Lettre de Napoléon à sa soeur la princesse Élise (sic)
17 septembre 1814
[1]NDLR : Napoléon est alors à Porto-Longone
L’édifice de la société politique est miné et va s’écrouler. Aucune force humaine est capable de retenir la marche réglée de la nature. Semblable aux fruits qui tombent étant mûrs, les états se dissolvent à l’approche de leur automne. Tout l’Europe civilisée est sur le même point, où était jadis une partie de l’Italie sous les Césars. L’orage de révolution qui s’est formé en petits nuages sur la France, se répandra dans une nuit effroyable sur toute l’Europe, et les éléments agités ne se calmeront que lorsque la nature se sera épuisée en matières combustibles. Le monde ne peut être sauvé que par un baptême de sang, qui le purgera de ses péchés. Ce n’est qu’un ouragan terrible qui puisse chasser l’air pestilentiel dont l’Europe est couverte. Si nous voulons attendre la marche ordinaire des évènements, il sera de nous, comme il était du sud de l’Europe à la décadence de l’empire romain, contre lequel les barbares auraient en vain donné l’assaut, si les mœurs n’avaient pas été dégénérées. Personne, hormis moi, ne pouvait sauver le monde Je lui aurais présenté le calice de souffrance pour le vider d’un seul trait, mais à présent il le videra petit à petit et avec dégoût. On le croyait sauvé ! Personne, qui connaît l’esprit qui anime les peuples et les cabinets, ne peut le croire. Personne ne sait tirer parti de l’esprit qui règne actuellement; d’ailleurs, on ne réintroduirait pas l’ancien, qui a été aboli, pour n’avoir rien voulu.
Ce qu’on sème actuellement en Espagne et à Rome, on le sèmera petit à petit dans toute l’Europe. On croit qu’un spectre, qu’on a forcé de quitter les lieux, où les morts se reposent depuis des siècles, fatigués des misères et des folies éprouvées dans les temps où ils ont vécu, doit se transformer en esprit sauveur, qui nous rendra heureux et sages. Je prévois que la nature, comme elle le fait quelquefois dans les maladies des individus, trouvera un expédiant malgré les médecins. Si cela arrive, la crise sera terrible… Je connais les hommes et mon siècle. J’aurais accéléré le retour du bien en beaucoup de choses, si les hommes, avec lesquels j’avais à faire, n’avaient pas été méchants. Ils m’accusent à présent de les avoir méprisés et de les avoir faits esclaves. C’est leur manière de ramper, leur soif après de l’or et des titres, qui les a prosterné à mes pieds. Est-ce que je pouvais faire un seul pas, sans marcher sur eux ? A la vérité, je n’avais pas besoin de leur tendre des pièges pour m’en emparer. Si j’offrais à leur vanité et à leurs intérêts le bocal de miel rempli de titres et de trésors, ils s’y jetèrent comme des mouches affamées pour s’en rassasier. Les esclaves avaient besoin d’un maître, je n’avais pas besoin d’esclaves. Que pensera-t-on de 40 millions d’hommes, qui se plaignent qu’un seul les a opprimé tyranniquement ?