Mon idée dans les circonstances présentes et pressantes.

Comme il n’y a point à douter que toutes les forces ennemies ne soient réunies pour tomber le plus tôt possible sur le corps de Kutusov afin de l’écraser et de marcher sans s’arrêter après jusqu’à Vienne, la toute première chose que nous avons à faire, c’est de ne point commencer par perdre la tête, mais d’envisager froidement toute le critique de notre situation et de calculer au plus juste quelles peuvent encore être nos ressources extraordinaires lorsque l’énergie et une prompte résolution en démontrent la possibilité.
Il faut alors dire aux gens fâchés de la cause de notre malheur (et qui disent qu’il n’est plus temps de rien faire, puisque dans quinze jours l’ennemi peut être ici) il faut leur dire que si l’on ne veut rien faire, tout est naturellement perdu et le trône et la monarchie culbutés.. Partant de là, et puisqu’il n’y a plus rien à perdre au delà du tout, ne pouvons nous pas user des moyens qui se trouveront peut-être encore dans nos mains pour prolonger au moins notre agonie, et gagner par là le temps nécessaire aux alliés pour arriver à nous soit sur un point soit sur l’autre : car dès qu’il s’agit de conserver la couronne, la perte de Vienne (quelque grande et désastreuse qu’elle puisse être pour cinquante ans même) n’est plus un objet qui doit nous arrêter et nous faire tomber à genoux, pour tendre le cl au couteau.
Ce serait nous manquer à nous mêmes, ce serait manquer à tout le Sénat des puissances de l’Europe intéressé à notre existence et à notre conservation, et lequel prononcerait pour tout jamais le plus affreux anathème contre l’administration, dont le nerf et le courage abattus par une premier revers (quelque grand qu’il ait été) aurait laissé disparaître l’empire d’Autriche de la surface de l’univers, comme s’il eut été englouti par l’éruption d’un volcan.
Cette considération étant présentée, et le principe dont je pars étant profondément senti, examinons notre position pour en faire la base de notre conduite.; que cet examen soit mûr, qu’il soit bien calme, que nos résolutions qui en doivent dériver soient fortes et inébranlables, que notre action soit prompte et énergique; et finalement que le choix de nos moyens se fasse hors de toute coutume et de la règle ordinaire, sur lesquelles seules se tenant appuyés les gens purement méthodiques (et pour se faire l’oiseux mérite de reprocher avec raison et amertume la faute commise à l’armée de s’être trop avancée) crient que tout est perdu.
Regardons ces gens là comme des médecins qui sont fondés à nous condamner d’après les règles de l’art; mais enfin dès qu’ils nous condamnent et se refusent à recourir `des remèdes étrangers à leur règle, à leur méthode, sachons prendre le parti de nous séparer d’eux pour aviser à d’autres moyens, et imitons en cela le grand nombre de malades qui, abandonnés par la faculté entière, ont eu avec succès recours à des gens qui contre toutes les règles de l’art ont su leur sauver la vie, et même les rétablir entièrement.
Soit que l’armée de Kutusov ait été battue, soit qu’elle ait du éviter l’engagement avec un ennemi trop fort pour oser se risquer avec lui, il parait qu’on a enfin changé la décision de sa retraite par le pays de Salzbourg vers la Haute Styrie dans l’idée de pouvoir rester par cette opération en communication avec l’armée d’Italie ainsi qu’avec le Tyrol, ce qui n’est qu’une chimère. Cette direction rétrograde laisserait libre à l’ennemi la rive droite du Danube ainsi que la grande route de Bavière en Autriche ou de Braunau à Wels.
Il s’entend donc (et ceci est du ressort de la manœuvre militaire) que l’on couvrira cette route et tout l’Inn Innstal par ce qu’on pourra détacher d’infanterie légère et par toute la cavalerie qui doit faire de 7 à 8.000 hommes, pour se battre continuellement en retraite, et porter des coups répétés et sensibles à l’ennemi afin d’entraver sa marche, et donner par là le temps à Kutusov, non seulement d’atteindre et de se soutenir (sans trop s’engager) dans les positions à retrancher entre Wels et Vienne, mais encore celui, lorsqu’il devra quitter ces positions, de suivre la seule route praticable à un corps d’armée et de parvenir vec elle jusqu’à Enns, où les circonstances ultérieures dirigeront le reste des opérations.
Comme l’on voit ici, Kutuzov a la retraite la plus haute à faire, il est donc clair qu’il ne peut l’exécuter qu’au moyen du service que doit lui rendre la cavalerie en arrière garde pour retarder l’ennemi à chaque pas; il faut en outre sans perdre de temps, envoyer de bons officiers du génie pour élever des des ouvrages propres à soutenir et protéger la marche rétrograde de l’armée.
