Lettres de Marie-Louise – Mars 1814
Paris, 1er mars 1814, 10 heures du soir
Mon cher Ami.
Je n’ai pas reçue de tes nouvelles aujourd’hui, j’en étais presque tentée de me fâcher parce que l’on disait que tu était à Meaux, mais le Roi m’a dit que tu était plus loin, de sorte que je ne t’en veux pas, je me figure que tu a été toute la journée d’hier à cheval et que tu n’as pas pu m’écrire, au moins tu auras un peu pensé à moi, et cette idée me console beaucoup.
L’on a toujours bien peur à Paris, beaucoup de monde croit que les Cosaques arriveront demain, mais je te prie de croire, mon cher Ami, que je suis sans la moindre inquiétude, qu’au contraire je n’ai jamais été aussi courageuse et aussi bien portante, et que si je suis triste et tourmentée, c’est ton absence qui en est la seule cause. J’ai signé beaucoup d’affaires du conseil d’Etat aujourd’hui. Tu a dû bien rire de ce que je t’écrivais de la colère de Mme de Montesquiou. Aujourd’hui qu’elle est plus calme, elle m’a racontée qu’on lui avait dit que j’avais plaisanté devant beaucoup de monde de l’histoire de ses Nièces, ceci n’est pas vrai. Heureusement que j’ai découvert qui a été la personne qui a eu la bonté de me faire parler ainsi, c’est une de mes dames du Palais, et c’est la même qui a dit que la Duchesse l’avait inventée, je suis bien contente de l’avoir appris à connaître mais je ne te la nommerai pas, car c’est trop vilain à elle. J’espère donc convaincre Mme de Montesquiou de notre innocence, et je ne serai plus fâchée contre elle, il y a vraiment des moments où je me trouve trop bonne, mon Ami, tu vois, mon cher Ami, les beaux compliments que je me fais à moi-même, je suis sûre qu’ils te font rire.
Ton fils se porte très bien, son indisposition est tout à fait finie, il s’est beaucoup amusé ce soir, il a donné des batailles, et il a fait des charges de cavalerie magnifiques dans son cheval de carton.
Ma santé est très bonne, mes rhumatismes (sic !) me tourmentent cependant parce qu’il fait très humide aujourd’hui. Mme de Monteleone m’a fait prier de lui payer la pension que tu lui avais promise, il parait que depuis deux mois on ne lui donne pas d’argent et qu’elle est dans une grande misère, je lui ai fait dire que je t’écrirai.
J’espère avoir cette nuit de tes nouvelles, je les attend avec bien de l’impatience, et je te répondrai tout de suite, en attendant, crois à tout mon tendre attachement.
Ta fidèle Amie Louise.
Paris, 2 mars 1814, 8 heures et demie de l’après dînée
Mon cher Ami.
On me dit qu’un courrier part et qu’il ne peut pas attendre un instant, de sorte que je n’ai que le temps de te dire que j’ai reçu ta lettre du 1er et que j’en suis bien contente, j’étais tourmentée de n’avoir pas de tes nouvelles.
Ton fils est toujours souffrant, ma santé est assez bonne. Je t’aime et t’embrasse de tout mon coeur.
Ton amie Louise.
Paris, 2 mars 1814, 10 heures du soir.
Mon cher Ami.
Je t’ai écrit ce matin par un courrier que M. de la Valette t’a expédié, cette fois-ci ce sera par l’estafette mais je suis toute découragée par l’idée qu’elles n’arrivent pas exactement, on dit qu’il y en a une du 28 que tu n’a pas reçue. J’espère que ce n’est pas celle où je t’envoyai la lettre que j’écrivais à mon père, je te prie de me le mander, parce que sans cela j’en écrirai une autre. Je te prierai aussi de me dire si je puis répondre à celle que j’ai reçue aujourd’hui et où il ne me dit rien du tout, excepté qu’il se porte bien, qu’il désire avoir de mes nouvelles et qu’il envoie d’anciennes lettres de ma belle Mère et de mes soeurs. Il ne marque pas même l’endroit d’où il m’écrit. Je voudrais bien qu’il devienne raisonnable et qu’il se mette avec toi, je suis sûre qu’il a de bien vilaines gens autour de lui, car mon père est beaucoup trop bon pour se mettre comme cela contre son gendre, mais le malheur veut qu’il est faible.
Je crains bien que la pluie ne t’ait enrhumé, je suis tourmentée, parce que tu ne me dis pas un seul mot de ta santé, j’espère qu’elle est bonne et que tu me donneras de bonnes nouvelles de la journée d’aujourd’hui. Je m’attends que tu battras l’ennemi.
Ton fils a été encore souffrant ce matin, ses dents le tourmentent beaucoup, il a des rages de dents à chaque instant, je crains que ces dents gâtées ne lui préparent encore de longues souffrances. Il est gai ce soir, il joue et a très bien dîné, mais il est toujours enrhumé.
Ma santé est bonne mais j’ai encore gagné un nouveau rhume de cerveau, il parait qu’ils sont bien invétérés cette année.
Je reçois dans ce moment ta lettre du 2 de Mars, je vois avec plaisir que ta santé est bonne, ce que tu me dis sur le bruit de Mme. Anatole est bien fondé, c’est bien désagréable pour elle et bien méchant aux gens qui l’ont inventé, au reste, il faut que je rende la justice à la Duchesse qui, toutes les fois qu’on en parle, elle repousse les propos comme une calomnie affreuse, et moi de même, mais on ne nous croit pas, j’espère que ce bruit tombera comme un autre. Je connais bien la personne qui le fait circuler, je ne croirais pas qu’une femme pu être aussi affreuse.
Tu peux être sûre que j’ai pardonné depuis longtemps à Mme de Montesquiou la scène qu’elle m’a faite, je n’ai pas la moindre rancune parce que je lui dois de la reconnaissance pour les soins qu’elle donne à mon fils, d’ailleurs ce n’est pas la première dureté qu’elle me dit depuis quelque temps, et je les ai toutes souffertes sans me plaindre parce que je sais que tu l’aimes et que tu veux que je la traite bien, après pour l’amitié, tu sais que c’est une autre chose que je t’ai dit souvent.
Tu seras cause, en me défendant de donner les entrées à la Duchesse de Rovigo, que son Mari m’en voudra beaucoup. J’écrirai à mon père, et je t’enverrai la lettre, en attendant, crois à tout mon tendre attachement.
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 3 mars 1814, 3 heures après-midi.
Mon cher Ami.
J’ai reçue ce matin en m’éveillant ta lettre d’hier à 7 heures du soir, il est bien agréable d’avoir si vite de tes nouvelles, j’en suis bien contente, depuis deux jours je suis bien triste, je ne sais pourquoi, ce n’est pas de l’inquiétude que j’ai, mais une tristesse que je ne puis vaincre, je crois que ce ne sera seulement que quand je te reverrai que je n’en aurai plus.
J’ai fait venir le Duc de Cadore pour lui parler des lits que l’on pourrait envoyer, il prétend qu’il n’y en a pas un seul dans aucun des palais qui ne soit pas nécessaire, et même il prétend que l’on est obligé dans les voyages que tu y fais, d’en transporter d’un palais dans l’autre, afin qu’il ne manque rien, je te prierai donc de me donner de nouveaux ordres là-dessus. On dit que les hôpitaux de Paris ont à présent tout ce qui leur faut, mais que ce sont ceux des villes et des campagnes voisines, qui manquent de tout. Les habitants de Paris se sont très bien montrés dans cette circonstance, les plus indigents ont même donnés autant qu’ils pouvaient.
J’ai été donner de tes nouvelles à Madame, elle se porte bien et est tourmentée comme moi de ton absence, quand finira-t-elle donc enfin, et quand reviendras-tu pour ne plus me quitter ?
Ton fils se porte bien, il a bien dormi toute la nuit et il a été fort gai, le reste de la journée. Je crois que sa petite indisposition est tout à fait finie, pourvu que ses vilaines dents le laissent en repos, car elles l’ont fait souffrir beaucoup depuis quelque temps.
Ma santé est très bonne quoique l’on ne peut presque pas faire d’exercice, le temps est bien mauvais, il pleut et il fait très froid, je suis bien fâchée de ce temps pour tes pauvres troupes, elles doivent bien souffrir.
Je t’écrirai encore un mot ce soir, mais je ne veux pas finir cette lettre sans te répéter quelque chose que tu sais bien, c’est que je t’aime de tout mon coeur.
Ton Amie Louise.
Paris, 3 mars 1814, 10 heures du soir
Mon cher Ami.
