L’Italie de Bonaparte (1796-1802)

La première campagne d’Italie est le point de départ d’un renouveau de l’Italie qui en l’espace de huit années va voir disparaître tous ses anciens états [1]Y compris les états pontificaux qui seront pour un temps la République de Rome et voir émerger et disparaître une succession d’entités ayant pour modèle la Grande Nation.

L’Italie est d’abord un espace conquis, administré militairement puis divisée en plusieurs républiques sœurs qui finalement ne forment plus qu’un royaume unifié. Cette phase d’expérimentation constitutionnelle est donc intitulée : Italie de Bonaparte.

Le terme Italie bonapartiste est abusif puisqu’il n’y avait pas de courant politique réellement en sa faveur en Italie, à cette époque du moins.

Le général Bonaparte
Le général Bonaparte

Comme nous le verrons, le général Bonaparte créera ces entités juridico-politiques dont il obtiendra lui même la reconnaissance du Directoire et des coalisés par le traité de Campo-Formio. Le général Bonaparte règne alors en maître sur l’Italie où il décide des états à créer et de ceux à démanteler. Ses visiteurs parlent d’ailleurs d’une véritable Cour l’entourant à Mombello [2]André Fugier, Napoléon et l’Italie, Paris 1947 p.60. Ses actions par l’intermédiaire d’Augereau, dans le coup d’état de Fructidor, lui assurent encore la reconnaissance du Directoire qui alors lui laisse la liberté qu’il s’était déjà lui même accordé.

La gestion classique d’un territoire conquis se montrant très insatisfaisante, Bonaparte  poursuivant ses projets de libération fait plusieurs essais de constitutions avec ou sans l’aide des patriotes italiens. Le Directoire, en l’absence de Bonaparte, ne sait pas maintenir ces nouvelles républiques sœurs et perd toutes ces conquêtes. Seul le 18 Brumaire et Marengo font renaître les républiques italiennes.

L’Italie est déjà liée à Bonaparte comme elle le sera à Napoléon ….

Bataille de Marengo (Lejeune)
Bataille de Marengo (Lejeune)

La gestion d’un territoire conquis

L’armée d’Italie, entrant victorieuse dans le Piémont, doit organiser sa propre subsistance mais aussi envoyer des richesses au Directoire. Ce pillage organisé doit se faire dans l’ordre, c’est pourquoi se pose la nécessité, pour les territoires et les villes, d’avoir des gouverneurs militaires maintenant l’ordre et organisant les contributions. Ce système montre très vite ses limites.

On doit donc palier aux soulèvements locaux et autres mécontentements en impliquant les Italiens dans leurs gouvernements, en les dotant de véritables constitutions  qui rendront les conquêtes plus sûres et plus acceptables aux idéaux révolutionnaires mais aussi, à la population locale qui est d’un républicanisme changeant selon les régions [3]Alain Pillepich, Napoléon et les italiens, op.cit. p.30-37 sur les correspondances de Napoléon : 

« Ce pays–ci semble beaucoup plus patriote que le Piémont ».

Bonaparte dans un premier temps opère une certaine distinction entre les terres prises à l’Autriche et celles appartenant  à des pouvoirs autochtones. En effet ces dernières, si elles manifestent une volonté d’indépendance, ne sont pas encouragées. Sur ce plan il respecte la volonté du Directoire de traiter ces terres comme des occasions de lever des contributions contre le pouvoir régnant.

C’est le cas du Piémont, où les patriotes seront ignorés du chef de l’armée et ensuite écrasés par Victor-Amédée III [4]Marco Baratto, Naissance d’une Nation : la République Cisalpine et la République Italienne, www.napoleon-histoire.com Les premières municipalités organisées au Piémont sont composées de notables plus ou moins sympathisant de la République sous l’égide d’un représentant de l’Armée d’Italie.

Bonaparte engage les gouvernements provisoires des territoires pris à l’Autrichien à envoyer des députations demander l’établissement de républiques indépendantes du Directoire. On envoie ainsi des patriotes  de Lombardie, de Bologne, Ferrare…le modèle de la municipalité milanaise étant repris dans toute l’Italie du Nord.

