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Mémoires du Général d’infanterie Ludwig von Wolzogen

Ludwig von Wolzogen (1773-1845) - Portrait de 1829.
Ludwig von Wolzogen (1773-1845) – Portrait de 1829

Justus Philipp Adolf Wilhelm Ludwig Freiherr von Wolzogen (4 février 1773 –  4 juillet 1845 ) , officier würtembergeois, qui entrera au service de la Russie puis de la Prusse, où il terminera sa carrière avec le grade de général d’infanterie. En 1805, au service du prince de Wurtemberg  (il est alors capitaine et aide-de-camp), sa route croise celle de Napoléon.

L’année 1805

 

Le 2 octobre (1805) l’aide de camp de Napoléon, le général Mouton (le futur comte Lobeau – sic)  annonça l’arrivée de l’Empereur à Ludwigsburg ;  sa Garde était déjà arrivée, de sorte que désormais Ludwigsburg ressemblait à un camp, où, toutefois, la meilleure discipline était maintenue.  Mon Prince avait, en tout ceci, tous les désagréments – La Russie s’était alliée à l’Autriche, et comme le prince était officier russe, il ne lui était pas possible de se présenter devant l’Empereur en uniforme, pour ne pas surprendre celui-ci désagréablement.  On lui fit donc, en toute hâte un « habit habillé » (en français dans le texte), et il dû s’habituer…….

Napoléon arriva à Ludwigsburg l’après-midi, et fut accueillit, en grande pompe, devant la porte du château, qui menait à un jardin d’hiver, par le prince Électeur entouré de tous les princes de sa Maison et des personnalités de l’État…Malgré la haine qu’il avait pour cet homme fier et parvenu (en français dans le texte), notamment à cause de l’affaire du duc d’Enghien, il s’inclina humblement devant l’invincible  et tout puissant empereur, qui n’était pas encore au fait de sa puissance. Napoléon, après les premières salutations, demanda à être conduit devant la Princesse, qu’il savait être une princesse anglaise et donc son ennemie ; ce qui fut fait, et il se comporta de façon tellement courtoise, et sut exprimer tant d’éloges des Anglais, en particulier de sa littérature, que celle-ci, lorsqu’il quitta, après plusieurs heures, ses appartements, ne savait dire que des éloges. Le prince Électeur lui-même était prêt à adoucir ses sentiments envers lui.

Le jour suivant, il eut avec Napoléon un entretien de 4 à 5 heures, en privé, ce qui rendit les généraux Caulaincourt et Savary, qui accompagnaient l’Empereur inquiets et prêts à penser que le prince Électeur ait finit par se défaire de l’Empereur. En tous les cas, Savary me demanda plusieurs fois s’il y avait d’autres issues vers les appartements de l’Empereur (où se tenait l’entretien), ce à quoi je dû répondre par l’affirmative.  Finalement, le Prince Électeur quitta, totalement épuisé, le cabinet de Napoléon, et nous assura que « depuis Frédéric II, il n’avait jamais rencontré quelqu’un d’une telle éloquence, et que l’Empereur avait en particulier autant et à peu près la même « tournure d’esprit » (en français dans le texte) qu’en avait le grand Frédérique ».

Nous prîmes bientôt connaissance du résultat immédiat de cet entretien : le prince Electeur était l’allié de Napoléon, et devait mettre en marche, le plus rapidement possible, son armée – environ 10.000 hommes – contre l’Autriche.  Napoléon lui avait montré l’impossibilité de rester neutre, comme il l’espérait. ; « dans les affaires du monde, chacun doit choisir son parti ; il – l’Électeur – était manifestement  le prince d’Allemagne le plus intelligent et le plus puissant, et le Wurtemberg trop petit pour son génie ; il lui fallait donc un plus grand royaume et un trône, et il était prêt, à ce sujet, à l’aider ».

Le prince ne put résister à de telles flatteries et de telles promesses : il était acquit aux plans de Napoléon. Il m’annonça que je devrais marcher avec son armée. Que, malheureusement, il n’avait pas de général sur qui compter, et  que les seuls militaires en qui il avait confiance étaient le Obristlieutenant Barnbüler et moi-même.  Par conséquent, le général  von Seeger, dont il connaissait parfaitement l’incapacité, recevrait le commandement pro forma (dixit) de l’armée wurtembergeoise, mais la conduite des affaires seraient en fait dans nos mains.

