AUSTERLITZ
Quelques engagements préliminaires ont lieu près de Telnitz le 1er décembre vers 19 heures 00. Un détachement de chevau-légers O’Reilly qui forme l’avant garde de l’Autrichien Kienmayer s’est présenté devant le village. Il n’y at point de lune et l’obscurité de la nuit est augmentée par un épais brouillard qui rend la visibilité et la surveillance difficile. Les avant postes des Tirailleurs Corses sont refoulés et quelques cavaliers arrivent à pénétrer dans les rues de Telnitz, disputant le terrain à nos Tirailleurs et au 1er Bataillon du 3ème de Ligne. Le Commandant Ornanbo et deux compagnies de réserve résistent énergiquement à la lisière de la position et donne au général Legrand le temps d’envoyer les 2° et 3° Bataillons de Ligne.
Au même moment le commandant Hulot et ses Tirailleurs du Pô, sont engagés sérieusement à la lisière du village de Sokolnitz où ils réussissent à se maintenir par un opiniâtre et continuel combat.

Vers 2 heures du matin, une colonne d’infanterie soutenue par de nombreux partis de cavalerie se présente devant Telnitz et lance une violente attaque. Mais s’étant heurtée à une vigoureuse résistance de la part du 3ème de Ligne, des Tirailleurs Corses et des Tirailleurs du Pô, elle vient prendre position en face du village pour attendre le jour. Le bruit de cette fusillade soutenue ne manque pas de préoccuper l’Empereur qui, dans la nuit, envoye le général Savary pour lui rendre compte de la situation. Les ordres nouveaux arrivent de suite à la division : Il ne faut pas céder Telnitz et Sokolnitz avant qu’on occupe le plateau.
La division Saint-Hilaire (IV° Corps) ne débouchera pas sur Jirzikowitz, derrière celle de Vandamme, mais se portera sur Puntowitz, où elle franchira le ruisseau.
Le Maréchal Soult enverra le 3e de Ligne en entier à Telnitz, le colonel Schobert mettra le point d’appui en défense. La Brigade Levasseur (18e et 75e de Ligne) et les Tirailleurs Corses du Commandant d’Ornano seront portés en avant de Kobelnitz, en réserve; le reste de la Brigade Merle (26ème Léger) au sud de ce village. Les Tirailleurs du Pô resteront à Sokolnitz. Les Chasseurs de Margaron et leur artillerie à cheval, vers Telnitz.
La masse de manœuvre participe à ce mouvement vers le sud, le 1er Corps au lieu de se rassembler derrière le Santon, se rendra à Jirzikowitz afin de déboucher derrière Vandamme. Le Ve Corps, la cavalerie, les grenadiers réunis, la Garde seront maintenus sur leurs emplacements.
A cause de la faiblesse des Divisions Friand et Bourcier, l’Empereur renonce à l’attaque du flanc gauche de l’ennemi, confié jusqu’ici à Davout. En conséquence, le IIIème Corps se rendra non à Turas, mais à Sokolnitz [1]En réalité, Davout marchera « au son du canon », se détournant de son but initial. Le Maréchal est désormais détaché avec la division Legrand étirée le long du Goldbach, avec celles de Friand et de Bourcier. Leur délicate mission est, sinon d’arrêter, du moins ralentir la marche des Alliés, de les maintenir sur le ruisseau pendant l’attaque de leur flanc gauche et la manœuvre sur leurs arrières.

A la pointe du jour de ce 2 décembre le dispositif est prêt, la 3ème division sous les armes, l’œil aux aguets et l’oreille tendue, car il fait un froid assez vif, mais surtout un épais brouillard suit les sinuosités de la vallée du Goldbach comme pour protéger et camoufler l’approche de l’ennemi. Tout à coup, vers 7 heures, des coups de fusil se font entendre sur l’extrême droite. Trois colonnes Russes sous les ordres des généraux Doctoroff, Langeron et Pribyrieski se portent à l’attaque de Telnitz et de Sokolnitz en profitant de l’épais brouillard qui dissimule leur avance. Devant Telnitz, le combat s’engage avec Kienmayer qui de son côté lance cinq bataillons Autrichiens que l’on a pas entendu venir sur le village, tandis que sa cavalerie forte de quinze escadrons file à gauche le long de l’étang pour contenir les cavaliers de Margaron. Les Autrichiens doivent franchir à la fois le ruisseau , coulant ici dans des fossés, puis une hauteur couverte de vignes et de maisons, et couronnée par le 3ème de Ligne et les Tirailleurs Corses embusqués derrière les accidents du terrain.
