Linois, Charles-Alexandre-Léon Durand comte de (1761-1848)

Charles-Alexandre Léon Durand Linois
Charles-Alexandre Léon Durand Linois

Charles-Alexandre-Léon Durand, comte de Linois [1]On trouve également Charles de Durand-Linois naquit à Brest le al janvier 1761.

Entré dans la marine à l’âge de quinze ans, comme volontaire, Linois fit sa première campagne sur la chatte [2]Les chattes sont des bateaux à trois mâts dont le nom dérive de celui d’une embarcation d’origine néerlandaise, le Kat, sorte d’allège qui servait notamment au transport des … Continue reading le César, employée dans le golfe de Gascogne, pour l’approvisionnement des ports.

Chatte amphidrome. Musée de Nantes.
Chatte amphidrome. Musée de Nantes.

En 1776, il s’embarque, en la même qualité sur le vaisseau le Prothée , de soixante-quatre canons, avec lequel il fait une campagne de vingt-un mois sur les côtes de France, aux Iles-du-Vent et dans les mers de l’Amérique. A son retour à Brest, en août 1778, la guerre étant déclarée, il passe sur le vaisseau le Bien-aimé.

Ayant été nommé, le 27 février 1779 , lieutenant de frégate pour la campagne, c’est-à-dire officier auxiliaire, il s’embarque, en cette qualité à bord du Scipion, de soixante-quatorze. Sur le premier de ces bâtiments, il fait partie de l’armée navale aux ordres du comte d’Orvilliers, et sur le second il navigua dans la Manche, avec l’armée combinée de France et d’Espagne, et ensuite sur les côtes d’Espagne, dans celle de l’amiral Cordova.

Au commencement de l’année 1781 , Linois, qui était attaché à la direction du port de Brest, comme aide de port, fut promu au grade d’enseigne de vaisseau et de  port, et de cette époque à 1789, où il fut fait lieutenant de port, il fit diverses campagnes sur les côtes d’Espagne, à Saint-Domingue, aux Iles-du-Vent, et dans les mers de l’Inde, sur les vaisseaux le Diadème et le Réfléchi, la gabare le Barbeau, les frégates la Danaé et la Proserpine.

A l’organisation de la marine, en 1791 , il prit rang parmi les lieutenants de vaisseau , à la date de son brevet de lieutenant de port, et passa, dans ce grade, sur la frégate l’Atalante.

Pendant les trente-huit mois qu’il y fut embarqué, il parcourut les mers de l’Inde , les côtes de Malabar, de Coromandel et celles d’Afrique. Cette frégate, à son départ de l’Ile-de-France, fut chargée, concurremment avec la Fidèle , d’escorter un convoi de douze bâtiments richement chargés, qui entra heureusement au port de Lorient, après cent vingt-cinq jours de traversée.

A son retour en Europe (mars 1794), la plus horrible famine affligeait alors la France. Le contre-amiral Vanstabel était, attendu à Brest, ramenant de l’Amérique septentrionale un nombreux convoi chargé de farines. Il était de la plus grande importance de faire arriver ce convoi à bon port, en trompant la vigilance des Anglais, qu’on savait être à sa poursuite. L’amiral Villaret, qui commandait à cette époque les forces navales réunies à Brest, donna à Linois le commandement de l’Atalante , de trente-six canons, avec la mission de croiser entre les parallèles du 48e et du 49e degré de latitude et 16° de longitude, pour surveiller le passage du convoi attendu des Etats-Unis, et prévenir l’amiral qui l’escortait qu’une escadre de çinq vaisseaux croisait à environ vingt lieues plus loin à l’est, pour protéger son entrée à Brest. On mit sous ses ordres la corvette la Levrette et le brick l’Epervier.

Cette division appareilla de la rade de Brest le 10 avril 1794. Le 3 mai suivant elle se trouvait par la latitude indiquée, lorsqu’elle fut dispersée par un coup de vent des plus violents. Le 5, la tempête s’était apaisée ; Linois, profitant d’une éclaircie, cherchait à déterminer, par la hauteur, la position où il se trouvait, lorsqu’à midi ses vigies découvrirent un grand nombre de voiles dans le nord-est.

Les instructions du capitaine Linois lui prescrivant de s’attacher à reconnaitre tous les bâtiments qu’il rencontrerait, il tint le vent. Bientôt il s’assura que c’était un convoi de vingt-huit bâtiments, escortés par deux vaisseaux de guerre, et faisant route au sud-ouest.

Poussés par une bonne brise, ces deux vaisseaux commencèent à donner la chasse à l’Atalante. Linois, voulant soustraire la Levrette, qui était parvenue à le ralliier, lui fit signal de liberté de manœuvre, et elle fit route vent arrière en se couvrant de voiles. Un des vaisseaux , le Saint-Alban, abandonna l’Atalante pour la suivre. L’autre (le Swiftsure, de soixante-quatorze) continuala chasse. Le mauvais état dans lequel se trouvaient la mâture et le grément de l’Atalante, dont les avaries n’avaient été qu’imparfaitement réparées à cause de la violence du vent, donnait sur elle, à ce vaisseau, un grand avantage de marche. Vers huit heures du soir, se trouvant à portée et au vent, il lui tira plusieurs coups de canon, auxquels elle riposta par ses canons de retraite. La nuit du 5 au 6 se passa entièrement dans les alternatives d’un combat. dont la force ou la faiblesse du vent devait amener le commencement.

La journée du lendemain s’écoula dans la même incertitude; la brise était tombée, la mer était calme. L’Atalante avait bordé ses avirons de galères, mais avec le vent elle avait perdu la chance d’échapper au vaisseau par sa marche. Dans la nuit, les vents varièrent de trois à quatre quarts, toujours faibles ; l’Atalante se trouvait un peu au vent ; mais par d’autres variétés le vaisseau gagna cet avantage et il en profita pour lui envoyer sa volée , qui lui démonta deux canons de l’arrière de sa batterie.