Je ne pouvais évidemment pas refuser d’accepter cette tâche pleine d’honneur, malgré ma haine de Napoléon et le fait que je devrais obéir à celui que je considérais comme un despote et non comme le bienfaiteur de l’humanité ! Je représentais donc au prince Électeur que jamais je ne refuserais de marcher, lorsqu’il le faudrait, mais que, ayant encore des devoirs envers le duc Eugène, et me sentant obligé, selon mes promesses, d’achever l’éducation de son fils, je lui demandais  de faire dépendre de son autorisation  ces nouvelles fonctions.  Le prince me répondit que, naturellement, cela allait de soi, et que son frère, le duc, ne perdrait pas un instant pour me libérer de mes obligations envers lui – ce qui effectivement advint. C’est de cette façon que cessèrent mes obligations envers le Prince, après que ce dernier ait été près de quatre années sous mon autorité ; ce n’est pas pour rien que ce dernier m’a constamment conservé son amitié et m’a souvent ….. sa gratitude fidèle.  Je le quittai à cette époque peu volontairement, car je sentais que c’était justement au moment de son entrée dans sa carrière militaire que j’aurais pu être le plus utile.

Peu après il partit en compagnie de son père pour Berlin, où ils furent par ailleurs accueillis relativement froidement, car le duc, malgré ses fonctions de général prussien avait, à Ludwigsburg, accepté le …. de Napoléon d’excuser, auprès du roi de Prusse, la marche du corps d’armée du maréchal Bernadotte à travers le territoire d’Ansbach.. Ces excuses ne pouvaient que blesser doublement le roi, car il voulait que sa neutralité fut reconnue également par les Russes, et que désormais il ne pouvait guère plus s’opposer à la demande du tsar Alexandre de faire marcher l’armée russe dans le Schleißig, de sorte qu’il se trouvait soudain,  face à la France, dans une position hostile qu’il voulait à tout prix éviter.

Comme on le sait,  le roi conclut, avec le tsar, venu personnellement à Berlin, une alliance secrète, par laquelle il promettait de faire marcher, contre Napoléon, son armée, au plus tard le 15 décembre, conjointement avec l’armée russe. Toutefois cette alliance perdit en peu de temps sa signification, lorsque, après la bataille d’Austerlitz, les Russes retraitèrent rapidement, et que, plus que jamais, la certitude de l’invincibilité de Napoléon s’enracina dans le cœur du prince allemand.

Le 4 octobre, Napoléon vint dans les environs de Ludwigsburg, et se fit accompagner à cette occasion Il visita la citadelle d’Hohenasperg, et se renseigna sur les autres positions militaires.  Le 5 octobre, (si je ne me trompe pas) il se rendit à Schorndorf, et, peu après, nous apprîmes la première catastrophe de cette campagne, c’est-à-dire la signature, entre Berthier et Mack, le 17 octobre, de la capitulation d’Ulm, à la suite de laquelle Mack, le 20, évacua la ville, et 25.000 hommes, avec 60ß canons, se rendirent aux Français.

Peu avant, le prince Électeur avait eu une petite frayeur, lorsqu’il avait reçu la nouvelle, que l’archiduc Ferdinand, avec la cavalerie autrichienne, se dirigeait directement d’Ulm sur Stuttgart ; en réalité, ce dernier, avec également le prince de Schwarzenberg et une nombreuse cavalerie, juste après le combat malheureux d’Elchingen, le 14 octobre, où Ney avait battu les Autrichiens sous Laudon,  avaient quitté Ulm, et avaient pris la direction de Gmünd – mais seulement dans l’idée de rejoindre, aussi vite que possible, la frontière de Bohême, où toutes les troupes autrichiennes battues à ce moment là par Napoléon se retiraient.

Le contingent wurtembergeois (environ 10.000 hommes) sous le commandement du général von Seeger était constitué de deux brigades – au total 9 bataillons d’infanterie et quatre escadrons de cavalerie – dont la première, sous le major-général  von Lilienberg avait dès le 22 octobre quitté Stuttgart et était arrivée le 3 novembre à Munich. La deuxième, sous le commandement du major-général  von Seckendorf, à laquelle j’étais attaché en tant que Quartier-Maître Lieutenant, ne suivit que le 18 novembre.

Comme, sur cet entrefaites, Barnbüler , dès le début, reçu l’ordre de se rendre au quartier général de Napoléon, à Schönbrunn, c’est à moi seul que revint la tâche de s’occuper du ravitaillement et des dispositions du corps durant sa marche. Malgré les mauvaises routes et les environs ….. que nous traversions,  tout alla cependant selon les souhaits des…..

