Monuments des Victoires et Conquêtes – Lérida

Panckoucke - Lérida
Panckoucke – Lérida

Siège et Prise de Lérida

Lérida-Roehn
Lérida-Roehn

Peint par Roehn

 Après l’expédition de Valence, le maréchal Suchet partit, le 12 avril 1810, pour faire le siège de Lérida. Il était, de sa personne, devant la place, à la tête des premières troupes qui devaient en faire l’investissement : cette opération était achevée le 18 du même mois. Le 23 le général espagnol O’Donnel, comte d’Abisbal, s’avança contre l’armée française, à la tête de quinze milles hommes destines à faire une diversion puissante en faveur de la ville menacée. Un combat fut bientôt engagé : les Espagnols furent repoussés. La garnison de Lérida, voulant seconder O’Donnel, fit une sortie, qui fut contenue par le colonel Robert : cet officier la fit repentir de son imprudente audience. Le treizième régiment de cuirassiers, sous les ordres du général Boussard, commandant la cavalerie, tourna l’ennemi, le chargea et le mit en fuite. Vingt mille six cents prisonniers, cinq canons et dix drapeaux, furent le résultat de cette affaire, qui coûta à peine quatre cents hommes à l’armée française.

Cette victoire confirma le maréchal Suchet dans son dessein d’emporter la place de Lérida. La tranchée déjà ouverte fut continuée, et la seconde parallèle fut poussée près de la place. Trente-deux pièces d’artillerie furent placées en batterie, et, le 7 mai au soir, les quatre premières commencèrent le feu. Une sortie de la garnison, qui vint attaquer la première parallèle, fut infructueuse. Dans la nuit du 7 au 8, un orage violent inonda la tranchée et détruisit une partie des ouvrages. Ces obstacles ne firent qu’animer le zèle des troupes, déjà électrisées par la présence du maréchal ; il se tint constamment au centre de l’attaque. Le fort de Carmen, qui protégeait la ville de ce coté, essuyait le feu de deux batteries peu éloignées l’une de l’autre. Elles avaient, le 12, fait deux brèches praticables à cet ouvrage avancé.

Le passage du Sègre, au midi de la ville (chemin de Barcelone) était fortifié par une tête de pont défendue par six pièces d’artillerie légère, dont le feu incommodait le flanc des troupes qui montaient à l’assaut. Le maréchal en ordonna l’attaque ; les troupes passées sur l’autre rive du Sègre ne réussirent point à l’emporter.

Cependant, comme nous l’avons dit, les brèches sur le fort de Carmen étaient devenues praticables. Le 13 mai, une heure après le coucher du soleil, le maréchal ordonna l’assaut. Quatre bombes, lancées de suite sur le château, sont le signal convenu, et aussitôt tous les chefs, rassemblés près du général, courent se mettre à la tête des corps qu’ils commandent. Ils marchent aux deux brèches, en partant de leurs diverses positions, et sont devancés par une foule de tirailleurs, empressés de monter les premiers, malgré le feu meurtrier qui les attend.

Une barrière séparait entre elles les deux colonnes d’attaque escaladant les brèches : un peloton conduit par un sergent force cette barrière, et les troupes se réunissent. Le maréchal est déjà à leur tête : on marche dans la direction du pont, en suivant le quai de Sègre. C’est en cet instant qu’une bombe allait éclater près du maréchal : un officier l’aperçoit, et, frémissant du danger qu’il allait courir, se précipite sur lui, et le renverse à terre : l’explosion de la bombe de la bombe se fait entendre, ses éclats se dispersent ; et cet officier, par sa présence d’esprit, eut le bonheur de conserver à la France un des guerriers dont elle s’honore le plus.

Ce sont ces mêmes colonnes assaillantes, que commandait le maréchal en personne, qui emportent le pont, en l’attaquant du coté de la ville ; les artilleurs qui le défendent, pris entre deux feux, sautent dans le fleuve pour s’échapper ; mais la cavalerie les atteint. Aussitôt on ouvre la communication aux corps français qui étaient sur l’autre rive : bientôt ils ont rempli toutes les rues, et, réunis, ils chassent devant eux les troupes espagnoles, qui se réfugient en désordre dans le château : la ville est occupée. Le maréchal fait proclamer qu’il est enjoint aux habitants de se retirer dans la forteresse, sous peine de mort. La foule des citoyens s’empresse de profiter de ce moyen de salut : femmes, enfants, vieillards, tous se rendent dans cette enceinte fortifiée, qui devient trop circonscrite pour les contenir. L’ordre de bombarder le château suit de près la réunion des vaincus ; le soin de loger et de faire subsister toutes ces bouches inutiles, ajoute aux embarras du gouverneur. La confusion et le désordre s’augmentent à chaque instant, et déterminent enfin le commandant à capituler- Le 14 mai 1810, Lérida et sa forteresse étaient au pouvoir des Français, avec huit mille prisonniers et cent dix pièces de canon.

