Lettres de Marie-Louise – Juin-Juillet-Août 1814

Schönbrunn, 5 juin 1814 

Mon cher Ami. 

Je trouve enfin une occasion pour t’écrire encore, Dieu sait si elle trouvera occasion de passer. Je suis bien chagrinée de n’avoir plus de tes nouvelles depuis le 4 [= 3] Mai, je crains que tu ne reçoives pas les lettres que je t’écris, que tu penses que je t’oublie, et je t’assure que cette idée serait la plus cruelle de toutes, mais c’est aussi bien triste pour moi de ne pas avoir de tes lettres et de ne pas savoir si tu te portes bien. Je crains que l’on m’ait retenue une lettre, le général Koller m’en aura sûrement apporté une, et le Prince Metternich aura jugé à propos de la garder sur sa table.

Je me console avec l’idée que tu penses quelque fois à moi, mais ne devrais-je pas te désirer de pouvoir m’oublier; tu n’aurais pas d’inquiétudes, tandis que moi, tourmentée, t’aimant plus tendrement que jamais, je passe des journées entières à me désespérer de ne pas te voir.

La Duchesse et M. Corvisart viennent de partir pour Paris, il y a trois jours, je n’ai donc plus que deux personnes avec qui je puis parler de toi, et encore ne puis-je presque pas les voir.

Ma santé va un peu mieux, mais M. Corvisart veut les eaux, et c’est là que j’espère être tranquille, c’est là que je pourrai ne rien entendre, avoir l’air de n’être plus au monde. Mon père arrive le 14, je compte partir le 30 juin et je serai rendue le 10 juillet aux eaux. M. Corvisart veut que j’y reste deux mois pour prendre les deux saisons, mais j’espère avoir fini dans six semaines, et je me rendrait tout de suite après à Parme.

Ton fils y ira tout droit avec Mme de Montesquiou, je ne peux pas le prendre avec moi aux eaux, parce que le local est trop petit, et  parce que cela ferait tout de suite une dépense de 100.000 francs de plus, et que dans ce moment je suis obligée de vivre bien économiquement afin d’avoir de quoi faire mon établissement à Parme où il parai qu’il n’y a rien du tout, mais malgré cela, j’irai tout de suite. J’aime mieux être mal logée et y arriver. M. de Maréscalchi a été nommé commissaire impérial.

Je mène ici une vie fort retirée, fort tranquille, je me promène dans le parc, et j’apprends l’italien, où je fais assez de progrès.

Ton fils au contraire est d’une gaieté charmante, il ne s’est jamais mieux porté et fait l’admiration de toutes les personnes qui le voient. On trouve ici qu’il te ressemble beaucoup, j’en suis enchantée. La personne que je trouve le mieux ici portant, c’est la reine de Sicile, elle m’a parlé en de fort bon termes et m’a gagné tout de suite le coeur. Ton fils parle beaucoup de toi, il devient raisonnable, il me demande toujours « quand nous verrons Papa » je voudrais bien que son désir se réalise bientôt, en attendant je te prie de me donner de tes nouvelles.

Je t’embrasse et t’aime tendrement et te prie de croire à tout mon tendre attachement.

Ton  Amie Louise

 

Schönbrunn, 5 juin 1814, 5 heures de l’après-midi

Mon cher Ami. 

La fortune me comble aujourd’hui en me fournissant deux moyens différents pour t’écrire. Je voudrais. bien aussi recevoir de tes lettres par des voies qui paraîtraient aussi sûres que celles-ci, j’en aurais bien besoin.

Je t’ai écrit ce matin une bien longue lettre, ainsi qu’il te suffise de savoir que je me porte passablement et que ton fils se porte à merveille, j’aime mieux profiter de cette occasion sure pour te donner d’autres détails sur des choses qui me tourmentent bien.

J’attends avec bien de l’impatience l’arrivée de mon père, c’est elle seule qui pourra calmer mes inquiétudes puisqu’elle seule pourra me montrer quelque chose de sûr sur mon avenir et mon sort ; l’on dit que chez l’archiduchesse Marie-Béatrice l’on dit un mal affreux de moi, qu’il s’y forme une intrigue pour m’empêcher d’aller aux bains et que l’on tâche même de m’arracher le duché de Parme pour que sa famille puisse s’arrondir ; on dit aussi que tout ce qui est à désirer, c’est que l’on puisse trouver un moyen d’empêcher mon fils, etc., etc., etc. je suis bien tourmentée de tout cela, d’autant plus, qu’on dit qu’on rapporte chaque mot que je dis.

