L’Italie Napoléonienne (1802-1814)
Crises et évolution d’un Royaume vassal ?
Le Royaume d’Italie est une relation étroite des italiens avec Napoléon Ier. La relation avec l’opinion publique se fait à travers les institutions et les réformes engagées. Ces institutions servent les intérêts de l’Empire mais elles consolident aussi l’attachement des Italiens au Royaume et à l’Empereur. Ainsi l’armée, première création de Bonaparte, récolte les lauriers qui apportent un certain prestige au jeune royaume [1]Conférence de M. G. Gallavresi, Napoléon et l’Italie, REN, 1932, p.90., comme par exemple le héros national qu’est devenu le général Lechi participant aux grandes batailles du Consulat et de l’Empire.

Les institutions peuvent aussi avoir l’effet contraire, ainsi l’emprise croissante de l’Empereur sur les affaires religieuses entraînera une crise qui lui aliénera la population, le blocus continental viendra s’ajouter aux reproches fait au système napoléonien. Mais le retour aux affaires des Autrichiens en 1814 fera regretter le Royaume aux plus récalcitrants. Tout comme Chateaubriand écrira à la gloire de l’Empereur déchu qu’il avait tant combattu, les artistes et intellectuels italiens se rallieront au souvenir napoléonien dès la chute du héros [2]Par exemple Manzoni (1785-1873) qui après Waterloo écrira des odes en l’honneur de celui qu’il avait refusé de saluer à la Scala.. Napoléon III étendra la distribution des médailles de Sainte-Hélène aux combattants italiens, ravivant ce souvenir.
Cela dit au-delà de tout romantisme on se doit d’analyser les apports de ce système, à l’Etat Italien, à son unité et sa formation. Tout d’abord le Royaume d’Italie n’est-il qu’une province que Napoléon gouverne seul ? Ou le gouvernement en place a-t-il une réelle influence sur la politique italienne ? Nous l’avons vu le pouvoir législatif est entre les mains de l’Empereur mais le gouvernement a-t-il une influence et une initiative que le Parlement a perdu ?
De plus cette nostalgie napoléonienne dans l’Italie du XIXe siècle n’est-elle que le fruit du patriotisme enchaîné par l’Autriche, nostalgie de l’épopée passée ? Ou plutôt un réel regret des institutions et libertés que le Royaume a développées ? La chute du Royaume est causée autant par les défaites militaires que la désaffection de la population au régime en place. Cette défection a trois causes, les unes en partie entraînées par les autres, le conflit avec le Saint Siège, la pression fiscale exercée par l’administration napoléonienne et le blocus continental. Leur effet est tel sur l’opinion publique, que le jeune royaume ne pourra survivre à l’abdication de 1814.
Nous recherchons donc à définir la réalité de ces réformes, leur but et leur initiateur.
Un gouvernement national et indépendant ?
Napoléon, en Italie, est libre d’établir le gouvernement qu’il souhaite, étant conquérant il n’a pas à respecter un formalisme des régimes passés, les pratiques de gouvernement survivant de l’Ancien régime ou de la Révolution comme c’est le cas en France. En Italie il peut appliquer son système entièrement et mettre en application complète ses idées de gouvernement, comme il le fait depuis 1796 [3]A. Pingaud, Le Premier Royaume d’Italie…, REN, 1923, 1ère partie, p.195..
Ce qu’il fera entre 1805 et 1807, il est à noter que tous ses ministres sont italiens cependant certains résident en France, c’est le cas du secrétaire d’Etat mais aussi du Ministère des relations extérieures. Confié à Ferdinando Marescalchi, qui y restera de 1802, sous la République Italienne, jusqu’en avril 1814. D’abord chargé des relations avec le vice-président il ne sera par la suite qu’un consul d’Italie à Paris.
Dans le royaume on distingue plusieurs grands ministères : le ministère du culte (voir §3), le ministère de la Justice, le ministère de l’intérieur, les ministères de la guerre et de la marine ainsi que les ministères des finances. Nous procèderons donc à un énoncé succinct des ministères dont les travaux seront évoqués ultérieurement puis nous étudierons les autres ministères du Royaume d’Italie.
