Préparatifs et premier passage du Danube (14-20 mai 1809)
« Pendant que l’armée prenait quelque repos dans Vienne, que ses corps se ralliaient, que l’Empereur passait des revues pour accorder des récompenses aux braves qui s’étaient distingués et pour nommer aux emplois vacants, on préparait tout ce qui était nécessaire pour l’importante opération de passage du Danube. » (Bull. de la Grande Armée).
Tentative au nord de Vienne
Après la prise de Vienne, les troupes françaises ont été réparties de la façon suivante: la Garde est autour de Schönbrunn, la réserve de cavalerie (Nansouty, Saint Germain, Espagne) est dans la ville même et dans ses environs immédiats. Masséna occupe Leopoldstadt et les abords du pont de Tabor (Boudet), le Prater et la rive droite du Danube jusqu’à Kaiser Ebersdorf (Carra Saint-Cyr), Landstrasse (Legrand), Simmering et la route menant à Schwechat et la Hongrie (Molitor). Les autrichiens observent les français depuis Groß-Enzersdorf.
Napoléon se tourne alors vers le problème qui lui reste à résoudre, le passage du Danube, dont l’ennemi a pris soin, on l’a vu, de détruire les points de passage existants. La tâche n’est pas mince: le Danube, à la hauteur de Vienne, a, à cette époque, une largeur de près de 2 kilomètres, qu’il s’agit de faire traverser à une armée de 150 000 hommes, équipée de près de 600 canons. Et ceci sous les yeux d’un ennemi qui ne manquera pas de s’opposer à cette entreprise.
Le 13 mai, une première tentative de passage est entreprise, à hauteur de Nußdorf. C’est Lannes qui est chargé de l’affaire, avec la division Saint-Hilaire. Ce dernier ordonne, à 2 heures de l’après midi, à trois compagnies de voltigeurs de se porter dans l’île de Schwarze-Lackenau, de manière à protéger, de la rive gauche, la construction d’un pont. Le « débarquement » réussi: 400 hommes prennent possession des bois qui s’étendent jusqu’à Jedlersee. Comme les autrichiens (général Vlasits) offrent une trop grande résistance, malgré l’artillerie française, six autres compagnies sont envoyées en renfort.
Marbot:
« Le général Saint-Hilaire forma ce détachement en prenant des soldats de deux régiments, et en les plaçant sous les ordres de deux colonels, ce qui n’était pas propice à une action coordonnée »

Les Autrichiens reconnaissent le danger de voir les français s’installer en force à cet endroit. Des renforts sont amenés de Groß-Jedlersdorf et ordre est donné à deux compagnies de fantassins de passer dans la partie sud de l’île. Cette contre attaque, menée aux cris de « Vive l’Empereur » par le régiment Kerpen, est un succès: les Français reculent, malgré le soutien de l’artillerie installée à Nußdorf. Ce n’est pas fini: ils sont bientôt pris à revers, grâce à une audacieuse manœuvre du général O’Brien, qui les prend totalement à revers. Le chef de bataillon Poux est fait prisonnier. Toute résistance devient bientôt impossible. A 8 heures du soir les français rendent les armes. 600 Français et 300 Autrichiens sont hors de combat. Napoléon est témoin de cette opération manquée.

Marbot:
« L’Empereur et le maréchal Lannes arrivèrent sur les bords du Danube pour être témoins de cette catastrophe. Ils adressèrent de vifs reproches au général Saint-Hilaire. »
Le passage du Danube en ce point n’a pas réussi. Plus important encore: les Autrichiens restent en possession d’une position vitale dont ils vont faire un excellent usage plus tard: c’est en effet là que le capitaine Magdeburg (un ancien marin) va préparer, en toute quiétude, avec l’aide du constructeur de bateau Michael Fink, six pontonniers et quatre soldats du bataillon des volontaires de Vienne, les embarcations qui, remplies de pierres et de bois enflammé, seront envoyées sur le Danube et détruiront les ponts construits en aval par les Français.
Le 16 mai, l’archiduc Charles, qui a fait sa jonction avec Bellegarde, arrive au Bisamberg. Il installe son quartier général à Ebersdorf.
Passage au sud de Vienne