Je suis malgré cela toujours décidé à aller aux eaux, je pourrai me porter bien que je dirai malgré cela toujours que je me porte mal, pour avoir un prétexte pour y aller et je crois que j’emmènerai mon fils parce que je serai tourmentée par tous ces mauvais bruits. Je t’assure, mon cher Ami, que je suis bien malheureuse, de toutes les façons ; au moins, si j’étais près de toi, je serai consolée par le bonheur de te voir, de te dire que je t’aime mais dans cette prison la vie m’est à charge.

J’ai vu M. Wonowitzl (?) qui doit t’apporter cette lettre, il m’a vu, il a aussi vu ton fils, je serai contente qu’il puisse te donner de nos nouvelles. Je suis bien contente de pouvoir garder avec moi M. Méneval, nous parlons toujours ensemble de toi, et nous indignons de ce que l’on dit sur ton compte ; cependant j’ai trouvé ici un des gouverneurs de mon petit frère qui a l’air de t’aimer tendrement, il trouve que la manière dont on me traite ici est révoltante, c’est un homme excellent, et je t’assure que si je devais prendre un allemand à mon service, c’est le seul que je prendrais.

Adieu, mon cher Ami, je t’aime et t’embrasse d( mon coeur.

Ton  fidèle Amie Louise

 

Schönbrunn, 22 juin 1814

Mon cher Ami. 

J’ai éprouvée hier un bien grand moment de bonheur lorsque M. Méneval est venu m’apporter une lettre du général Bertrand du 27 mai qui me donnait des nouvelles de ta santé ; quoique bien ancienne elles m’ont fait bien grand plaisir parce que j’étais absolument sans nouvelles de l’île d’Elbe et que cela me tourmentait bien.

Je suis bien contente de voir que tu t’y trouves bien et que tu songes à te faire bâtir une jolie maison de campagne. Je te demande de m’y réserver un petit logement, car tu sais que je compte toujours bien venir te voir le plus tôt que je pourrai, et je fais des voeux pour que cela soit bientôt. Si tu fais un joli jardin, j’espère que tu me feras ta commissionnaire à cause des plantes et des fleurs ; on m’a dit qu’on avait eu l’injustice de ne pas permettre que tu en fasses venir de pareilles de Paris ; on ne se conduit pas noblement pour toi, cela me révolte, c’est bien vilain, il est vrai qu’il n’y a pas de quoi s’étonner, car nous vivons dans un monde où il y a bien peu d’âmes élevées.

J’ai été bien touchée de la manière dont mon père m’a reçue, il a été au devant de tous mes désirs, il m’a dit qu’il n’y avait pas la moindre difficulté d’aller aux eaux, mais il m’a conseillé de laisser mon fils ici pendant ce temps, il m’a dit que comme j’allais sur la frontière de la France, on pourrait croire que je voulais troubler la tranquillité, que cela pourrait m’attirer des désagréments, ainsi qu’à mon fils; j’ai bien combattu ce projet, alors il m’a dit que ce qu’il y avait de mieux à faire, c’est de t’en écrire, de te dire qu’il me l’a conseillé, et il a ajouté, «s’il ne l’approuve pas, il en est le maître, tu le feras venir avec toi », je t’écris donc pour te demander un conseil, je voudrais bien que ta prudence puisse se concilier avec le voeu que j’ai d’avoir mon fils avec moi, je sais bien qu’étant ici, il ne peut être en des mains plus sûres, mais tu sais comme les mères se tourmentent loin de leurs enfants.

Je ne puis pas assez te répéter comme mon père est bon pour moi, il prend à tâche de me faire oublier tous les chagrins passés, ils étaient bien grands parce que tu m’avais [gâtée ?] car ce n’était pas l’empire que je regrettais, , c’était de te voir malheureux, souffrant, et, ce qui est bien pire, abandonné par toutes les personnes qui t’avaient quand tu étais heureux.

Le général Bertrand m’a écrit que tu m’envoyais à Parme des chevaux d’attelage et des lanciers; j’ai dit qu’on laisse tout cela jusqu’à ce que j’y arrive, je crains de ne pas pouvoir nourrir autant de chevaux, mais quand j’y serai, je ferai un choix des meilleurs, et je vendrai le reste, on dit que le duché ne rendra presque rien la première année, de sorte que je vivrai économiquement autant que possible.

