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Napoléon à travers les caricatures anglaises

Napoléon ! Il n’est sans doute pas de figure historique qui ait suscité tant de représentation et, notamment, d’images satiriques. Lui-même, à Sainte-Hélène, revint à plusieurs reprises sur les attaques dont il avait été l’objet sous la forme de caricatures.

Irrévérencieuse, sacrilège, perverse, la caricature anti-napoléonienne, et cela est valable pour tous les pays producteurs (France, Allemagne, Angleterre, Russie) attaque de front l’image de l’Empereur, avec bien sûr des variantes nationales. Très rapidement, le public fut pris d’un goût certain (sinon en France, du moins en Angleterre et en Allemagne) pour ces gravures satiriques et contestataires. Les caricaturistes anglais (Gillray, pour ne citer que le plus célèbre, mais aussi Woodward, Ansell, etc.) furent les maîtres incontestés du genre, de la Révolution à la fin de l’Empire.

L’Angleterre, jamais envahie, mais sans cesse en guerre contre la France depuis la Révolution ne désarma jamais – même pendant le court intermède de la Paix d’Amiens en 1802 – 1803 – , glissant insensiblement de sa lutte contre la République à celle menée contre Napoléon. La caricature anglaise couvre donc idéologiquement les années 1793/94 – 1815. Démocratique depuis plus d’un siècle, l’Angleterre connaissait une plus grande liberté d’esprit que la France. Elle avait de longue date forgé un art de dérision, qu’on peut faire remonter à William Hogarth (1697-1764). D’autre part, le rôle de la Royal Academy, fondée seulement en 1768, n’avait pas eu un impact d’encadrement idéologique et stylistique comparable à celui de l’Académie Royale en France. Le néo-classicisme y avait également joué un moindre rôle que sur le continent. D’où cette liberté de trait si remarquable dans les oeuvres de Cruikshank ou de Gillray, et dans une moindre mesure, de Woodward ou de Ansell.

En France, deux périodes sont à envisager. D’abord, la caricature anti-bonapartiste couvrit les années 1799 – 1804, et surtout l’année 1804 (exécution du duc d’Enghien – mort de Pichegru). L’inspiration est alors d’essence royaliste. Suit un vide total, jusqu’en 1813 (Leipzig). Ce vide s’explique facilement par la rigueur de la censure impériale et, peut-être, par le ralliement au régime de beaucoup d’opposants du début. La production reprend alors, pour culminer en 1814 et 1815, pour s’arrêter brusquement en octobre 1815, sans doute par ordre royal.
De son côté, la caricature allemande correspond seulement à cette deuxième période française, s’étendant de Leipzig à Sainte-Hélène, soit d’octobre 1813 à 1815.
Enfin, la caricature russe, couvre la fin de la retraite de Russie, avec le thème de l’ours russe ou du cosaque chassant le renard/Napoléon.

Depuis le milieu du XVIII siècle, art et politique font bon ménage en Angleterre. C’est que la liberté d’expression y est totale, contrairement à la France de la même époque, et que l’idée même de débat public imprègne depuis longtemps déjà la nation britannique toute entière. Il est donc tout naturel pour les artistes et le public anglais d’utiliser cet outil du débat intérieur dans le conflit qui oppose leur pays à la France, personnalisée par Napoléon Bonaparte, dont on aime rappeler qu’il est corse et non pas français.

L’expression graphique : déroulement en séquences, importance du texte, parfois vulgaire ou scatologique, avec un recours fréquent au fantastique et à l’imagination, tout cela était bien connu et apprécié du public anglais auquel ces caricatures étaient destinées. Ces caricatures sont sans équivalent en France, où prévaut alors l’idée que l’art ne doit pas être mis au service des idées et des luttes politiques. Le dessin satirique y est considéré comme un genre mineur s’apparentant plutôt à l’imagerie populaire.

Du point de vue de la technique caricaturale proprement dite, on peut, en gros distinguer trois groupes. Dans le premier, il s’agit d’une image pure, avec un simple titre ; dans le second il s’agit d’un texte évoquant une image, c’est en fait le pamphlet. Enfin, texte et image peuvent s’entremêler, avec, alors, deux cas de figure : l’écrit n’est qu’une légende explicative de l’allégorie, ou, d’une façon plus subtile, il s’inscrit dans le corps de l’image, ce sont les « bulles » ou phylactères – on voit ici l’ancêtre de la bande dessinée -, portant les paroles des personnages représentés.
Stylistiquement, la caricature anglaise est largement supérieure à son homologue française, même quand elle lui fournit certains de ses modèles.

D’une manière générale, en France, le style demeure assez rigide, nous pourrions dire classique (certaines planches s’inspirent d’ailleurs directement d’oeuvres d’art), il demeure maladroit, pauvre, même lorsque l’idée de la parodie est excellente.

En Allemagne, l’esprit est tout autre, la mentalité nationaliste primant sur la critique napoléonienne. Si on y tourne l’Empereur en dérision, si on le qualifie comme partout de nain, ou petit homme (Männlein), il s’agit avant tout de remobiliser l’esprit national. Blücher, est partout mis en avant, tout comme les héros allemands tués par les troupes françaises, Andreas Hofer ou le major Schill, on critique les soldats allemands alliés de la France, que l’on compare à des moutons. Le thème de la guerre et de ses horreurs y est plus qu’ailleurs utilisé. Napoléon est même assimilé au fils du Diable.

On a recensé environ 15 000 caricatures anglaises pour les années 1780 – 1820, qui englobent les guerres de la Révolution et de l’Empire. Il est donc logique que la production de caricatures anti-napoléoniennes en Europe soit largement dominée par les dessinateurs anglais.

Ce sont elles qui font l’essentiel de cette courte présentation, volontairement limitée à la période 1799-1806, c’est-à-dire depuis la prise de pouvoir de Bonaparte, à la signature de la paix de Presbourg par l’Empereur Napoléon Ier.