Taunay Nicolas Antoine (1755-1830) – Combat et prise de la ville d’Ebersberg, le 3 mai 1809 (RMN)
Dix jours après la prise de Ratisbonne, une affaire générale s’engagea en avant d’Eberlsberg, le 3 mai 1809. Trente-cinq mille Autrichiens, formés par les débris des corps de l’archiduc Louis et du général Hiller, s’étaient portés dans cette ville, pour éviter la division du duc de Montebello, qui menaçait de les tourner. Ils y furent rncontrés par les ducs d’Istrie, de Rivoli, et par le général d’Oudinot. Aussitôt les tirailleurs du dixième poursuivirent l’ennemi sur le üpnt, culbutèrent dans l’eau les charriots, les canons, huit à neuf cent s hommes et pénétrèrent dans la ville; trois mille hommes, qui s’y étaient enfermés pour la défendre, furent faits prisonniers.
Le général Claparéde, dont ces troupes légères étaient l’avant-garde, déboucha bientôt après Ebelsberg, et se trouva en présence des trente mille Autrichiens. Ceux-ci soupçonnèrent que la division française devait être soutenue, ils sacrifièrent tout pour se soustraire á l’extrême danger qui les menaçait; la ville était construite en bas, ils y mirent le feu. L’incendie ne tarda pas á s’étendre, le pont fur encombré; il fut impossible aux corps qui survintent de rejoindre la division Claparède, qui seule, n’ayant que quatre piéces de canon, lutta pendant trois heures contre tente mille ennemis et soutint à la baionnette trois charges successives. Enfin, on parvint à détourner les flammes; le général Legrand se jeta dans le passage avec le vingt-cinquième d’infanterie légère et le dix-huitième de ligne; il cerna le château, occupé par huit cents Autrichiens, et tous ceux qui y étaient enfermés y trouvèrent la mort, que l’incendie rendait inévitable; il vola, ainsi que le général Durosnel, au secours de la division Claparède. Bonaparte, avec les divisions Nansouty et Molitor, marchait aussi dans ce but; mais l’ennemi avait battu en retraite et repris la route de Vienne, en laissant douze mille hommes aux vainqueurs. Les Français eurent à regretter entre autres braves, les colonels Cardenau et Lendy, trois cents hommes tués et sept cents grièvement blessés.
La division Claparède, forte de sept mill hommes seulement, eut toute la gloire de cette jpurnée; seule elle avait combattu contre trente milles hommes, puisqu’elle avait été isolée des ducs d’Istrie et de Rivoli par l’incendie d’Ebelsberg, et les Autrichiens se mirent en retraite quand les corps qui devaient soutenir le général Claparède furent arrivés.
C’est ce mémorable combat que Taunay fut chargé de retracer; c’est le sujet du tableau que nous allons décrire : son pinceau est facile, ses créations se recommandent plutôt par leur effet que par leur fini, toutes ses productions semblent peintes d’inspiration : de larges oppositons , des masses d’ombre vigoureuses, des lumièrs piquantes et pittoresquement distribuées, telles sont en général les qualités qui distinguent les tableaux de Taunay. Celui-ci est un de ceux qui caractérisent le moieux le talent de l’artiste.
La ville d’Ebersberg, située en Bavière dans une vastte plaine, sur le bord de la Traun, est environnée de collines boisées qui se prolongent jusqu’à l’horizon. On voit, sur le bord de la rivière, le château qui domine la ville. La porte est en face d’un large pont de bois, qui établit la communication avec la rive opposée: ces détails forment le premier plan. Les Autrichiens, rangés en bataille sur plusieurs lignes, occupent la plaine de droite; sur le troisième plan et la ville sur le seconcl. L’épaisse fumée de l’incendie et un bois en avant du camp des Autrichiens interceptent à l’ennemi la vue du pont par lequel les Français doivent passer pour venir les attaquer, mais la ville est embrasée, et déjà le feu gagne le château, qui se détache sur la brillante clarté des flammes qui s’élèvent. C’est en cet instant qu’arrive le corps d’armée du général Claparède. Des chasseurs tyroliens défendent le pont; mais bientôt, cédant le passage à l’infanterie légère, tous ceux qui n’ont pas succombé fuient. Ils essaient de passer le fleuve à gué; on voit leurs officiers, à cheval, prendre la même route. Nos agiles chasseurs ne poursuivent point les fuyards; ils marchent en colonne serrée sur le pont, encombré de morts. L’ordre est donné de le nettoyer : on voit jeter à l’eau les cadavres des chevaux et des hommes, tomber les caissons, les bagages et les fourgons. Le passage devient un peu libre; déjà la tête de la colonne d’infanterie légère est à la porte de la ville: elle a franchi le pont, l’extrémité est également dégagée.
C’est à cet instant que le général Claparède, à cheval, à la tête de ses grenaaiers, se présente pour tenter le passage. L’épée à la main, il se retourne vers ces braves, et leur montre où est l’ennemi, en les invitant à le suivre; ainsi que lui, ses aides-de-camp précèdent les grenadiers, dont le tambour bat la charge. Ceux-ci, présentant la baïonnette, prennent leur essor à toute course pour arriver à Ebersberg avec leur général, avant que l’incendie ait consumé la ville.
Quelle ardeur parmi ces belliqueux grenadiers ! Celui qui porte leur drapeau l’élève en courant; il regarde s’il est suivi : on croit entendreces braves lui crier qu’aucun d’eux n’est jamais demeuré en arrière ! Leurs mouvemens en avant, leurs pas, qui s’allongent, expriment bien leur ardeur à courir au danger.
Des pièces d’artillerie sont établies de chaque côté du pont, et dirigées contre la rive opposée; des tourbillons d’une fumée blanchâtre s’élève parmi les arbres qui bordent le rivage, que suit un autre groupe de canonniers pour soutenir les Français dans leur attaque. L’œeil parcourt avec émotion la scène déchirante du premier plan, sur lequel l’artiste a jeté une teinte sombre. Un Tyrolien blessé, assis à terre, les bras étreignant sa poitrine, semble pressentir qu’il ne reverra plus sa patrie; d’autres, privés de vie, sont encore dans l’attitude où le fer les a moissonnés. Parmi ces victimes, voyez deux grenadiers français : blessés tous deux, ils se sont rapprochés pour se dire un éternel adieu !
Les flammes qui dévorent Ebersberg n’offrent pas des pensées plus riantes : elles se reflettent dans l’eau limpide de la Traun; mais la victoire attend les Français dans la plaine; ils oublieront bientôt par combien de périls il a fallu payer cet avantage.