La cavalerie doit être constamment au Danube jusqu’à Vienne même. S’il y avait moyen de la faire soutenir sur quelques points susceptibles de chicane comme peut-être Ebersberg et Strengberg, il n’y aurait pas de mal, parce que cela lui ferait reprendre haleine; mais je ne vois point la possibilité de cette mesure, vu que nous n’avons plus d’infanterie en arrière, que quelques bataillons qui seront nécessaires à Vienne pour en assurer la tranquillité.
Nous voici donc dans la vallée du Danube abandonnée aux efforts de résistance de la cavalerie et de quelqu’infanterie légère russe et croate. Il importe que l’une et l’autre soit menée par un homme de tête, et qui sache toujours rejeter son infanterie dans les montagnes avoisinantes, lorsqu’elle doit plier aux postes qu’on lui avait fait occuper pour faire le coup de fusil et arrêter l’ennemi, pendant que l’armée, hors de toute atteinte dans la partie des montagnes et des bois, devra (même pour faciliter sa subsistance) s’étendre vers nous et pousser de gros détachements vers la rive du Danube. Nous nous retirons ainsi le long du fleuve et nous voici parvenus vers Melk.
Il faut avant tout que, dès ce moment, on se hâte de faire élever des retranchements pour défendre contre l’ennemi le chemin qui mène à Lilienfeld, celui-ci devant absolument lui être rendu impraticable ainsi que toutes les autres trouées qui furent retranchées lors de la levée en masse il y a quelques années, et sachons y envoyer tout de suite des canons qu’il ne faut plus craindre de perdre, quand on se plaint que tout est sans cela perdu, car dès que cela est ainsi, il vaut mieux n’avoir perdu cent pièces de canon qu’après qu’elles ont foudroyé un grand monde à l’ennemi pour l’affaiblir à son arrivée ici, que de les perdre sans en avoir retiré le moindre profit, ou de les avoir du jeter à Vienne dans le Danube faute d’avoir pu les retirer des arsenaux.
J’ajoute à cette mesure pour laquelle il ne faut rien ménager en mettant en réquisition tous les chevaux de Vienne et du plat pays. celle de faire armer dans 8 jours de temps et de toutes les manières possibles, les habitants pour les jeter dans la montagne, et principalement dans le Wienerwald, entre Sickarskirch [1]Sieghartskirchen et Burkersdorf, position décisive et qu’il faut défendre à toute outrance, dès qu’elle ne pourra plus être tournée.
C’est ici que tous les habitants qui ont deux bras, c’est ici que tous ceux de Vienne que leur propre existence intéresse, doivent, sur l’appel paternel et nerveux qui doit leur en être fait par le souverain dont le trône est menacé, se rendre sous la direction de tous les généraux et militaires présents, pour garnir en force les retranchements qu’il faut élever tout d’abord et farcir d’artillerie, y faire le coup de fusil et repousser avec le plus grand courage les efforts de l’ennemi, et c’est là enfin que les deux tiers d la garnison de Vienne doivent être portés la veille seulement pour être le noyau de la grande défense et appuyer efficacement et régulièrement celle que feront les volontaires appuyés aux parapets, aux bataillons et à l’artillerie qui ne cessera de faire le plus grand feu.
Je regarde cette défense à outrance du Wienerwald comme la seule qu puisse faire la ville de Vienne; d’abord, parce que militairement parlant, elle est meilleure, et puis, parce qu’elle n’entraîne point les inconvénients qui répandraient d’avance la terreur dans la ville, tels que la menace du feu des maisons, du pillage, etc. L’ennemi, en attaquant des retranchements, les trouvera sans doute défendus par les habitants en masse, mais il ne pourra point y envisager uniquement ceux de la capitale, qui regagneront celle-ci par Dornbach [2]où votre serviteur habite à présent ! et Kahlsburg et Sankt-Veit sans coup férir et rapidement, et sans avoir aucun chariot ni canon, même à mener en arrière; il s’entend que chaque habitant aura porté son pain avec lui et n’aura point d’autres bagage qu ses armes.
Les communautés auront soin de porter la nourriture aux habitants répartis dans toutes les gorges de la montagne et cette mesure doit être d’autant moins embarrassante et d’autant plus énergique qu’elle n’est praticable et nécessaire que pour peu de jours, mais toujours essentiellement précieux par le temps qu’elle nous fait gagner relativement l’arrivée des alliés.

