Trafalgar – La bataille

C’est Collingwood, sur le Royal Sovereign, le plus rapide des vaisseaux anglais (il a une toute nouvelle coque recouverte de cuivre), qui, le premier, s’avance à la rencontre de la flotte franco-espagnole. Il a sur tribord, et un peu en arrière, le Belleisle, le Mars et le Tonnant.
Son adversaire direct : le Santa-Ana (capitaine Cardoqui), le plus imposant, avec ses 112 canons.
C’est à ce moment que Nelson, observant l’action avec son télescope, s’exclame :
« Regardez comme ce brave Collingwood mène son navire au combat ! »
Le Royal Sovereign reçoit, à courte distance, les bordées des vaisseaux français le Fougueux, le premier à tirer, et l’Indomptable (84 canons), ainsi que des espagnols San Justo (74) et San Leandro (64). Mais ces bordées, mal ajustées, n’atteignent pas le Royal Sovereign, qui arrive ainsi sur le Santa Anna sans grands dommages, et peut lui délivrer, par ses batteries bâbord, une terrible bordée d’enfilade.
200 hommes du navire espagnol sont mis hors de combat. En même temps, ses batteries tribord lâchent elles aussi une salve sur le Fougueux. Bientôt, il se range vergue contre vergue contre le Santa Ana. Il essuie alors le feu du Fougueux, de l’Indomptable, du San Justo, du San Leandro et, bien sûr, du Santa Ana.

Le Fougueux réussit à se placer contre le Royal Sovereign, sur le bord opposé à celui où se trouve le Santa Ana. Mais le Belleisle avait lui aussi réussi, de son coté, à suivre le Royal Sovereign. La proue du Fougueux vient le frapper par tribord. Il est 12 h 13. Le Belleisle perd son mât d’artimon, au moment où il se trouve complètement encerclé par les vaisseaux alliés. Mais il est bientôt secouru par le Mars, qui envoie ses boulets sur le Pluton, et par le Tonnant, qui, lui, prend l’Algesiras pour cible.
Magon est blessé, d’une balle dans le bras, puis d’un éclat de bois dans la cuisse. Refusant de se faire soigner, il reste diriger le combat. Après 5 heures de lutte, il est tué d’une balle en pleine poitrine. Son navire, démâté, est pris à l’abordage par le Tonnant, après avoir perdu 300 hommes, dont 100 tués et 15 officiers.
Enfin, de la ligne Collingwood, le Bellerophon (celui-là même sur lequel Napoléon montera en 1815 !) et le Colossus s’en prennent à l’Aigle, au Bahama et au Swiftsure (français).
A 2 heures de l’après-midi, la colonne de Collingwood a rempli sa mission, venant à bout de la presque totalité de l’arrière-garde de la flotte combinée

Rejoignons maintenant Nelson, sur le Victory, à la tête de la colonne sous le vent. Le vent est faible, le Victory avance lentement, si lentement que son matelot arrière, le Téméraire, est sur le point de le dépasser :
« Je vous saurais gré, capitaine Harvey, de bien vouloir garder votre place, qui est à l’arrière du Victory ! » lui fait savoir Nelson !
A 12 h 30, le Bucentaure tire des bordées de réglage sur le Victory, sans résultat tangible. Bientôt le bâtiment amiral anglais, avec le Téméraire sur son tribord arrière, n’est plus qu’à un demi mile environ de la ligne franco-espagnole. Presque au même moment, le Héros, la Santissima Trinidad, le Redoutable et le Neptune délivrent leurs bordées sur le Victory. Là encore la plupart des boulets, tirés trop haut ou trop bas, du fait de la houle qui prend les navires par le travers, s’égarent et n’intimident pas Nelson, qui pourtant n’avance qu’à très petite allure, se traîne même !
