Napoléon et la Pologne – Allocution Galicie

Allocution de l’Empereur à la députation de la Galicie, le 3 août.

 

Dresdener Staatsarchiv, 3578. Rapportée dans la lettre du général Bronikowski, grand-maître d’hôtel du roi de Saxe, à Frédéric Auguste (Vienne, 26 août 1809) « J’ai l’honneur d’annoncer à Votre Majesté que je fais partie de la députation de la Galicie, et que M. le comte Potocki (Ignace) m’a apporté une lettre de créance du gouvernement galicien pour cette charge, de même qu’à M. Matuszewicz ; nous avons demandé une audience à S.M. l’Empereur par M. le Grand,  maréchal Duroc, auquel nous avons été obligé de détailler l’objet d notre mission et de remettre nos lettres de créances. Lorsque celles-ci furent examinées, Sa Majesté nous a accordé une audience pour le 3 août, à onze heures du matin (…) Au château de Schönbrunn (…) Sa Majesté nous a reçu avec sa bonté ordinaire. M. Potocki voulait tenir un discours, mais il fur prévenu, un moment d’entrer, que Sa Majesté ne le voulait pas. Après la présentation usitée, Sa Majesté l’Empereur a demandé à ces messieurs : Quel chemin avez-vous pris pour venir ici ? Combien de temps y avez-vous mis ? De quelle partie de la Galicie arrivez-vous ? Quel gouvernement vous envoie ? Sur cela, M. Potocki répondit : « que ce sont les anciens Grands-États de la Galicie, et le nouveau gouvernement, établi par le prince Poniatowski, qui nous députe vers Votre Majesté pour porter au pied de son auguste trône l’hommage de notre soumission, et en même temps implorer sa bonté de nous prendre sous sa haute protection. »-  Sur cela, l’Empereur répondit, et voilà, à peu près, ce que j’ai pu retenir de ce qu’il nous a dit pendant une heure d’audience ».

))

Je suis fort content de votre dévouement, vous me marquez par là que vous voulez devenir ce que vous avez été, mais on ne peut pas faire toujours ce qu’on veut. Je ne vous ai pas insurgés, je ne vous ai engagés à rien, je n’ai pas fait comme dans le Grand Duché de Varsovie, où, étant arrivé, j’ai fait lever la Grande-Pologne en masse ;  il fallait bien alors les soutenir, et encore l’ai-je pu faire, car j’étais vainqueur, et ne l’étant pas, je les aurais abandonné. On ne fait que ce qu’on peut. Je conviens que la France n’a, dans ce moment-ci, d’autres alliés que la Suède, la Perse, la Pologne et la Turquie ; mais la Pologne, c’est toujours un article sur lequel toutes les négociations avec la Russie sont rompues. La Russie sent fort bien qu’elle n’est attaquable que par la Pologne ; maintenant par la cession de la Finlande qu’a faite la Suède, Pétersbourg est mis à couvert. Malheur pour la Suède d’avoir eu un fou qui la gouvernait lorsque j’ai fait la guerre, l’an 1807.  J’ai été obliger de partager mes forces et avoir 20,000 hommes du coté de Stralsund, où ces fous voulaient débarquer avec les Anglais. Si j’avais eu ces 20,000 hommes à la bataille de Friedland, et ceux que j’avais employés au siège de Dantzig, j’aurai repassé le Niémen et j’aurais rétabli la Pologne, quoiqu’encore l’Autriche eut bien pu contrecarre ce projet avec 130,000 hommes qu’ils avaient là-bas, tout prêts en Galicie, pour me les détacher sur le dos. Mais l’Autriche ne l’a pas fait, et peut-être ne l’aurait-elle pas fait, car le établissement de la Pologne ne lui est (pas) aussi préjudiciable qu’à la Russie.  Car, si j’étais Empereur de Russie, je ne consentirais jamais à la moindre augmentation du Duché de Varsovie ; au contraire, je le combattrais dix ans jusqu’à ce qu’il fut détruit, comme moi je me ferais tuer, et mes dix armées avec,  pour défendre la Belgique ; de plus, j’en ferais une dixième armée d’enfants et de femmes pour combattre et défendre tout ce qui serait au préjudice de la France. – Avec cela, je ne peux disconvenir que la Russie m’ait beaucoup aidé dans cette campagne. Vous direz qu’ils ne se sont pas battus comme vous. Oui, mais pourquoi ? Parce qu’ils s sont joints à vous, vous, leur ennemi naturel, et si, au lieu de vous, ils eussent rencontré les Français, ils se seraient, car peu leur importe, si la Maison d’Autriche est affaiblie par les Français, pourvu qu’il n’y ait rien de la Pologne dans tout cela. Mais vous trouvant là sans Français, ils savaient bien que vous ne combattiez les Autrichiens que pour vous agrandir, et il n’est pas de l’intérêt de la Russie de voir votre agrandissement d’un œil favorable.  La France, non plus, ne peut s’engager à faire la guerre pour vous, car, pour vous soutenir, il lui faudrait envoyer 100,000 et même 150,000 hommes, car, avec 10,000 hommes qu’anciennement la France vos avait envoyés, elle n’a rien fait.

