Les pillages français à et autour de Pápa en 1809
D’après un article de Zsolt Mezei
(Communication présentée à Pápa en 2005 – Remerciements à Ferdi Wöber)
(Le combat de Pàpa se déroule le 12 juin 1809, lors de l’avancé des troupes du Prince Eugène de Beauharnais en direction de Raab (Györ) où il remportera, le 14, l’une de ses plus belles victoires.)

Les données ci-dessous sont essentiellement tirées de « Följegyzések a francia katonaság által Pápán okozott károkról » (Archives de la Bibliothèque des archives provinciales de Széchényl), ensemble de 85 documents manuscrits dans lesquels les dommages subis par la population de Pápa sont répertoriés, et qui furent collationnés dès le mois de juillet 1809.
La première relation des événements de 1809 fut l’oeuvre du docteur municipal János Zsoldos, de Pápa, et qui paru en 1817. Zsoldos était le directeur de l’administration de l’hôpital, et il avait rassemblé et publié les données figurant dans le journal de cet hôpital, après que les pillages des Français fussent terminés. Ce travail est, encore de nos jours, une source de renseignements particulièrement utile.
Le chirurgien de Wezprem, Károly Francsis (né à Pápa) commença un Journal et à écrire ses Mémoires en 1848. Dans celles-ci, il relate les pillages perpétrés par les Français, de la façon suivante : on peut imaginer comment les soldats avaient assaillis les maisons de la ville; de quelle manière ils détruisirent et volèrent tout ce qu’ils purent trouver. Chez ses parents, de pauvres artisans, les pillards n’avaient pu trouver rien ayant de la valeur . Un simple soldat avait arraché l’alliance du doigt de son père et dérobé sa toute dernière cravate en soie. Après deux heures terribles, le tambour avait résonné et les ennemis avaient quitté les maisons.

Le bénédictin Tamàs Füssy relate également l’arrivée des Français. Lui aussi, comme les autres auteurs, attribue les pillages commis par les Français , au fait qu’un tzigane aurait sournoisement abattu un major français nommé Ayet [1]Jean-François-Hubert Ayet, officier de cavalerie né à Verdun le 2 novembre 1776. Son nom ne figure malheureusement ni dans les « Fastes de la Légion d’honneur », ni dans le … Continue reading , qui devait mourir plus tard de ses blessures. Tout ceci fit également surface dans une monographie publiée en 1905, dans laquelle on peut lire que le pillage de la ville commença vers 4 heures de l’après-midi, et que les soldats firent irruption dans toutes les maisons et s’emparèrent de tout ce qui pouvait leur être utile. D’autres auteurs rapportent également que plusieurs officiers français furent tués durant les combats et que les Français se vengèrent de cette manière. Selon les plus récentes publications , les sources françaises ne mentionnent en aucune manière l’incident déclenché par le tzigane. Aucune source française ne confirme directement cet épisode. Le seul indice indirect est donné par la liste des pertes du régiment de chasseurs à cheval n° 1, d’après laquelle un soldat de ce régiment serait mort le 12 [2]En fait, Ayet décède le 14 juillet. Il fut enterré, avec d’autres soldats français, et le lieutenant badois Müller, avec les honneurs civils et militaires. Mais le prêtre officiant … Continue reading . L’officier serait mort plus tard de ses blessures. En fait, il n’existe aucune preuve, que l’officier aurait été blessé durant l’incident, mais cela ne peut être écarté.
Quoiqu’il en soit il est certain que le commandant supérieur de l’armée d’Italie, le vice-roi d’italie, Eugène de Beauharnais, autorisa deux heures de pillages, à partir de 4 heures. Ce sont avant tout les objets de valeur des personnes privées qui eurent à souffrir de cette « visite ». Mais les différentes sources montrent que les institutions furent également dévalisées. Il n’apparaît aucune planification des événements. Les soldats s’emparèrent tout simplement de tout ce qui semblait avoir de la valeur et pouvait être transporté. L’inventaire des objets volés montre que les biens des citoyens eurent à souffrir des dégâts particulièrement importants.