Ce qui vient d’être détaillé ici pour la rive droite du Danube, doit être également et bien plus facilement observé sur la rive gauche. Mais avant tout il faut y placer dans la partie haute tout ce qui et resté à l’Archiduc Ferdinand, y joindre tout ce qui est armé sur la frontière de Bohème, et en attirer tout ce qui est possible par Grätz en Basse Autriche et par Chrùmau dans le Mühlviertel et de suite sur Mathausen et Saint-Nicolas.
il faut donc faire un appel solennel au nom de Sa Majesté à toute la nation en lui faisant connaître littéralement l’ordre arrogant de Bonaparte à son armée, et par lequel il annonce qu’il la mène droit à Vienne pour culbuter la monarchie à tout jamais, et rendre par conséquent notre fidèle et valeureuse nation autrichienne un peuple d’esclaves comme tous ceux qu’il tyrannise pour les mener à la boucherie uniquement pour assouvir sa soif de sang humain et son ambition sans bornes, et asservir des royaumes à l’enrichissement et aux vexations de tous ses parents dont il veut faire ses gouverneurs de provinces.
C’est en rendant public et officiellement cet ordre qu’il est en chemin vraiment pour exécuter, qu’on électrisera les têtes, les âmes et le courage; car ce ne doit point être la perte d’une bataille à un grand éloignement, et contre une ennemi deux fois plus fort, qui puisse décourager, lors surtout que l’accord qui règne entre toutes les cours de l’Europe nous garantit les plus prompts secours de la part de nos voisins, et qu’en effet 60 milles Prussiens nous arrivent dans 4 semaines. On doit être bien convaincu de la nécessité des plus prompts et des plus grands efforts pour faire face à nous seuls aux menaces de cet ennemi du genre humain, et notre brave nation va se montrer digne de sa réputation en fait de valeur et de fidélité à ses augustes souverains.
Il faut que quiconque ne peut, soit par son âge, ou par les fonctions de son état, payer de sa personne, paye généreusement de sa bourse, et que pour quelques semaines chacun prenne un ou plusieurs hommes armés à sa solde pour l#armement, l’habillement le plus simple, et la nourriture. Tous les chirurgiens et barbiers de villages seront commandés selon le besoin, et l’on promettra des récompenses aux chefs de communautés qui se distingueront par leur zèle. Tous les seigneurs – et en général les domaines – toutes les prélatures, tous les magistrats de ville doivent montrer l’exemple, afin que rien ne coûte et que tout prenne comme par enchantement l’aspect le plus guerrier ! Et cela du jour au lendemain. Les deux autorités civiles et militaires doivent concerter d’abord le plan d’organisation et se donner fermement la main pour son exécution.
Dès que ce mouvement général et électrique sera donné, qu’on avise lors aux dispositions que la prudence doit dicter pour emmener hors de Vienne tout ce qu’on ne peut point exposer au hasard d’un malheur complet, et pour lors cette mesure n’intimidera plus personne.

Je désirerais qu’on trouvât le moyen de profiter de l’armée de l’empereur de Russie pour exalter encore plus les têtes et le courage, et que lui-même daigna y contribuer en animant les braves autrichiens à aller vite aux armes jusqu’à que sa brave armée arrive au secours de ses bons et chers alliés. Ah ! Tout ce qu’on peut encore faire – si on le veut !
La conscription des armes et de la poudre doit être faite au plus tôt, et tout est bn à employer dans une grande et pareille circonstance où il s’agit enfin de la glore ou de la honte éternelle de notre nation ainsi que de son existence en masse comme de celle de chaque particulier et de ses propriétés.
Il faut désigner d’abord les rendez-vous et les points de formation des compagnies et des bataillons de volontaires, et y envoyer sur le champ les gens qu’on tirera de la ville. Comme l’on a peu d’officier, tous ceux qui restent, ainsi que les gardes, et puis de jeunes seigneurs ou bons bourgeois, s’empresseront d’en faire le ervice sous l’instruction de quelques vieux militaires de tout grade, bas officiers et vieux soldats. Voilà enfin succinctement que possible l’idée que j’offre pour l’organisation de la défense pour le 1er choc, afin de l’empêcher d’être décisif contre nous et donner s’il le faut les moyen de faire repentir l’ennemi d’avoir ose annoncer la destruction de l’Autriche. Je reprends le fil des autres dispositions.
L’armement des Hongrois qui ne peut produire d’ici à quinze jours que peu de cavalerie sans ordre pour voltiger, doit être employé lorsqu’elle sera un peu plus nombreuse pour inquiéter les derrières de l’ennemi et recevra pour cet effet sa direction par Neustadt et Bruck sur la Leitha, pour être de là introduite dans la montagne par la nouvelle route vers Lilienfeld, et de là portée vers un ou deux débouchés bien retranchés vers la vallée du Danube où elle cherchera à faire des coups pour rentrer après par les mêmes trouées.