L’occupation militaire se fait en six divisions territoriales :1ère du général Leclerc à Milan ; 2e du général Miollis à Mantoue ; 3e du général Soret à Tortone ; 4e du général Casabianca à Coni ; 5e du général Vaubois en Corse et îles « italiennes » ; 6e du général Gentili à Corfoue. [5]Ronald Zins, Journal de voyage du général Desaix Suisse et Italie (1797), éd. Horace Cardon, 2000, p.180

Le commissaire Saliceti s’occupe de demander les contributions aux territoires conquis. Le Directoire demande expressément dans son courrier du 7 mai 1796, la conquête du Milanais et l’envoi d’œuvres d’art et de numéraire. Bonaparte  répond de deux façons à ces demandes en levant des contributions sur les légations du Pape et sur d’autres états autonomes puis sur les populations dans les territoires sous contrôle autrichien.

Ces contributions, sont présentées alors comme le prix à payer pour leur libération. Les premières institutions créées ont donc pour but de faciliter le pillage des « plus fertiles plaines du monde ». Cela parait étrange pour un libérateur, mais cette première phase de la campagne d’Italie : la mise à sac du Piémont est dictée par les directeurs qui profitent de cette conquête après tant de défaite [6]A.Fugier, op.cit., p.31et suiv.. C’est là, la première et seule manifestation de l’autorité républicaine.

La Lombardie est, par exemple, gouvernée par l’agence militaire française. Composée de quinze notables, cette institution a pour mission de lever mensuellement une contribution de un million de lires. Bonaparte utilise les gouvernements provisoires pour lever de nouvelles troupes, renouvelant ainsi avec la pratique des légions, abolies par le Comité de Salut Public. Le 26 septembre, Bonaparte encourage le Sénat de Bologne dans son œuvre libérale [7]G.Bourgin, op. cit. p.21 mais fait occuper Modène.

Jean-Baptiste-Dominique Rusca
Jean-Baptiste-Dominique Rusca

Un congrès secret s’ouvre alors avec des représentants des différentes municipalités. Le but de ce Congrès est la mise sur pied de la république cispadane. En fait il n’en sort qu’un organe militaire : la légion lombarde au drapeau vert, blanc, rouge sous le commandement de Rusca, officier Français. Ce Congrès est donc, pour le moment encore, sous le contrôle direct des intérêts de l’armée d’Italie, mais la première institution italienne vient de naître : son armée.

Plusieurs révoltes dans le Nord et l’Est causées par le prix trop élevé imposé par les libérateurs entraînent de dures répressions, ainsi que des prises d’otages comme garantie de coopération des cités, ainsi qu’une prise de conscience du général Bonaparte de la nécessité de mettre sur pied une organisation du territoire permettant l’implication des Italiens dans leur gouvernement et donc d’apaiser le pays qui réclame déjà à Milan, le 14 octobre, la création d’une république lombarde.

Entre la réunion du Congrès de Reggio et le traité de Campo-Formio, l’Italie va  élaborer ses constitutions sur le modèle Français et acquérir son indépendance face à l‘Autriche.

 

Expérimentations constitutionnelles

Bonaparte en Italie, crée un gouvernement provisoire pour administrer la Lombardie. Chaque ville a sa garde nationale, des patriotes sont envoyés de toutes les villes à Paris pour plaider la cause des républiques sœurs et enfin une Légion lombarde est créée, ouverte  à tous les italiens. Le Directoire n’en est informé que le 3 octobre [8]J-LHarouel, op.cit. p.39 . Bonaparte est entré en Italie avec une armée mal équipée par la République, mi-août il crée des armées étrangères et se lance même dans l’expérimentation constitutionnelle pour ce qui semble devenir « ses » conquêtes.

La république Cispadane

Les aspirations des patriotes italiens sont exposées lors du concours organisé à Milan le 27 septembre 1796, sur le thème « Quale dei governi liberi meglio convenga alla felicità d’Italia ? » [9]« Quel est de tous les gouvernements libres, le mieux approprié au bonheur de l’Italie ? », remporté par le prêtre Melchiorre Gioia, qui présente l’établissement d’une république unitaire. Les autres candidats sont en général pour une possible confédération mais prônent les « républiques-cités » [10]J-LHarouel, op.cit. p.39.

A Bologne, dès  juin 1796, on propose l’élaboration  d’une constitution sur le modèle de celle de l’an III. Bonaparte, n’ayant aucune indication contraire du Directoire, autorise tout de suite la constitution de cette nouvelle entité [11]Marco Baratto, Naissance d’une Nation…, www.napoleon-histoire.com. Une giunta de 30 membres élabore alors, jusqu ‘au 28 septembre, une constitution avec un fort pouvoir exécutif, avec à sa tête neuf consuls.