Je reçois dans l’instant ta lettre de ce matin, je suis bien contente d’avoir souvent de tes nouvelles. Tu peux être sûr, mon cher Ami, que je ne m’occupe plus des sots propos dont tu me parle, et encore plus que je n’entrerai dans aucune explication à ce sujet, je crois que cela ne serait pas convenable. Je ne t’en aurai pas même parlé si cela ne m’avait pas fâché, mais quand j’ai le coeur gros, il faut que je parle, et comme tu es la personne que j’aime le mieux au monde, tu es destiné à recevoir mes confidences, car tu sais que je te dis tout ce que je pense.
Je te remercie bien de tous les bons avis que tu me donnes, tu peux être sûr que je tiens les Ministres loin de moi, ma timidité et ma froideur contribuent déjà beaucoup à les éloigner, et puis je t’avoue que je m’ennuie fort de toutes les histoires qu’ils pourraient me raconter. Ta lettre m’a remise en gaieté, j’étais, je ne sais pourquoi, toute triste ce matin, de te savoir bien portant et content de tes affaires m’enchante.
Ton fils t’embrasse et se porte bien ce soir, il est dans le bonheur parce que je viens de lui donner une pelisse de garde d’honneurs, ce joujou était son seul désir depuis quelque temps.
Ma santé est toujours bonne, quand j’ai de tes nouvelles cela me remonte pour quelque temps. La Reine Hortense a été malade ces jours, elle a pris l’émétique ce qui l’a débarrassée de sa fièvre.
Tu ne me dis pas si je peux répondre à la lettre que la Reine de Naples m’a écrite. On m’a encore prié de te recommander M. Ricand que le ministre doit te présenter comme candidat pour la préfecture de la Corse, cela ferait le mariage d’une fille d’une des dames attachées au petit roi. Je te prie de croire à tous mes tendres sentiments.
Ta fidèle Amie Louise.
Paris, 4 mars 1814, 5 heures de l’après-midi
Mon cher Ami.
Je sors dans ce moment du conseil que tu m’as fait tenir pour communiquer à ces Messieurs les pièces relatives à la négociation. Il a été fort long, il a duré plus de deux heures, le résumé en est que la plupart de ces Messieurs sont d’avis qu’il faut la paix à quelque prix que ce soit, qu’elle est absolument nécessaire, et que si tu ne peux pas l’avoir à de bonnes conditions qu’il faut l’accepter à celles proposées dans le traité de paix que nous avons lues ce matin. Je serais bien heureuse le jour où elle sera signée, puisque cela te ramènera au milieu de nous, et qu’il n’y a pas de bonheur pour moi, aussi longtemps que tu seras absent, et que je serai tourmentée pour ta santé, je n’ai pas de lettres aujourd’hui, j’espère que la soirée ne se passera pas sans que j’ai de tes nouvelles, et qu’elles seront bonnes, il faut que tu sois heureux, tu es si bon, tu mérites tant de l’être que cela ne peut pas se faire autrement; au moins si mes voeux étaient exaucés, tu n’aurais rien à désirer, mon cher Ami.
Ton fils t’embrasse, il se porte bien mais il est aujourd’hui de la plus mauvaise humeur du monde, c’est un malheur qui lui arrive quelque fois, je crois réellement qu’il y a des jours où il a un grand besoin de pleurer.
Ma santé est bonne ce soir, j’ai eu la fièvre toute la nuit, et un gros rhume de cerveau, cela ne peut être autrement, car le temps est détestable, j’en suis bien fâchée pour tes opérations militaires. Je t’écrirai encore ce soir, en attendant, il faut que je finisse celle-ci, afin qu’elle parte par l’estafette de 8 heures, crois à toute ma tendresse.
Ta fidèle Amie Louise.
Paris, 4 mars 1814, 10 heures du soir
Mon cher Ami.
Au moment de me coucher je reçois ta lettre de ce matin, j’avais un bon pressentiment en pensant que j’aurais encore de tes nouvelles aujourd’hui. On m’avait dit que la Reine de Naples s’était mal conduite mais je ne voulais pas le croire, c’est une si affreuse ingratitude de sa part, elle que tu avais comblée de tant de bienfaits, tu peux être bien sûr que je ne lui écrirai pas, je veux trop de mal aux personnes qui t’en veulent, pour lui répondre.
Ton fils se porte bien, mon rhume va bien mieux.
Je finis parce que je me meurs de sommeil.
Ton Amie Louise.
Paris, 5 mars 1814, 9 heures du soir
Mon cher Ami.
Je n’ai pas encore reçue de tes nouvelles aujourd’hui, j’espère que cela sera comme hier, et que je ne me coucherai pas sans savoir que tu te portes bien. Il fait bien mauvais temps, comme cela doit te faire souffrir et comme cela doit faire souffrir tes pauvres troupes, jamais la pluie ne m’a fait autant de mal à voir qu’à présent, où je crains de recevoir la nouvelle qu’elle t’a rendue malade.
On est fort agité et fort inquiet à Paris pour savoir ce dont il était question hier dans le conseil. L’Archi-chancelier m’a dit que l’on croyait que c’était une levée de 200.000 hommes et que cela faisait fort mauvais effet à Paris, on désire bien la paix, moi je me borne à désirer tout ce que tu souhaites, tu dois aussi avoir bien besoin de repos.
Ton fils t’embrasse, il va fort bien et reprend; il est cependant encore pâle et a les yeux abattus, mais il mange et il dort bien, et il joue encore mieux. L’humeur st beaucoup meilleure que hier, il y a eu quelques larmes, mais elles ont été promptement chassées, il est dommage que le mauvais temps empêche qu’on le sorte.
Ma santé est bonne, mon rhume est toujours de même mais je ne le soigne pas. Cependant, pour ne pas être exposée à ne pas recevoir demain, je me coucherai de meilleure heure et je ne recevrai pas ce soir. Je te prie de croire à toute ma tendresse.
Ta fidèle Amie Louise.
Paris, 6 mars 1814, 11 heures et demie du matin
Mon cher Ami.
Je me dépêche de t’annoncer que j’ai reçue ce matin ta lettre d’hier à 10 heures du matin, j’ai donné tout de suite les ordres pour que l’on tire les 30 coups de canon. Je suis bien heureuse des bonnes nouvelles que tu me donnes et surtout de te savoir bien portant, j’attends avec bien de l’impatience celles que tu me promets le soir, je ne peux jamais avoir trop de lettres de toi.
Ton fils t’embrasse et se porte bien, moi aussi. Je finis, parce que l’estafette part.
Adieu, je t’aime et t’embrasse tendrrment.
Ton Amie Louise.
Paris, 6 mars 1814, 11 heures et demie du matin
Mon cher Ami.
Je t’ai déjà écrit ce matin pour t’annoncer que j’avais reçue ta lettre d’hier, mais je ne veux pas laisser la journée sans te donner encore de mes nouvelles. J’ai eu fort peu de monde à la Messe ce matin et surtout peu de Dames, je crois qu’il y en a vraiment beaucoup de partis, d’ailleurs personne n’a le coeur assez gai pour se montrer, il n’y a que moi que tes lettres rassurent, je n’ai point d’inquiétude mais je ne suis pas gaie. Tu ne peux pas prétendre que je le sois dans un moment où je me tourmente de ton absence, je crois d’ailleurs qu’on me le prendrait fort mal.
Je n’ai pas vu le Roi ce matin, il était souffrant mais il m’a envoyé la petite note que tu lui as envoyé pour le Moniteur. J’ai eu une présentation, c’est la belle-soeur de Mme Daru, elle arrive de Rome avec son mari.
Ton fils se porte bien, il a été d’un entêtement affreux toute la journée, mais nous ne lui avons pas cédé, et il a été obligé d’obéir, après avoir dit beaucoup de sottises. Ce soir il a promis d’être fort gentil, cet enfant a vraiment un coeur excellent.
Ma santé est bonne, j’ai eu un peu de mal à l’estomac mais c’est une malheureuse habitude que j’ai pris depuis quelque temps. Je t’envoie une lettre que la Reine Hortense m’a remise pour toi, elle est de Mme de Mailly qui demande une place pour son mari qui a perdu celle qu’il avait en Illyrie. Il désire être placé dans les haras. Le dîner de famille n’était pas nombreux, le Roi et la Reine d’Espagne ne sont pas venus. Je t’embrasse et t’aime tendrement.
Ta fidèle Amie Louise.
Paris, 7 mars 1814, 11 heures du matin
Mon cher Ami.