Tout ceci continue de se dérouler durant près d’une demi-heure, avant que le Victory, vers 13 h n’atteigne le Bucentaure, sans même avoir tiré un seul coup de canon. Sur le Bucentaure, l’amiral Villeneuve pense que l’Anglais passe à l’abordage. Saisissant l’aigle du navire, il la montre à ses hommes, en leur hurlant :
Je vais la jeter à bord de l’ennemi, nous irons la prendre !
Au retour des Antilles, Villeneuve dispose encore de cinq compagnies d’un régiment de marine : 2 sur le Bucentaure, 3 sur le Redoutable. Il s’agit de compagnies des 2e, 16e, 67e, 70e, 79e et 93e régiments d’infanterie de ligne. Alors, si on passe à l’abordage, l’Anglais n’a aucune chance.
Mais il n’y aura pas d’abordage, car le capitaine du Victory, Hardy, parvient à éviter le Bucentaure et à le diriger sur le Redoutable, qui est intelligemment venu combler le vide existant entre le Bucentaure et son matelot d’arrière, le Neptune. Il laisse ainsi le soin au Téméraire et au Neptune, deux trois ponts, de s’occuper du Bucentaure.
Face aux cent canons du Victory, il semble que le Redoutable, qui n’en a que 64, ne doive pas être une difficile proie. Pourtant, c’est le contraire qui, au début du moins, se produit, grâce à l’intense fusillade qui provient du vaisseau français : les fantassins qu’il a à son bord sont en effet d’habiles et rapides tireurs. Les Anglais tombent comme des mouches.
La surprise est grande sur le Victory, où l’on ne s’attendait pas à pareille riposte. C’est à ce moment, il est environ 13 h 15, que Nelson, qui va et vient sur la dunette du Victory, au demeurant parfaitement reconnaissable, avec son uniforme, la manche droite vide accrochée à sa poitrine et ses médailles, est atteint par une balle, qui lui brise la colonne vertébrale.

Arrêtons nous un instant sur ce moment où l’Histoire retient son souffle.
Il semble, d’après les témoignages, avoir eu prémonition de sa mort prochaine, prenant ostensiblement congé de ses amis et essayant d’être sûr de l’avenir de Lady Hamilton et de leur fille Horatia. Le capitaine Blackwood lui suggéra même de mettre son pavillon sur l’Euryalis, pour y commander la bataille, mais il refusa. Enfin, beaucoup s’inquiétèrent de ce qu’il continua de porter ses décorations, ce qui en faisait une cible idéale.
L’Histoire n’a pas officiellement gardé le nom de l’auteur du coup de feu qui tua l’amiral Nelson. D’après l’Historique du 16e régiment d’infanterie, il s’agirait d’un soldat nommé Robert Guillemard. Mais, en raison du tumulte, de la confusion et, surtout, de la fumée répandue sur les vaisseaux anglais et français, imbriqués l’un dans l’autre, il est plus probable que la balle qui tua Nelson la frappa tout simplement par hasard.
Guillemard, par la suite, intégra la Grande Armée. Il combattit à Wagram, où il fut blessé, puis en Espagne. Fait prisonnier, il se retrouva à Cabrera, d’où il s’échappa pour continuer de servir en Russie et en Allemagne.
Le Journal de l’Empire du 2 décembre écrira : » Deux heures avant la fin du combat, ce brave amiral fut frappé à l’épaule gauche d’une balle partie des hunes du vaisseau espagnol La Trinidade (note : Santissima Trinidad). La balle pénétra dans la poitrine et lord Nelson tomba sur le champ. » Hypothèse somme toute tout autant plausible.
Quant à l’Anglais John Pollard, son nom est quant à lui associé à « l’homme qui tua l’homme qui tua Nelson »

Les batteries du Victory, bientôt, cessent leurs tirs. Les canonniers sont appelés sur le pont supérieur, car, c’est sûr maintenant, les Français vont passer à l’abordage. Le Victory, sur lequel on n’aperçoit plus Nelson, ne peut que, tôt ou tard, tomber dans leurs mains.