Mais malgré les premières propositions le catholicisme n’y est pas reconnu comme seule religion et le suffrage se fait sur trois degrés. Elle est adoptée le 4 décembre mais jamais appliquée de par l’entrée en vigueur de la république Cispadane qui comprend Bologne.

Après les soulèvements de Modène et de Reggio, où sont instaurés les habituels gouvernements provisoires organisés par les commissaires aux armées Salicetti et Garrau [12]A.Fugier, Napoléon et l’Italie, p.73 et suiv. , on éprouve le besoin d’organiser les territoires du Sud du Pô. Bonaparte va forcer la main aux patriotes et pousser les municipalités à s’unifier.

Il réunit donc le 16 octobre 1796 une assemblée de députés de Bologne, Modène, Reggio et Ferrare, choisis par une première assemblée d’italiens, afin de donner l’illusion qu’ils ont eux mêmes organisé la réunion. L’assemblée se retrouve à Modène. Elle vote une « Confédération Cispadane » avec pour vocation de s’ouvrir à de nouveaux membres…La seule institution qui est créée, est un corps de 3000 hommes appelée : légion italienne.

Le 27 décembre 1796, lors d’un nouveau congrès s’ouvrant à Reggio et rassemblant des députés des mêmes villes, élus sur trois degrés, cent cinq en tout [13]Albert Pingaud, Bonaparte président de la république italienne, Paris, 1914 , où se joignent à eux des représentants de Milan, l‘assemblée formule le souhait d’un prochain rapprochement avec les Lombards.

Marmont
La maréchal Marmont

La Confédération en présence de Marmont, représentant le général Bonaparte, devient alors République Cispadane une et indivisible. Les députés bolonais voulant imposer la Constitution du 4 décembre, Bonaparte, le 9 janvier, doit intervenir lui même.

On garde du texte bolonais les trois degrés d’élection et le suffrage universel pour le premier degré. On reprend les principes de la Constitution de l’an III, ses trois directeurs désignés par tirage au sort et l’élection des conseils….Il est à noter que la religion catholique est religion d’Etat, le judaïsme étant la seule autre religion tolérée.

La Constitution, divisée en 404 articles, est finalement votée en mars 1797, acceptée par le peuple le 19 mars elle est proclamée le 27. Les corps législatif se réunissent pour la première et unique fois le 26 avril [14]Albert Pingaud, Bonaparte président de la république italienne, Paris, 1914, Vol.I, p.139-141. .Ils créent une commission qui a pour mission l’élaboration d’une codification du droit. [15]J-L Harouel, op.cit. p.113 Quelques mois plus tard, les Lombards rejoignent la Cispadane et celle ci disparaîtra au profit de la Cisalpine [16]J-L Harouel, op.cit. p.40-41.

Malgré sa courte existence,  la République Cispadane est d’une grande importance dans l’Histoire de l’unité italienne : car pour la première fois se crée une confédération, puis un état unitaire italien, disposant d’un drapeau, d’une armée et d’une constitution, manifestations et garanties de son indépendance.

La république Cisalpine

Le général Clarke
Le général Clarke

Le 7 avril 1797 s’engage l’armistice de Leoben. Les pourparlers avec les Autrichiens peuvent commencer. Bonaparte assisté de Clarke, représentant du Directoire, va devoir défendre ses conquêtes et ses républiques. Il obtient de l‘Autriche la reconnaissance de la Cispadane en échange, dans des clauses secrètes, du partage de Venise.

Après le coup d’état du 18 Fructidor (4 septembre), la paix de Campoformio est signée le 17 octobre  1797. Venise est démantelée, certains de ses territoires demandent le rattachement à la Cispadane. LeDirectoire, reconnaissant,  ratifie ce traité, abandonne ses ambitions en Allemagne et au lieu de donner le Milanais comme monnaie d’échange, sacrifie Venise restée neutre.

Bonaparte a imposé ses vues sur la politique à mener en Europe. La République Cisalpine est consacrée, elle représente l’œuvre constitutionnelle sur laquelle il a  influence la plus directe.