Ton fils t’embrasse, il est d’une gaieté à toute épreuve et beau comme le jour, il recueille partout les suffrages ici, on le trouve superbe, et on trouve qu’il te ressemble beaucoup, ce qui me fait grand plaisir. Il me parle toujours de toi, et je lui parle encore plus souvent de toi, il fait vraiment des réflexions étonnantes pour son âge, cela me fait trembler, on dit que les enfants qui sont aussi précoces pour leur âge, ne vivent pas, Dieu veuille que je ne sois pas encore réservée aussi à ce malheur.

Ma santé va beaucoup mieux, je suis un régime fort sévère que M. Corvisart m’a prescrit, et ma poitrine va  bien mieux depuis ce temps, j’espère que les eaux la remettront entièrement, je me ménage bien aussi, je tâche de ne pas faire des promenades trop fatigantes, je monte un peu à cheval, et je tâche de m’occuper mais je n’y réussis pas ; je suis d’une tristesse affreuse, qui me poursuit partout, et le reste du temps je passe à penser à toi.

Je partirai le 29 au soir pour les eaux, je compte aller le ler jour jusqu’à Lambach, le 2 jusqu’à Kaunstein, le 3 à Mindelheim, le 4 à Mörseburg, le 5 à Rasau, le 6 à Berne, où je m’arrêterai un jour, le 8 à Lucerne, le 9 à Lausanne, le 10 à Genève où je m’arrêterai, et je serai dans la douzième journée à Aix. Je voyage incognito, les réceptions m’ennuient et me fatiguent, et comme je ne veux pas recevoir personne aux eaux, je prendrai le nom de la comtesse de Colorno, qui est la maison de campagne de Parme.

Si tu as la bonté de me répondre, je te prierai de me faire passer la réponse à Aix, car elle ne me trouverait plus ici, écris-moi souvent, mon cher Ami, c’est ma plus douce consolation, et sois surtout persuadé que rien au monde ne pourra jamais faire changer les tendres sentiments que j’ai pour toi. Je t’embrasse et t’aime de tout mon coeur.

Ta tendre et fidèle Amie Louise

 

Aix, 21 juillet 1814

Mon cher Ami. 

Je ne t’ai pas écrit depuis un siècle parce que je n’ai nul moyen de te faire parvenir mes lettres, cette idée me tourmente bien, je crains que tu ne puisses me croire capable de t’oublier, et je t’avoue que ce soupçon m’affligerait beaucoup, parce que qu’il serait aussi peu mérité que fondé, mais ce qui me tourmente encore plus que tout cela, c’est de ne pas avoir de tes nouvelles, depuis le 10 mai je n’ai pas reçu une seule ligne. Je suis sûr, malgré cela, mon Ami, que tu m’as écrit, et que tu penses quelque fois à moi mais l’idée de ne pas pouvoir me l’entendre dire par toi m’est bien pénible. Heureusement que j’ai su par une voie intermédiaire que tu te portais bien le 11 de ce mois, tâches, si tu ne peux pas m’écrire, de me faire parvenir par tous les moyens possibles de tes nouvelles, cela me fait grand bien et c’est le plus sur moyen que tu puisses employer de hâter ma guérison.

J’ai su par le Prince Eugène que Pellard (valet de chambre de l’Empereur) était arrivé à Paris, j’espérais que tu me l’enverrais, comme tu me l’avais promis, mais on m’a dit qu’il avait renvoyé toutes ses lettres à Porto Ferrajo, je suis bien fâchée contre lui. M. Méneval est parti hier pour Paris où des affaires particulières l’appelaient, il m’a prié de te dire que pendant les cinq semaines qu’il comptait y rester, il ne t’écrirait pas, parce qu’il ne voyait pas de moyens de te faire passer ses lettres.

Je compte après la saison des eaux m’en retourner à Parme, si cela est possible, je compte écrire pour cela à Parme, je crois qu’il est indispensable que j’y sois le plus tôt possible, en quatre mois le gouvernement provisoire m’a fait pour plus de 15 millions de dettes, et
si cela continue, il y en aura toujours de nouvelles. Cela me désole de même que beaucoup d’actes qu’on y a fait et dont je te parlerais plus en détail, si je savais que les lettres parviendraient exactement.