Il nous faut en première ligne nous intéresser aux pertes en argent. Pratiquement tous les citoyen ayant donné des information, signalent que les voleurs les dépouillèrent de la totalité de l’argent, qu’ils avaient sur eux ou qu’ils avaient en lieu sûr dans leur maison. Dans les dépositions c’est l’argent liquide qui est mentionné avant toute chose. Les sommes déclarées vont de 20 à 80 Forints. Mais certains furent dévalisés de plusieurs centaines de Forint. Simon Stern, par exemple, du quartier de Felsöváros ou Lázlo Tóth perdirent, respectivement, 360 et 318 Forints. . Le surintendant Jakab Torkos eut à déplorer la perte de de 7 Rhénes-Silbertforint (1 Rhénes-Forint = 100 Denar = 60 Kreuzer). Dans beaucoup de famille les coffres qui servaient à conserver les objets de valeur, furent forcés et vidés.
Une grande quantité de bijoux et de montres fut dérobée (ce qui permet par ailleurs de juger du niveau de vie de l’époque) . János Göndöts, du centre ville, met ainsi sur sa liste une chaîne de dame en argent d’une valeur de 55 Forint. Károly Ornyik perdit un anneau orné d’un gemme rouge et de deux petits diamants, ainsi qu’un autre anneau d’or et de pierres précieuses. Les soldats dérobèrent à János Hévner (Felsöváros) une montre en argent, d’une valeur de 40 Forints. Chez l’écrivain Imre Kreskay, c’est un rasoir anglais, en plus de sa montre (d’une valeur de 60 Forints) qui est dérobé. Dans ce domaine des montres, celle du surintendant Jakab Torkos , d’une valeur de 100 Forints, d’or et ornée de diamants, ainsi qu’une autre en argent furent la proie des pillards. Antal Kemény et Gellért Barabás furent également dévalisés de leur montre en argent. Le juriste Sámuel Pápay subit le même sort, de même que le comptable Mihály Hering. Chez Jozsef Csoknay, ce sont une montre en or (90 Forints) et une en argent (25 Forints) qui furent volées; chez la veuve Jánosné Ányos, une superbe horloge (200 Forints) ainsi qu’une paire de boucles d’oreilles en or (30 Forints).
Au vu de cette liste on s’aperçoit que la montre était alors , au sein de la noblesse fortunée et de l’intelligentsia, un objet de tous les jours. Les personnes citées plus haut étaient même en possession d’objets de très grande valeur. On note également dans les déclarations plusieurs services en argent (chez Anna Kisfaludy, par exemple, onze paires de couteaux en argent d’une valeur de 220 Forints furent dérobés.)
Chez Anna Lenartsits, les Français mirent en miettes non seulement ses miroirs et ses tableaux, mais transformèrent également son bureau en bois de chauffage,.
Un grand nombre d’habitants eurent à se plaindre que leurs chevaux, leurs boeufs et leurs vaches furent dispersés, abattus et mangés. Où bien tout simplement réquisitionnés comme bêtes de trait, sans que leurs propriétaires ne les revoient jamais. Chez Ferenc Csernitzky, deux bœufs furent ainsi abattus et ses deux chevaux de trait réquisitionnés. Alors que la dame Jánosné Német transportait du pain à Györ pour les troupes françaises, les soldats lui prirent son cheval. Chez le tenancier Mátyás Schlager deux chariots et 9 Klafter de bois de chauffage furent dérobés. La liste pourrait facilement se continuer.
On n’est pas moins étonné par la quantité de vin dont les pilleurs s’emparèrent, burent ou qu’ils simplement vidèrent des tonneaux. Elle s’élève à environ 10. 000 litres, pour une somme impressionnante. Pas moins de 1880 litres furent ainsi bus chez le seul János Volmuth (Felsöváros). 510 litres et 34 bouteilles furent emmenés du café Böröllo (Alsóváros). Dans celui de la Öreg utza, 240 litres furent bus et 6 pains consommés, gratuitement. Chez la veuve Jánosné Schimbl, les pillards s’emparèrent de plus de 2100 litres de Somléberg, de l’année 1807, 1300 litres de l’année 1808 et encore 3200 litres de Szentgyörgyhegy de 1808. (si l’on en croit les rapports, c’est cette dame qui eut à souffrir le plus des pillages : entre objets de valeurs et le bétail, l’estimation s’élève à environ 4500 Forints). Sur sa déclaration, le nommé Pál Kardos, propriétaire et exploitant de deux débits de boissons (Hódoska, centre ville) indique en premier les pertes énormes en boissons : plus de 3400 litres de vin et environ 55 litres d’eau-de-vie.
