Napoléon, homme de guerre !

Il fallait s’y attendre. L’article de B. Weider, dans le numéro 54 de First Empire, « Napoléon, Homme de paix », a suscité, deux numéros plus tard, son contraire, « Napoléon, Homme de guerre », sous la plume de John Cook. Aux quatre pages de Weider répondent les… dix pages de Cook.

Ce dernier n’y va pas de main morte: « L’article de M. Weider est un exemple de désinformation simplificatrice et trompeuse  comme il est difficile d’en trouver. » Et il reprend l’argumentation de B. Weider point par point.

La seconde coalition ? Ses causes sont multiples, et à mettre au compte de la France,  à commencer par l’occupation de Malte, que le gouvernement de Londres (mais aussi le tsar, puisqu’aussi bien celui-ci était Grand-Maître des Chevaliers) ne pouvait évidemment supporter sans réagir.

Les offres de paix au début du Consulat ? Qui diable les auraient acceptées, alors que la France « marchandait » dans une position de faiblesse et qu’elle était seule responsable de la guerre ?

Signature de la paix d'Amiens (Jules-Claude Ziegler)
Signature de la paix d’Amiens (Jules-Claude Ziegler) Musée de Picardie

La violation de la paix d’Amiens par les seuls Anglais ? Balivernes ! N’est-ce pas la France, au contraire, qui, entre autres choses, impose une nouvelle constitution à la République Cisalpine, qui annexe le Piémont, qui exprime des ambitions en Méditerranée orientale, qui masse des troupes sur les côtes de la Manche, qui (ce sont les journaux qui le révèlent) jette de nouveau des regards plein d’appétit vers l’Égypte ? Dans ces conditions, comment s’étonner qu’une troisième Coalition se noue, tant il est devenu évident, même « pour le gouvernement le plus borné », que les intentions de Napoléon sont claires: hégémonie politique et commerciale de la France en Europe !

S’en serait trop pour le tsar, par exemple, qui peut désormais craindre que le nouvel empereur des Français a des vues sur la Pologne. Quant à l’Autriche, ce qui se passe en Italie ne peut que la forcer à entrer dans cette coalition. Et si l’Angleterre agit en coulisse, c’est qu’elle n’a tout simplement pas les moyens militaires pour s’engager directement sur le continent. Qui pourrait lui reprocher de soutenir ses alliés ?

Austerlitz permet à Napoléon de redessiner l’Europe selon ses vues, à sa guise, en faisant et défaisant les couronnes, en se créant des vassaux. Car, dès cette date, le caractère « autocratique » du pouvoir napoléonien devient évident. « L’empire français n’est dès lors plus rien sans son armée, sa raison d’êtres, c’est la guerre. »

La Prusse, un moment, s’allie, bien malgré elle, à la France, mais la rupture qui va survenir est uniquement le fait de celle-ci: violation d’Anspach, création du duché de Berg et du royaume de Hollande, formation de la Confédération du Rhin, question du Hanovre. La guerre (1806-1807) était évidemment inévitable, mais provoquée par Napoléon.

Les traités de Tilsitt ? Certes, mais Napoléon, en coulisse, encourage Alexandre à attaquer l’empire Ottoman, tandis que, dans le même temps, il suggère à Selim III d’attaquer la Russie. Bel exemple de double jeu. Quant à la Prusse, le traité n’a pour but que « d’émasculer » l’état prussien. Et c’est bien en contradiction avec les termes du traité, que le duché de Varsovie est absorbé dans la Confédération du Rhin.

La rencontre de Tilsit - Adolphe Roehn (Base de données Joconde)
La rencontre de Tilsit – Adolphe Roehn (Base de données Joconde)

Au passage, J. Cook balaie l’accusation concernant le bombardement de Copenhague par les anglais: c’est Napoléon qui, ayant forcé le Danemark à une alliance que Londres ne pouvait que regarder d’un mauvais oeil, en porte la responsabilité. Et puis, ce siège de Copenhague « ne fut pas plus inhumain que bien d’autres sièges de l’époque « . Prétendre le contraire, c’est faire preuve d’anglophobie !

L’affaire de l’invasion du Portugal et de la guerre d’Espagne est rapidement traitée, mais il n’y a pas là véritablement matière à querelle entre B. Weider et J. Cook.

Si, en 1809, l’Autriche peut être considérée comme l’agresseur, Napoléon lui a cependant donné toutes les bonnes raisons pour cela.

La campagne de Russie ? Ce n’est que le résultat de l’attitude provocante de Napoléon, et c’est bien ce dernier qui a attaqué le premier (et sur ce point, J. Cook ne peut avoir tort).

M. Cook en vient à sa conclusion: le grand Empire n’était rien moins qu’un ensemble d’éléments rassemblés pour servir les intérêts de la France, mais il fut le résultat du hasard plus que d’une stratégie définie. Le système était uniquement dirigé contre l’Angleterre, qu’il fallait exclure de l’Europe. Il est faux de voir dans le gouvernement de Londres l’architecte de l’union des puissances européennes contre la France. Cet architecte, c’est Napoléon lui-même. En 1805, seuls les « myopes ne voyaient pas son ambition sans limites ». L’argent anglais fut à peine suffisant pour donner aux puissances le minimum dont ils avaient besoin pour se défendre !

Les manifestations de désir de paix exprimées par Napoléon ne furent que, soit simulations, soit (à Sainte-Hélène) désir de justification a posteriori.

Et J. Cook de conclure:

"Dire que Napoléon fut essentiellement un homme de paix n'est pas défendable et ne repose que sur une propagande contre-historique"

Analyse de Robert Ouvrard