Mais comme il faut espérer que la nation Hongroise fera de grands efforts conformes aux circonstances, à ses promesses, et au temps où nous vivons, nous devons compter qu’elle formera de l’infanterie à laquelle nous ne pourrons guère fournir que du canon, car je ne vois plus la possibilité de trouver des mousquets. Cette infanterie jointe à la grande insurrection devra s former en corps d’armé dans le Wisselburg et l’Eisenburg.
Il faudrait que le commandant général baron d’Alvinczy puisse aider Son Altesse Royale Palatin, étant lui-même hongrois – et après avoir tiré à lui les généraux et officiers pensionnés qui se trouvent dans le pays.
Cette arme doit, au fur et à mesure que sa formation avance, être employé n détail pour inonder le plus vite que possible tous les alentours de l’armée ennemie qui serait parvenue en Autriche et à Vienne même. Cette armée doit craindre de faire des détachements pour se procurer la subsistance et pour lors l’insurrection hongroise doit lui couper absolument les vivres et affamer s’il le faut Vienne et toute l’Autriche dont on aura eu sans cela le soin, et le plus tôt possible, de tirer tout ce qu’on peut de grains hors du plat pays, pour en former des dépôts multiples dans la montagne, hormis l’approvisionnement nécessaire pour 6 semaines qu’on aura fait en faveur de la capitale, pour en assurer la tranquillité et le besoin jusqu’au terme de la crise actuelle, y répandant même l’abondance, mais après en avoir fait sortir toute la foule d’oisifs dangereux t qui ne font que consommer.
Les cinquièmes bataillons disponibles qui nous restent ne peuvent être éloignés de Vienne, ils doivent en renforcer la garnison, et faire surtout le plus grand noyau de la défense du Wienerwald. La cavalerie de l’armée doit être en **** de droite et de gauche dans la plaine devant Vienne à l’arrivée de l’ennemi qui aurait forcé le Wienerwald et fondre par division ou escadrons successivement sur les colonnes de l’ennemi qui ne pourra point encore les déployer.
Ces charges de cavalerie se feront l’une après l’autre et continuellement de manière que les escadrons qui durant la charge se retirent sans harceler, promptement en échiquier, et soient relevés dans l’instant par des escadrons frais qui recommencent de nouvelles charges. Il faut que par ce moyen ont ait écharpé à l’ennemi la plus grande partie de son infanterie, laquelle aura sans cela du être foudroyée par les batteries de canons à établir sur les hauteurs, des deux cotés de la route de Burkersdorf. Après la perte de cette rude bataille devant les portes de Vienne, la cavalerie gagnera le coté opposé de Vienne vers la Hongrie et jettera ce qu’elle pourra par le Tabor dans le Marchfeld.
Le **** et tout le terrain du *****, jusqu’au Danube, sera retranché, occupé par des batteries et par l’infanterie avant sa rentrée dans Vienne dont elle ressortira par les lignes de St-Maxes (Saint-Marc) et par le Belvédère pour se former en bataille entre la cavalerie qui doit protéger alors sa retraite sur Presbourg.
Les 6e bataillons de l’Autriche, tant Haute que Basse, ainsi que tous ceux de la Bohème et de la Moravie, seront portés le plus tôt possible sur les derrières de la March, et organisés s’il est possible en bataillons aussi loin que la présence de l’ennemi le permettra, puisque ce serait gâter cette réserve que de s’en servir trop tôt.
Je suppose et je désire que par le moyen de ces faibles idées dans lesquelles je n’ai moi-même que peu de confiance, nous puissions trouver celui de gagner quelque temps et de défendre le plus que nous pourrons l’envahissement de notre centre. Mais ce qui y contribuerait le plus serait bien certainement le rassemblement d’un corps combiné de troupes prussiennes et saxonnes dans les margraviats, et surtout la marche de l’Électeur de Hess avec une armée vers Würzburg pour opérer sa jonction avec le premier corps et obliger Bonaparte à se retirer au plus vite en Bavière.
Je n’ai point parlé ici de la défense du Tyrol qui est bien menacé, mais comme il n’est plus temps de le renforcer que par les troupes détachées promptement de l’armée d’Italie, il n’y a plus rien à en dire.
C’est en finissant ici qu’il faudra voir l’issue de cette affreuse crise dont Dieu et notre seul courage peuvent seuls nous tirer pour le salut de la Monarchie et de notre auguste et digne Empereur.
Le 25 Octobre 1805.
Graf Camillo Lambertie [3]Aide de camp de l’empereur Francois I.
(KA Wien – 1805/13/50 – 781)
References[+]