Mais aucun bien matériel ne fut épargné. Miklós Frankovics (Felsöváros) se voit dérober 150 peaux de mouton pour une valeur de 337 Forints. Les Français réquisitionnèrent par ailleurs les draps de soie, les vêtements, les sous-vêtements d’hommes ou de femmes, les rideaux, les manteaux, les jupes, les vestes, les draps de lit. On peut donc dire qu’ils s’emparèrent de tout ce sur quoi ils pouvaient mettre la main. . L’hôtelier Jakab Staidl se fit ainsi dérober 10 paires de vêtements d’hommes blancs, et un sac de toile. Les pilleurs s’emparèrent, chez l’avocat István Pacsay, de 3 manteaux en soie, ornés de cols de fourrure et de boutons en or, d’un bonnet rouge tissé de fil d’or, des pantalons de ses fils, des jupes, mouchoirs de boutons dorés non utilisés de sa femme et de sa fille.
Pour ce qui est des animaux sur pied, ce furent surtout les porcs et porcelets, les poulets, canards, oies qui furent volés, ainsi, naturellement, que la nourriture préparée à partir de ces animaux : beaucoup de lard, plusieurs douzaines de jambons, le saindoux, les œufs ainsi que d’autres aliments conservables. Ce fut la tenancière de l’établissement Fehér-Mühle, la dame Schimbl, dont on a déjà parlé, qui eut le plus à souffrir dans ce domaine : 75 oies, 120 canards, 300 autres volailles, environ 65 kilos de beurre et 125 kilos de saindoux. Chez le berger Lipót Koller, 20 moutons furent rotis et dévorés.
Beaucoup signalèrent, dans leurs déclarations de pertes, que les troupes ennemies piétinèrent et dévastèrent les terrains de la ville, entraînant des pertes considérables en récoltes de l’année. Ferec Kamondi rapporte à ce sujet comment il eut à souffrir de cette manière. Les soldats avaient, avec leurs chariots et leurs chevaux, tellement abîmé son champ, planté moitié de froment, moitié d’orge, qu’il avait ainsi perdu environ 100 kilos de froment et 280 kilos d’orge. De la même manière, chez l’avocat Dániel Osváld (Borsosgyör), les semences de froment avaient été totalement détruites. Chez Mátyás Schlager, le foin, pour une valeur de 2500 Forints, fut réquisitionné.. On vola également, chez Lipót Koller, déjà nommé, environ 185 kilos d’orge, 1500 kilos d’avoine, 10 Klafter de paille de froment , ainsi que 3000 (!) gerbes de roseau.
En ce qui concerne les plantes de jardins, les dégâts suivants furent rapportés : dans le jardin potager de la dame Istvánné Király, 16 plate-bandes d’ail, dans celui d’Itsván Tömböl, 500 gerbes de roseau et deux Klafter de bois, dans celui de János Acs, du foin à hauteur de 450 Forint. Jakab Staidl, le tenancier d’alors de l’auberge « Feher Ió », qui se trouvait à l’emplacement de l’actuel Collège des Réformés, eut à se plaindre que les Français saccagèrent dans son jardin potager: 2400 plants de choux, 3 carrés de persil, 2 carrés de carottes, d’ail et de pois. D’un intérêt particulier est le point 5 de la liste dressée par Ferenc Kamondy. On y trouve en effet : « Quelques jours avant l’arrivée des Français, sa femme avait envoyé au pressoir Felsöváros, dans un sac, environ 100 kilos de pépins de courge . Le presseur n’avait cependant pas encore terminé son travail, de telle sorte que les pilleurs avaient dispersé les pépins et s’étaient même emparé du sac, ce qui lui avait entraîné une perte considérable. De la quantité d’origine de pépins, on n’avait pu tirer à peine 1.5 litre d’huile, et le sac était également très onéreux ! [3]Cet incident révèle par ailleurs que l’huile de courge, que l’on redécouvre depuis peu, était alors très répandue dans l’alimentation des ménages..