Je compte donc aller à Parme pour le mois de Septembre, vers le 20 ou le 25, je suis décidée à ne pas retourner à Vienne, le congrès est remis jusqu’au ler Octobre, et mon père sentira qu’il ne serait pas décent que je sois dans la même ville que les souverains alliés. Si je vais à Parme, j’enverrai M. de Beausset chercher mon fils dès que je serai établie dans cette ville, je crois qu’il vaut mieux attendre que j’y sois que de le faire venir ici. On m’écrit qu’il se porte à merveille, qu’il est gai et que son intelligence se développe journellement. Mon père le traite à merveille, il a l’air de l’aimer tendrement.

Ma santé va assez bien, je n’ai pas été fatiguée du voyage comme j’avais lieu de craindre de l’être, j’ai trouvé ici M. Corvisart qui était arrivé deux jours avant moi, il m’a fait prendre le premier bain aujourd’hui, et il m’a assez bien réussi, je compte boire sous peu de jours, il me charge de le mettre à tes pieds.

J’ai eu du plaisir à le revoir, il parle bien de toi, et c’est un avantage que j’ai eu rarement depuis quelque temps, on a même mis beaucoup de marque de délicatesse sur ce point.

En passant dans différentes villes j’ai été touchée du souvenir que l’on te conserve, et c’est une chose qui doit être une consolation pour toi dans tes grands malheurs; quant à moi, je sais que j’en ai pleuré et que je n’ai pas trouvé de paroles pour remercier assez les bonnes gens, il y en a si peu qui savent t’apprécier. J’ai eu depuis quelque temps des exemples si étonnant sur cela mais je ne veux pas te les dire, cela te chagrinerait sans te servir à rien, je vis ici dans le plus stricte incognito, mon père m’a envoyé le général Neiperg, il est bien, il parle bien de toi. Je fais beaucoup d’exercice puisque cela est nécessaire quand on prend les eaux, le roi Joseph que j’ai vu à Allaman, m’a donné de ses chevaux. Je m’occupe beaucoup, je dessine après nature, Isabey est venu ici, il veut aller te voir dans l’île d’Elbe, et il m’a dit qu’un de ses élèves y allait en attendant.

Donnes moi bientôt de tes nouvelles, mon cher Ami, et penses quelque fois à celle qui, en t’embrassant tendrement, se dit pour la vie

Ton Amie Louise

 

Aix, 31 juillet 1814

Mon cher Ami. 

Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir te donner plus souvent de mes nouvelles, et surtout de n’en pas recevoir de toi, je profite cette fois-ci du départ de M. de Beausset que j’envoie à Parme, pour tâcher de faire passer un petit mot, et pour te donner encore une fois l’assurance de tous les tendres sentiments qui m’attachent à toi. Tâches donc, mon cher Ami, de trouver un moyen de me faire passer tes lettres, j’en ai un besoin extrême, et je le sens tous les jours davantage, je suis bien triste de penser que malgré que je me rapproche de toi, je n’ai pas de lettres depuis le 10 mai.

J’ai écrit à mon père pour lui demander la permission d’être le 15 de septembre rendue à Parme, il ne peut me refuser cette permission, et j’y tiens beaucoup ; je communiquerai alors plus facilement avec toi, et ma présence y est vraiment absolument nécessaire, je crois que l’on ne peut jamais être bien dans un nouvel établissement à moins de se l’arranger soi-même.

J’ai reçue de bonnes nouvelles de la santé de ton fils, je ne puis voir arriver assez tôt le moment où je pourrai le revoir, on dit qu’il devient tous les jours plus aimable, quand pourrais-je te l’amener un jour, ce sera un beau jour que celui là, et ton Amie n’aura jamais été aussi contente.

Je t’envoie un bulletin de ma santé que M. Corvisart a rédigée ici, je me porte infiniment mieux, les bains me font grand-bien, j’en ai déjà pris 3, et je m’en vais commencer d’en prendre un tous les jours. Je me promène autant que la chaleur le permet, car elle est terrible ici, je crois qu’elle ne pourrait pas être plus forte à l’île d’Elbe; je ne vois personne, j’attends la Duchesse dans trois jours, elle doit rester tout le mois d’août avec moi, tu croiras que je ne mente pas en te disant que cela me fait grand plaisir. Je ne t’écris pas plus, je crains que ma lettre n’ait le même sort que les autres. Je t’embrasse et t’aime de tout mon coeur.

Ta tendre et fidèle Amie Louise

 

Aix, 21 juillet 1814

Mon cher Ami. 

