Lettres de Joubert – 16 janvier 1797
Caprino, le 16 janvier 1797
(N.B. Récit de la bataille de Rivoli).

Victoire! Je viens de faire le plus beau coup qui se soit fait dans cette célèbre campagne. Vingt-deux mille hommes m’ont attaqué: le premier jour j’ai résisté et repoussé l’avant-garde ennemie; le second, j’ai appris qu’une division me tournait. Je me suis replié sur ma réserve, et j’ai encore soutenu l’attaque de l’avant-garde ennemie. Le général en chef, peu instruit des mouvements de l’ennemi, croyait à une fausse attaque de mon côté; je l’ai détrompé. Plein de confiance en moi, il est arrivé avec deux divisions à mon secours. Deux heures avant leur arrivée, le 13, au clair de la lune et par un froid excessif, nous avons fait la reconnaissance de l’armée ennemie, qui se préparait à l’attaque de ma division, et deux heures avant jour j’ai attaqué moi-même. La division Masséna n’a pu me soutenir qu’à huit heures du matin; la division Rey a été en retard. Jamais bataille plus sanglante. L’ennemi nous avait tournés: supposez un cercle d’ennemis et nous dedans, des déroutes et des charges pendant dix heures de suite; et enfin, au moment où l’ennemi chantait déjà victoire, où je ne voyais plus de moyens d’échapper, où tout l’état-major, Bonaparte et ses généraux allaient succomber, j’ordonne une charge. J’étais à pied, Berthier à cheval; je lui fait part de mes mouvements; la cavalerie part; je suis à la tête de l’infanterie; en un clin-d’oeil, de vaincus nous avons été complètement vainqueurs sur notre front. Bonaparte, avec son sang-froid, ordonne l’attaque des ennemis qui nous séparaient de la division Rey, qui n’avait pu nous rejoindre. Bientôt tout est culbuté, et la journée du 14 est pour nous. Pendant cet intervalle, l’armée que l’ennemi avait vis-à-vis Legnano passe l’Adige près de cette ville; Augereau ne peut l’empêcher. La nuit de la victoire, Bonaparte le sait, part avec Masséna pour combattre de ce côté, et me laisse avec Rey pour commander l’attaque de Corona. Je rassemble les débris de ma division une heure avant jour, la même nuit du combat, et je rattaque avant l’arrivée de Rey. Lorsqu’il arrive, je dispose ses troupes, et tout a si bien réussi que j’ai fait 6000 prisonniers, renvoyé Alvinzy, général en chef autrichien que j’avais en face, sans troupes dans le Tyrol, et ne devant son salut qu’à la vitesse de son cheval. Huit pièces de canon, six drapeaux, onze mille prisonniers, sont le résultat de notre double victoire.
… A la bataille du 14, une balle a percé mon galon de chapeau, le chapeau, et froissé le galon de mon collet, sans me blesser… Ma belle jument a été mise hors de service à la première demi-heure de la bataille; éloigné de mes domestiques, je me suis battu à pied le reste du jour…