Le 7 mai, vers deux heures du matin, le vent ayant un peu fraichi, l’Atalante prit les amures à tribord, le Swiftsure manœuvrant pour la doubler au vent. Linois, ne voyant plus la possibilité d’éviter le combat, vint alors du lof, dans le dessein de lui envoyer sa volée en enfilade ; mais, à ce moment, ses voiles reçurent une petite brise qui le sépara du vaisseau. Elle ne dura que peu de temps ;  le calme revint, et à trois heures et demie le combat recommença.

Depuis une heure on se battait de part et d’autre avec acharnement ; le grément de l’Atalante était criblé , ses voiles étaient en lambeaux ; les hommes manquaient dans la batterie, et plusieurs fois l’officier qui la commandait avait envoyé demander au capitaine pour remplaœr ceux qui étaient tués ou blessés. Un matelot ayant été coupé en deux à côté de Linois, ses membres vinrent le frapper à la figure et le renversèrent sur le pont. On vint alors lui annoncer que la frégate était percée par l’avant à la flottaison, et que l’eau y pénétrait abondamment. Dans l’espoir qu’elle coulerait bientôt il ordonna de cesser le feu. Au même moment , un boulet ayant coupé la corne d’artimon , le pavillon tomba à la mer avec elle. Il était alors quatre heures un quart.

Un canot du Swifture aborda bientôt I’Atalante ; il prit le capitaine Linois, qu’il conduisit à bord du vaisseau, où le capitaine Boyles le reçut en lui faisant com.pliment sur sa belle défense , et en lui remettant son épée que celui-ci lui présentait. Le 17 mai suivant, le Swiftsure et l’Atalante mouillaient dans la rade de Cork, en Irlande.

Le capitaine Linois resta environ onze mois prisonnier en Angleterre. Rentré en France au mois d’avril 1795, il fut nommé capitaine de vaisseau le 4 mai de la même année. Peu de temps après, il prit le commandement du Formidable, qui faisait partie de l’armée navale aux ordres de l’amiral Villaret. Sortie de Brest dans les premiers jours du mois de juin 1795, cette armée soutint deux combats successifs ; le premier eut lieu le 17 juin, à la hauteur de Groix, et le second, le 23 du même mois, à cinq lieues ouest de Groix [3]L’armée française, dans ce combat, se composait de douze vaisseaux, dont un seul trois ponts et des frégates. . Dans ce dernier, trois vaisseaux tombèrent au pouvoir des Anglais; le Formidable fut du nombre, mais Linois ne le rendit qu’après avoir combattu vaillamment. Il reçut une forte contusion à la tête et une blessure à l’œil gauche, de l’usage duquel il est privé depuis ce temps.

Linois ne resta que deux mois prisonnier cette seconde fois. Le représentant du peuple à Brest permit au capitaine de vaisseau anglais John Carrulhers, de retourner en Angleterre, sous la condition d’être échangé pour lui; l’amirauté ayant approuvé cet échange, Linois se rendit à Paris, et, sur le rapport du ministre de la marine, le comité de salut public, par un arrêté du 5 septembre 1795, lui fit reprendre son rang d’ancienneté, en le portant à la première classe des capitaines de vaisseau, à compter du 2 janvier 1794.

A l’organisation de 1796, il fut nommé chef de division des armées navales et prit le commandement du Nestor, de soixante-quatorze. Lors de l’expédition d’Irlande , ce vaisseau faisait partie de l’armée aux ordres de l’amiral Morard de Galles. Arrivé dans la baie de Bantry avec trois vaisseaux et quatre frégates, son rang d’ancienneté lui en donna le commandement, et il proposa aux offìciers-généraux de l’armée de terre d’opérer le débarquement des quatre mille hommes qui se trouvaient sur ces bâtiments ; mais cet avis n’ayant pas été adopté, et Linois ne jugeant pas prudent de rester dans cette baie, où il pouvait être assailli par un coup de vent ou attaqué par des forœs supérieures qu’il savait être retenues dans la baie de Cork par les vénts de sud-ouest, il ne s’occupa plus que du soin de sauver cette portion de l’armée, avec laquelle il ‘parvint à rentrer à Brest, malgré les forces qui bloquaient ce port, amenant avec lui quatre prises, dont un trois-mâts , armé de seize canons, qu’il avait faites dans sa traversée.

Linois ayant été promu au grade de contre-amiral, au mois de mars 1799, il remplit, pendant environ vingt mois, les fonctions de chef d’état-major général de l’armée navale aux ordres de l’amiral Bruix, et successivement des contre-amiraux Delmotte et Latouche-Tréville.

L'amiral Louis-René Levassor de LATOUCHE-TREVILLE
L’amiral Louis-René Levassor de LATOUCHE-TREVILLE

Au mois d’octobre de l’année suivante, Linois fut désigné pour commander en second l’escadre expéditionnaire aux ordres de l’amiral Ganteaume, et il porta son pavillon sur le vaisseau le Formidable. Il participa à la prise de la frégate anglaise le Succès, ainsi qu’aux attaques que cette escadre entreprit contre Porto-Ferrajo , de l’ile d’Elbe.

Les vaisseaux le Formidable, l’Indomptable, de quatre-vingts canons, et le Desaix , de soixante-quatorze , se trouvant le plus gravement atteints de l’épidémie qui régnait dans l’escadre, l’amiral Ganteaume se vit forcé d’expédier ces trois vaisseaux , sous le commandement de Linois, pour le port de Toulon; il y fit embarquer les malades de l’escadre, après les avoir remplacés par des hommes valides. Heureusement cette division, mal armée, parvint sans rencontre au port de Toulon , où, après lui avoir donné de nouveaux équipages, on la mit en état de reprendre la mer, en lui adjoignant la frégate le Muiron, de quarante canons. Le contre-amiral Linois en conserva le commandement; elle était destinée à se joindre à l’escadre espagnole, commandée par l’amiral don Juan Moreno. Elle sortit de Toulon le 13 juin 1801, ayant à bord environ seize cents hommes de troupes expéditionnaires.