Je ne t’ai pas écrit depuis un siècle parce que je n’ai nul moyen de te faire parvenir mes lettres, cette idée me tourmente bien, je crains que tu ne puisses me croire capable de t’oublier, et je t’avoue que ce soupçon m’affligerait beaucoup, parce que qu’il serait aussi peu mérité que fondé, mais ce qui me tourmente encore plus que tout cela, c’est de ne pas avoir de tes nouvelles, depuis le 10 mai je n’ai pas reçu une seule ligne. Je suis sûr, malgré cela, mon Ami, que tu m’as écrit, et que tu penses quelque fois à moi mais l’idée de ne pas pouvoir me l’entendre dire par toi m’est bien pénible. Heureusement que j’ai su par une voie intermédiaire que tu te portais bien le 11 de ce mois, tâches, si tu ne peux pas m’écrire, de me faire parvenir par tous les moyens possibles de tes nouvelles, cela me fait grand bien et c’est le plus sur moyen que tu puisses employer de hâter ma guérison.

J’ai su par le Prince Eugène que Pellard (valet de chambre de l’Empereur) était arrivé à Paris, j’espérais que tu me l’enverrais, comme tu me l’avais promis, mais on m’a dit qu’il avait renvoyé toutes ses lettres à Porto Ferrajo, je suis bien fâchée contre lui. M. Méneval est parti hier pour Paris où des affaires particulières l’appelaient, il m’a prié de te dire que pendant les cinq semaines qu’il comptait y rester, il ne t’écrirait pas, parce qu’il ne voyait pas de moyens de te faire passer ses lettres.

Je compte après la saison des eaux m’en retourner à Parme, si cela est possible, je compte écrire pour cela à Parme, je crois qu’il est indispensable que j’y sois le plus tôt possible, en quatre mois le gouvernement provisoire m’a fait pour plus de 15 millions de dettes, et
si cela continue, il y en aura toujours de nouvelles. Cela me désole de même que beaucoup d’actes qu’on y a fait et dont je te parlerais plus en détail, si je savais que les lettres parviendraient exactement.

Je compte donc aller à Parme pour le mois de Septembre, vers le 20 ou le 25, je suis décidée à ne pas retourner à Vienne, le congrès est remis jusqu’au ler Octobre, et mon père sentira qu’il ne serait pas décent que je sois dans la même ville que les souverains alliés. Si je vais à Parme, j’enverrai M. de Beausset chercher mon fils dès que je serai établie dans cette ville, je crois qu’il vaut mieux attendre que j’y sois que de le faire venir ici. On m’écrit qu’il se porte à merveille, qu’il est gai et que son intelligence se développe journellement. Mon père le traite à merveille, il a l’air de l’aimer tendrement.

Ma santé va assez bien, je n’ai pas été fatiguée du voyage comme j’avais lieu de craindre de l’être, j’ai trouvé ici M. Corvisart qui était arrivé deux jours avant moi, il m’a fait prendre le premier bain aujourd’hui, et il m’a assez bien réussi, je compte boire sous peu de jours, il me charge de le mettre à tes pieds.

J’ai eu du plaisir à le revoir, il parle bien de toi, et c’est un avantage que j’ai eu rarement depuis quelque temps, on a même mis beaucoup de marque de délicatesse sur ce point.

En passant dans différentes villes j’ai été touchée du souvenir que l’on te conserve, et c’est une chose qui doit être une consolation pour toi dans tes grands malheurs; quant à moi, je sais que j’en ai pleuré et que je n’ai pas trouvé de paroles pour remercier assez les bonnes gens, il y en a si peu qui savent t’apprécier. J’ai eu depuis quelque temps des exemples si étonnant sur cela mais je ne veux pas te les dire, cela te chagrinerait sans te servir à rien, je vis ici dans le plus stricte incognito, mon père m’a envoyé le général Neiperg, il est bien, il parle bien de toi. Je fais beaucoup d’exercice puisque cela est nécessaire quand on prend les eaux, le roi Joseph que j’ai vu à Allaman, m’a donné de ses chevaux. Je m’occupe beaucoup, je dessine après nature, Isabey est venu ici, il veut aller te voir dans l’île d’Elbe, et il m’a dit qu’un de ses élèves y allait en attendant.

Donnes moi bientôt de tes nouvelles, mon cher Ami, et penses quelque fois à celle qui, en t’embrassant tendrement, se dit pour la vie

Ton Amie Louise

 

Aix, 31 juillet 1814

Mon cher Ami. 

