L’inventeur du Télégraphe – Claude Chappe (1763-1805)

Claude Chappe. Artiste anonyme.
Claude Chappe. Artiste anonyme.

Claude Chappe naît à Brûlon (aujourd’hui dans la Sarthe), le 25 décembre 1763. Il est le deuxième enfant d’une famille de cinq garçons (1), toute emprunte de curiosité intellectuelle et d’humanisme. Le père, Ignace Chappe, est contrôleur général des domaines du Roy à Laval

Le jeune Claude se destine á la prêtrise. Il fait de très bonnes études, à Rouen puis à La Flèche et, pourvu bientôt de deux bénéfices assez lucratifs , il peut se consacrer librement à ses études favorites, la mécanique et la physique. Venu à Paris, il y ouvre un cabinet de physique, attirant très rapidement l’attention du monde savant par une série de recherches sur l’électricité et le pouvoir des pointes (2)

En 1789, il perd ses bénéfices et retourne à Brûlon, où il continue ses expériences de physiques (3). Passionné par la communication à distance, il a par ailleurs déjà fait paraître, dans le Journal de Physique, un grand nombre de mémoires, qui ont attiré l’attention sur lui, et le font entrer, en 1792, dans la Société Philomatique.

Un an plus tôt, le jeune Chappe a eu l’idée, pour communiquer avec des amis habitant quelques kilomètres plus loin, de leur parler pas signaux. Ce qui n’est, au début, qu’un amusement, devient rapidement, dans la tête de Chappe, un projet plus sérieux, auquel il s’attaque avec le plus grand sérieux.

Il va d’abord utiliser des sons, puis l’électricité, pour finalement fixer fixer son choix sur des panneaux à faces blanches et noires.

Depuis plusieurs années le, citoyen Chappe travaillait à perfectionner ce langage , convaincu que, porté au degré de perfection dont il est susceptible, il peut d’être d’une grande utilité dans une foule de circonstances, et surtout dans les guerres de terre et de mer, où de promptes communications et la rapide connaissance des manoeuvres peuvent avoir une grande influence sur le succès.

Ce n’est qu’après de longues méditations et de nombreux essais qu’il est parvenu à former un système de correspondance, qui allie à la célérité des procédés la rigueur des résultats; car on ne marche que pas à pas dans les découvertes, et il est difficile de calculer les obstacles. On fait, on défait; on interroge; on compare; et le résultat positif n’est donné que par l’expérience.

L’électricité fixa d’abord l’attention de ce laborieux physicien : il imagina de correspondre par le secours des temps marquant électriquement les mêmes valeurs, au moyen de deux pendules harmonisées : il plaça et isola des conducteurs à de certaines distances; mais la difficulté de l’isolement, l’expansion latérale du fluide dans un long espace, l’intensité qui eût été nécessaire, et qui est subordonnée à l’état de l’atmosphère, lui firent regarder son projet de communication par le moyen de l’électricité comme chimérique.

Sans perdre de vue son objet, il fit de nouveaux essais, en prenant les couleurs pour agents; mais il reconnut bientôt que ce système n’était rien moins que sûr, par la difficulté de les rendre sensibles à certaines distances, et que les résultats étaient entravés. et rendus à chaque instants incertains par les diverses dispositions de l’atmosphère; en conséquence il chercha à atteindre d’une autre manière le but qu’il s’était proposé.

Le micromètre, appliqué à la lunette ou au télescope, lui paru pouvoir fournir un moyen de correspondance. Il en fit établir, dont le cadran présentait  diverses divisions ou valeurs conventionnelles, correspondant à un même nombre de points déterminés sur un petit espace de terrain disposé à une grande distance. Cet essai réussit : mais comme ce mode de communication ne pouvait avoir lieu que pour un petit nombre de postes; il passa à de nouvelles recherches.

Il s’attacha à la forme des corps, comme susceptible de se prononcer dans l’atmosphère d’une manière certaine, et constata qu’en leur faisant affecter diverses positions, il en tirerait un moyen sûr de correspondance. (rapport Lakanal)

Il réalise sa première expérience publique de communication à distance le 2 mars 1791 : il s’agit de deux cadrans mobiles dotés d’aiguilles et de chiffres, installés respectivement dans son village natal de Brûlon et le village de Parcé distants de 14 km. (4)

Le premier essai dans ce genre eut lieu dans le département de la Sarthe, au mois de mars 1791 (vieuy style). Dans cet essai, l’application des pendules harmonisées fut combinée avec la forme des corps. (idem)

L’envoi d’un message dans chaque sens est réussie et authentifiée par un compte-rendu officiel, et Chappe peut, avec ces preuves de fonctionnement, se rendre à Paris.

