notre position le long de notre adversaire.

Les officiers se réunirent pour le petit déjeuner; et quoique chacun semblât exulter dans l’espoir d’une fin glorieuse et prochaine du conflit, le présage effrayant se faisait sentir que tous ne se réuniraient pas de nouveau. L’un d’eux était particulièrement impressionné par la certitude qu’il ne survivrait pas à cette journée, ne pouvait s’extraire de ce pressentiment, mais prenait les dispositions nécessaires relatives à ses biens, dans l’hypothèse de sa mort. Le son du tambour, cependant, mis bientôt fin à nos méditations et après un bref et, hélas pour quelques-uns, final au-revoir, nous rejoignîmes nos postes respectifs..

Notre navire se trouvait très en arrière de notre leader, mais, ayant, ayant plus de voiles, il échangea sa position avec celle du Tonnant. En le dépassant, leurs capitaines échangèrent des vœux pour les évènements à venir. Le capitaine Tyler s’exclama : « Une belle journée pour la Vieille Angleterre ! Nous en aurons chacun un avant la nuit ! »

A 10 h 30, le Victory envoya le message « L’Angleterre compte que chacun fera son devoir« . Cette recommandation, transmise de ponts en ponts, fut reçue avec des vivats enthousiastes, et chaque poitrine brillait d’ardeur à cet appel aux valeurs individuelles. A environ 11 h 30, le Royal Sovereign tira trois coups de canon, ce qui eut pour effet d’amener l’ennemi à envoyer ses couleurs, nous montrant le drapeau tricolore mélangé à celui de l’Espagne.

England extects that every man will do his
England extects that every man will do his
England expects that eery man will do his

Les tambours, maintenant, répétaient les ordres de rassemblement et le capitaine envoya chercher les officiers des batteries : « Messieurs », leur dit-il, « je voulais simplement vous informer que je vais passer près de l’arrière de navire; mettez deux boulets et une cartouche de mitraille, et envoyez-lui ! » Rejoignez vos postes et rappelez vous de ne tirer que lorsque chaque canon fera le meilleur effet !  » Après cette instruction laconique, le galant petit homme se posta lui-même sur la glissière de la première caronade de tribord du gaillard d’arrière.

L’allure déterminée et résolue des marins burinés par le temps, ici et là éclairée par un sourire d’exultation, s’accordait parfaitement avec leur allure terrible. Certains étaient nus jusqu’à la ceinture; quelques-uns avaient dénudé leur nuque et leurs bras; d’autres avaient passé un mouchoir autour de leur tête; et tous semblaient impatients de recevoir l’ordre d’engager le combat. Mes deux frères d’armes et moi-même étions postés , avec environ 30 hommes, sur la dunette à l’avant de laquelle je me trouvais maintenant.

Les boulets commencèrent à passer au-dessus de nous, nous donnant une idée de ce qui allait se produire. Un terrible silence planait sur le navire, interrompu seulement par la voix du capitaine Hargood : « Tout droit ! Un peu à bâbord ! Continuez comme cela !, répétés par le maître d’équipage commandant les hommes de barre. Un cri se fit bientôt entendre, un cri d’agonie fut produit par le boulet suivant, et la perte de la tête d’un pauvre recrûté fut le résultat du suivant et, au fur et à mesure que nous avancions, les destructions augmentaient rapidement.

Une sévère contusion ébranla notre capitaine, mais il reprit rapidement sa place. Seul celui qui s’est trouvé dans une situation similaire à celle que j’essaye de décrire peut avoir une idée correcte d’une telle scène. Mes yeux étaient remplis d’horreur devant les corps sanguinolents gisant autour de moi, et mes oreilles résonnaient des cris des blessés et des gémissements des mourants.

A ce moment, réalisant que presque tous étaient allongés, j’étais à moitié disposé à suivre leur exemple, et plusieurs fois je me baissais pour en faire autant, mais – et je me rappelle parfaitement cette impression – une voix semblait me chuchoter  » Debout et ne te dérobes pas à ton devoir ! ». Me retournant, mon attention fut attirée par mon très estimé et galant supérieur; la sérénité de sa contenance et le calme avec lequel il allait et venait sur le pont, fit disparaître plus de la moitié de mes terreurs; le rejoignant, je fus pour ainsi dire rempli e son esprit.