J’ai reçue à 4 heures du matin ta lettre du 5 au soir de Bery le bac, je te remercie bien de me donner aussi exactement de tes nouvelles, cela me tranquilise beaucoup, et aussi toutes les personnes qui te sont bien attachées et qui sont en grand nombre. Je n’ai encore vu personne ce matin, de sorte que je ne sais pas s’il y a quelque chose de nouveau.
Ton fils t’embrasse, il se porte à merveille et répare par sa bonne humeur toute la méchanceté qu’il a eu hier, il commence à reprendre et a fort bonne mine.
Ma santé est très bonne et ce qui me fait bien plaisir, c’est de voir que le temps se remet au beau, on avait fait courir le bruit que tu étais bien enrhumé, cela me tourmentait, je craignais que tu ne me cachâs la vérité mais j’aurai au moins moins de crainte en te voyant marcher et bivouaquer par un aussi beau temps.
Adieux, mon bon Ami, je t’aime tendrement.
Ton Amie Louise.
Paris, 7 mars 1814, 10 heures du soir
Mon cher Ami.
Je t’ai déjà écrit ce matin, je suis sûre que je dois t’ennuyer par mes lettres, parce que tu as tant d’occupations dans ce moment, mais c’est mon plus grand plaisir que t’écrire. Le Roi m’a donné de tes nouvelles d’une plus fraîche date que celles que j’ai reçues hier, j’ai bien peur que nous ne restions quelques jours sans en avoir, après tous les divers mouvements que tu dois faire ; en attendant, l’on est bien inquiet à Paris, toutes les personnes qui viennent le soir aux entrées, ont des visages bien allongés. L’on sent que l’on ne peut pas rester longtemps dans l’état d’incertitude où nous sommes et qui est bien terrible.
Le Roi a été malade hier, il a eu la fièvre, et il n’est pas venu au dîner de famille. J’ai rencontré aujourd’hui au bois de Boulogne le Roi et la Reine de Westphalie, ils étaient à pied et moi en voiture, ils ont tourné la tête pour que je ne les voie pas, de sorte que j’ai fait semblant de ne pas les reconnaître.
Ton fils t’embrasse, il se porte à merveille, ce soir il est gai, il ne parle que des batailles qu’il veut livrer ce soir, et dans lesquelles il prendra beaucoup de cosaques et de baskires, ce nom lui est resté, parce que j’ai raconté devant lui que tu en avais pris ; le Roi Louis est venu le voir ce matin, il l’a trouvé très grandi mais aussi bien maigri, après le petit rhume qu’il a eu cela n’est pas étonnant.
Ma santé est très bonne, je me suis promenée ce qui m’a fait grand bien. Je t’embrasse et t’aime tendrement.
Ton Amie Louise.
Paris, 8 mars 1814, 10 heures du soir
Mon cher Ami.
Je n’ai pas encore de tes nouvelles aujourd’hui, je crains que les lettres n’aient été interceptées, cela me désole, je suis bien tourmentée de n’avoir pas de nouvelles de ta santé, et ce qui me désole aussi c’est l’idée que je resterai peut être longtemps sans en avoir. Je serai bien fâchée de penser que les cosaques lisent mes lettres, cela m’ôte toutes mes idées, le Roi est encore plus embarrassé que moi parce qu’il ne sait comment écrire les affaires qu’il a à te faire savoir. Aujourd’hui, il y a six semaines que tu es parti, je trouve ce temps bien long, au moins, si je pouvais avoir l’espoir que tu reviendrai dans six semaines avec la paix, mais je n’ose pas me le flatter. Voilà deux ans que nous sommes tellement tourmentés que je n’ose plus espérer une chose aussi heureuse.
Ton fils t’embrasse, il se porte à merveille, il ne tousse plus du tout, est d’une gaieté charmante et m’a chargé de te dire qu’il était très sage et qu’il avait bien [ap]pris sa leçon, c’est un témoignage que je suis obligé de lui rendre; ce soir il se propose de recommencer son jeu favori, celui de livrer bataille aux ennemis, et hier il nous a fait bien rire, parce qu’il voulait à toute force exiger de Mee de Montesquiou qu’elle se mette dans son cheval de carton, il pensait que cela lui ferait un plaisir infini.
Ma santé est assez bonne, quoique le temps est affreux, il neige et il fait un verglas épouvantable, c’est un temps bien fâcheux pour l’armée.
Je t’envoie la pétition que la princesse Génoise (probablement la comtesse Brignole-Sale, née Fieri, mère de la princesse Dalberg) m’a envoyée aujourd’hui, il parait qu’elle est bien à plaindre.
Adieu, crois à tous mes tendres sentiments.
Ton Amie Louise
Paris, 9 mars 1814, 10 heures et demie du matin
Mon cher Ami.
Je reçois à l’instant ton billet daté de hier de l’Ange-Gardien, j’ai été bien contente de voir ton écriture, il y avait quarante huit heures que je n’en avais pas reçue, et j’étais bien tourmentée, je craignais que tu ne sois malade, car je t’aime tant que quand tu est absent, je suis ingénieuse à me tourmenter pour la moindre chose. Tu a été bien bon de m’écrire encore une seconde fois dans la même journée, tu avais raison de dire que je la recevrais plutôt que la première que j’attends avec de l’impatience, car j’espère qu’elle contiendra des détails sur la brillante affaire que tu viens d’avoir (Craonne). Je suis toujours heureuse de te savoir bien portant, cela me remet tranquille pour quelques instants.
Je ferai tirer les trente coups de canon que tu m’a ordonné. Ton fils t’embrasse, il se porte bien. Je me porte aussi à merveille. Je finis parce que l’estafette part à 11 heures. Je t’embrasse et t’aime tendrement.
Ton Amie Louise
Paris, 9 mars 1814, 11 heures du soir
Mon cher Ami.
J’ai reçue il y a une heure la lettre que tu m’as annoncé ce matin et qui contient les détails de la bataille que tu a gagné. Je suis seulement fâchée de te savoir fatigué, ménage bien ta santé qui doit beaucoup souffrir par toutes ces courses par le froid. On est bien content à Paris de cette affaire, on espère que cela nous amènera la paix, on est cependant encore inquiet de voir que cela ne finit pas. Je voudrais aussi bien pouvoir te voir déjà auprès de moi, je serais alors hors d’inquiétude.
Tu auras sans doute déjà appris la belle affaire que le Vice Roi a eu à Parme le 2 de ce mois, l’Archichancelier m’en a dit les détails ce matin, je suis bien contente qu’il se soit ainsi distingué, je voudrais que tu aies un grand nombre de serviteurs aussi fidèles et aussi zélés que celui-là.
J’ai fait tirer les 30 coups de canon que tu a ordonné, et j’ai tenue après le conseil des ministres qui n’a pas été fort long, il y a très peu d’affaires depuis quelque temps.
Ton fils se porte bien, il t’embrasse, et a été d’une sagesse exemplaire toute la journée, il avait une mine excellente. Ma santé est fort bonne, je me suis promenée malgré le froid, et cela m’a fait grand bien. Je t’embrasse et t’aime tendrement.
Ton Amie Louise
Paris, 10 mars 1814, 10 heures du soir
Mon cher Ami.
J’ai reçue de tes nouvelles ce matin par M. Fain, j’espère en avoir ce soir de ton arrivée à Laon, j’en ai besoin car je suis tourmentée sans savoir pourquoi, il y a des jours où j’ai encore plus besoin de tes lettres que d’autres, il faudrait, pour que je puisse être raisonnable, que tu sois de retour et que je n’eusse plus à craindre d’être séparé de nouveau de toi, au reste les nouvelles de hier ont fort rassurés à Paris, on est plus gai aujourd’hui, l’Archichancelier et toutes les personnes que j’avais vus étaient plus rassurées.
Je voudrais que nous ayons d’aussi bonnes nouvelles du côté de Bayonne, il y a des moments où il serait à désirer que tu puisse être de tous les côtés à la fois, car sans cela tes affaires vont pas bien du tout, c’est à cause de cela que je voudrais que tu puisse faire la paix, il est vrai que c’est un souhait tout à fait égoïste que je forme là, car je suis bien chagrine hors de toi.
J’ai vu le Roi ce matin, il m’a conseillé de te dire que l’on voyait avec peine, quand je me promenais sur la terrasse, que je passe par le souterrain, que l’on disait « on a donc peur de nous », puisqu’on ne la laisse pas passer par la grille, et que personne n’était pas en chapeau pour la même raison, il prétend que je ferais bien d’essayer de passer par le chemin où je passais autrefois, je lui ai dit que je ne voulais pas le prendre sur moi et que je te demanderai ton avis avant.