A Paris, avec ses frères, il fait plusieurs expériences. L’une d’elle tourne court, des malveillants (des voleurs de bois) détruisant leur machine installée sur un des pavillons de la barrière de l’Étoile. Ils recommencent, six mois plus tard, à Ménilmontant, dans le parc Saint-Fargeau. Là, c’est la populace, qui suspecte que le système va servir à communiquer avec Louis XVI, enfermé au Temple, qui incendie l’installation.  Ils ne se découragent cependant pas. Et, le 22 mars 1792, Claude Chappe présente son projet à l’Assemblée législative.

Quelques temps après , la même expérience fut répétée à Paris, avec divers changements; enfin, après avoir médité sur le perfectionnement de ses moyens et leur exécution mécanique, le citoyen Chappe en fit , en 1792, hommage à l’assemblée législative, qui les accueillit sans aucun fruit pour les sciences et les arts.(idem)

Cette machine à signaux, il lui a donné un nom : le tachygraphe, peu après transformé en télégraphe (5).

Plus zélée pour tout ce qui intéresse leur gloire, la Convention Nationale, par son décret du 27 avril dernier, nous a chargés de suivre le procédé présenté par le citoyen Chappe, pour correspondre rapidement à de grandes distances

Le 1er avril 1793, Romme fait un rapport favorable à la Convention.

Bientôt les évènements militaires font prendre conscience de la nécessité de disposer de moyens de transmission rapide des ordres aux frontières. 6 000 livres sont allouées par la Convention pour procéder à un nouvel essai. Les députés Lakanal et Daunou sont nommés pour y assister.

Cet essai a lieu le 12 Juillet 1793, en présence de représentants des comité de l’instruction publique et de salut public.

Les vedettes étaient placées, la première dans le parc de Pelletier-de-Saint-Fargeau, à Mesnil-Montant; la deuxième sur les hauteurs d’Ecouen, et la troisième à Saint-Martin-du-Tertre. (idem)

à l’issue de quoi Lakanal présente son rapport à la Convention, dans lequel il se prononce en faveur de l’invention de Chappe :

Vos commissaires ont pensé que vous vous empresseriez de nationaliser cette intéressante découverte, et que vous préféreriez à des moyens lents et dispendieux, un procédé propre à communique rapidement, à de grandes distances, tout ce qui peut faire le sujet d’une correspondance. (idem)

laquelle  adopte, sur la recommandation de Lakanal, le projet de Chappe le 26 juillet, et, le lendemain :

La Convention nationale accorde au citoyen Chappe, le titre d’ingénieur thélégraphe (sic), aux appointements de lieutenant de génie,

Charge son Comité de Salut public d’examiner quelles sont les lignes de correspondance qu’il importe à la République d’établir dans les circonstances présentes.

Ces essais sont suffisamment concluants pour que Carnot, alors responsable de la conduite et du soutien des opérations que la République mène dans les Flandres, obtienne, le 4 août 1793, de la commission Militaire, sur les fonds du Ministère la Guerre, les crédits nécessaires à la construction de la première ligne : Paris-Lille.

Séance du 15 fructidor

Carnot : Voici le rapport du télégraphe qui nous arrive à l’instant.
« Condé est rendu à la République. La reddition a eu lieu ce matin à 6 heures.

Gossuin : Condé est rendu à la République. Changeons le nom qu’il portait, en celui de Nord-Libre. Décrété.

Cambon. Je demande que ce décret soit envoyé à Nord-Libre par la voie du télégraphe. Adopté.

Granet : Je demande qu’en même temps que vous apprenez á Condé, par la voie du télégraphe, son changement de nom, vous appreniez aussi à la brave armée du Nord qu’elle continue de bien mériter de la patrie.

(…) Vers la fin de la séance, le président annonce à l’assemblée que le télégraphe a porté à l’armée les deux décrets rendus.

 

La première dépêche informant, dans l’enthousiasme (voir ci-dessus), la prise de Condé (30 août 1794) est un succès.

L’établissement d’une seconde ligne, Paris-Landau (6), est aussitôt entreprise (3 octobre 1794). Mais les finances publiques sont alors en mauvais point, ce qui entraîne des difficultés de fonctionnement sur le nord et des retards dans la progression de la ligne vers l’est. Pire : le Directoire décide l’abandon des travaux, par un décret du 25 août 1797. On est alors très près de la fermeture totale du service.

Ces deux lignes avaient essentiellement la vocation de répondre aux besoins militaires terrestres des armées du Nord et de l’Est. C’est alors que le ministre de la Marine revendique et obtient sa ligne, la troisième, de Paris à Avranches, avec des ramifications vers Brest et Cherbourg, afin de desservir les ports et la zone de regroupement de cette armée dite « d’Angleterre ». Cette ligne, que l’on désignera généralement sous le nom de Paris-Brest, est construite en sept mois, presque entièrement sur les crédits de la Marine (loi du 5 janvier 1798, qui prévoit un emprunt de quatre-vingt millions pour la préparation d’une descente en Angleterre). (7)

C’est la tenue du Congrès de Rastadt (1797/99) qui sauve la situation. Pour être parfaitement informé, le Directoire débloque les fonds nécessaires pour achever la ligne Paris- Strasbourg. (8)

Les événements d’Italie et de Suisse de la fin 1798, incitent un peu plus tard, le Directoire à ordonner la construction d’une nouvelle ligne : Paris – Lyon, par Dijon (décret du 18 janvier 1799).