Napoléon prend donc sa décision de passer le Danube un peu au sud de Vienne, en profitant de la présence de la grande île de la Lobau.
En 1809, celle-ci a environ 4 km de long et 6 km de large. Elle est en partie boisée, notamment par de très grands arbres qui empêchent de voir d’une rive à l’autre. Pour y pénétrer, à partir de la rive droite, où se trouvent les français, il faut traverser deux bras du fleuve, l’un de 500 m, l’autre de 250 m environ. Le coté opposé est séparé de la rive gauche par un autre bras de 120 m. Seul ce coté est sur la surveillance directe des autrichiens.
Las Cases:
« Ainsi c’était une triple rivière à passer, un triple pont à construire, dont un était de la plus grande dimension au milieu des ennemis »
Coignet:
« Il s’agissait d’établir un pont, et ce n’était pas chose facile »
Il s’agit donc de mettre en place des ponts de bateaux, au moins du côté de la rive droite, car des ponts sur pilotis nécessiteraient beaucoup plus de temps, et Napoléon veut en finir rapidement. Mais les bateaux sont rares, car les autrichiens ont pris soin, soit de les couler, soit de les faire partir sur Bratislava. Toutefois, les français arrivent à en réunir environ 90.
Coignet:
« Il (Napoléon) ordonna de faire descendre à trois lieues au dessous de cette ville (Vienne) tous les grands bateaux qui s’y trouvaient et de rassembler un immense matériel à la hauteur de l’île de Lobau. Au lieu d’un pont, ce point nécessitait l’établissement de deux »
Pour les retenir entre eux, des cordages sont trouvés dans Vienne, port fluvial très fréquenté à cette époque. Reste à les amarrer: tout ce qui a du poids est réquisitionné, comme les canons de la ville, des caisses de boulets, etc..
Marbot:
« Beaucoup d’obstacles s’opposaient à la construction des ponts; il nous fallait utiliser des bateaux de différentes tailles et de différentes formes, et des matériaux manquant de la résistance nécessaire; nous n’avions pas d’ancres, et nous devions les remplacer avec des caisses remplies de boulets. »
Savary:
« L’Empereur cependant n’avait pu obtenir qu’un tiers des moyens qui étaient nécessaires pour traverser le Danube, qu’il s’agisse de bateaux, de cordages et de tout autre matériel….L’Empereur avait à son service quelques officiers d’artillerie et du génie, infatigables, et avec un tel génie d’invention, qu’il n’avait qu’à exprimer ses intentions, pour qu’ils trouvent le moyen de les réaliser. »
Ces opérations, menées sous la responsabilité des généraux Bertrand (commandant le Génie de l’armée française) et Songis, sont terminées le 17 mai.
Napoléon ordonne à Masséna (IVe corps d’Armée) de rassembler ses troupes à hauteur de Kaiser Ebersdorf, ce qui est chose faite à 11 heures. Lannes doit en faire autant.
Au maréchal Lannes, duc de Montebello, commandant le 2e Corps de l’armée d’Allemagne, à Nussdorf.
Ebersdorf, 19 mai 1809, quatre heures du soir.
L’intention de l’Empereur, Monsieur le Duc, est que votre corps d’armée soit prêt à passer le Danube demain à neuf heures du matin.
Le prince de Neuchâtel, Major général.

Le passage proprement dit des deux bras du fleuve commence le 19 mai au matin, lorsque l’avant garde de Molitor est transportée dans la Lobau sur des barques.
Coignet:
« Le 18 mai (sic) l’opération de passage commença »
Marbot:
« Lorsqu’il (Napoléon) eu vérifié tout soigneusement et s’être assuré que tout avait été fait eu égard aux circonstances, il ordonna à une brigade de la division Molitor de passer dans la Lobau, dans 80 grands bateaux et 10 radeaux ».
Elle refoule quelques éléments autrichiens. A trois heures de l’après midi, aucun bruit de bataille n’est perceptible. Pendant ce temps la construction du grand pont (850 m au total) se poursuit, pour se terminer à la mi-journée du 20. La division Boudet rejoint alors celle de Molitor, suivie de la cavalerie légère de Lasalle et de l’artillerie.
Peu après Napoléon passe également dans la Lobau, accompagné de Berthier, Masséna, Lannes et Bessières. Les troupes françaises continuent d’arriver. Vers 5 heures, premier incident: une partie du grand pont est emmenée par les flots. Des éléments français sont coupés en deux, comme l’artillerie de Legrand, ou la cavalerie de Marulaz. Mais le pont est réparé dans la nuit, et les passages continuent
Pour atteindre la rive droite du fleuve, les français doivent en passer le dernier bras, vers Essling. Molitor trouve un rentrant du fleuve, propice pour l’aménagement d’une tête de pont.

Un pont de pontons est rapidement jeté. A 19 heures ce soir là Lasalle fait passer ses quatre régiments de cavalerie, refoulant sans difficultés les quelques autrichiens présents à cet endroit, suivis par les voltigeurs de Molitor et Boudet. Devant eux, un petit bois, puis le terrain s’élargit, donnant accès, à gauche à Aspern, à droite à Essling.
Au soir du 20 mai, l’infanterie de Masséna occupe Essling. Lasalle établi son quartier général à Aspern, ses troupes bivouaquant dans le Mühlau, où Napoléon passe la nuit à la belle étoile.
Marbot:
« Au soir du 20 mai, l’Empereur et le maréchal Lannes s’étant installés dans la seule maison de l’île (la Jägerhaus ?) mes camarades et moi-même bivouaquâmes non loin de là, sous un brillant clair de lune, sur un gazon magnifique. C’était une nuit magnifique, et nous bavardâmes avec les soldats insouciants, ignorants des dangers du lendemain et chantâmes les derniers airs à la mode, dont deux très populaires dans l’armée et attribués à la Reine Hortense…Le capitaine d’Albuquerque ….nous fit mourir de rire en nous racontant quelques moments de sa vie aventureuse. Pauvre ami ! Il ne pouvait pas savoir que l’aube prochaine serait la dernière de sa vie et que la plaine qui nous faisait face serait recouverte le lendemain de son sang et du nôtre » .