Ton fils se porte bien, il t’embrasse, il devient vraiment si aimable que je voudrais que tu le vois, tu le trouverais bien changé à son avantage. Ma santé est assez bonne, j’ai la migraine ce soir, je crois que cela vient du froid, jamais on n’a eu un printemps pareil, je suis bien fâchée de ce mauvais temps pour tes opérations militaires.
Adieu, mon cher Ami, crois à tous mes tendres sentiments.
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 11 mars 1814, 9 heures du soir
Mon cher Ami.
J’ai reçu à midi ta lettre d’hier matin à 5 heures, il est inconcevable qu’elle aille aussi lentement. Je suis contente de te savoir bien portant mais je suis inquiète de te savoir en face de l’armée ennemie, je crains qu’il n’y ait un de ces jours une bataille, c’est une idée qui me tourmente beaucoup avant. Je t’envoie la copie de la lettre de mon père, elle m’a fait perdre toute espérance de pouvoir le détacher de la coalition. C’est bien mal à lui, je lui en veux beaucoup, je t’envoie une réponse pour lui, afin que, si tu la juges convenable, tu puisses la lui envoyer.
Le Roi a dû te rendre compte du conseil qu’il a tenu ce matin, il parait que ces Messieurs sont bien d’avis de faire la paix, je ne me permets pas d’avoir une opinion à ce sujet, mais après tout ce que l’on entend dire, elle parait bien nécessaire et on la désire bien à Paris où l’on est bien découragé. Je te prie de croire que ce découragement ne me gagne pas, je suis très rassurée, mais je suis bien triste de te voir aussi exposé de tous les côtés, c’est une pensée bien cruelle pour moi dont je ne veux pas t’entretenir plus longtemps ; je sens que je te dirai des choses qui pourraient t’attrister aussi.
Ton fils se porte bien, il t’embrasse, et il est fort content aujourd’hui parce qu’on lui a permis de jouer avec la petite fille de Mme de Montesquiou, c’est sa grande récompense, il est vraiment drôle quand il dit à cette petite, « ma chère Aline, je vous adore », et puis il la mène dans tous les coins pour l’embrasser, je crois qu’il a vraiment une passion pour elle.
Ma santé est très bonne malgré le temps qui est bien froid, il y a aujourd’hui au moins deux pouces de neige, comme cela, doit contrarier tes opérations. Je t’envoie cette lettre par un courrier que le Roi expédie ce soir, de sorte que je ne t’écrirai pas par l’estafette, j’espère qu’elle te parviendra plus promptement par cette occasion. Demain je t’écrirai par l’estafette, en attendant je penserai bien souvent à toi, mon cher Ami, car c’est l’occupation de tous mes instants.
Je t’embrasse et t’aime tendrement.
Ton Amie Louise
Paris, 12 mars 1814, 10 heures du matin
Mon cher Ami.
Je reçois à l’instant ta lettre de Soissons du 11 à 2 heures après midi, je suis bien contente d’en avoir aussi vite et d’aussi fraîches. J’ai besoin de savoir bien souvent que tu te porte bien. Ta lettre m’a fait grand plaisir parce que tu approuves ma manière d’être et de vivre, il n’y a rien de plus doux pour moi que de penser que je mérite ton approbation, aussi peux-tu être tranquille, je ne me laisserai jamais influencer par le Roi, et je suis bien contente de n’avoir pas été hors du souterrain comme il le voulait absolument. Pour te montrer comme je suis quelque fois rebelle à tes avis, je te raconterai une histoire qui m’est arrivé hier. Pendant que j’étais dans le salon avec lui, nous avons reçu tes lettres du 10, il m’a demandé si j’avais des nouvelles, je lui ai dit que tu te portais bien et que tu m’envoyais une lettre de mon père qui était assez bonne ; là-dessus il s’est mis à me parler de l’importance de faire la paix, et de la nécessité de t’envoyer quelqu’un qui puisse te dire de vive voix beaucoup de choses, que l’on ne pouvait pas te dire par écrit. Il voulait à toute force faire partir M. Molé, je lui ai représenté que je croyais que nous n’avions pas le droit de faire partir ainsi les Ministres pour le quartier général, que d’ailleurs tu pourrais en être fort mécontent, et que je ne prendrais pas cela sur moi, alors il a voulu que je t’envoie M. Menneval; je lui ai dit que je ne le ferais pas sans te le demander, que d’ailleurs un courrier arriverait aussi sûrement et irait beaucoup plus vite. Je t’avoue, mon cher Ami, que j’aime mieux être grondée faute de ne pas me mêler trop de beaucoup de choses, que parce que j’ai fait trop l’importante. J’ai reçu cette nuit le bulletin de la bataille de Craon[nel, je l’ai fait mettre ce matin dans le Moniteur.
Ton fils t’embrasse et se porte à merveille, je ne l’ai pas encore vu ce matin, parce qu’il m’aurait empêché de t’écrire et que je viens seulement de me réveiller.
Ma santé est fort bonne, je suis fâchée du mauvais temps qu’il fait, je crains que cela n’influe sur la tienne et que cela ne gêne tes opérations militaires. Je t’embrasse et t’aime tendrement.
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 12 mars 1814, 8 heures du soir
Mon cher Ami.
Je t’ai écrit déjà ce matin pour te répondre à ta lettre de hier matin, depuis ce temps je n’ai pas reçue de tes nouvelles, tu me trouveras bien exigeante si je te dis que je n’en ai jamais assez. Je t’envoie une chaîne de montre de mes cheveux, celle que tu as était toute usée avant ton départ, j’espère qu’elle te fera penser quelque fois à moi, et que tu en seras content.
J’ai vu l’Archichancelier et le Roi, ils ne m’ont rien dit de nouveau, l’Archichancelier était tout malade.
Ton fils t’embrasse, il est bien gai et se porte fort bien, il devient tous les jours plus aimable, il pense bien souvent à toi et me parle de toi, il me demande quand tu reviendras, je voudrais bien qu’il fût en mon pouvoir de lui en fixer le jour, car cela serait alors dans bien peu de temps.
Je me porte assez bien, j’ai cependant mal à la tête, et je pourrai fort bien avoir la migraine demain, cela ne serait pas agréable pour la réception et la Messe. Je te prie de croire à tous les sentiments de celle qui t’aime bien tendrement.
Ton Amie Louise
Paris, 13 mars 1814, 9 heures du matin
Mon cher Ami.
J’ai reçue cette nuit à minuit et demie ta lettre du 12, je t’y aurais répondu tout de suite, si je n’avais pas un fort accès de fièvre accompagné d’un grand mal de tête, à présent que je vais mieux je m’empresse de t’écrire pour te dire que j’ai été bien affectée de penser que tu puisse penser que j’ai plus de confiance dans le Roi que dans toi et que je lui dirais des choses que je te laissai ignorer. J’espère que tu ne crois pas cela, car cela me rendrait par trop malheureuse. Sois au contraire persuadé que je t’aime bien tendrement, et que je voudrais pouvoir trouver des moyens de t’en donner des preuves. Je suis bien fâchée d’avoir parlé au Roi de la lettre de mon père, je lui en ai traduit quelque phrase pour le rassurer parce que il avait complètement perdu la tête ce jour, mais tu peux être sûr que je ne lui ai pas montrée ma réponse, ni les lettres que tu m’écris, s’il a dit cela, il se vante, et il ment.
Le Roi m’a dit hier que s’il ne craignait pas de te déplaire il ferait faire une adresse pour la paix qu’il ferait signer par tous ces Messieurs, de la Garde Nationale, du Conseil d’Etat et du Sénat, et qu’il voudrait que je te l’envoie; je lui ai répondu que je n’entendais pas qu’on fasse jamais une chose pareille, que c’était forcer la main du souverain, que je t’étais trop attachée pour faire jamais une chose aussi coupable, que d’ailleurs il fallait penser que personne ne savait mieux que toi ce qui était le bien de la France, et ce qui lui était nécessaire, et que je trouvais cette idée fort coupable. Le Roi m’a répondu que je parlais comme un enfant, et il s’est en allé de très mauvaise humeur. Je t’assure que je l’estime tous les jours un peu moins, figures-toi qu’avant-hier il a fait tout son possible pour dénigrer le Vice-Roi et le perdre dans mon esprit, je n’ai pas pu m’empêcher de lui dire que j’avais toujours trouvé que c’était le seul de ta famille dont tu n’avais pas un sujet de te plaindre, j’ai trouvé cela bien petit au Roi, et je ne conçois pas le but qu’il avait.