Le télégraphe - Alamy stock photo
Le télégraphe – Alamy stock photo

Les chantiers de construction de cette ligne atteignent tout juste Dijon, lorsque survient le 18 Brumaire. Bonaparte trouve, on le sait, des caisses vides et des finances exsangues. Il est bientôt décrété,  le 20 Janvier 1801, que les travaux seront arrêtés.

L’année 1805 va voir évoluer les choses. Lors de son voyage en Italie, et de son passage à Mantoue (décret du 19 juin 1805), le nouvel empereur décide de réactiver la ligne de Lyon et de la prolonger jusqu’à Milan, par Turin. (9)

Mais les jours de Claude Chappe sont comptés. Des malveillants prétendent alors, et même écrivent, que, tout compte fait, le télégraphe de Chappe n’est pas vraiment une invention, et des rivaux essayent de présenter de nouveaux systèmes (10). Les tentatives de prendre sa place se font fréquentes. Cela affecte profondément Chappe. A ceci s’ajoute un état de santé qui va en s’aggravant : il souffre en effet d’un cancer dans l’oreille.

Le 23 janvier 1805, Claude Chappe met fin à ses jours en se jetant dans le puit de son atelier, à Paris.

 

Lieux de mémoire

La maison natale de Claude Chappe se trouve toujours, au n°1 de la rue qui porte son nom.

Maison natale de Claude Chappe à Brûlon.
Maison natale de Claude Chappe à Brûlon.

Au cimetière du village se trouve le caveau de la famille, avec cette inscription :

Tombe Chappe au cimetière de Brûlon. (Youtube)
Tombe Chappe au cimetière de Brûlon. (Youtube)

Télégraphe attristé qui garde cette tombe
Pleure, pleure avec nous celui qui t’éleva
Si Claude l’inventeur vint le donner au monde
Son frère Chaumont fût l’homme qui t’anima
Toi tu diras assez aux vieux savants de la terre
Il avait du génie et sut l’utiliser
Les pauvres du village, à la foule étrangère
Viendront dire à leur tour si son coeur sut aimer.

Mais Claude Chappe repose au cimetière du Père Lachaise (29e division – un bloc de pierre est orné d’un télégraphe), à Paris.

Tombe Chappe au cimetière du Père Lachaise (Jean-François Liandier)
Tombe Chappe au cimetière du Père Lachaise (Jean-François Liandier)

 

Sources et bibliographie

  • Biographie universelle ancienne et moderne, tome VII, pages 493-494. Paris, 1844.
  • Tulard, Fayard et Fiéro. Histoire et Dictionnaire de la Révolution  Française, p.395. Lafond, 1987.
  • Collectif: « La famille Chappe« . Editions de l’Est, 1991
  • Gautier. « L’oeuvre de Claude Chappe », Paris, 1893
  • Perrot. « Histoire de la télégraphie », Le Moniteur Universel, Paris, 1861
  • Rapport sur le télégraphe fait au nom du comité d’instruction publique, réuni à la commission nommée par le décret du 27 avril dernier.

Notes

(1) Les frères de Claude sont :

  • Ignace – Urbain dit Chappe l’aîné (1762 – 1829),
  • Pierre François dit Chappe Chantepie (1765 – 1834)
  • René Chappe dit Chappe des Arcis (1769 – 1854)
  • Abraham dit Chappe Chaumont (1773 – 1849)

(2) Par exemple, on lui doit l’expérience des bulles de savon électrisées et remplies d’hydrogène, reproduisant par leur détonation au contact de l’air le phénomène de la foudre.

(3) La Révolution a d’ailleurs fait perdre à Ignace Chappe sa place et ses privilèges financiers.

(4) La maison Pérottin, dites « Les Tourettes » (XVIIIe siècle), d’où fut envoyé le message de Brûlon, existe encore à Parcé sur Sarthe.

(5) C’est Miot de Melito qui propose cette appellation, en remplacement de tachygraphe (littéralement : écrire rapidement)

(6) Cette première ligne sera prolongée jusqu’à Dunkerque en 1798, puis jusqu’à Bruxelles, enfin jusqu’à Anvers et Amsterdam.

(7) Tulard, Fayard et Fiéro. Histoire et Dictionnaire de la Révolution  Française, p.395. Lafond, 1987.

(8) Cette ligne sera prolongée jusqu’à Huningue, puis, en 1813, alors que l’invasion menace, un embranchement sera établi de Metz à Mayence.

(9) En 1809, la ligne sera prolongée jusqu’à Venise.

(10) Par exemple : système Bréguet – Betancourt (qui sera utilisé en Espagne), système Monge (abandonné à cause du coût trop élevé), le Vigigraphe de Laval et Peytes-Moncabrier,  etc.