Mais le Victory est un trois ponts alors que le Redoutable n’en a que deux. Les Français doivent donc d’abord escalader la hauteur d’un pont. De plus, du fait de leur construction (ils sont en effet courbes au niveau de leurs batteries), il existe un vide de près de 4 mètres entre les navires.
Sur le Victory, les hommes des batteries obéissent aux ordres et quittent leurs pièces pour se précipiter sur le pont supérieur pour s’opposer aux Français. Ils sont aussitôt balayés par la fusillade venant du Redoutable, mais les Français ne réussissent pas à monter sur le Victory
Peut-être cependant, là, en passant par la chaîne de l’ancre du vaisseau anglais, qui pend le long de son flanc… Encore un effort, et le Victory tombera aux mains des Français !
Que se passera-t-il, alors, si le vaisseau amiral de la flotte anglaise tombe aux mains des Français ?
Mais le Dieu de la guerre ne l’entend pas de cette oreille ! L’imprévu se produit. Le Bucentaure et la Santissima Trinidad n’avaient pas réussi à arrêter le Téméraire. Le voici qui se présente à tribord du Redoutable, énorme et tirant des volées de mitraille à bout portant. L’équipage du Redoutable est décimé, d’autant plus que, sur le Victory, on a repris du courage et qu’on tire de nouveau.
A 14 h 00, et alors que s’approchent également le Neptune et le Leviathan, le capitaine Lucas, comprenant qu’il ne peut être secouru, lui-même gravement atteint, amène son pavillon, après deux heures d’un combat héroïque,. Son équipage a perdu 500 hommes, autant que ses deux adversaires réunis.
De son côté, le Bucentaure avait été successivement attaqué par le Neptune, le Leviathan et le Conqueror, sans qu’un seul vaisseau français ne vienne, hélas, à sa rescousse.
Le Santissima Trinidad subit le même sort. Réduit à l’état d’épave inmanoeuvrable, la fierté de la marine espagnole voit bientôt monter à son bord un équipage de prise : après trois heures de combat, l’amiral Cesneros amène son pavillon.
De son côté, Villeneuve, après avoir vainement tenté de rejoindre un autre navire, éventuellement de son avant-garde, pour y hisser son pavillon d’amiral et continuer le combat (mais plus une seule embarcation n’est en mesure de le transporter, elles sont toutes hors d’état), fait lui aussi, vers 15 h 00, amener son pavillon. Quittant finalement son navire, il est récupéré par le capitaine Atcherley et emmené à bord du Mars.
Le commandant du Conqueror, Israel Pellew, envoie le capitaine James Atcherley et trois de ses hommes, accompagné de quelques marins, pour prendre possession du Bucentaure. Monté à bord, Atcherley doit d’abord se frayer un chemin parmi les morts et les blessés, jusqu’à la dunette. Trois officiers se dirigent lentement vers lui. En anglais, Villeneuve s’adresse à lui, présentant son épée : « A qui ai-je l’honneur de me rendre ? » – « Au capitaine Pellew, du Conqueror », lui répond Atcherley. « C’est un honneur pour moi que d’avoir amené mon pavillon devant le célèbre Sir Edward Pellew », rétorque Villeneuve courtoisement. Atcherley est obligé de lui répondre « C’est son frère, Monsieur ». Ce à quoi Villeneuve rétorque : « Son frère ? Quoi, ils sont deux de son espèce ? ». Il a en effet confondu Israel Pellew avec son frère aîné Edward, le 1er vicomte Esmouth, devenu célèbre pour s’être emparé d’un 74 canons, avec seulement deux petites frégates.
Atcherley ferme les dépôts à munitions, met les clés dans sa poche, et accompagne Villeneuve et deux de ses officiers jusqu’à un canot qui les attend. Entre temps le Conqueror s’est éloigné, et le bateau le plus proche est le Mars. Monté à bord de celui-ci avec Villeneuve, ce dernier et ses officiers donnent leurs épées au lieutenant qui a pris le commandement après la mort de leur capitaine, George Duff. Elles seront plus tard remises à Collingwood, qui les gardera, au grand dam de Pellew, qui les considérait, avec justice, comme son bien. Mais il ne les réclama jamais.