Il est également intéressant de mentionner que les soldats détruisirent le jeu de boule dans la cour du restaurant de Jakb Staidl [4]Indice, ici, des habitudes de distractions des habitants de cette époque.. Les boules, apparemment faites en bois, servirent à faire du feu. L’hôtelier eut également à fournir, trois semaines durant, café et sucre aux officiers français. Plusieurs personnes rapportent que les fusils de l’intendant Gábor Bálintffy et du noble József Csuzy furent réquisitionnées. Sámuet Pápay se fit voler son épée et son couteau à cran d’arrêt, le meunier Jószef Geltz (de Agayaglik) 4 fusils et un pistolet.
A part cela, les pillards s’emparèrent d’autres choses de moindre valeur : couverts, brebis, tonneaux , services. Chez le berger Lipót Koller (de Pinkóc), 13 charrues à soc en fer et tous les équipements servant à l’élevage des moutons, furent brûlés. On peut facilement s’imaginer l’impact que cela dut avoir sur ses activités ultérieures. István Nagy rapporte que la porte de sa chambre fut enfoncée, les gonds abîmés, son bahut détruit, le chandelier et d’autres objets dérobés. De lui nous apprenons également que les hommes de Grouchy logèrent chez lui : l’aide-de-camp du général, avec 2 officiers, 25 dragons avec chariots, cochers, 42 chevaux et 8 bœufs.

Il faut encore évoquer deux Institutions , que les Français endommagèrent. L’une est le cloître des Franciscains (Felsöváros), où, selon le prieur Antal Jemri des dégâts, pour une somme de 800 Forints, furent à déplorer. D’après une autre source, on apprend que, par respect, le cloître , en face du lieu saint, ne fut pas endommagé. Toutefois, le prince Eugène aurait « emprunté » les chevaux du cloître pour se rendre à Gönyü : le Prieur ne les revit jamais.
L’autre Institution est le Collège des Réformés, dont tout l’argent liquide présent dans la caisse (365 Rhénes-Forint et 20 Kreuzer) fut dérobé. Le Directeur du Collège nota que 28 soldats avaient fait irruption dans sa maison, pour l’entretien desquels (15 kilos de viande, 25 litres de vin, 1 litre d’eau-de-vie) il dut débourser 14 Silberforint et 4 Kreuzer. L’étudiant en théologie Jószef Motsi se fit voler 30 Silberforint. Mais ceci est porté sur la liste des pertes déplorées par le Collège.
Dans cette optique, la littérature historique locale note que la Bibliothèque du Collège doit son salut à Márton István Mándi. Ce professeur logeait en face de l’école et, au lieu de défendre da propre maison, s’y rendit en hâte. Parlant parfaitement le français, il réussit à persuader les soldats d’épargner la bibliothèque. [5]Ceci n’est toutefois défintivement confirmé par aucune source écrite.

References[+]
↑1 | Jean-François-Hubert Ayet, officier de cavalerie né à Verdun le 2 novembre 1776. Son nom ne figure malheureusement ni dans les « Fastes de la Légion d’honneur », ni dans le dictionnaire des colonels de Napoléon, de Bernard Quintin. |
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↑2 | En fait, Ayet décède le 14 juillet. Il fut enterré, avec d’autres soldats français, et le lieutenant badois Müller, avec les honneurs civils et militaires. Mais le prêtre officiant n’eut pas l’autorisation de noter sur les registres le nom des deux officiers. |
↑3 | Cet incident révèle par ailleurs que l’huile de courge, que l’on redécouvre depuis peu, était alors très répandue dans l’alimentation des ménages. |
↑4 | Indice, ici, des habitudes de distractions des habitants de cette époque. |
↑5 | Ceci n’est toutefois défintivement confirmé par aucune source écrite |