Les Autrichiens renoncent à la Lombardie et à Modène, alors que le Directoire avait toujours interdit à Bonaparte toute manœuvre allant vers l’annexion ou l’indépendance de ces territoires…. Dès mai 1797, la Lombardie prend le titre de République Cisalpine, son indépendance est déclarée le  28 juin à Milan. Le 13 juillet Bonaparte unit la Cispadane et la Cisalpine.

Bonaparte crée quatre Comités (militaire, gouvernement et instruction publique, justice, finances)  pour doter la République Cisalpine d’une Constitution. En fait il lui applique la Constitution de l’an III, avec quelques points retenus de la Cispadane (suffrage universel et invocation à Dieu dans le préambule) mais il n’y a pas de religion d’Etat. Les institutions sont des copies des institutions françaises avec deux assemblées : Seniori et Giuniori.

L’exécutif a à sa tête  cinq directeurs : Serbelloni, Moscati, Alessandri, Paradisi et Costabili ; tous nommés par le général lui-même le 29 juin, tout comme l’ensemble du personnel administratif, politique et judiciaire. Des élections doivent avoir lieu l’année suivante, mais sont impossibles lors de la promulgation du texte constitutionnel, le 9 juillet 1797, par voie d’ordonnance du général. [17]J-L Harouel p.42

Le 21 novembre, la Constitution rentre en application et le 17 octobre le traité de Campoformio reconnaît dans son article 8 [18]Marco Baratto, op.cit.  

« S.M. l’empereur, roi de Hongrie et de Bohême, reconnaît la république cisalpine comme puissance indépendante. » [19]« …Cette république comprend la ci-devant Lombardie autrichienne, le Bergamesque, le Bressan, le Crémasque, la ville et forteresse de Mantoue, le Mantouan, Peschiera, la partie des états … Continue reading.

Ainsi Bonaparte a su imposer au Directoire et à l’empereur un nouvel état en Italie : l’occupation militaire prend fin, un nouvel état unifié vient de naître dans le Nord de l’Italie. La république Cisalpine sur le plan militaire est renforcée par les forteresses et l’incorporation des différentes légions levées précédemment.

Sur le plan légal, on introduit différentes notions révolutionnaires : l’état civil passe de l’Eglise aux municipalités, les deux sexes deviennent égaux pour les successions ab intestat, ainsi que  diverses mesures contre le droit d’aînesse [20]Fugier, op.cit., p.77. Divisée en vingt départements elle compte 3 240 000 habitants, sur un territoire qui jusque là était divisé entre cinq souverainetés [21]Allain Pillepich, op.cit.,p.40 .

References

References
1Y compris les états pontificaux qui seront pour un temps la République de Rome
2André Fugier, Napoléon et l’Italie, Paris 1947 p.60
3Alain Pillepich, Napoléon et les italiens, op.cit. p.30-37 sur les correspondances de Napoléon
4Marco Baratto, Naissance d’une Nation : la République Cisalpine et la République Italienne, www.napoleon-histoire.com
5Ronald Zins, Journal de voyage du général Desaix Suisse et Italie (1797), éd. Horace Cardon, 2000, p.180
6A.Fugier, op.cit., p.31et suiv.
7G.Bourgin, op. cit. p.21
8J-LHarouel, op.cit. p.39
9« Quel est de tous les gouvernements libres, le mieux approprié au bonheur de l’Italie ? »
10J-LHarouel, op.cit. p.39
11Marco Baratto, Naissance d’une Nation…, www.napoleon-histoire.com
12A.Fugier, Napoléon et l’Italie, p.73 et suiv.
13Albert Pingaud, Bonaparte président de la république italienne, Paris, 1914
14Albert Pingaud, Bonaparte président de la république italienne, Paris, 1914, Vol.I, p.139-141.
15J-L Harouel, op.cit. p.113
16J-L Harouel, op.cit. p.40-41
17J-L Harouel p.42
18Marco Baratto, op.cit.
19« …Cette république comprend la ci-devant Lombardie autrichienne, le Bergamesque, le Bressan, le Crémasque, la ville et forteresse de Mantoue, le Mantouan, Peschiera, la partie des états ci-devant vénitiens à l’ouest et au sud pour la frontière des états de S.M. l’empereur en Italie, le Modènais, la principauté de Massa et Carrara, et les trois légations de Bologne, Ferrarre, et la Romagne. »
20Fugier, op.cit., p.77
21Allain Pillepich, op.cit.,p.40