Je sais qu’en rétablissant la Pologne, c’est mettre une balance en Europe, mais, sans la guerre avec la Russie, cette balance ne peut pas être rétablie, et vous sentez bien que la Russie n’a consentirait autrement qu’en étant forcée par une destruction totale de ses armées.

Le prince Poniatowski a fait une gaucherie de n’avoir pas pris, en mon nom, possession de la Galicie. Les Russes ne se seraient jamais portés dans les endroits où mes aigles seraient arborés. Il ne l’a pas fait, et les Russes paraissent vouloir s’y établir. Vos troupes ne leur peuvent s’opposer que faiblement et encore comme alliés, vous ne devez pas le faire. Oui, je dis, il fallait la prendre en mon nom, cela aurait amené une guerre de mon cabinet avec le leur, et les choses se seraient arrangées, et l’avoir prise au nom du roi de Saxe, cela aurait attiré à ce prince une nouvelle guerre, non pas comme allié de la France, mais c’aurait attiré une guerre personnelle entre lui et la Russie.

Vous me dites que la Russie n’a pas brûlé une amorce dans cette campagne. Qu’est-ce que cela me fait ? Le but général n’est pas manqué, car, partout où les Russes se sont portés, les Autrichiens ont cédé, et, sans les Russes, le prince Poniatowski ne pourrait jamais se maintenir  dans les deux Galicies. Partageant ses petites forces, il serait faible partout ; les réunissant, il n’est fort que sur un point, et, par la Hongrie, l’invasion aux Autrichiens dans la vieille Galicie serait très facile.

Combien la Galicie nouvelle peut-elle compter d’habitants ? Elle ne sera jamais en état de fournir autant de troupes que le Duché de Varsovie. Et quand même elle fournirait 60,000 ou 70,000 hommes, je répète qu’il faudrait, pour vous soutenir, que la France tienne lá, tout prêts, 150,000 hommes, pour que la Russie ne vous attaque. Ainsi, vous sentez que le rétablissement de la Pologne dans ce moment-ci, est impossible pour la France Je ne peux non plus entreprendre une guerre où les avantages de la France ne seraient que secondaires. Je ne veux pas faire la guerre à la Russie, d’autant plus qu’elle ne se mêle pas à mes arrangements de l’Espagne, du Portugal et des États ecclésiastiques romains.

Puis vous conviendrez que vous êtes une nation difficile à être menée. Je vous ai donné pour roi, certainement, un des princes, un des sages de l’Allemagne, et encore il y a quelques têtes chaudes qui voudraient trouver quelque chose á lui redire ; mais ils ne peuvent rien trouver à lui reprocher.

Je ne disconviens pas non plus que j’ai une affection particulière pour votre nation. Il y a quelque rapport de société, quelque chose qui rappelle le français, vos usages et vos salons de société rappellent Paris. Mais toutes ces affections particulières ne comptent pour rien dans la politique.