Après avoir donné la chasse aux croisières ennemies dans le golfe de Lyon, favorisé la sortie de Marseille d’un convoi de quarante voiles pour l’approvisionnement de Toulon, Linois se dirigea sur Cadix. Parvenu au détroit de Gibraltar et contrarié par les vents d’ouest, il jugea devoir changer sa position , qui était observée de Gibraltar. Dans la nuit, il se porta à l’entrée de Malaga.

Le 3 juillet , il se trouvait, au point du jour, à l’entrée du port, où naviguaient plusieurs caboteurs, dans le nombre desquels on remarqua un brick de guerre que l’on chassa et qui bientôt fut amariné. C’était le brick le Spédy, de vingt-quatre canons, ayant soixante-quatre hommes d’équipage et commandé par lord Cochrane.

Les vents ayant varié au nord-est, l’amiral Linois se porta au détroit. Etant à son entrée , le 4, au lever du soleil , un bateau , qui avait été expédié de la côte, lui donna l’avis que sept vaisseaux et une frégate, sous les ordres de l’amiral Saumarez, bloquaient Cadix, et que, d’un autre côté, il était suivi par l’escadre de l’amiral Warren, à laquelle il avait été signalé par les frégates qu’il avait chassées en sortant de Toulon. Dans cette extrémité, Linois n’avait d’autre parti à prendre que de se jeter dans la baie de Gibraltar, et il mouilla, le 4 juillet au soir, dans la rade d’Algésiras.

Le 5 au matin , le premier soin de Linois fut de se transporter à terre, pour se concerter avec les autorités, sur les moyens de concourir à la défense de la division française en cas d’attaque, et mieux juger, d’un point dominant, de position à faire prendre à chaque bâtiment.

Une embarcation de Gibraltar ayant été signaler à sir James Saumarez l’arrivée de la division française , cet amiral quitta aussitôt sa station de Cadix ; il passa le détroit dans la nuit du 5 au 6 juillet , et se trouva, le matin à sept heures , doubler le cap del Carnero, à l’entrée de la baie de Gibraltar. Son escadre se composait de six vaisseaux, dont trois de quatre-vingt-quatre canons, trois de soixante-quatorze, et une frégate.

Au moment où l’escadre anglaise doublait ce cap et formait sa ligne de bataille, la division française était en mouvement pour prendre sa ligne d’embossage projetée, dont la droite s’appuyait au sud sur l’Ile-Verte, espèce de rescif servant de base à une batterie de cinq pièces de vingt-quatre et de dix-huit, et la gauche allait s’appuyer au nord, sur les  fortifications délabrées de la batterie de Saint-Jacques , armée de cinq pièces de dix-huit. Ces deux batteries étaient en mauvais état et mal approvisionnées. Le Formidable, que montait Linois,était le plus au nord. Il avait à sa droite le Desaix, I’Indomptable et la frégate la Muiron. Les vents variaient du nord au nord-ouest.

L’escadre anglaise, couverte de voiles, continuait de s’avancer sur une seule ligne, en longeant la côte. Le Vénérable , dont le capitaine connaissait parfaitement la baie, était à la tête, l’amiral Saumarez, tenant le vent, gouverna sur le Formidable, dans le dessein de doubler ce vaisseau , de passer entre la terre et la ligne d’embossage, et de mettre ainsi la division française entre deux feux.

Ce changement de direction révéla de suite à Linois l’intention de l’amiral anglais; sa détermination fut aussitôt prise; il fit à ses vaisseaux le signal de couper leurs câbles et de s’échouer au plein en profitant de la variété de la brise, qui avait molli et varié du nord au nord-est; mais le mouvement d’abatée fut long et inégal. Toutefois le feu n’en continua pas moins avec vigueur, et ce premier engagement, qui avait commencé à huit heures et demie, dura environ deux heures.

L’amiral Saumarez, n’ayant pu parvenir à doubler la gauche de la division française , crut ne pouvoir la réduire qu’en s’emparant de l’Ile-Verte, dont la batterie, mal servie et mal approvisionnée, avait cessé son feu. Il y détacha, dans ce but, plusieurs chaloupes remplies de troupes. Le capitaine de la Muiron, mouillée entre la terre et I’Indomptable, s’apercevant de ce mouvement, fit promptement embarquer, sous le commandement de leur officier, les cent trente hommes qui composaient la garnison de sa frégate, et ils arrivèrent assez à temps pour l’Ile-Verte avant les Anglais.

Aussitôt la batterie recommença son feu; un des canots anglais est coulé, un autre est pris. Le vaisseau le Pompée, ayant touché, sur le bas-fond situé vis-à-vis cette batterie, et essuyant en même temps le feu de l’Indomptable, fut obligé d’amener son pavillon; mais plusieurs chaloupes sorties de Gibraltar vinrent le relever et le remorquer, avant qu’on eût pu l’amariner.

Au moment où les vaisseaux français exécutaient leur échouage, sept chaloupes canonnières espagnoles, sorties du port d’Algésiras, étaient venues former la gauche de la ligne, sous la protection de la batterie Saint-Jacques. Elles prirent un moment part au combat, en s’abritant du flanc des vaisseaux français; mais bientôt il ne leur resta d’autre moyen de salut que de s’échouer à terre, ce qu’elles firent, pour ne pas compromettre inutilement leurs équipages.

L’engagement durait depuis six heures, sans interruption; l’escadre anglaise, désemparée, laissait languir son feu; trois de ses vaisseaux étaient démâtés de leurs mâts de hune, et tous avaient éprouvé de fortes avaries dans leur grément et dans leur voilure. L’amiral Saumarez ,  alors, fit cesser le combat, et se dirigea sur Gibraltar avec les cinq vaisseaux qui lui restaient, abandonnant l’Annibal, qui, échoué près du Formidable, resta au pouvoir de la division française. L’amiral Linois s’acquit, dans cette action, une très grande gloire, puisque, par sa belle défense, il changea en triomphe une défaite que  l’infériorité de ses forces rendait presque certaine.