Le ministère du culte fût créé très tôt en Italie nous l’avons vu, il a à sa tête l’oblat Giovanni Bovara qui ne sera pas remplacé à sa mort en 1812.
Le ministère de la Justice, avec à sa tête le grand Juge, d’abord le juge Bonaventura Spanocchi, puis le membre du directoire Giuseppe Luosi. C’est à eux qu’incombent la réforme de l’appareil judiciaire Italien [4]Voir Chapitre II, section II §1 Une administration héritée de la république. et le renouvellement des statuts des notaires et avocats [5]A.Pillepich, Napoléon et les italiens, op.cit, p.95..
Le ministère de l’Intérieur qui connaît quatre ministres successifs [6]Luigi Villa, Daniele Felici, Louis de Brême, Luigi Vaccari.. Il est à noter que le personnel administratif vient de toute l’Italie et pas seulement de Milan. Louis de Brême en l’espèce est piémontais. C’est le ministère essentiel de la construction de l’Etat aux fonctions plus étendues que son homologue français. En effet il s’occupe de l’agriculture, des manufactures et du commerce alors qu’en France ces domaines ont des ministères spécialisés. Il est divisé en quatre directions générales.
Certaines comme l’instruction publique apparaissent dès 1805, elle sera en 1810 associée à la direction sur l’imprimerie. La direction des eaux et chaussées avec à sa tête Paradisi, inspirée du modèle français des ponts et chaussées, elle se particularise par l’importance que prennent les travaux et les crues du Pô. En effet les problèmes liés à la voierie, aux crues et la navigation de ce fleuve, prennent une importance toute particulière dans le Nord de l’Italie dès 1804 des décrets avaient engagé des réformes. Réformes qui restèrent lettres mortes par manque de moyens.
Mais la création de la direction générale en 1805, et le transfert des dépenses de voierie des départements à l’Etat accélèrera bientôt l’action administrative. On crée par décret organique, le 6 mars 1806, le corps d’ingénieurs des ponts et chaussées suivi par la création d’une école spéciale pour leur formation, le 7 janvier 1807. Ainsi l’Etat remplace les anciennes « magistratures d‘eau » sorte d’associations qui géraient les rivières, qui finissent par disparaître dans les conseils de préfectures en 1806.
La direction générale de la police est créée en 1805 alors qu’elle relevait, sous la république, du ministère de la Justice. Divisée en deux préfectures de Police, Milan et Venise, et en quarante-neuf commissariats, des rapports sont envoyés régulièrement à Paris par le directeur. La direction de l’administration des communes créée en 1807 disparaît en 1812.
Le ministère de la Guerre et de la Marine [7]Particularisme italien car dans les états napoléoniens les deux pouvaient être dissociés, c’est le cas de l’Espagne, de la Hollande et de la France., à sa tête se succèdent des officiers italiens et un français d’origine italienne. L’Italie est divisée en six divisions militaires, le ministère s’occupe de la mise sur pied d’une armée et d’une marine mais aussi de l’entretien des places fortes, aspect stratégiquement important dans la défense de l’Italie et de la France. Il doit aussi faire face aux problèmes qu’entraînent la conscription et les milliers de réfractaires qui ajoutent à l’insécurité des campagnes et nuisent fortement à l’acceptation du régime.
L’Italie est le seul état napoléonien doté d’un ministère du Trésor Public en tous points semblable à son modèle Français.
Le ministère des finances est dirigé depuis 1802 par Giuseppe Prina, un Piémontais. Son ministère est divisé en neuf directions générales. Celles-ci englobent tous les domaines de dépense et de perception d’impôts, l’intendance des finances, liquidation de la dette publique, domaines et forêts et loterie pour ne citer qu’elles. Prina est l’artisan des grandes réformes fiscales de l’Italie, son œuvre suivant l’exemple de son homologue français, Martin Gaudin, a permis aux revenus publics de passer de 81 millions de lires en 1802 à 141,1 millions en 1812.