Je t’assure que je voudrais pouvoir bien avoir un moyen de ne plus le voir et, en général, de m’enfermer dans un coin de la terre où je pourrais vivre ignorée jusqu’au moment de ton retour ou jusqu’au moment où je pourrais t’être utile et te prouverais tout mon amour. Je suis désolée de penser que tu peux être fâchée contre moi, cette idée me rend vraiment bien malheureuse. Tu serais bien bon, mon cher Ami, en recevant cette lettre de m’écrire tout de suite sur un bout de papier que tu m’en veux ou que tu n’est pas fâché contre moi, je ne pourrais être tranquille qu’après être tirée de cette affreuse inquiétude.
Tu ne me dis rien de ta santé dans ta lettre, j’espère qu’elle est bonne et. que tu ne [te] fatigues pas trop, ce serait encore un tourment pour moi que de te savoir malade.
Ton fils se porte bien, il t’embrasse, je ne l’ai pas encore vu ce matin, et je te raconterai ses gentillesses ce soir. Je vais un peu mieux ce matin mais je suis encore bien souffrante, je ne sais si ma migraine me permettra d’aller à la Messe, au reste, je ferai mon possible, mais crois surtout, mon cher Ami, que je fais tous mes efforts pour te contenter et pour te prouver combien je t’aime. Je t’envoie cette lettre par une estafette extraordinaire, je serais contente que tu la reçoives bientôt et surtout que tu me dises tout de suite que tu m’aimes encore un peu. Je t’embrasse tendrement.
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 13 mars 1814, 2 heures après-midi
Mon cher Ami.
Je t’ai écrit ce matin après la réception de ta lettre mais j’étais si vivement affectée de son contenu que je crains de ne pas avoir bien dit toutes les circonstances de l’affaire dont je te parlais, il faudra donc, mon cher Ami, que tu te donnes encore l’ennui de l’entendre encore raconter une fois. Vendredi, le roi est venu me voir, comme à son ordinaire, vers midi, on nous a apporté tes lettres pendant que nous étions dans le salon, il m’a demandé si j’avais de bonnes nouvelles (car il était, je ne sais pourquoi, fort inquiet ce jour). Je lui ai dit que tu te portais bien et que j’avais reçue une lettre de mon père qui était assez bonne et qui me paraissait modérée, je lui en ai cité quelques passages. Là dessus, il m’a demandé si j’écrivais souvent à mon père et s’il fallait que je fasse passer mes lettres par tes mains, je lui ai dit que même si je le pouvais, je ne ferais pas autrement. Il m’a dit que je devrais lui écrire que tu voulais la paix aux conditions qu’il te proposait, je lui ai dit que je ne me mêlais pas d’affaires politiques et que, d’ailleurs, je t’aimais beaucoup trop pour désirer pareille chose, et j’ai vite détourné la conversation de ce sujet. Alors, il m’a proposé d’envoyer M. Molé pour te parler de l’adresse à cause de la paix, je lui ai dit que non seulement je croyais que nous ne pouvions pas faire partir des Ministres sans ton autorisation, mais que je trouvais le projet de l’adresse fort déraisonnable et que ce serait forcer la main au Souverain et que je n’entendais jamais une chose pareille, que, d’ailleurs, personne ne savait mieux que toi ce qui concernait le bonheur de la France. Cela a mis le Roi de mauvaise humeur et il m’a dit que je ne savais pas ce que je disais, parce qu’il était question d’un moment fort important. Alors, il m’a proposé d’envoyer M. Menneval, je l’en ai dissuadé autant que j’ai pu. Mais comme je n’ai pas pu y parvenir, il est convenu qu’il parlerait de cela à M. Menneval devant moi. J’ai vu M. Menneval qui n’était pas du tout d’avis d’aller au quartier général. J’ai été voir la Reine Hortense. Le Roi est revenu après et a vu M. Menneval devant moi qui lui dit à peu près les mêmes choses que moi, et il est parvenu à persuader au Roi de ne pas l’envoyer. Alors, j’ai envoyé par un courrier du Roi ma lettre pour toi avec la lettre pour Mon père, je l’ai donné cacheté au Roi qui, par conséquent, n’a lue ni l’une ni l’autre.
Je ne t’avais pas parlé de l’adresse parce que je croyais que c’était un projet abandonné, et que je dois mettre une délicatesse que tu dois donc voir mieux que personne, à ne pas te brouiller avec ta famille, car si cela avait été mon frère ou ma soeur qui l’aurait (sic) dit, je te l’aurais écrit sur le champ.
Ce que je te prie de croire, c’est que je ne reçois jamais le Roi dans mon intérieur, d’ailleurs toutes les personnes qui sont autour de moi, peuvent te l’attester.
J’ai été si souffrante qu’il m’a été impossible de recevoir, d’ailleurs, je n’aurais pas eu la figure assez gaie pour paraître, je suis si triste de t’avoir déplu et de t’avoir donné innocemment sujet de [mé]contentement que j’aimerais mieux mourir.
En attendant, crois à toute ma vive tendresse.
Ton Amie Louise
Paris, 13 mars 1814, 7 heures du soir
Mon cher Ami.
J’ai reçu à 4 heures ta lettre de ce matin, elle est aimable comme toi, je savais que tu ne resterais pas fâché contre moi, tu es si bon que s’il était possible que ma tendresse pour toi augmentât, je t’aimerais tous les jours davantage. Je suis bien contente ce soir, car je t’avoue que j’ai passé une bien mauvaise matinée, l’idée de te déplaire me rendait bien malheureuse.
Ton fils t’embrasse, il a eu des rages de dents dans la journée, mais ce soir il va bien et il est gai. Je suis un peu malade, j’ai de la fièvre assez fort, mais n’inquiète pas, cela ne sera rien qu’une transpiration arrêté, je viens de faire chercher Corvisart, cela ne sera rien, demain je n’y penserai plus mais, en attendant, je n’ai pas pu avoir le dîner de famille parce que je suis dans mon lit.
Adieu, mon cher Ami, je t’embrasse tendrement.
Ton Amie Louise
Paris, 16 mars 1814, à 10 heures du soir
Mon cher Ami.
J’ai reçue ta bonne lettre d’hier un instant avant que d’aller au Conseil, de sorte que je ne t’ai pas pu répondre par l’estafette de six heures. Je suis désolée de voir que tu as été chagriné de l’idée de m’avoir fait de la peine, je suis fâchée que cela te tourmente, c’est moi plutôt, mon bon Ami, qui doit être peinée de t’avoir fait du chagrin, car je te suis toujours reconnaissante quand tu me donnes de bons avis. J’ai un tel désir de te prouver tout mon tendre attachement, de sorte que je te prie de croire que je suis tout à fait gaie à présent, il ne me reste plus que le tourment de te savoir absent et enrhumé. Voilà bientôt deux mois que tu es parti, et il n’y a pas encore d’espérance de ton retour, c’est bien triste. Je voudrais pouvoir me persuader que le bruit de Paris que tu reviendras avec la nouvelle de la paix le 20 mars soit vrai; mais malheureusement, je ne puis y ajouter foi.
On a parlé aujourd’hui au Conseil du projet de décret pour la levée des 12.000 hommes, je crois que le Ministre de l’Intérieur a dû te l’envoyer, le Roi y a élevé quelques difficultés mais on les a pas écoutés, il voulait faire exempter tous les gardes nationaux de Paris de la conscription ; on lui a représenté que cela ne pouvait pas être.
Ton fils t’embrasse, il se porte assez bien, il a toujours un peu mal aux dents, je t’assure qu’il n’y a pas d’exagération dans les gentillesses que je te raconte de lui. C’est vraiment un enfant extraordinaire pour son âge, et avec cela il n’est pas plus raisonnable qu’il ne le faut.
J’ai été un peu malade encore cette nuit, j’ai eu de la fièvre mais ce n’est rien, je suis sûre que je serai guérie dans deux jours au plutôt. Le temps commence à devenir un peu plus beau et plus doux, j’en suis bien contente pour tes troupes, jamais je ne me suis informé avec autant d’intérêt du temps qu’à présent, je crains tant l’humidité pour toi, aussi je consulte tous les baromètres. J’ai eu très peu de monde aux entrées aujourd’hui, les personnes qui sont venus m’ont demandé s’il était vrai que tu étais aussi enrhumé, je leur ai répondu que tu te portais à merveille.
Adieu, mon cher Ami, je t’aime et t’embrasse tendrement.
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 17 mars 1814
Mon cher Ami.