Ces adroits Tirailleurs ajustant avec sang froid les hussards qu’on avait envoyé en avant en abattirent un grand nombre. Ils accueillirent de la même manière le régiment de Szeckler (Infanterie) et en une demi heure couchèrent à terre la moitié de ce régiment. (A.Thiers)
Les feux de bataillon sont suivis d’une charge à la baïonnette mais nos Tirailleurs tenant bon, on s’éloigna les uns des autres à demi portée de fusil et à cette distance on combattait avec acharnement sans que l’un ou l’autre des partis céda un pouce de terrain. (Corbureau)
Renforcés par les Russes, les Autrichiens reprennent l’offensive et parviennent à pénétrer dans Telnitz. Le général Legrand porte alors en avant le 26ème Léger et après une vigoureuse attaque à la baïonnette reste maître du village.
Vers 08 heures, le Maréchal Soult envoie le capitaine de Saint-Chamans porter au général Legrand l’ordre de se tenir au mieux de ses positions.
Je trouvais le général Legrand fortement attaqué par une grande masse d’infanterie Russe, mais il soutint parfaitement le choc et se conduisit là, comme dans toutes les occasions où il s’était trouvé, en bon général et en brave soldat. (Saint-Chamans).
On le voyait tantôt à la tête des Tirailleurs Corses, ou de ceux du Pô, tantôt à la tête du 26e Léger ou du 3e de Ligne, encourager ses soldats et leur donner l’exemple d’un dévouement héroïque. (Vicomte de Pelleport)
Les troupes sont dignes de leur chef , elles parviennent à faire croire au double de leur nombre. Cependant entre 8 et 9 heures, une colonne russe forte de 24 bataillons reprend l’offensive avec acharnement. C’est à un contre quatre que l’on doit se battre, le commandant d’Ornano et le capitaine Morandini ne cessent de parcourir la ligne des Tirailleurs Corses. Dressé sur ses étriers, le commandant d’Ornano recommande de ne faire feu qu’à bout portant. La fusillade éclate et fait des ravages dans les rangs des Russes qui reculent; remis de leur surprise, ils s’élancent à nouveau, poussant des cris de rage, une nouvelle salve les reçoit mais ils sont trop nombreux et il faut reculer.
Le général Merle a son cheval tué sous lui. Sa brigade forcée d’évacuer, pas à pas en faisant face à l’ennemi, le village de Telnitz, est rejetée au delà du Goldbach, du côté d’Ottmarun. L’artillerie ennemie placée sur les mamelons qui dominent fait subir à nos Tirailleurs de lourdes pertes et la droite française se serait trouvée débordée et même compromise si Buxhowden [2]Que l’on dit très imbibé d’alcool ! eut passé le ruisseau sur le champ. Mais il est vrai que les Tirailleurs Corses pourtant sous la mitraille de l’artillerie ennemie continuent à faire le coup de feu, et qu’il ignorait que pendant ce temps le général Langeron s’empare de Telnitz, bravement défendu par les Tirailleurs du Pô et le 26e Léger et débouche dans la plaine.
Sur ces entrefaites arrive Davout, accourant de Raigern, avec la division Friant. Le 1er Régiment de Dragons est envoyé au secours de Margaron, qui depuis la retraite du général Merle arrive à peine avec sa cavalerie légère à contenir la tête de colonne Austro-Russe. Les quatre régiments de Bourcier (10e , 15e , 17e et 18e Dragons) vont se positionner entre Ottmarun et Moenitz pour soutenir la droite.