Cependant le poids de l’entretien des troupes françaises en Italie, continue à creuser le déficit italien. Malgré les supplications d’Eugène, Napoléon refuse de baisser la contribution du Royaume à l’entretien de ses troupes, problèmes existants pourtant depuis 1796. Dans les dernières années du régime Prina fait peser de plus en plus les recettes fiscales sur les riches propriétaires, qui le 20 avril 1814, finiront par inciter une révolte menant à son assassinat à Milan [8]Philip, G. Dwyer, Napoleon and Europe, Pearson Education Book, 2001, p.185-186..
On notera que le budget des dépenses est absorbé pour un tiers par le ministère de la guerre et de la marine, 12,5% pour l’Intérieur et seulement 0,9% pour le ministère du culte, on voit là l’échelle des priorités des dépenses de l’Etat napoléonien [9]A. Pillepich, Napoléon et les Italiens, op.cit., p.102.. Cependant le nombre des personnels est inversement proportionnel puisque le ministère des finances utilise 3,40% des dépenses pour 850 employés alors que les ministères de l’Intérieur et de la Guerre et Marine en ont 200 chacun.
Sur le personnel des ministères on notera qu’il est de même moyenne d’âge que le vice roi et les membres de la cour c’est-à-dire une quarantaine d’années. Certains ont servi la Cisalpine et sont revenus en faveur lors de l’instauration du royaume alors que la république les a écartés. Les Français y sont rares mais la nationalité italienne est à prendre au sens large puisque les Piémontais sont souvent présents.
Dans l’armée, qui compte trois mille officiers la proportion de Français est plus importante mais le service dans l’armée italienne entraîne souvent une naturalisation. On peut dire qu’une nouvelle classe est créée par le prestige du service administratif, où l’on retrouve d’anciens serviteurs des souverainetés précédentes ainsi que des jacobins ou des membres des gouvernements successifs italiens.
Cette notion de prestige a une importance certaine dans un état napoléonien, l’Empereur étant seul détenteur de l’initiative gouvernementale. Les institutions doivent servir à former la Nation, c’est le cas de l’armée, et à donner une nouvelle élite à l’image de cette Nation jeune et formée de régions et d’idéologies diverses. Ce but est d’ailleurs poursuivi par le septième statut constitutionnel, le 21 septembre 1808, instaurant la nouvelle noblesse.
Sur la Cour du vice–roi il n’y a rien de remarquable quant au gouvernement, le seul poste d’importance est tenu par le Secrétaire des Commandements, conseiller placé par Napoléon auprès du vice-roi. Ce poste est tenu par Méjan de 1805 à 1814. La cour est composée d’Italiens, de Bavarois mais aussi d’un grand nombre de français. Cette présence française trop marquée dans l’entourage du vice-roi entraîne en partie le détachement du peuple de sa personne.
References[+]
↑1 | Conférence de M. G. Gallavresi, Napoléon et l’Italie, REN, 1932, p.90. |
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↑2 | Par exemple Manzoni (1785-1873) qui après Waterloo écrira des odes en l’honneur de celui qu’il avait refusé de saluer à la Scala. |
↑3 | A. Pingaud, Le Premier Royaume d’Italie…, REN, 1923, 1ère partie, p.195. |
↑4 | Voir Chapitre II, section II §1 Une administration héritée de la république. |
↑5 | A.Pillepich, Napoléon et les italiens, op.cit, p.95. |
↑6 | Luigi Villa, Daniele Felici, Louis de Brême, Luigi Vaccari. |
↑7 | Particularisme italien car dans les états napoléoniens les deux pouvaient être dissociés, c’est le cas de l’Espagne, de la Hollande et de la France. |
↑8 | Philip, G. Dwyer, Napoleon and Europe, Pearson Education Book, 2001, p.185-186. |
↑9 | A. Pillepich, Napoléon et les Italiens, op.cit., p.102. |