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RAPPORT FAIT A L’EMPEREUR PAR LE MINISTRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES.

Jean-Baptiste Nompère de Champagny - Theodore Rousseau - Château de VersaillesJean-Baptiste Nompère de Champagny - Theodore Rousseau - Château de Versailles

Paris, ler septembre 1808

[1]Ce rapport, bien que publié au Moniteur avec la signature de M. de Champagny, ministre des relations extérieures, peut être considéré comme l’oeuvre personnelle de Napoléon. La minute … Continue reading

 

Sire, j’ai l’honneur de proposer à Votre Majesté de communiquer au Sénat les deux traités qui ont mis la Couronne d’Espagne entre ses Mains, celui par lequel elle en a disposé et la constitution que , sous Ses auspices et éclairée par ses lumières, la junte, rassemblée à Bayonne, après de mûres et libres délibérations, a adoptée pour la gloire du nom espagnol et la prospérité de ce royaume et de ses colonies.

Si, dans les dispositions que Votre Majesté a faites, la sécurité de la France a été votre objet principal, l’intérêt de l’Espagne vous a cependant été cher, et, en unissant les deux États par l’alliance la plus intime, la prospérité et la gloire de l’un et de l’autre étaient également le but que vous vous proposiez. Les troubles qui se manifestaient alors en Espagne excitaient particulièrement la sollicitude de Votre Majesté; elle en craignait les progrès ; elle en prévoyait les funestes conséquences. Elle espérait les prévenir par des moyens de persuasion et par des mesures d’une sage et humaine politique. Votre Majesté intervenait comme médiateur au milieu des Espagnols divisés ; elle leur montrait, d’un côté, l’anarchie qui les menaçait, de l’autre, l’Angleterre s’apprêtant à profiter de leurs divisions pour s’approprier ce qui est à sa convenance; elle leur indiquait le port qui devait les sauver de ce double danger, une constitution sage, prévoyante, propre à pourvoir à tous les besoins, et dans laquelle les idées libérales se conciliaient avec les institutions anciennes dont
l’Espagne désire la conservation.

L’attente de Votre Majesté a été trompée. Des intérêts particuliers, les intrigues de l’étranger, son or corrupteur, ont prévalu sur l’influence qu’il lui appartenait d’exercer. Pourquoi est-il si facile, en déchaînant leurs passions, de conduire les peuples à leur propre ruine ? Dans un précédent rapport, j’ai fait connaître à Votre Majesté l’influence qu’acquéraient les Anglais en Espagne, le parti nombreux qu’ils s’étaient formé, les amis qu’ils s’étaient faits dans les ports de commerce, surtout par l’appât du rétablissement des relations commerciales; je les avais montrés à Votre Majesté auteurs du mouvement qui avait renversé le trône de Charles IV, et fauteurs des désordres populaires qui prirent naissance à cette époque. Ils avaient brisé le frein salutaire qui, pour son intérêt, tient le peuple dans la soumission. La populace espagnole, ayant secoué le joug de l’autorité, aspirait à gouverner. L’or des Anglais, les intrigues des agents de l’inquisition, qui craignaient de perdre leur empire, l’influence des moines, si nombreux en Espagne et qui redoutaient une réforme, ont, dans ce moment de crise, occasionné l’insurrection de plusieurs provinces espagnoles, dans lesquelles la voix des hommes sages a été méconnue ou étouffée, et plusieurs d’entre eux rendus victimes de leur courageuse opposition aux désordres populaires ; et on a vu une épouvantable anarchie se répandre dans la plus grande partie de l’Espagne. Votre Majesté permettra-t-elle que l’Angleterre puisse dire : « L’Espagne est une de mes provinces; mon pavillon chassé de la Baltique, des mers du Nord, du Levant et même des rivages de Perse, domine aux portes de la France ? ». Non, jamais, Sire !

Pour prévenir tant de honte et de malheurs, deux millions de braves sont prêts, s’il le faut, à franchir les Pyrénées , et les Anglais seront chassés de la presqu’île.

Si les Français combattent pour la liberté des mers, il faut, pour la conquérir , commencer par arracher l’Espagne à l’influence des tyrans des mers. S’ils combattent pour la paix, ils ne peuvent l’obtenir qu’après avoir chassé de l’Espagne les ennemis de la paix.

Si Votre Majesté, embrassant l’avenir comme le présent, aspire au noble but de laisser après elle son empire calme, tranquille et environné de puissances amies, elle doit commencer par assurer son influence sur les Espagnes.