Dans cette action , la perte des Anglais s’éleva à quinze cents hommes environ ; l’escadre française eut cent quatre-vingts hommes tués et trois cents blessés. Au nombre des premiers étaient les capitaines Lalonde et Moncousu, officiers d’une grande distinction, commandant, le premier, le Formidable, et le second, I’Indomptable.

 Cependant l’amiral Linois ne s’abusait pas sur sa position. A la vérité les Anglais avaient perdu le tiers de leurs forces; mais ils allaient trouver à Gibraltar toutes les ressources pour réparer leurs bâtiments et renforcer leurs équipages, tandis que lui ne pouvait attendre de secours que de Cadix. Il s’empressa donc de solliciter auprès de l’amiral Massaredo, qui commandait la marine espagnole en ce port, tous ce qu’il pourrait lui donner tant en agrès qu’en munitions, afin de mettre ses vaisseaux en état de quitter promptement la rade d’Algésiras, où ils étaient exposés, non-seulement aux vents, mais à une nouvelle attaque des Anglais.

En attendant les secours réclamés, Linois mit en œuvre tous les moyens qu’il avait à sa disposition pour réparer ses avaries, et l’activité qu’il y apporta fut telle , qu’en très peu de temps sa division se trouva en état de soutenir un second engagement.

L’amiral Saumarez, de son côté, jaloux de réparer l’échec qu’il venait d’éprouver contre des forces aussi inférieures aux siennes, ne négligeait rien pour se mettre en état d’aller attaquer de nouveau la division française, et il employait aux réparations de ses vaisseaux les ressources de toute espèce que lui offraient l’arsenal et les chantiers de Gibraltar.

Les secours attendus par l’amiral Linois arrivèrent enfin ; l’amiral don Juan de Moreno, sorti de Cadix le 8 juillet, arriva le lendemain devant Algésiras, avec cinq vaisseaux , trois frégates et un brick [4]Le Real Carlos, de cent douze canons; le San-Rermenegilde , de cent douze canons; le San-Femando, de quatre—vingt—quatorze; l’Argonaute, de soixante-quatorze, la Sabine, frégate de … Continue reading; mais déjà l’escadre anglaise réparée était sortie de Gibraltar, et avait repris son poste d’observation.

Le 12, à une heure après midi, les vents étant à l’est, l’amiral Moreno fit le signal d’appareiller. Le mouvement du vaisseau de tête de la ligne, pour sortir de la baie, fut suivi successivement, de sorte que l’ordre de bataille naturel des vaisseaux espagnols se trouva formé de suite au vent des vaisseaux français.

A la hauteur de Gibraltar, un calme inégal vint déranger la régularité de cet ordre et retarder la marche des derniers vaisseaux, tandis que l’escadre anglaise, favorisée par une brise fraiche de l’est, se forma en ligne de bataille au vent de l’armée combinée. Cette escadre se composait alors de cinq vaisseaux, une frégate, un brick et une frégate portugaise.

Conformément aux ordonnances qui régissent la marine espagnole, l’amiral Moreno porta son pavillon sur l’une de ses frégates, la Sabine, et il engagea l’amiral Linois à l’y suivre. On concevra facilement la répugnance de l’amiral français à quitter son vaisseau; mais les exigences de la hiérarchie militaire, jointes à la nécessité de concerter les mouvements de l’escadre combinée et la transmission des signaux, l’emportèrent, et il confia le commandement du Formidable au capitaine de frégate Troude, qu’il avait appelé à son bord après la mort du capitaine Lalonde.

Au coucher du soleil, tous les vaisseaux de la flotte franco-espagnole avaient réussi à doubler le cap del Carnero, en profitant habilement de toutes les variations de la brise ; l’Annibal seul, qui, bien que remorqué par l’Indienne, n’avait pu parvenir, à cause du mauvais état de sa mature, à s’élever assez au vent, s’était vu contraint de relâcher à Algésiras. L’amiral Moreno fit mettre en panne à une lieue sous le vent de l’ennemi, pour faciliter le mouvement des vaisseaux que le calme avait surpris; lorsque la ligne fut formée, il en prit la tête, alluma ses fanaux, et signala l’ordre de front pour arriver au détroit. L’escadre combinée manœuvra d’abord en assez bon ordre, malgré l’extrême obscurité qui régnait; mais bientôt, en raison de l’inégalité de marche des vaisseaux qui la composaient, nul ne put conserver son poste.

L’amiral Saumarez, qui s’était toujours maintenu au vent et en observation, s’apercevant du désordre de la ligne ennemie, força de voiles pour joindre les derniers vaisseaux. Vers onze heures, il fit signal au Superbe d’attaquer ceux qui étaient à sa portée. Ce vaisseau, passant alors entre le Real Carlos et l’Herménégilde, lâcha ses bordées de tribord et de babord, sur l’un et sur l’autre, et, forçant de voiles, il s’éloigna.

Les deux trois-ponts qui, dans l’obscurité, n’avaient pu voir la manœuvre du vaisseau anglais, se prenant réciproquement pour ennemis, se livrèrent un combat acharné, s’abordèrent en se combattant, et, le feu s’étant déclaré à bord de chacun d’eux, ils sautèrent simultanément. Cette terrible explosion retentit au loin, et produisit à Cadix l’effet d’un tremblement de terre; trois cents hommes seulement, des deux mille quatre cents qui composaient les équipages de ces vaisseaux, échappèrent à la mort en se jetant dans les embarcations avant l’explosion ; mais, pour comble de malheur, ils se réfugièrent à bord du Saint-Antoine, au moment où ce vaisseau amenait pour le César et le Superbe, qui l’avaient entièrement démâté. La Sabine, dont les feux restèrent allumés pendant toute la nuit, fut constamment le point de mire des bordées de l’escadre ennemie.