J’ai reçue à deux heures ta lettre d’hier de 3 heures après midi, elles vont enfin un peu plus vite, jamais assez vite pour moi qui voudrait avoir à chaque instant de tes nouvelles. Ce que tu me dis de ta santé me fait bien plaisir, mon cher Ami, je craignais que ton rhume ne se prolongeât encore plus, les jours que tu as passé à Reims auront dû te faire du bien, tu devais avoir bien besoin de repos après toutes les fatigues que tu as éprouvés, j’aurais bien voulu pouvoir les partager avec toi. J’aurais au moins veillé sur ta santé.
- de la Bouillerie est venu me parler ce matin pour une avance de 600.000 francs qui lui sont nécessaires pour payer les gages du mois de mars et les dépenses de ta cuisine, il m’a dit qu’il avait reçue une lettre de toi, dans laquelle tu lui disais que dans des cas urgents, il pouvait me le faire signer, je lui ai dit que comme tu étais si près, j’aimais mieux qu’il s’adressât directement à toi, parce que l’on pouvait avoir une réponse dans un jour, j’espère que tu approuveras ce que j’ai dit.
La Reine d’Espagne est venue me voir, elle m’a prié de la présenter à ton souvenir, elle a voulu me tirer les vers du nez à cause de la lettre que tu m’avais écrit à cause du roi Joseph (je ne sais comment elle sait que j’en ai reçu une), mais j’ai fait semblant de ne pas la comprendre; je suis sûre que c’est le Roi qui l’a chargée de cette commission.
Ton fils t’embrasse et se porte à merveille, il me charge de te dire qu’il a été bien sage toute la journée ; il s’est promené en voiture sur les boulevards ce qui l’a beaucoup amusé.
Ma santé est beaucoup meilleure, j’ai mieux dormi cette nuit. M. Corvisart m’a dit qu’il me fera prendre les jus d’herbes dans un mois, il dit qu’il faut attendre, car quand on se tourmente, ils font plus de bien que de mal. Le temps est magnifique, s’il continue je te demanderai dans quelques jours la permission d’aller m’établir à l’Elysée où l’on est mieux qu’aux Tuileries. Je te prie de penser un peu à celle qui t’aime bien tendrement.
Ton Amie Louise
Paris, 18 mars 1814
Mon cher Ami.
J’ai reçue ce matin à quatre heures ta lettre de hier matin, car je me fais réveiller toutes les fois qu’il en arrive. Je suis top impatiente d’avoir de tes nouvelles pour attendre jusqu’au jour. Je crains bien que la marche que tu vas faire ne t’empêche de m’en donner pendant quelques jours, je tâcherai de prendre sur moi pour ne pas m’inquiéter pendant ce temps, je ne sais si j’y réussirai. Je crains que ces voyages continuels ne te fatiguent, et renouvellent ton rhume que je te prie de bien soigner toujours.
J’ai vu le Roi et l’Archichancelier ce matin, ils m’ont dit qu’il n’y avait rien de nouveau, ils m’ont dit qu’ils devaient s’assembler après pour le conseil que tu leur avais dit de tenir. Je ne sais pas ce qu’ils avaient, mais ils étaient de fort mauvaise humeur tous les deux. Madame est venue me voir, elle m’a chargé de la présenter à ton souvenir, je l’ai trouvée bien changée et surtout triste, mais comment peut on l’être autrement dans ce temps-ci, je voudrais bien pouvoir prendre sur moi pour être gaie mais cela m’est impossible.
Ton fils t’embrasse, il se porte très bien quoiqu’il a dit souvent qu’il souffrait des dents, nous avons découvert que très souvent il se plaignait sans avoir un mal réel, mais depuis que je lui ai déclaré que la promenade était fort contraire aux fluxions et que l’on serait obligé de le priver de ce plaisir, son mal a disparu d’un coup, il n’en est plus question ce soir.
Ma santé est bonne, le temps qui est superbe me fait du bien, et je m’en vais décidément te demander d’aller m’établir à l’Elysée, je te prierai de me répondre si tu n’y trouves pas d’inconvénients, car j’attendrai tes ordres. Je crois que cela fera aussi du bien à ton fils, qui à toute heure pourra se promener dans les jardins.
Je t’embrasse et t’aime tendrement.
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 19 mars 1814, 4 heures après dîner
Mon cher Ami.
J’ai reçue cette nuit à 3 heures et demie ta lettre d’hier matin datée d’Epernay, tu me fais un bien grand plaisir, mon cher Ami, en m’écrivant aussi exactement, tu n’as pas d’idée comme cela contribue à me rendre plus tranquille, les jours où j’ai de tes lettres, je suis bien plus gaie et mieux portante. Je ne conçois pas comment tu es resté un jour sans avoir des miennes, je t’ai cependant écrit journellement et quelque fois deux fois, je crois que ce sera la marche que tu as faite qui en soit cause. Je crois que je me suis réjouie beaucoup trop tôt du beau temps, il fait aujourd’hui un brouillard horrible, ce serait un bien mauvais temps pour tes opérations militaires et surtout pour ton rhume, aussi voudrais-je que tout ceci soit fini et que tu reviennes pour ne plus jamais nous quitter.
Je crois que tu serais content de ton fils, il fait des progrès étonnants, et c’est un enfant bien avancé pour son âge. Il me tourmente depuis ce matin pour savoir le cadeau que je lui ferai pour son jour de naissance, et il sait si bien cajoler quand il veut que je me suis vue obligée de lui livrer quelques uns des joujoux, tu vois que je suis un peu faible, aussi j’ai pris la résolution de le gâter encore pendant quelques années, autant que je pourrai. Il me charge de t’embrasser, je ne te parle pas de sa santé qui est toujours excellente.
La mienne est fort bonne, j’ai été voir un moment la Reine Hortense que j’ai trouvée sortie, cela prouve qu’elle n’est plus souffrante. J’ai vu l’Archichancelier qui m’a dit qu’il n’y avait rien de nouveau. Je te prie de croire qu’il n’y a personne au monde qui t’aime mieux que
Ton Amie Louise
Paris, 20 mars 1814, 10 heures du soir
Mon cher Ami.
J’ai reçue ce matin la lettre de M. Fain datée de la Fère Champenoise dans laquelle il me donnait des nouvelles de ta santé. La phrase « elle n’a jamais été meilleure » m’a bien tranquillisée, j’avais besoin d’avoir cette assurance bien des fois pour ne pas m’inquiéter, ton rhume me tourmentait beaucoup. Tu es au moins bien aimable quand tu ne peux pas m’écrire, de charger quelqu’un de me donner de tes nouvelles, cela me tranquillise beaucoup.
J’ai bien pensé à toi aujourd’hui, il y a trois ans tu m’as donné des preuves bien touchantes de ton amour que je ne peux jamais me rappeler sans m’attendrir jusqu’aux larmes, c’est aussi un bien beau jour pour moi.
Je suis sûre que tu as pensé un peu à ton fils et moi, ce premier t’embrasse, il se porte assez bien, il a encore par moment des rages de dents, mais ce sont des dents gâtées qui le feront encore souffrir bien souvent, il a été charmant toute la journée, il a pris de bonnes résolutions, il a dit qu’à présent qu’il avait trois ans, il serait toujours sage, on l’a trouvé très beau et bien fortifié. Il est très heureux parce que je lui ai donné beaucoup de joujoux et de livres et que ses oncles et ses tantes lui en ont donné beaucoup aussi, ce soir il jouait avec les petits Princes et ils riaient et couraient comme des fous. Il est dans un bien heureux âge, rien ne l’affecte et ne l’émeut, je voudrais bien pouvoir me mettre dans ce moment à sa place.
Ma santé est assez bonne, j’ai été un peu fatiguée de la réception, il y a beaucoup de monde et assez de Dames à la Messe. Je me suis promenée après sur le terrasse, le temps était charmant, doux comme au mois de mai; tu devrais bien me répondre, mon cher Ami, à cause de l’Élysée pour me dire si tu permets que j’y aille demeurer ou non. J’ai eu dîner de famille ce soir, ton fils est venu et a été très gentil. Adieu, mon cher Ami, donnes-moi bientôt de tes nouvelles et crois à toute ma vive tendresse
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 21 mars 1814
Mon cher Ami.
j’ai reçu cette nuit ta lettre de Plancy du 20 mars. Je vois avec bien du plaisir que tu es content de la tournure de tes affaires. J’espère qu’elles iront à présent tout à fait à ta satisfaction. Au moins, je fais des voeux pour cela. Je voudrais, mon cher Ami, que tu puisses être aussi heureux que tu mérites de l’être. Tout Paris est rempli de bonnes nouvelles. Il paraît qu’on a beaucoup ajouté [foi] à celles que le courrier a pu raconter, en sorte que l’on parle beaucoup de batailles gagnées et surtout de la paix.