Enfin, si l’honneur est le premier sentiment comme le premier bien des Français, il faut que Votre Majesté tire une prompte vengeance des outrages faits au nom français et des atrocités dont un si grand nombre de nos compatriotes ont été victimes. Des Français établis en Espagne depuis plus de quarante ans, exerçant en paix leur utile industrie et regardant presque l’Espagne comme leur patrie, ont été massacrés. Partout les propriétés françaises ont été enlevées. Les agents consulaires de Votre Majesté ont éprouvé un traitement qu’ils n’auraient point redouté dans les pays les plus barbares. De quelle estime, de quelle considération jouirait en Europe le nom français, si, dans un pays si voisin de nous, des injures aussi atroces et aussi publiques restaient impunies ? Elles doivent être vengées, mais vengées comme il convient à des Français, par la victoire. Ce n’est pas un faible avantage que la probabilité de rencontrer enfin les Anglais, de les serrer corps à corps, de leur faire aussi éprouver les maux de la guerre, de cette guerre dont ils ignorent les dangers , puisqu’ils ne la font qu’avec leur or. Contre eux les soldats de Votre Majesté auront un double courage. Les Anglais seront battus, détruits, dispersés, à moins qu’ils ne se hâtent de fuir, comme ils ont fait à Toulon , au Helder, à Dunkerque, en Suède et dans tous les lieux où les armées françaises ont pu les apercevoir. Mais leur expulsion de l’Espagne sera la ruine de leur cause. Ce dernier échec aura épuisé leurs moyens en même temps qu’anéanti leurs dernières espérances, et la paix en deviendra plus probable. Cependant toute l’Europe fait dans cette lutte des vœux pour la France. La France et la Russie font cause commune contre l’Angleterre.

Le Danemark soutient avec honneur une lutte qu’il n’a pas provoquée.

La Suède, trahie et abandonnée par l’allié auquel un cabinet insensé l’a sacrifiée, a déjà perdu ses plus importantes provinces et marche à cette ruine, effet inévitable de l’alliance et de l’amitié de l’Angleterre. Tel sera le sort des insurgés de l’Espagne.

Lorsque la lutte sera sérieusement engagée, les Anglais abandonneront l’Espagne, après lui avoir fait le funeste présent de la guerre civile, de la guerre étrangère et de l’anarchie, le plus cruel des fléaux. Ce sera à la sagesse et à la bienfaisance de Votre Majesté à réparer les maux qu’ils auront faits.

La cour de Vienne a constamment témoigné à Votre Majesté les intentions les plus amicales. Indignée de la politique de l’Angleterre, elle a voulu rappeler son ministre de Londres, renvoyer le ministre anglais qui était à Vienne, fermer ses ports à l’Angleterre et se mettre avec elle en état d’hostilité. Elle vient d’ajouter à ces mesures en interdisant dans ses ports l’admission des bâtiments qui, sous pavillon neutre, ne sont que les colporteurs des denrées et des marchandises anglaises. Votre Majesté a cultivé ces dispositions bienveillantes; elle a témoigné à la cour de Vienne amitié et confiance , et plusieurs fois elle lui a fait connaître que la France prend à sa prospérité un véritable intérêt.

Dans ces derniers temps, cette puissance ayant porté outre mesure ses forces militaires, devenues hors de toute proportion avec sa population et ses finances, Votre Majesté se voit obligée d’imposer de nouvelles charges à ses peuples.

Une nouvelle révolution a éclaté à Constantinople; Sultan-Mustafa a été déposé.

Les Américains, ce peuple qui mettait sa fortune, sa prospérité et presque son existence dans le commerce, a donné l’exemple d’un grand et courageux sacrifice. Il s’est interdit, par un embargo général, tout commerce, toute négociation, plutôt que de se soumettre honteusement à ce tribut que les Anglais prétendent imposer aux navigateurs de toutes les nations.

L’Allemagne, l’Italie, la Suisse, la Hollande, sont paisibles et n’attendent que la paix maritime pour se livrer à toute leur industrie.

Cette paix est le vœu du monde; mais l’Angleterre s’y oppose , et l’Angleterre est l’ennemie du monde.

La nation française, l’Europe entière savent tous les efforts de Votre Majesté pour la paix; elles savent que les entreprises dans lesquelles elle se trouve engagée sont le résultat immédiat de l’inutilité des tentatives qu’elle a faites pour l’obtenir.

Le dévouement du peuple français est sans bornes, et c’est surtout dans une circonstance qui intéresse aussi essentiellement son honneur et sa sûreté, qu’il fera éclater ses sentiments, et qu’il se montrera digne de recueillir l’héritage de gloire et de bonheur que Votre Majesté lui prépare.

References

References
1 Ce rapport, bien que publié au Moniteur avec la signature de M. de Champagny, ministre des relations extérieures, peut être considéré comme l’oeuvre personnelle de Napoléon. La minute porte en effet la trace de nombreuses corrections de la main de l’Empereur, et plusieurs passages ont été écrits entièrement sous sa dictée