Le jour vint éclairer enfin les amiraux espagnol et français sur l’état de leur escadre. Le vent était au sud-est, petit frais, et l’on entendait le bruit d’un combat dans la partie de l’Est; Don Juan Moreno fit alors former une ligne de bataille avec les vaisseaux qui lui restaient , se dirigeant sur la fumée qu’on apercevait. C’était la fin d’un brillant combat que le Formidable avait soutenu, seul , contre trois vaisseaux anglais et une frégate. Resté maitre du champ de bataille, ce vaisseau faisait route pour Cadix, où l’escadre combinée entra le soir du même jour.

La perte des deux plus beaux vaisseaux de la marine espagnole causa dans le royaume une consternation générale; mais la victoire remportée par l’amiral Linois devant Algésiras, et le beau combat du capitaine Troude, assurèrent au pavillon français la gloire de cette courte et mémorable campagne de mer. Par brevet du 28 juillet 1801 , le premier consul Bonaparte décerna à l’amiral Linois un sabre d’honneur, à titre de récompense nationale.

Le général Victor-Emmanuel Leclerc
Le général Victor-Emmanuel Leclerc

A la fin de l’année 1801 , Linois sortit de Cadix avec trois vaisseaux et trois frégates, ayant à bord dix-huit cents hommes de troupes de débarquement. Arrivé au Cap [5]A Saint-Domingue – Future Haiti, le 15 février 1802, il les remit à la disposition du général Leclerc, et opéra, après deux mois de séjour dans la colonie, son retour à Brest, avec l’escadre de l’amiral Villaret.

Par le traité de paix conclu à Amiens en 1801 , l’Angleterre s’étant engagée à restituer Pondichéry à la France, l’amiral Linois fut chargé d’y transporter le général Decaen, nommé capitaine-général des établissements français dans l’Inde.

 

Le général Decaen
Le général Decaen

L’escadre, sous le commandement de Linois, se composait d’un vaisseau, trois frégates et deux transports [6]Le Marengo, de soixante-quatorze canons; l’Atalante et la Belle Poule, de quarante; la Sémillante ; de trente-six; et les transports la Côte-d’Or et la Marie-Françoise., ayant à bord, outre les passagers civils et militaires, environ douze cents hommes de troupes.

Elle appareilla de la rade de Brest, le 6 mars 1803, et, le 11 juillet suivant, elle mouillait devant Pondichéry. A son grand étonnement , l’amiral Linois trouva le pavillon anglais flottant encore sur cette ville, et une escadre anglaise, forte de cinq vaisseaux, trois frégates et deux corvettes, sous les ordres de l’amiral Reigner, mouillée à une petite distance. Mais cet étonnement cessa dès le lendemain; le brick le Bélier, sorti de Brest dix jours après lui, apportait au général Decaen sa nomination de capitaine-général des Iles de France et de la Réunion , et à l’amiral Linois l’ordre de se rendre immédiatement à l’Ile-de-France, pour y attendre de nouvelles instructions , tout faisant présager une prochaine rupture.

La position de Linois était critique; il ne pouvait douter que l’escadre anglaise , qui avait quitté le mouillage de Goudelour, pour se rapprocher de la division française, ne mit opposition à son départ. En conséquence , il eut recours à la ruse; affectant de la sécurité , réclamant de l’obligeance de l’amiral anglais des chaloupes pour l’aider à affourcher ses bâtiments , sollicitant, pour le lendemain, de l’eau et des vivres frais , dont il était privé; il donna, en même temps , des ordres secrets, qui furent si bien exécutés qu’à minuit précis chaque bâtiment, ne sacrifiant qu’une ancre, appareilla en silence, et le 16 août 1803, l’escadre mouillait dans la rade de l’Ile-de-France. [7]Qui deviendra en 1810 l’Île Maurice

 La belle campagne de l’amiral Linois dans les mers de l’Inde exige que nous en donnions ici les détails. A la reprise des hostilités entre PAngleterre et la France, il reçut l’ordre de croiser contre le commerce anglais , dans ces parages. Linois fit sa première sortie de l’Ile-de-France le 8 octobre 1803, avec le Marengo, la Belle Poule, la Sémillante et la corvette le Berceau. Ces bâtiments portaient des troupes destinées à renforcer les garnisons de l’ile de la Réunion et de Chemin faisant, il tura plusieurs bâtiments richement chargés , dont un de quinze cents tonneaux, percé pour cinquante-six bouches à feu, quoique n’en montant que douze , et dont la cargaison valait un million.

Il alla ensuite attérir à Sumatra; mais avant d’entrer dans le détroit de la Sonde, il se rendit à Bencoulen, où il mouilla, hors de la portée d’un fort qui battait sur la rade. Plusieurs bâtiments anglais, mouillés sur cette rade, avaient appareillé, à la  vue de l’escadre française, et s’étaient réfugiés à Poolo-Bay, petit port situé à deux lieues plus au sud. L’amiral y expédia la Sémillante et le Berceau, avec ordre de détruire tous les bâtiments qu’ils y trouveraient.

Six navires richement chargés furent brûlés par les Anglais euxmêmes, les Français en incendièrent cinq autres, ainsi que trois magasins de la Compagnie des Indes, remplis de poivre, de riz, d’opium et de tabac. Ils amarinèrent, en outre, un grand bâtiment à trois mâts richement chargé. Cette expédition causa aux Anglais une perte de  douze à quinze millions.

Le 12 décembre, l’escadre mouilla à Batavia; après y étre restée pendant dix-sept jours, pour y prendre les vivres et les approvisionnements qu’elle n’avait pu se procurer à l’Ile-de-France, elle reprit la mer, passa le détroit de Gaspard, et parvint, à la fin de janvier 1804, à vue et au vent de l’ile Poolo-Aor, à l’entrée des mers de Chine. Les fièvres de Batavia avaient sévi dans la division, et le Marengo avait déjà plus de quatre-vingts malades sur les cadres.