Nous dûmes ensuite, dans les environs de Blaubeurn, organiser des reconnaissances, car des Autrichiens se montraient de temps à autre, qui, vraisemblablement appartenaient au corps de Wolfsteel. Puis notre marche continua par Ulm, Augsbourg, Landshut et Schärding, vers Linz, où nous retrouvâmes la première brigade. Durant cette marche, j’eus mon plus grand soucis avec le brigadier Seckendorf, car ce dernier, à cause de son ivrognerie à laquelle il se laissait complètement aller, était tellement incapable et inconscient , que je ne pouvais le laisser seul un quart d’heure.

A Linz, nous nous arrêtâmes et installâmes nos avant-postes en direction de Freystadt, car les environs étaient également occupés par le corps autrichien de l’archiduc Ferdinand. C’est ainsi que nous attendîmes nos instructions. Bientôt arriva la rumeur, que nous aurions à nous joindre au corps du maréchal Ney, dans le Tyrol, où, entre-temps, l’Archiduc Jean avait engagé la lutte contre les Français. Je me rendis donc rapidement à Braunau, où le général et aide-de-camp de Napoléon, Lauriston, s’y trouvait comme gouverneur, pour lui demander confirmation de cette nouvelle. Juste après moi arriva le fils de l’ex deuxième consul Lebrun, le colonel duc de Plaisance, avec la nouvelle de la victoire d’Austerlitz, le 2 décembre, ce qui provoqua un grand enthousiasme et des transports d’allégresse chez les Français.

Lauriston m’invita à un « déjeuner à la fourchette » (en français dans le texte), durant lequel, au milieu des cliquetis de verres de champagne, les Vivats se firent entendre les uns après les autres, à l’Empereur, à l’Armée et à « la gloire française » (en français dans le texte). Après que le duc ait quitté l’assemblée, afin d’apporter en toute hâte la nouvelle victorieuse à Paris, Lauriston me dit, que je pouvais rester tranquillement à Linz, car la paix ne manquerait pas d’être bientôt signée, ce qui arriva effectivement le 26 décembre.

A propos de la bataille elle-même, qui bien sûr m’intéressa énormément, j’eu, par Lauriston, par Lebrun, et, plus tard, par un lieutenant wurtembergeois, Spitzenberg, lequel avait assisté à la bataille dans le voisinage immédiat de l’Empereur, les détails suivants, certes indépendants les uns des autres, mais loin d’être sans intérêt.

Napoléon fut, durant toute l’action, extrêmement calme et son visage de marbre ne se modifia à aucun moment. Il avait, sur une feuille de papier, les noms de toutes les divisions et demi-brigades, organisés d’après l’ordre de bataille (en français dans le texte) et distribuait en conséquence les ordres nécessaires à  ses aides de camp. Lorsqu’il aperçut le mouvement des Russes pour tourner son aile droite, et qu’il fut informé que, ce faisant, ils affaiblissaient leur centre, il s’écria «  Soult est f…. mais les Russes sont perdus ! » (en français dans le texte). Il n’y avait aucun doute que les Russes avaient beaucoup perdu, car toutes les attaques qui réussissent au centre d’une armée ne peuvent qu’engendrer de grosses pertes, car les parties séparées et doivent d’abord se rassembler de nouveau , si, comme cela se passa, l’armée veut se retirer en bon ordre.

Les Alliés avaient fait de grosses erreurs, à ce sujet il n’y avait qu’unanimité. La plus importante était, en tout état de cause, qu’ils aient pris positon à Austerlitz, alors qu’ils n’auraient pu tirer qu’avantage à continuer leur retraite. Car, 1° ils se seraient rapprochés du deuxième corps d’armée russe, qui, sous les ordres de Bennigsen, se trouvait encore en Silésie et aurait pu se joindre à eux.  – 2° la bataille principale étant repoussée, l’archiduc Ferdinand aurait pu effectuer, depuis la Bohême, d’utiles manœuvres de diversion, obligeant Bernadotte à venir en aide au corps bavarois, qui trouvait devant Ferdinand et avait, le 4 décembre, subi des pertes non négligeables, à Iglau ; – 3° L’archiduc Charles, qui se trouvait, le 2 décembre, avec son armée victorieuse et du meilleur esprit combatif, à seulement 16 heures de Vienne, aurait eu le temps de se rapprocher – et, enfin, 4° l’heure serait enfin venue où la Prusse se serait engagée .