Je suis vraiment désolée de ne pas pouvoir te donner plus souvent de mes nouvelles, et surtout de n’en pas recevoir de toi, je profite cette fois-ci du départ de M. de Beausset que j’envoie à Parme, pour tâcher de faire passer un petit mot, et pour te donner encore une fois l’assurance de tous les tendres sentiments qui m’attachent à toi. Tâches donc, mon cher Ami, de trouver un moyen de me faire passer tes lettres, j’en ai un besoin extrême, et je le sens tous les jours davantage, je suis bien triste de penser que malgré que je me rapproche de toi, je n’ai pas de lettres depuis le 10 mai.

J’ai écrit à mon père pour lui demander la permission d’être le 15 de septembre rendue à Parme, il ne peut me refuser cette permission, et j’y tiens beaucoup ; je communiquerai alors plus facilement avec toi, et ma présence y est vraiment absolument nécessaire, je crois que l’on ne peut jamais être bien dans un nouvel établissement à moins de se l’arranger soi-même.

J’ai reçue de bonnes nouvelles de la santé de ton fils, je ne puis voir arriver assez tôt le moment où je pourrai le revoir, on dit qu’il devient tous les jours plus aimable, quand pourrais-je te l’amener un jour, ce sera un beau jour que celui là, et ton Amie n’aura jamais été aussi contente.

Je t’envoie un bulletin de ma santé que M. Corvisart a rédigée ici, je me porte infiniment mieux, les bains me font grand-bien, j’en ai déjà pris 3, et je m’en vais commencer d’en prendre un tous les jours. Je me promène autant que la chaleur le permet, car elle est terrible ici, je crois qu’elle ne pourrait pas être plus forte à l’île d’Elbe; je ne vois personne, j’attends la Duchesse dans trois jours, elle doit rester tout le mois d’août avec moi, tu croiras que je ne mente pas en te disant que cela me fait grand plaisir. Je ne t’écris pas plus, je crains que ma lettre n’ait le même sort que les autres. Je t’embrasse et t’aime de tout mon coeur.

Ta tendre et fidèle Amie Louise

 

Aix, 3 août 1814

Mon cher Ami. 

Je t’ai écrit depuis 5 jours trois lettres, je ne sais pas si tu les auras reçues, je le désire bien parce que tu y verras que je t’aime bien tendrement, et que je suis bien inquiète de ne pas avoir de tes nouvelles, tâches, je t’en prie, de m’en donner, je serai vers le 15 septembre à Parme, j’espère que rien ne s’y opposera et que de là j’aurai souvent de tes nouvelles et des nouvelles bien fraîches.

Je t’ai mandé que j’ai de bonnes nouvelles de 1a santé de ton fils, j’en ai encore reçue hier, il ne s’est jamais aussi bien porté qu’à présent; excepté les maux de dents qui le tourmentent souvent, il est toujours fort gai et fort aimable. Ma santé se remet aussi, je ne me trouve pas
mal du tout, j’ai été un peu indisposée depuis quelques jours, mais cela n’a été rien, les bains me font un grand bien, j’en ai déjà pris 8.

Je suis très contente du général Neipperg que mon père a mis près de moi, il parle de toi d’une manière convenable et tel que mon coeur le peut désirer, car j’ai besoin de causer de toi dans cette cruelle absence, quand pourrais-je enfin te revoir, t’embrasser, je le désire bien et
ne serai contente et tranquille que quand je pourrai te dire moi-même que je t’aime bien tendrement

Ta fidèle Amie Louise

 

Aix, 10 août 1814

Mon cher Ami. 

J’ai reçu bien ta lettre du 4 juillet qui m’est parvenue par Vienne, où elle aura sûrement été ouverte et commentée, elle m’a procurée une bien douce satisfaction, il y avait bien longtemps que je n’avais revu ta chère écriture, et je suis bien contente de voir que tes sentiments à mon égard n’ont pas changé. Tu connais assez bien les miens, mon bon Ami, pour ne pas pouvoir jamais en jamais douter, comme de mon désir de te revoir.

J’aurais bien voulu te souhaiter une bonne fête dans des circonstances plus heureuses, et surtout de pouvoir t’embrasser en personne. Au moins, je fais bien des voeux pour ton bonheur, et j’ose affirmer que personne n’en fait de plus sincères. Je t’envoie une mèche de mes cheveux, je suis bien fâchée de ne pouvoir pas t’offrir quelque chose de mieux mais tu y reconnaîtras l’intention.

Je suis bien contente de te savoir bien portant, j’espère que tu te trouveras bien du climat, je voudrais déjà être à portée d’en faire l’essai, j’espère que cela viendra sous peu, je ne pourrai vivre sans cette douce espérance.