Ainsi, en un mois, le maréchal Suchet battit un corps espagnol supérieur à ses forces, fit plus de quinze milles prisonniers, et se rendit le maître d’un des plus forts boulevards de l’Espagne.

Le château de Lérida est situé sur une montagne presque isolée, au bord du Sègre, et la ville qui est bâtie au pied de la montagne, le long du fleuve, s’étend de l’est à l’ouest. Elle environne la forteresse, à l’exception du coté nord, où la montagne seule, qui est très escarpée, semble servir de borne à ses murailles. Le château, appelé Donjon des Templiers, couronne la crête de cette hauteur, qui est de deux cent soixante pieds au-dessus des quais, et d’une élévation de cent pieds au-dessus du fort Garden, situé à l’est de la ville, sur un mont escarpé.

La prise de Lérida n’est pas seulement intéressante par le succès dont nous rapportons ici les détails : César fit aussi la conquête de cette ville, et les Français ont occupé les mêmes positions que les Romains. Les médailles trouvées par les nouveaux vainqueurs attestent de la vérité de ce fait. Lérida fut également assiégée au dix-septième siècle par le grand Condé ; mais ce capitaine eut le tort d’attaquer le château de vive force : il échoua. Louons le maréchal Suchet d’avoir profite de la faute de Condé, et d’avoir, en employant un moyen combiné avec prudence, épargné le sang français, et assuré le succès le plus complet à cette mémorable entreprise.

L’artiste a présenté la vue pittoresque de Lérida sur le second plan, et occupant le centre du tableau. Ce mont, élevé et escarpé, est couronné de tours et de murailles ; la ville est située le long du Sègre, dont les rivages verdoyants et sinueux s’étendent à la gauche du camp français. On voit sur une autre montagne, aussi à gauche, le fort Garden. A droite, une chaîne de monts arides termine l’horizon. Le premier plan offre le centre de deux batteries : c’est l’instant où le maréchal donne l’ordre de l’assaut.

Peut-être l’artiste a-t-il mis trop de calme dans l’attitude de celui dont l’activité semblait exiger une autre expression. Tous les chefs qui environnent le maréchal semblent courir à leurs postes. Une colonne de grenadiers suit la direction de la route qui conduit aux deux brèches qu’on aperçoit au bastion. Derrière un parapet coupé d’embrasures, des artilleurs servent une batterie de canons ; elle est à gauche, sur le premier plan. Une bombe éclate, un Français tombe blessé de ses atteintes. Plus loin, un officier du génie, soutenu par des soldats, vient d’éprouver le même sort. Tous les yeux se portent avec empressement vers l’assaut. A droite, des canonniers montent sur les parapets pour en juger. Le feu des armes et les tourbillons de fumée indiquent les points du combat, et l’on aperçoit de même l’action, qui se passe près du pont et sur le pont. Les tirailleurs arrivent à toute course, et traversent la plaine pour se rendre aux brèches.

Cette scène, toute militaire, ne présente cependant aucun épisode particulier. L’intérêt est dans l’action générale, qui est l’assaut donné á la ville.

L’artiste a retracé avec beaucoup d’ensemble les diverses manœuvres qui ont concouru à ce succès : il y a de la vérité et du mouvement dans tous ces guerriers, dont les attitudes variées expriment bien leurs habitudes. Un ton chaud colore le tableau ; mais peut-être ce ton est-il trop brillant pour l’heure qui suit le coucher du soleil, heure où a commencé l’attaque ; mais il faut convenir, cependant, que les nuits, en Espagne, sont rarement sombres. Peut-être encore le tableau eut-il offert un effet plus piquant, s’il eut été moins éclairé. En général, il est peint largement. Monsieur Roehn a justifié le choix qu’avait fait de son talent le maréchal Suchet, pour retracer un sujet dont la gloire nationale avait intérêt à perpétuer le souvenir. (L. V.)