Le capitaine d’un bâtiment américain , que le Marengo avait visité au détroit de la Sonde, ayant informé l’amiral Linois qu’il avait laissé à Canton dix-sept bâtiments de la Compagnie anglaise qui devaient en partir incessamment, il résolut de les intercepter. Plusieurs navires neutres , qui furent visités , s’accordèrent aussi à signaler dans la rade de Canton dix-sept vaisseaux de la Compagnie et six country-ships , qui n’attendaient que l’escorte annoncée de cinq vaisseaux pour mettre sous voiles.

Le 14 février, au matin , le Marengo était mouillé près de Poolo-Aor avec le Berceau et l’Aventurier; la Belle Poule et la Sémillante, s’étant tenues sous voiles toute la nuit, se trouvaient sous le vent, ayant été drossées par les courants. Les vigies annoncèrent des voiles au nombre de plus de vingt. L’amiral, persuadé que c’était le convoi qu’il attendait, leva l’ancre et laissa arriver pour rallier ses frégates; le ralliement opéré, il tint le vent et se forma en ligne de bataille. Cinq des bâtiments de la flotte anglaise se détachèrent alors pour venir reconnaitre l’escadre française; ensuite ils tinrent le vent et se formèrent en ligne.

L’intention de l’amiral Linois étant d’éviter un combat de nuit, il manœuvra pour tâcher de gagner le vent au convoi, qui resta en panne et les feux allumés. Le lendemain, au jour, on compta vingt-sept voiles dans la flotte anglaise. Les renseignements donnés ne portant point à ce nombre les bâtiments marchands sortis de Canton , l’amiral dut conclure que l’excédant se composait de bâtiments de guerre formant l’escorte du convoi,

Ses manœuvres de la nuit lui avaient fait gagner le vent, et l’escadre française se trouvait à une portée et demie de canon de la flotte anglaise; mais le calme s’opposait à ce qu’elle la joignit. A huit heures, la brise s’étant élevée , le convoi prit la route du sud, rangé sur deux lignes ; celle du vent se composait de huit à dix bâtie ments qui paraissaient destinés à le protéger et à le défendre. L’escadre française, alors, se dirigea sous toutes voiles sur le convoi. Cinq gros bâtiments s’avancèrent à sa rencontre; mais Linois, craignant de voir son escadre entre deux feux, lui fit signal de venir au vent. Vers midi et demi , ayant encore manœuvré pour attaquer le convoi, le Marengo tira enfin les premiers coups de canon et le combat commença.

Bientôt le vaisseau ennemi le plus avancé, ayant éprouvé quelques avaries, laissa arriver; mais, soutenu par ceux qui le suivaient, il prêta de nouveau côté, et ils firent, tous ensemble, un feu très vif et très nourri. Ceux qui avaient viré d’abord se réunirent à ceux qui combattaient, et trois de ceux qui, les premiers , avaient pris part à l’action , manœuvrèrent pour couper l’escadre française par derrière, tandis que le reste de la flotte, se couvrant de voiles et laissant arriver, annoncait l’intention de l’envelopper.

Par cette manœuvre, les Anglais rendaient la position de Linois très dangereuse; la supériorité de leurs forces était évidente, et l’amiral devait, ‘dès lors, éviter les suites d’un engagement aussi inégal. Profitant de l’espèce de fumée qui enveloppait son escadre, il vira lof pour lof, et courant à l’est-nordest, il s’éloigna de l’ennemi, qui, cependant , continua à le chasser pendant plusieurs heures, en lui envoyant des bordées sans effet.

Après cette rencontre, la croisière de Poulo-Aor ne présentait plus d’avantages pour la mousson qui régnait; l’amiral Linois, dans le but de procurer à ses équipages affaiblis par les maladies un repos qui leur était nécessaire, se décida à retourner à Batavia. Après y être resté huit jours et y avoir pris des vivres et des approvisionnements, il se dirigea sur l’Ile-de-France, où il arriva le avril 1804. La Belle Poule et l’Atalante, dont il s’était séparé au détroit de la Sonde, pour les envoyer croiser sur les côtes de Sumatra et de l’Inde , rentrèrent quelques jours après, amenant avec elles une prise estimée six à sept millions.

Il résulte de cette campagne que , bien que l’amiral Linois en eût manqué le but principal, qui était la prise du convoi de la Chine, insuccès qui ne doit être attribué qu’au petit nombre de forces qu’il commandait, il a fait éprouver aux Anglais des dommages évalués plus de vingt millions.

Dans les derniers jours de juin de la même année, Linois se disposa à entreprendre une nouvelle croisière. Il appareilla du port nord-ouest, avec le Marengo, l’Atalante et la Sémillante. Il se porta d’abord au sud de Madagascar et croisa pendant quelques jours à l’ouvert du canal Mozambique. Après avoir été battu par le mauvais temps, il alla mouiller à la baie de Saint-Augustin , relâche très fréquentée par les navires anglais.

Lorsque ses bâtiments eurent réparé les avaries qu’ils avaient éprouvées dans leur grément et leur voilure, Linois remonta le canal et croisa quelque temps à vue des îles Comores et Anjouan, point le plus convenable pour intercepter les navires qui se rendent dans l’Inde par ce passage.

Trompé dans son attente, il remonta au Nord et alla s’établir sur un autre point de l’Océan Indien. A peine y était-il arrivé qu’il captura deux country-ships armés, l’un de seize canons, l’autre de quatorze, chargés de riz et marchandises sèches, qu’il expédia pour l’Ile-deFrance. Après ces captures, Linois s’approcha de l’ile de Ceylan. Pendant vingt-quatre jours, il croisa dans le sud-est, à trente lieues de cette île, rendez-vous qu’il avait assigné à la Psyché et à la Belle Poule, qui n’avaient pu sortir avec lui de l »Ile-de-France. Las de les attendre, Linois résolut d’aller chercher les Anglais dans leurs ports.