J’ai écrit comme tu as voulu à mon père, mais, comme il est un peu tard aujourd’hui, je crains de ne pouvoir pas faire la copie de la lettre. Tu l’auras demain, car je te l’enverrai demain par l’estafette de 11 h. Je voudrais bien que mes lettres puissent faire bon effet, mais je n’y crois pas. Mon père ne m’écoute guère quand il s’ agit d’affaires. J’ai trouvé l’Archichancelier bien courageux aujourd’hui. Il a parlé de son courage d’une façon étonnante. Je n’ai pas vu le roi. Il ne vient presque plus me voir le matin. J’en suis contente, parce que je pense que cela te conviendra.
Ton fils t’embrasse, il se porte à merveille. Il a fort mal dormi cette nuit, son sommeil a été extrêmement agité et il a pleuré beaucoup en dormant. Nous lui avons demandé ce qu’il avait eu. Il nous a dit qu’il avait rêvé à son Cher Papa, mais qu’il ne dirait pas comment, et nous n’avons jamais pu le faire entrer dans aucune explication.
Ma santé est fort bonne. Le printemps me réussit à merveille. Depuis deux ans, le froid ne me réussit pas bien. Il a fait assez doux pour que je puisse monter à cheval. Cela m’a fait grand bien, mais ce qui me ferait plus de bien que tout cela, ce serait de te revoir et de ne plus être tourmentée. Je t’aime et t’embrasse tendrement.
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 24 mars 1814, 10 heures du soir
Mon cher Ami.
Je suis bien tourmentée de n’avoir pas de tes nouvelles depuis deux jours, tu n’a pas d’idée comme cela m’inquiète, je crains que tu ne sois souffrant et qu’on veuille me le cacher, et puis je m’imagine que toutes les communications sont interceptés et que je resterai comme l’année dernière pendant plus de 15 jours sans avoir de tes nouvelle. J’ai demandé au Roi s’il en avait, il m’a dit que non, j’espère que cette nuit nous serons plus heureux et que nous aurons la nouvelle de quelque grande victoire.
On en a bien besoin à Paris, l’on y est bien tourmenté, il y a quantité de femmes qui se sont réfugiées hier de Meaux à Paris, ce qui a jeté l’alarme dans tout le monde. Je suis contente de mon courage par rapport aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. Mais je crois qu’il n’y a à présent guère une personne plus heureuse que ton fils qui t’embrasse et qui est d’une gaieté charmante; je l’ai vu toute la journée bien occupé, parce qu’il s’imaginait qu’il était un courrier et qu’il t’apportait des nouvelles des armées et qu’il nous apportait de tes lettres. Il m’a chargé de te dire qu’il trouvait ton absence bien longue.
Ma santé est très bonne, je trouve que je vais beaucoup mieux depuis quelque temps.
Je viens d’apprendre que l’estafette du 22 a été pris, quel contretemps fâcheux. Si tu me donne quelque ordre par ta lettre que tu m’auras écrit, je te prierai de me les répéter, je suis bien fâchée que des vilains Cosaques aient interceptés le chemin, cela m’ôte une grande partie du plaisir que j’éprouve à t’écrire. Je te prie de croire à tous les tendres sentiments de
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 25 mars 1814
Mon cher Ami.
Je n’aurais pas cru que je serais assez heureuse aujourd’hui pour avoir de tes nouvelles, j’ai reçue ce matin une lettre de toi que je crois être du 22 [ = 23 mars], car tu as oublié d’y mettre la date. Cette lettre avait été interceptée et ouverte, je l’ai reçue ce matin avec une lettre du général Blücher que je t’envoie ; malgré son vilain caractère c’est aimable à lui d’avoir pensé au chagrin et aux inquiétudes que j’avais éprouvées en restant ainsi sans tes nouvelles, je lui en sais bien bon gré. J’avais bien besoin de cette lettre pour ne pas être inquiète, je craignais beaucoup que ta santé n’ait éprouvé quelque altération. Je crains bien que quelqu’une de mes lettres ne soient interceptés, je crains bien que ce ne soit celle que je t’envoyais, une lettre que tu m’avais demandé d’écrire; si cela était, cela ne serait pas agréable, je te prierai de me l’écrire, et j’en ferai tout de suite une seconde.
Ton fils se porte à merveille, il t’embrasse, il a parlé plusieurs fois dans la journée de ses maux de dents mais comme il s’en plaignait en riant, je n’y avais pas ajouté grande foi, et l’expérience a prouvé que c’était une [dent] défaite, pour ne pas dire ses fiches [?].
Ma santé est fort bonne, malgré que l’Archichancelier m’assure que j’ai fort mauvaise mine et que je ferais fort bien de suivre un grand régime; heureusement que M. Corvisart n’est pas du même avis, car sans cela j’aurais été empoisonnée depuis fort longtemps à force de prendre des médecines; tu vois que je pense un peu comme toi sur la médecine.
J’espère recevoir encore de tes nouvelles demain ou cette nuit, car si les courriers sont interceptés, j’ai toute espérance, après la lettre du général Blücher, qu’il m’enverra tes lettres, et je serai bien contente de les recevoir. J’ai eu beaucoup de monde aux entrées, mais je n’ai pas reçue longtemps, parce que j’étais un peu souffrante. Je te prie de croire à tous mes tendres sentiments.
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 26 mars 1814
Mon cher Ami.
Je n’ai pas reçue de tes nouvelles depuis ta lettre du 22 [ = 23], je crains qu’elles ne soient interceptées, cela me contrarie beaucoup, car je suis persuadée que l’on les lit toutes, cela m’ôte le plaisir que j’ai à t’écrire, je ne peux plus te dire tout ce que je pense, mais rien ne m’empêchera de t’assurer que je t’aime bien tendrement, et je me flatte que tu le crois, mon cher Ami. Nous pensons bien souvent à toi ici, mon fils parle bien souvent de toi, et ce pauvre petit fait bien des voeux pour ton retour, il se rappelle des temps où tu jouais avec lui, et il me demande quand ce temps reviendra, je voudrais bien pouvoir lui en fixer une époque prochaine. Il t’embrasse, il se porte à merveille, il se réjouit déjà beaucoup d’une belle parade de la garde nationale qui doit avoir lieu demain.
Ma santé est assez bonne, j’ai toujours bien mal à l’estomac, je crois que cela vient de ce que je me tourmente de n’avoir pas de tes nouvelles. Je t’embrasse et t’aime tendrement.
Ton Amie Louise
Paris, 27 mars 1814, 7 heures du soir
Mon cher Ami.
Je ne t’écris qu’un mot parce que je suis sûre que ma lettre ne te parviendra pas, mais même dans cette persuasion je ne veux pas me refuser le plaisir de m’entretenir avec toi. J’ai reçue de tes nouvelles par une lettre que M. Fain a écrit à M. Menneval; je te remercie bien d’avoir pensé à me donner de tes nouvelles, j’en avais bien besoin, je suis tourmentée et triste.
Tu sauras sûrement déjà les événements fâcheux qui sont arrivés du côté des ducs de Trévise et de Raguse, c’est bien désagréable. J’ai dit à M. Menneval de profiter d’une occasion qui se présentait pour te donner de nos nouvelles ; je ne savais pas si tu trouverais bon que j’en profitasse, tu me ferais bien plaisir de m’écrire quand tu pourras un petit mot là-dessus.
Ton fils t’embrasse, il se porte à merveille, il a joué avec des cousins et s’est bien amusé à une belle parade que nous avons eu aujourd’hui et qui a duré plus de trois heures ; la garde nationale est magnifique.
Ma santé est assez bonne, le temps est bien beau et favorisera bien tes opérations. Je te prie de ne jamais douter de tous les tendres sentiments de
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 29 mars 1814, 1 heure du matin
Mon cher Ami.
Je t’écris ce soir sans savoir si ma lettre te parviendra, mais je serai toujours contente de ne pas manquer un jour sans te donner de mes nouvelles. Nous sommes dans la tristesse ici, l’ennemi est fort de 40.000 hommes à Claye et à Meaux. L’archichancelier et le Roi sont venus me voir vers deux heures en me disant qu’ils croyaient qu’il était urgent que je partisse de Paris. Le Roi nous a lu un article d’une lettre dans laquelle tu lui disais de ne pas me laisser prendre à Paris, ces Messieurs m’ont exposé sur cela qu’il n’y avait pas moyen de nous défendre contre une si grande force, qu’il y avait fort peu de troupes ici et qu’il fallait que je ne m’exposasse pas à attendre l’armée russe et prussienne. Il doit avoir dans une heure un conseil, où tout ceci sera débattu ; en attendant, nous avons faits tous nos préparatifs pour mon départ qui aurait lieu dans la journée de demain, à moins que des circonstances graves ne me forçassent à partir cette nuit, car on dit que les ennemis avancent beaucoup du côté de Bondy. Ils n’en sont qu’à une lieue.