 

Puis, supposons même que, par les arrangements des cabinets, la Russie consente au partage de la Galicie, on ne peut pas lui donne moins qu’à vous. Donc, cet agrandissement du duché de Varsovie ne peut que déplaire aux Russes.. Or, la Russie mettra obstacle et voudra la guerre ; vous n#êtes jamais assez forts pour vous y opposer. La Prusse, toute faible qu’elle soit, voudra redemander son morceau. L’Autriche ne serait pas fâchée de garder la vieille Galicie. Ainsi, quand même vous joignez vos 60,000 hommes de la Galicie à ceux du Duché de Varsovie, et que la Saxe y joindrait les siens, cela n’est pas suffisant pour s’opposer aux Russes. Donc, comment faire pour contenter les Russes ? Chose que je ne sais pas encore.

Cependant, faîtes vos mémoires, dressez des projets, cela ne peut pas nuire, cela ne me compromettra pas, , puisque cela ne sortira pas de mon cabinet, et, de tout ce que je vous ai dit, il ne faut parler à personne[1]Ces mots sont soulignés dans la lettre

L’enthousiasme des Galiciens est très naturel ; mais je ne l’ai pas commandé. C’est tout simple qu’une armée menée par un général polonais, composée de Polonais, entré dans un pays qui jadis fut Pologne, monte la tête à quelques jeunes gens qui se mettent du rang et montrent le désir de combattre pour leur patrie. Mais il n’y a pas de Français dans tout cela, et je ne me sens d’aucune obligation de faire, pour la Galicie, ce que j’ai fait pour le Duché de Varsovie, où, soi-disant, j’ai engagé mon honneur, comme je vous ai dit, que ceux-là je les ai entraînés à un soulèvement ; j’en ai fait pour eux ce que j’ai pu, et quoique vainqueur, cela me coûtait pas mal de travail dans mon cabinet.

Vous donner un prince français ? Dame, ce serait embraser une guerre dans le nord ; ce serait une imprudence à la France d’y penser. Il faudrait d’abord lever quatre circonscriptions en avant, ruiner la France, pour le simple plaisir de faire la guerre. Il ne faut faire la guerre que quand on (y) voit ses avantages. Puis, vous avez vu comme la guerre est difficile pour mes Français dans votre pays ; le climat ne leur convient pas ; il manque à ma troupe le vin, sans lequel ils gagnent des maladies, bref, les français ont de la répugnance pour les campagnes du Nord, donc, messieurs, je ne veux pas m’attirer une guerre éternelle avec la Russie. Pour la nouvelle Galicie, peut-être n’y aura-t-il pas de difficulté ; mais, pour l’ancienne, les Russes n’en voudront rien entendre parle. Cependant, il faut voir.  [2]« Ici sa Majesté a fini de continuer à parler et nous congédia », écrit le général Bronikowski dans la suite de sa lettre. « J’ai été après l’audience finie, stupéfait du discours … Continue reading

 

References

References
1Ces mots sont soulignés dans la lettre
2« Ici sa Majesté a fini de continuer à parler et nous congédia », écrit le général Bronikowski dans la suite de sa lettre. « J’ai été après l’audience finie, stupéfait du discours de Sa Majesté, ayant eu deux fois audience avant l’arrivée de ces deux messieurs, et tout ce qu’on m’avait dit alors était bien opposée aux ménagements des Russes. Sans dire mot à mes camarades, j’ai été voir tout seul M. Maret avec les chagrins dans l’âme, lui faisant sentir que voilà l’audience finie et nous voilà perdus. J’ai l’idée de penser, lui dis-je, d’attribuer le langage de Sa Majesté à un langage politique, qu’il voulait masquer peut-être ses intentions devant M. M. Potocki et Matuszewicz, les connaissant comme des personnes dévouées à la maison Czartoryski (…) M. Maret n’a fait que rire sur mes observations, et m’a dit : Je ne peuis rien changer au discours d Sa Majesté, cependant il ne faut pas désespérer, et il faut voir ce que les circonstances peuvent amener. Nous avons donc après cela travaillé aux différents sur le partage de la Galicie ». Ce document est publié par Skalkowski (Pour l’honneur du nom polonais, Leopol, 1908) et cité par Eskenazy (Prince Joseph Poniatowski)