Il est environ 16 h 00. La bataille de Trafalgar est, à cet instant, pour autant dire perdue.
Une masse de vaisseaux démâtés, collés les uns aux autres, dérive maintenant, du nord au sud : le Victory est contre le Redoutable, avec le Téméraire sur l’autre bord, et le Fougueux est lui-même accolé au Téméraire. Sur le Victory, des canonniers se tiennent prêts, avec des seaux d’eau, pour éteindre tout départ de feu causé par les tirs du Redoutable, et qui pourrait incendier le navire de Nelson et le Téméraire.
Collingwood, sur le Royal Sovereign, est tiré d’affaire, car il a été dégagé, de même que le Belleisle, par cinq vaisseaux anglais : le Mars, le Tonnant, le Colossus, le Bellérophon et le Polyphemus. Il dispose encore de deux trois ponts de 98 canons, le Dreadnought et le Prince, qui sont intacts. Quant à l’arrière-garde de Nelson, elle n’a même pas pris part au combat.
Nelson meurt vers 16 h 30, après avoir répondu au capitaine Hardy, qui lui annonce la victoire « Thank God, I have done my duty ! ». Durant son agonie, il a constamment demandé des nouvelles de la bataille, refusant de transmettre son commandement à Collingwood tant qu’il serait vivant.
Mais qu’a donc fait l’avant-garde française sous les ordres de Dumanoir ? Qu’ont fait ces dix vaisseaux (6 français, 4 espagnols) ? Rien.
Pourtant, aux alentours de midi et demi, Villeneuve avait envoyé des signaux à Dumanoir, dont le sens était : ordre aux vaisseaux qui, par leur position actuelle, ne combattent pas, d’en prendre une quelconque qui les reporte le plus promptement possible au feu. Mais Dumanoir, pour quelque raison que ce soit, et qui ne sera jamais élucidée, ne donna aucun ordre, alors qu’il se trouvait au vent de la bataille.
Ce n’est que lorsqu’il recevra l’ordre express de Villeneuve, vers 16 h 00, de virer de bord, quand celui-ci aura vu son dernier mât s’abattre sur le pont du Bucentaure, qu’il obéira. Mais il était bien sûr trop tard pour être efficace contre l’arrière-garde de Nelson.
Mais deux hommes sauveront quand même leur honneur : Louis Antoine Infernet, sur l’Intrépide, et Valdès, sur le Neptuno. Ensemble, ils se jettent dans la mêlée. Lorsque Dumanoir s’en aperçoit, il lance à Infernet par son mégaphone : « Où allez-vous ? » Ce à quoi il obtient la réponse laconique « Au feu ! »
Infernet va se battre contre le Léviathan, contre l’Africa, contre l’Agamemnon, contre l’Ajax, contre l’Orion, enfin contre le Conquéror. Il n’amènera son pavillon qu’à 17 h 30, son navire à l’état d’épave, la moitié de son équipage hors de combat. Mais Infernet aura sauvé l’honneur de son pavillon et de la marine impériale.
L’Achille, dont le commandant Niepert a été tué deux heures auparavant, est en flammes depuis le milieu de l’après-midi. A son bord, un détachement du 67e de ligne. Ou ce qu’il en reste. Les Anglais qui combattaient sur ou autour du navire, l’ont évacué, ainsi qu’à peine une vingtaine d’hommes de son équipage, sur les 800 du début de la bataille. Lorsque tout espoir de vaincre l’incendie est perdu, certains officiers se brûlent la cervelle, d’autres se jettent dans les flammes. Des matelots pénètrent dans la cambuse et se gorgent de cognac tout en regardant approcher la mort. Vers 17 h 45, les flammes, finalement, atteignent le magasin à poudre et l’Achille, pavillon haut, explose avant de disparaître dans les flots, avec celui qui le commande alors, l’enseigne de vaisseau Cauchard.
La bataille de Trafalgar est définitivement terminée.