[Plus tard.] Le conseil vient de finir seulement, il est minuit et demi passé, après de longs débats on a fini par dire qu’il fallait que je parte, et cela, au plus tard, demain matin ; on a aussi dit qu’il fallait que le Roi restât là, ainsi que tous les ministres et grands dignitaires à l’exception de l’Archichancelier, du duc de Cadore et du roi Louis qui m’accompagneraient; on ferait aussi partir le trésor. J’irai demain à Rambouillet, et puis plus loin à l’endroit que l’on désigne. Je t’avoue que je suis tout à fait contre cette idée, je suis sûre que cela fera un effet terrible sur les Parisiens, cela leur ôtera tout le courage qu’ils auraient eu sans cela pour se défendre. La garde nationale ne fera plus rien, et quand tu arriveras pour nous délivrer, tu trouveras la capitale au pouvoir de l’ennemi. Mais tu m’as dit qu’il fallait suivre le conseil de l’Archichancelier, et je le ferai dans cette occasion, parce que je ne voudrais pas exposer mon fils. Je t’enverrai demain la liste des personnes que j’emmènerai.
Ton fils se porte bien, moi passablement comme on peut se porter dans des circonstances pareilles. Je finis parce que je crains que ma lettre ne te parvienne pas, en attendant, crois qu’il n’y a personne au monde qui te soit plus fidèlement attachée et qui t’aime plus tendrement que moi.
Ton Amie Louise
Paris, 29 mars 1814
Mon cher Ami.
Je t’écris encore un mot avant que de partir. On le veut décidément, il n’y a que M. Boulay et le duc de Cadore qui sont contre ce projet, et moi en troisième. J’aurais eu assez de courage pour rester, et je suis bien fâchée qu’on ne m’y eût pas laissé avec toute la bonne volonté que montrent les Parisiens pour se défendre, mais mon avis est peu de chose en ce cas, et l’Archichancelier m’a dit qu’il fallait que je m’en aille absolument; ainsi, que la volonté de Dieu soit faite, mais je suis sûre que tu n’en seras pas content, cela va débattre le courage de la garde nationale, et l’ennemi sera demain à Paris. On dit qu’il n’a pas fait de progrès dans la nuit, mais qu’il a envoyé des partisans du côté de Rambouillet; il vaudrait donc mieux d’être prise par les Cosaques que de rester tranquille à Paris ! Mais tout le monde a perdu la tête, excepté moi, et j’espère que dans peu de jours tu me diras que j’avais raison de ne pas vouloir évacuer la capitale pour 15.000 hommes de cavalerie qui ne seraient jamais entrés dans les rues. Je suis bien fâchée de partir, cela aura des inconvénients terribles pour toi, mais on m’a fait exposé que mon fils courait des dangers, et cela fait que je n’ai pas osé les contrarier depuis que j’ai vu la lettre écrite au Roi. Ainsi je me mets sous la garde de la Providence, bien sûre que cela finira mal. Je t’embrasse et t’aime de tout mon coeur.
Ta fidèle Amie Louise
Paris, 29 mars 1814, 10 heures du soir
Mon cher Ami.
Je t’ai écrit ce matin un mot avant que de partir de Paris, j’ai reçue depuis une lettre du due de Bassano du 27, j’avais bien besoin d’avoir de bonnes nouvelles de ta santé, dans un moment où nous sommes si cruellement tourmentés. Je suis bien triste, mon cher Ami, et je vois bien en noir, Dieu sait comment cela finira, je tremble pour toi et pour toutes les conséquences qu’aura l’abandon de la capitale, cela finira bien tristement, ce que je sais seulement,, c’est que je voudrais pouvoir trouver dans ce moment plus que jamais le moyen de te donner des preuves de mon tendre amour et de tout mon attachement, je n’ai jamais été aussi fâchée qu’à présent d’être une femme, parce que je ne te serais bon à rien.
Nous avons fait un bien triste voyage. Je suis parti à 10 heures; avant mon départ j’ai vu le Roi de Westphalie qui m’a recommandé sa Reine qu’il envoie avec nous, l’Archichancelier m’a dit que je ne pouvais pas faire autrement que de le voir dans ce moment, il m’a dit qu’il resterait avec le Roi Joseph à Paris. J’ai été avec ton fils dans la même voiture, et ce pauvre petit était vraiment touchant, il était deux fois plus caressant qu’à l’ordinaire pour moi ; on a eu toute la peine du monde de le faire partir de Paris, il ne voulait pas sortir de sa chambre, il s’accrochait aux portes et aux chaises et sanglotait en s’écriant «je ne veux pas aller à Rambouillet, je veux rester dans ma maison ». Il se porte bien et n’a pas été fatigué de la route, il a même mangé comme un loup en chemin.
Ma santé est passable, je suis très fatiguée d’avoir passée la nuit sans dormir. J’ai vu ici la Reine de Westphalie et Madame qui venaient d’arriver, elles sont malades. Je reçois dans ce moment une lettre du Roi Joseph qui me conseille de partir d’ici de crainte des partis de cavalerie, il me dit qu’il y a près de 60.000 hommes autour de Paris, j’irai donc demain coucher à Chartres, je ne peux pas faire de plus fortes journées à cause des chevaux, car nous sommes obligés de voyager avec les chevaux de l’écurie. Je crois qu’il faudra plusieurs jours si je dois aller à Tours.
Je joins ici la liste des personnes que j’ai amené, j’espère que tu l’approuveras, la plupart ont demandé à venir avec moi. Quand pourrais-je avoir de tes nouvelles, à présent je crains bien d’avoir beaucoup d’inquiétudes et de tourments pourvu qu’il ne t’arrive rien et que nous nous revoyons bientôt, voilà l’unique souhait de
Ta fidèle Amie Louise.
Paris, 30 mars 1814, 8 heures du soir
Mon cher Ami.
J’ai reçue en chemin ta lettre du 28, je vois avec peine que tu est resté aussi longtemps sans avoir de mes nouvelles, je suis sûre que les premières que tu recevras te peineront bien, mais elles ne pourront jamais te rendre aussi triste que je suis de tout ceci. J’espère que Paris aura pu tenir jusqu’au moment où tu y auras été, je suis bien fâchée que l’on m’ait fait partir, d’autant plus que je crains que tu ne l’approuve pas. Je t’assure que j’aurai fort bien pu rester, s’il n’y avait pas en de plus grand danger que celui de manquer de courage, je m’étonne moi-même d’en avoir autant, et je suis contente de moi.
Ton fils a supporté la route à merveille, il t’embrasse et il se porte bien ; il a fait autant de tapage pour partir de Rambouillet qu’il en a fait pour partir de Paris, ce soir il est gai et joue aussi bien qu’il peut, parce qu’il n’a pas de joujoux.
Ma santé est assez bonne mais je suis bien fatigué et chagriné. Le Roi Louis est venu nous rejoindre ce matin, il était si effrayé qu’il a voulu nous faire aller dans une place forte; je m’y suis opposé, il a tellement perdu la tête qu’il en est embarrassant. Ce matin il voulait me faire donner un ordre à la Reine Hortense de lui envoyer ses Enfants, qu’elle lui a refusé d’une manière très impolie. Mais je lui ai représenté que je ne pouvais pas me mêler de cela, et je me suis bornée seulement à écrire à la Reine, qui m’avait demandée un conseil, que je croyais qu’elle ferait bien de venir nous rejoindre, que d’ailleurs le Roi désirait ses Enfants, je crois que tu m’as approuvé.
J’attends ici des nouvelles, si elles sont bonnes je resterai à Chartres, sans cela on veut me faire aller demain à Châteaudun, de là à Vendôme et puis à Tours. Je reçois dans ce moment la nouvelle que Paris tient encore, je désire bien que cela puisse être ainsi jusqu’au moment où tu arriveras ; en attendant je pars toujours demain à 9 heures pour Châteaudun. Je m’en vais me coucher, je suis morte de fatigue. Je te prie de croire à tous mes tendres sentiments.
Ta fidèle Louise