Bientôt la Brigade Heudelet de la division Friant s’avance au pas de charge et après un combat rapide et violent reprend Telnitz. Les Tirailleurs Corses et le 26e Léger se reportent en avant, poussant dans les reins les Russes qui ne savent plus où donner de la tête. Alors a lieu une terrible méprise: le 26e Léger toujours à la poursuite des Russes, dans la vallée couverte de brume du Goldbach, ouvre le feu sur des ombres compactes qui se profilent devant elles ….il s’agit du 108e de Ligne de la brigade Heudelet [3]Exemple de ce que l’on nomme un « Friendly Fire » ». Un moment de confusion se produit dans les rangs français, moment dont profite la général Autrichien Nostitz pour faire charger ses hussards. Une nouvelle fois, nos troupes sont chassés de Telnitz, mais la brigade de Dragons Bourcier , alertée par la fusillade, se présente, empêchant l’ennemi de déboucher du village, et pendant plusieurs heures, on lutte sur place avec un furieux acharnement.
Du côté de Sokolnitz, la lutte continue, le commandant Hulot soutenant un combat opiniâtre avec une valeur et un dévouement des plus brillants, reculant pas à pas devant les 5.000 Russes qu’il a devant lui. Davout dirige alors Friant de ce côté avec les Brigades Lochet et Kisler. Sokolnitz est repris, puis reperdu, Friant jugeant froidement la situation, laisse alors les colonnes Russes passer le village, puis s’avancer, les faisant alors charger de flanc avec l’aide de la cavalerie légère de Margaron. Il les romp et les rejette de l’autre côté du ruisseau. Là, ils retrouvent les restes des fusiliers de Boutyrki, de Narva, d’Azov poussés par le général Wimpffen et appartenant à la colonne Pribyrjeski, mélangés aux bataillons de la 2e colonne [4]les Tirailleurs Corses sont intervenus contre eux auparavant. Les Russes essaient de se reformer, quelques débris de corps Autrichiens se sont ralliés à eux. Mais Friant, Merle, Davout continuent de les harceler, le feu se ralentit, les unités ennemies sont de plus en plus enchevêtrées, mélangées, parfois sans commandement. Tout est prêt pour en profiter.
Aussi, pendant que la division Legrand soutenait ce combat de géant, attirant sur elle de plus en plus de troupes ennemies, les Maréchaux Lannes, Soult, Bernadotte, Murat et la Garde, écrasent le centre et la droite Austro-Russe, en rejetant les débris au delà du village d’Austerlitz. Il est 13 heures, et à ce moment là, la victoire ne fait aucun doute.
L’Empereur descendant alors du plateau de Pratzen avec les corps de Soult et de toute sa Garde, cavalerie, infanterie, et artillerie, se précipite vers Telnitz, où il prend de dos les colonnes ennemies, que Davout, Merle et Friant attaquent de front
Un rude et dernier combat s’engage près du village tant disputé, entre nos troupes et celles qui restent du général Doctorov; la division Legrand marche sur l’artillerie ennemie, en chasse les servants et s’empare de 36 pièces de canons avec leurs caissons, elle a eu l’honneur et la gloire d’avoir commencé et terminé cette bataille dans laquelle elle avait pris 12 drapeaux, fait prisonniers 4 généraux, 5 colonels, 60 officiers et 3000 hommes.(Comte de Persan).
Dès ce moment, les nombreuses et lourdes masses Austro-Russes entassées sur les chaussées étroites qui règnent le long du ruisselet de Goldbach, se trouvant prises entre deux feux tombèrent dans une confusion inexprimable. Les rangs se confondirent et chacun chercha son salut dans la fuite.(Journal du Général Jaubin des Odoards).
Peu après 13 heures, poursuivant leur offensive, les divisions Saint-Hilaire et Vandamme, accentuent leur mouvement de conversion. La première se dirige vers l’angle sud-ouest du plateau, et est peu après rejointe par les Tirailleurs Corses et la Brigade Levasseur (18ème et 75ème de Ligne). Sa mission de flanc garde étant terminée, le Général appelé par l’Empereur, a quitté Kobelnitz pour monter sur la hauteur et s’est placé à gauche de Saint-Hilaire. Les trois brigades refoulent rapidement les régiments très affaiblis de Kamenski et les bataillons épuisés de Kollowrath. Menacés d’encerclement par la conversion de Vandamme et l’arrivée des Dragons de Boyer, ils s’échappent en toute hâte vers Hostieradeck en abandonnant leur artillerie.