L’escadre entra dans le golfe du Bengale. Elle passa à environ vingt lieues au large de Madras, et alla visiter les rades de Masulipatam et de Coringo; de là elle prolongea la côte de Golconde, et arriva, le 18 septembre, devant Vizagapatam [8]Ville de l’Hindoustan anglais, provinnce de Madras, dans les serkars septentrionaux, vingt lieues sud-ouest de Cicacole, et à soixante-sept nord-est de Masulipatam, sur une petite baie du … Continue reading l’un des principaux établissements anglais.

Trois grands bâtiments y étaient mouillés et l’un des trois fut reconnu pour vaisseau de guerre ; c’était le Centurion; les deux autres étaient la Princesse Charlotte, vaisseau de la Compagnie, armé de vingt-six canons, et chargé de toiles , cordages, sucre, salpêtre, etc., et le Barnabé, navire de quatre cents tonneaux. Linois, s’approchant sous pavillon anglais, n’inspira point de défiance à ces bâtiments, puisque le Centurion conserva ses voiles au sec, sur leurs cargues. Cependant, avant qu’il ne fût arrivé à portée de canon, ce vaisseau fit des signaux de reconnaissance, qui, comme on le pense bien, restèrent sans réponse. Le Centurion, alors, ainsi que les batteries de la côte, se disposèrent au combat.

L’Atalante et la Sémillante, qui se trouvaient à une grande distance en avant du Marengo, s’approchèrent jusqu’à une demi-encàblure ( cinquante toises ) du vaisseau anglais, sans brûler une amorce. L’Atalante lui envoya alors toute sa bordée, et passa à terre de lui, pendant que la Sémillante, restée au large , le canonnait à petite portée.

Le Centurion riposta vigoureusement et les batteries de terre ouvrirent bientôt aussi leur feu sur les frégates ; mais après quelques volées ce vaisseau coupa ses câbles , et, à l’aide de ses menues voiles, il se dirigea sur la côte, où il parut échoué, le travers au large. C’est dans cette position qu’il reçut les premières bordées du Marengo; son pavillon tomba et il cessa son feu. Linois fit aussi cesser le sien, et l’on se disposait à envoyer amariner le vaisseau anglais, lorsque le Marengo toucha de l’avant sur un fond de vase, quoique la sonde rapportât encore onze brasses de l’arrière. Toutefois il se dégagea promptement et reprit la bordée du large pour s’élever au vent.

Le Centurion, profitant de cette circonstance, rehissa son pavillon et recommença son feu sur le Marengo, qui lui présentait alors la poupe ; mais Linois ne tarda pas à virer de bord, et, se dirigeant de nouveau sur le Centurion, il vint s’embôsser par son travers; la canonnade devint alors très vive entre ces deux vaisseaux.

Pendant ce temps, les frégates amarinaient le vaisseau de la Compagnie, la Princesse Charlotte, qui s’était rendu sans se défendre, et forçaient le Barnabé à se jeter à la côte, où, peu de minutes après, il fut brisé et submergé.

Le combat avec le Centurion durait depuis une heure et demie; Linois, jugeant qu’il ne pourrait pas le forcer à se rendre, et que le capitaine préférerait le jeter à la côte, se décida enfin à l’abandonner. Plusieurs motifs le  forçait à adopter parti ; le Marengo avait avaries majeures dans sa mâture et dans ses voiles, il était à quinze cents lieues du seul port qui lui fût ouvert, environné de bâtiments ennemis qui à chaque instant pouvaient le surprendre; Linois n’hésita donc à quitter la côte de Coromandel, et il fit route pour l’Ile-de-Franœ avec ses frégates. Il y entra le novembre, après une campagne de quatre mois et demi.

Le Marengo ayant le besoin le plus indispensable d’étre l’amiral s’en occupa immédiatement; toutefois il expédia ses frégates à la mer , et six mois après elles rentrèrent à l’Ile-de-France avec plusieurs prises très riches.

Les réparations du Marengo étant entièrement terminées, et ayant pris pour six mois de vivres, l’amiral appareilla avec la Belle Poule, le mai 1805, pour entreprendre une troisième croisière. Il alla l’établir à l’entrée de la mer Rouge, et ensuite sur la côte de Ceylan. Sur ce dernier point et à vue du port de Galles, dont on apercevait les habitants sur les forts, il prit le vaisseau de la Compagnie le Brunswick, de vingt-six anons, très richement chargé, et fit jeter à la côte la Sarah, de mille tonneaux, qui se rendaient en Chine; mais un bâtiment neutre qu’il visita lui ayant donné l’avis qu’une escadre anglaise croisait dans ces parages, il se détermina à les quitter et il se dirigea vers le Cap de Bonne-Espérance.

Chemin faisant, il rencontra un convoi composé de dix vaisseaux de la Compagnie , quatre country-ships chargés de troupes , tous armés et escortés par un vaisseau de quatre -vingts. Linois n’hésita point à attaquer ce convoi ; mais voyant bientôt qu’il n’y avait pour lui , en raison de son infériorité, aucun avantage à espérer de cette attaque, il quitta le combat, ayant déjà huit hommes blessés et quelques avaries assez majeures. Il continua alors sa route pour le cap de Bonne-Espérance, où il arriva le 17 septembre.

Pendant la relâche qu’il y fit, il fut rejoint par l’Atalante; mais, peu de temps après , cette frégate fut jetée à la côte par une tempête, qui fit périr trois grands bâtiments hollandais et trois américains , et mit en très grand danger tous ceux qui se trouvaient sur la rade du Cap.

Le 10 novembre suivant, le Marengo et la Belle Poule mirent à la voile. L’intention de l’amiral Linois était d’aller visiter la côte d’Angole , pour capturer les bâtiments qui y faisaient la traite des noirs, espérant trouver à bord des pièces à eau, des cordages et surtout du biscuit, objets dont ces deux bâtiments étaient dépourvus, et qu’ils n’avaient pu se procurer au cap de Bonne-Espérance.