Ma santé se trouve assez bien des eaux, je suis à la moitié de la première saison, j’ai pris dix, et je dois en prendre encore dix, je tâcherai après de suivre ton conseil qui me serait bien doux, celui de venir en Toscane, je ferai demander mon fils, car je ne voudrais pas en être aussi longtemps séparée. En tout cas, j’attend sous peu de jours une lettre ou réponse de mon père à une que je lui ai écrite par rapport à mon voyage en Italie, et dès que je serai à Parme, mon fils m’y rejoindrait. D’ailleurs, j’écrirai aussi à mon père la réponse que tu m’as faite, et comme il a mis de l’empressement à me dire de te demander ton avis sur mon voyage, il ne peut pas mettre obstacle au mien aux eaux de Pise. M. Corvisart dit qu’il les croit bonnes mais moins bonnes que celle d’Aix. J’aurais quantité de chose à t’écrire et des conseils à te demander, mais je ne le puis avant que d’avoir une occasion parfaitement sûre, si tu penses m’en procurer une, tu me feras bien grand plaisir.

Mon voyage ici ne donne plus d’inquiétude, je mène une vie fort tranquille, je m’occupe beaucoup, je serais désolée d’être obligé de voir du monde, je ne suis pas assez gaie pour cela, et comment puis-je l’être loin de toi, je m’occupe à broder un meuble pour ton cabinet ou un petit salon, il y aura un canapé, un fauteuil, un tabouret et quatre chaises, ainsi, arrange un plan pour que tu puisses le mettre quelque part, tu l’auras dans 4 ou 5 mois.

Isabey demande à se fixer près de moi à Parme, comme tu as eu quelques préventions contre lui, je lui ai dit que je ne pouvais pas lui donner de réponse décisive avant de t’avoir consulté, ainsi je te prie de me dire une réponse. M. Méneval est toujours à Paris, je lui ai envoyé la lettre du général Bertrand qui est arrivée hier en même temps que la tienne. Hubert et Pelard (valets de chambre de l’Empereur) sont aussi déjà arrivés à Paris et m’ont donné des nouvelles de ta santé.

Je te prie de m’écrire bien souvent, c’est un des seuls plaisirs dont je puisse jouir dans ce moment, et surtout, crois, mon cher Ami, à tout mon tendre attachement, personne ne t’aime et ne t’aimera mieux que moi. Je t’embrasse et t’aime de tout mon coeur.

Ta fidèle et tendre Amie Louise

 

Aix, 18 août 1814

Mon cher Ami. 

Je viens de recevoir ta lettre qu’un officier polonais a apportée. J’ai été bien contente d’en avoir, il y avait longtemps que j’en ai été privée à l’exception d’une du 28 juillet que l’on m’a envoyée toute décachetée de Vienne. Je crois que l’on arrête toutes mes lettres, l’ordre est si sévère sur toutes les côtes et si bien exécutée qu’on n’en laisse passer aucune, je t’écris cependant [plusI d’une fois la semaine régulièrement.

Que je serai contente de pouvoir te rejoindre tout de suite dès que j’aurai mon fils, j’avais donné l’ordre de le faire venir quand j’ai reçu une lettre de mon père qui me prie de revenir à Vienne pour le congrès, où l’on doit traiter pour les intérêts de mon fils ; il parait que les Bourbons se remuent beaucoup pour m’ôter Parme, ils ont un puissant parti dans le pays (l’Italie), et il est fortement question de me donner à la place les trois légations (Papales) qui rapportent deux fois plus, je ne le sais cependant pas encore officiellement. Je voulais aller à Parme, l’on me le refuse. Je suis environnée ici d’une police et d’une contre-police autrichienne, russe et française, et M. de Fitz James (Le duc de Fitz-James, émissaire de Louis XVIII et beau-frère du général Bertrand) a l’ordre de m’arrêter, si je voulais aller du côté de l’île d’Elbe.

Malgré cela, fies-toi à mon désir d’y aller, il me fera affronter tous les obstacles, et certainement, à moins que l’on n’emploie la force, je serai bientôt avec toi, mais je ne sais encore à quoi l’on se portera.