Parvenu au chemin de Sokolnitz où la fusillade est violente, les éléments Français de tête aperçoivent deux bataillons Russes précédés de Cosaques et appuyés de quelques canons. Langeron est à leur tête. Ce sont les fusiliers de Koursk. Arrachés par le général de la cohue de Sokolnitz pour renforcer Kamenski, ils arrivent trop tard. Isolés, attaqués de front avec leur impétuosité coutumière, par les Tirailleurs Corses qui étaient en avant garde, de flanc par Levasseur, bousculés, cernés, ils sont sabrés par les Dragons de Boyer. Les Tirailleurs Corses ramèneront leur drapeau à l’Empereur.
Les hommes de Vandamme et Boyer, vont continuer le ratissage vers le mamelon. La lutte devient farouche contre un ennemi écrasé, se battant jusqu’au désespoir. A terre, les blessés rechargent leurs fusils, des groupes de prisonniers qui n’ont rien à perdre ramassent des armes et tirent sur les nôtres, les assomment par derrière. Tout ce qui vit encore est immédiatement abattu ou cloué au sol aux cris de : Pas de prisonniers ! On continue le ratissage vers le mamelon. A mi-hauteur, on s’arrête et on laisse reposer les hommes pour l’assaut final.
De l’autre côté du Goldbach, les soldats de Davout, de Friant, de Legrand, tiennent au bout de leurs baïonnettes les Russes qui ne sont plus que gibier à l’hallali. Tirailleurs Corses à droite, puis 18e et 75e de la Brigade Levasseur, qui retrouve à peu près ses emplacements de la matinée. Ensuite Morand et le 10e Léger, puis la Brigade Thibault renforcée par le 55e de Ligne et la Brigade Ferray (46e et 57e ), à l’extrême gauche le 3e de ligne et le 26e Léger de Legrand. Tout cela est en place depuis un quart d’heure lorsque Saint-Hilaire apporte l’ordre d’enlever le château de la Faisanderie et de poursuivre les Russes.
Ceux ci se replient alors après un court mais terrifiant combat, sur Aujetz, de là, un nouveau combat s’engage, les Russes essayent de résister de leur mieux, mais les Français ont trop nombreux…
Les troupes de Davout, de Soult, et même la Garde mènent l’assaut, les Russes sont rejetés vers l’étang gelé de Satschan.
C’est à Hollabrunn que les Tirailleurs Corses ont reçu le baptême du feu, c’est à Austerlitz qu’ils s’affirmèrent comme troupe d’élite. Le Maréchal Soult écrit sur eux : –
les Tirailleurs Corses ont rivalisé de bravoure avec les corps les plus aguerris de l’armée.
Le lendemain matin 3 décembre de bonne heure, l’infanterie légère et la cavalerie se mirent en mouvement pour poursuivre l’ennemi en déroute, l’Empereur bivouaquant comme ses soldats. Ce fut à son premier bivouac qu’il reçut un envoyé de François II, venant négocier une paix séparée.
Le 4 décembre 1805 au matin, c’est en plein air et au bivouac que l’Empereur reçoit de l’Empereur d’Autriche des propositions de paix. Les préliminaires sont signés. L’Empereur s’installe au château d’Austerlitz, là il baptise sa victoire et lance sa fameuse proclamation :
Soldats, je suis content de vous !
Vous avez à la journée d’Austerlitz justifié tout ce que j’attendais de votre intrépidité. Vous avez décoré vos Aigles d’une gloire immortelle. Une armée de cent mille hommes commandée par les Empereurs de Russie et d’Autriche a été en moins de quatre heures dispersée ou coupée. Ce qui a échappé à votre fer s’est noyé dans les lacs. Quarante drapeaux, les étendards de la Garde Impériale de Russie, cent vingt pièces de canon, vingt généraux, plus de trente mille prisonniers sont le résultat de cette journée à jamais célèbre. Soldats, lorsque tout sera accompli, je vous ramènerai en France, là vous serez l’objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous reverra avec joie et il suffira de dire : J’étais à la bataille d’Austerlitz, pour que l’on réponde : Voilà un Brave.
References[+]