Trompé dans son attente , il remonta vers le cap Lopez et il en visita toutes les baies ; un bâtiment à trois mâts, de quatre cents tonneaux, et un brick de cent quatre-vingt-seize tonneaux , armé de seize canons , furent les seules prises qu’il fit sur cette partie des côtes d’Afrique, et encore ne lui offrirent-elles aucune des ressources qu’il espérait.

Linois abandonna donc ces parages, et après avoir fait de l’eau et du bois à l’ile du Prince, il se dirigea vers l’ile de Sainte-Hélène, où il s’établit en croisière. Un navire américain qu’il visita , le 29 janvier 1806 , lui annonça la prise du cap de Bonne-Espérance par les Anglais, et lui apprit en même temps qu’une escadre était à sa poursuite dans les parages mêmes où il croisait.

Dans la position où se trouvait Linois, manquant de vivres, d’agrès, et n’ayant pas un seul port où il pût s’en procurer, il ne lui restait d’autre parti à prendre que de faire route pour France, et il s’y décida. 17 février, le Marengo coupait la ligne pour la douzième fois depuis son départ de Brest; ses équipages étaient réduits à une faible ration, afin de conserver assez de vivres pour le trajet qui leur restait à faire ; officiers et matelots se berçaient de l’espoir de revoir bientôt leur patrie, dont ils étaient absents depuis trois ans; mais leur attente devait être trompée.

Dans la nuit du 13 au 14 mars 1806, étant par 260 de latitude nord et 320 de longitude ouest, le Marengo et la Belle Poule tombèrent inopinément dans une escadre de sept vaisseaux, deux frégates et une corvette, commandée par l’amiral sir John Warren. Enveloppé par des forces aussi supérieures, Linois fit de vains efforts pour leur échapper.

Le 14, à cinq heures du matin, le London, de cent dix canons, se trouvait à portée de voix du Marengo. Linois commença le feu et manœuvra pour aborder ce vaisseau ; mais celui-ci l’évita, en laissant arriver. On se battit de part et d’autre avec acharnement, à portée de pistolet; mais enfin le Marengo, entouré par quatre vaisseaux qui le canonnaient depuis plus d’une heure, se vit obligé d’amener son pavillon ; la Belle Poule éprouva le même sort; mais, avant de succomber, son capitaine eut, à la vue de l’escadre anglaise , un combat particulier avec une frégate de sa force, qu’il contraignit à la retraite après l’avoir sévèrement maltraitée. Dans cet engagement, la Belle Poule eut six hommes tués et vingt-quatre blessés; le Marengo perdit un officier et un élève, soixante hommes furent tués et quatre-vingt-deux blessés ; de ce nombre étaient l’amiral, son capitaine de pavillon , et le jeune Linois, enseigne de vaisseau.

Ainsi se termina une campagne pendant laquelle l’amiral Linois avait glorieusement parcouru des mers couvertes de forces ennemies très supérieures aux siennes. Toutefois, il avait le sentiment d’avoir bien rempli son devoir, et c’est une justice que les Anglais eux-mêmes ne purent s’empêcher de lui rendre.

 Linois, conduit en Angleterre, y resta huit ans prisonnier sur parole. Il rentra en France au mois d’avril 1814, et au mois de juin suivant il fut nommé gouverneur de la Guadeloupe. Une ordonnance du roi, en date du 5 juillet de la méme année, le créa chevalier de Saint-Louis.

L’amiral Linois prit possession de son gouvernement au mois de décembre 1814. Instruit, en 1815, du retour de Bonaparte en France, il fit tous ses efforts pour conserver au roi la colonie dont il lui avait confié le gouvernement; mais , au mois de juin de la même année , une  insurrection ayant éclaté parmi les troupes, Linois se vit emprisonner, et bientôt forcé d’arborer le drapeau tricolore.

Les Anglais, s’étant emparés de cette colonie au mois d’août 1815, Linois fut fait prisonnier et embarqué pour la France. A son retour, il sollicita et obtint d’être mis en jugement pour le fait de la prise de la Guadeloupe. Traduit devant le conseil de guerre permanent de la première division militaire, l’amiral Linois, après l’instruction de son procès, qui avait duré six jours, fut honorablement acquitté, par jugement du 11 mars 1816.

Admis à la retraite, au mois d’avril 1816, il reçut de Charles X, à l’époque du sacre (1825) , le grade de vice-amiral honoraire, et fut promu grand-officier de la Légion-d’Honneur, le 1er mars 1831 , par le roi LouisPhilippe.

Retiré à Versailles, il y mourut en 1848.

Sa tombe, fort abimée, se trouve au cimetière Saint-Louis de Versailles


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References

References
1On trouve également Charles de Durand-Linois
2Les chattes sont des bateaux à trois mâts dont le nom dérive de celui d’une embarcation d’origine néerlandaise, le Kat, sorte d’allège qui servait notamment au transport des marchandises dans les ports
3L’armée française, dans ce combat, se composait de douze vaisseaux, dont un seul trois ponts et des frégates.
4Le Real Carlos, de cent douze canons; le San-Rermenegilde , de cent douze canons; le San-Femando, de quatre—vingt—quatorze; l’Argonaute, de soixante-quatorze, la Sabine, frégate de quarante— quatre; ces cinq bâtiments sous pavillon espagnol; le Saint—Antoine , de soixante-quatorze; le Libre, de quarante-quatre; l‘Indienne, de quarante-quatre, et le Vautour, de quatorze; ces quatre derniers sous le pavillon français.
5A Saint-Domingue – Future Haiti
6Le Marengo, de soixante-quatorze canons; l’Atalante et la Belle Poule, de quarante; la Sémillante ; de trente-six; et les transports la Côte-d’Or et la Marie-Françoise.
7Qui deviendra en 1810 l’Île Maurice
8Ville de l’Hindoustan anglais, provinnce de Madras, dans les serkars septentrionaux, vingt lieues sud-ouest de Cicacole, et à soixante-sept nord-est de Masulipatam, sur une petite baie du golfe du Bengale , près du cap Dolpbin.