Les journaux de Saint-Pétersbourg essayèrent, plus tard, de donner des explications au fait que Koutouzov avait accepté la bataille à Austerlitz; celles-ci semblent douteuses, lorsque la principale raison pour expliquer que la bataille était inévitable, est la famine au sein de l’armée russe. Car, indépendamment du fait que cela ne porterait pas à l’honneur des états-majors autrichiens et russes d’avoir amener le manque de subsistances de l’armée à un degré tel qu’elle soit vaincue par la faim, cette excuse ne se justifie pas car, les troupes alliées, si elles avaient été victorieuse à Austerlitz, auraient été amenées à de nouvelles marches en avant encore plus sévères et dans des régions déjà totalement dévastées par les Français. Au contraire, en continuant leur retraite vers Teschen, ils se seraient rapprochés de la fertile Galicie, et aurait pu aussi recevoir des approvisionnements. Mais c’était, de toute façon, irresponsable  de ne pas avoir installé de grands magasins à Olmutz et Cracovie.

Par ailleurs, la manœuvre des Russes, par laquelle ils pensaient tourner l’aile droite de l’armée française, était considérée comme une fausse manœuvre, car elle n’était pas adaptée pour les troupes russes. Car il est presque impossible à l’armée la plus manœuvrière de contourner son ennemi, tactiquement, c’est-à-dire à sa vue. Celui-ci développe naturellement une contre manœuvre, et a pour cela tout le temps nécessaire, car, sur l’axe, il peut se déplacer plus rapidement que l’ennemi, qui doit parcourir tout l’arc de cercle. Par conséquent, si un tel contournement doit s’effectuer, il doit être stratégique, c’est-à-dire en dehors de la vue de l’ennemi, durant les marches qui précèdent la bataille, de telle sorte que, lors du développement des colonnes l’ennemi soit déjà enveloppé.

Qu’enfin la retraite des Russes – malgré les affirmations du contraire – se soit déroulée pratiquement sans plan et en désordre,  en fut la conséquence, car ils ne se sont pas retirés sur leur ligne de communication, qui passait par Olmutz ; d’un autre côté, le fait que les Français n’aient pas plus profité de ces erreurs, me confirme l’importance de leurs propres pertes, qui dépassa largement ce qui fut dit dans les Bulletins français.

Peu après mon retour à Linz, nous reçûmes un commandant en chef en la personne du général Reille, un homme aimable, avec lequel je m’entendis très bien. Le général von Seeger en apparu encore plus désagréable, et j’eus souvent à me plaindre de son manque de tact à mon égard, bien qu’il fut parfaitement conscient de ses incapacités. Les généraux de brigade du corps d’armée étaient à présent le général von Lilienberg (déjà mentionné plus haut), le père de ma future épouse, un homme très actif et compréhensif, et le général von Hoven, un vieillard sans expérience militaire, mais un homme d’honneur.  La brigade légère était commandée par le colonel Romann. Cela fut certainement pour nous tous très bon  que rien n’arriva de vraiment sérieux, parce que nous n’avions, tous, presqu’aucune expérience de la guerre et que les régiments n’étaient pratiquement constitués que de nouvelles recrues ; ce fut certainement, d’un côté, le général Reille, d’un autre côté l’état  d’alors de l’armée autrichienne, qui, elle aussi, n’était pas vraiment redoutable, qui nous sauva du naufrage.

Le général Seeger et moi-même avions, à Linz, nos quartiers, chez l’évêque Gall (le frère du célèbre phrénologue Dr Gall), un homme très instruit et charmant, dont la compagnie me fut très agréable.  A cette occasion je ne fis pas d’autres connaissances, car il y avait toujours beaucoup à faire et que je ne pouvais que rarement m’extraire de mon travail.

Après que la paix de Presbourg ait été fêté très solennellement, par un Te Deum et un grand banquet chez notre évêque, nous nous mîmes peu après en route – le 10 janvier 1806 – en prenant la même route en direction du Würtemberg, qu’entre-temps Napoléon avait élevé au rang de royauté, et qui, par des agrandissements  (une partie du Breisgau, comté de Hohenberg, régions de Bonndorf, Altorf, Kellenburg, ainsi que les villes du Danube de Riedelingen, Munderlingen, Ehingen, Memgen, Gulgau, ainsi que les territoires des Chevaliers de l’Empire situés à l’intérieur de ses frontières) avait une population de près de 1 millions d’habitants.