Il était tout juste midi lorsque nous atteignîmes leur ligne. Notre énergie atteignit son comble et l’esprit fut détourné de ces terribles conditions par l’ordre : « A vos pièces », lesquelles, au fur et à mesure qu’elles parvinrent à portée, furent déchargées sur nos adversaires; mais, comme nous passions juste sous l’arrière du Santa Ana, un 112 canons, notre attention fut encore plus attirée sur ce navire. Bien que, jusqu’à cet instant, nous n’avions pas encore tiré un seul boulet, nos voiles et nos gréements portaient la preuve évidente de la manière dont nous avions été traités. : le haut de notre mât de misaine avait été enlevé et le pavillon trois fois envoyé; nombreux gisaient morts sur les ponts et 11 blessés étaient déjà aux mains du chirurgien. Les tirs étaient maintenant terribles et, par moment, la fumée, en se dispersant, nous permettait de voir les couleurs de nos adversaires.

A ce moment critique, manœuvrant l’avant de l’Indomptable (nos mâts, nos vergues et nos voiles suspendues au-dessus de nos têtes dans la plus grande confusion) qui continuait sur nous le plus désagréable des feux d’enfilade, le Fougueux étant sur notre tribord, et l’espagnol San Juste sur notre bâbord, le maître d’équipage demanda le plus sérieusement du monde au capitaine :

« Passons nous au travers, Sir ! »

« Passez, nom de….  » fut sa réponse énergique.

« C’est votre navire, Sir, placé moi le long. »

Notre adversaire ruina cette manœuvre en continuant sa route parallèlement à la nôtre, à portée de pistolet.

Vers 1 heure, le Fougueux nous atteignit par tribord; et nous continuâmes ainsi engagés jusqu’à ce que ce dernier atteigne l’avant. Bientôt, notre mat de misaine s’effondra, et peu après le haut du grand mât. Un vaisseau à deux ponts, le Neptune (80 canons) pris alors position sur notre proue, tandis que l’Achille (74 canons) se mettait sur notre arrière. A 2 heures, le grand mât s’effondra sur bâbord. J’étais à ce moment là sur le gaillard d’avant, à aider à pousser une caronade, quand le cri « Dégagez ! Il tombe ! » me fit regarder et à cet instant même le grand mât tomba sur le bastingage, juste au-dessus de moi. Cette lourde masse fit trembler toute la carcasse du navire, et si elle s’était effondrée dans le sens de la longueur, elle serait passée au travers de la poupe, augmentant le nombre de nos victimes.

A 2 h 30, notre mât de misaine fut atteint à la base.

Dans cet état inmanoeuvrable nous ne pouvions que très peu gêner nos adversaires, tandis qu’ils avaient le pouvoir de choisir leur distance et chacun de leurs coups faisait un mal considérable. Nous avions terriblement souffert, comme on peut l’imaginer, et ceux qui se trouvaient sur la poupe étaient maintenant requis pour aider aux batteries, où nous continuâmes jusqu’à la fin de la bataille.

Jusqu’à 15 h 30 nous restâmes dans cette terrible situation. Le seul moyen dont nous disposions pour diriger nos batteries sur l’ennemi était d’utiliser……

 

A ce moment là, nous vîmes un trois ponts se dirigeant apparemment sur nous; on peut s’imaginer avec quelle anxiété tous les regards se tournèrent vers cette formidable masse, qui, soit nous dégageait de notre fâcheuse situation, soit allait rendre cette situation encore plus désespérée. Nous n’avions que rarement aperçu les couleurs britanniques depuis une heure de l’après-midi, et il est impossible d’exprimer notre émotion lorsqu’une modification de sa course nous montra le pavillon blanc.

Mais nous ne restâmes pas longtemps dans ce dilemme car déjà le Swiftsure venait noblement à notre secours. Chacun regardait avec impatience vers notre ami s’approchant, qui arriva rapidement et, lorsqu’il fut à portée de voix, manœuvra son gréement, en nous saluant, et s’en alla fièrement à la rencontre du navire qui nous avait si longtemps importuné. Peu après, le Polyphène fit cesser le feu venant du Neptune, sur notre avant.

Il était près de 4 heures lorsque nous cessâmes de tirer, mais le combat continuait au centre de la flotte, environ 2 miles sous le vent.

Vers 5 heure, les officiers se rassemblèrent dans la cabine du commandant pour prendre quelques rafraîchissement. L’effet de la fumée faisait de cette réunion la bienvenue, bien que plusieurs d’entre nous avaient eu la chance d’apaiser leur soif en dérobant les grappes de raisin qui étaient suspendues dans sa cabine…