Je suis bien malheureuse de ne pas déjà être avec toi à ton heureuse île, cela serait le paradis pour moi, fies-toi à moi, je t’écrirai franchement, si c’était moi qui m’opposerait (sic) à y aller, tu me connais assez pour cela, et je te prie de ne pas croire tout ce que l’on pourrait te dire là dessus. Je tâcherai de partir le plus tôt possible, en attendant, je ne laisse pas reposer un moment ton officier. Si on le savait ici, on serait capable de l’arrêter, et je suis sûre qu’on le fouillera, tu n’as pas d’idée à quel point les ordres [sont] rigoureux, les autrichiens même s’en scandalisent, le général Neipperg m’a dit avoir dans sa poche l’ordre d’intercepter toutes les lettres que je pourrais t’écrire.

Ton fils se porte à merveille, j’ai vu hier quelqu’un qui l’a vue il y a huit jours, il l’a laissé gai, bien content, et l’empereur d’Autriche fou de lui, il va le voir tous les jours, je crois que tu trouveras que c’est bien de tâcher qu’il se prenne d’affection pour lui. Il sait déjà lire couramment, et devient fort aimable, j’attends avec bien de l’impatience le moment où je pourrai te l’amener.

Ma santé se trouve à merveille de l’usage des eaux, si j’avais un peu de tranquillité, je suis sûre que je me porterais parfaitement bien, et surtout si j’étais avec toi.

L’officier me demande la lettre à cacher en ses trousses, je suis obligée de finir, comme c’est dommage, je lui dis de déchirer la lettre s’il est arrêté. Rappelle moi au souvenir de Madame.

Je t’embrasse et t’aime tendrement

Ta fidèle et tendre Amie Louise


Il y aura encore une lettre de Marie-Louise à son époux Napoléon, le 3 janvier 1815 :

Schönbrunn, 3 janvier 1815

Mon cher Ami. 

Il y a un siècle que je n’ai pu t’écrire et que je n’avais reçue de tes lettres, lorsque mon père m’a remis ton aimable billet du 20 novembre. J’ai été relevée d’un grand poids de dessus le coeur, lorsque j’ai entendu que tu te portais bien, et que tu ne doutais pas de tous mes sentiments. Je me figure comme tu dois être tourmenté de n’avoir pas depuis si longtemps des nouvelles de ton fils et des miennes; j’en juge après l’inquiétude que mon coeur éprouve quand je reste ainsi des mois entiers sans avoir la moindre de tes nouvelles et sans savoir si tu te portes bien. J’espère que cette année sera plus heureuse pour toi; tu seras au moins tranquille dans ton île et tu y vivras heureux de longues années pour le bonheur de tous ceux qui t’aiment et te sont attachées comme moi.

Ton fils t’embrasse et me charge de te souhaiter la bonne nouvelle année et te dire qu’il t’aime de tout son coeur; il parle bien souvent de toi, et grandit et se fortifie de manière étonnante. Il a été un peu malade cet hiver, j’ai tout de suite consulté Frank qui m’a fort rassuré en disant que ce n’était que des accès de fièvre éphémère; effectivement il a tout de suite été bien. Il commence à savoir passablement l’italien, et il apprend aussi l’allemand, mon père le traite avec bien de la bonté et de la tendresse; il a l’air de l’aimer tendrement, il joue beaucoup avec lui. Il me comble aussi de bontés, toute ma famille me traite avec une tendresse extrême et prend à tâche de me faire oublier tous nos malheurs.

Il ne se passe presque pas de jour où je ne vais voir mon père qui me demande souvent si j’ai de tes nouvelles, c’est lui qui se charge de ce billet pour l’envoyer à Porto Ferrajo par l’entremise du grand duc de Toscane. S’il te parvient sûrement, je t’en prie en grâce de faire toujours usage de ce canal, j’en profiterai aussi, je saurai au moins ainsi comment tu te portes.

Ma santé est tout à fait rétablie, les eaux, le climat de la Suisse et l’air des montagnes lui ont fait éprouver un effet bien salutaire, j’ai engraissé beaucoup, et je ne me trouve pas mal du froid rigoureux que nous avons depuis quelque temps. Je vis d’une manière fort retirée à Schönbrunn telle qu’elle convient à mes goûts et à ma situation pendant la présence des souverains. Je ne vois guère que 3 ou 4 personnes le soir, nous faisons un peu de musique ou je cause au coin de mon feu. Je te prie de me rappeler au souvenir de Madame et de la Princesse Pauline, écris-moi bientôt; je te souhaite encore une fois une bonne année en t’embrassant tendrement.

Louise.

 

Mais depuis le 27 septembre, à l’Hotel du Soleil d’Or (selon André Castelot), elle s’était donnée à Neipperg.