Les Français en Prusse – Chapitre 15
« De toutes nos forteresses, dit l’auteur des Vertraute Briefe, cinq seulement n’ont pas été prises. Toutes les autres ont succombé après avoir été défendues, les unes bien , comme Dantzig et Cassel ; d’autres médiocrement , d’autres pas du tout ! » Parmi ces dernières figure au premier rang Custrin, dont le commandant Ingersleben fut justement puni de mort. Voici, d’après un témoin oculaire, comment les choses se passèrent dans cette place.
Au début, la population de Custrin, comme celles de Berlin et de Königsberg, s’attendait à une victoire prussienne plus éclatante que Rosbach. Le 18 octobre, on apprit la vérité sans cependant y croire encore ; et, dès le lendemain, le commandant reçoit l’ordre bien tardif de mettre la place en état de résister, sinon à un siège en règle, du moins à un coup de main.
On interdit en conséquence aux habitants l’accès des remparts, et l’on commença à faire quelques préparatifs de défense, à miner le pont de l’Oder, à raccommoder quelques affûts, mesures bien insignifiantes, mais qui confirmaient les nouvelles sinistres déjà répandues dans la ville.
L’arrivée du Roi dans la matinée du 20 produisit un effet indescriptible. Il était accompagné du prince de Saxe-Cobourg, du comte d’Haugwitz, des généraux de Zastrow et de Koeckeritz. En descendant de voiture, il dit aux autorités civiles et militaires : « c’est un bien malheureux événement qui m’amène ici… » L’alarme était déjà partout. Pendant toute la journée, les habitants des faubourgs et de la banlieue affluèrent dans la ville avec tout ce qu’ils avaient pu emporter de mobilier.
Vers dix heures du soir, la reine arriva de Stettin, accompagnée du baron, futur prince de Hardenberg. Depuis huit jours elle fuyait, pourchassée de place en place par les nouvelles effrayantes qui se succédaient sans relâche. Plusieurs maîtres de poste ayant déjà emmené leurs attelages dans les bois, la Reine avait été obligée de faire de longues et pénibles stations dans plusieurs villages, et même de doubler le dernier relais, celui de Barwald, avec des chevaux épuisés de fatigue.
« Le lendemain matin, le couple royal visita les fortifications avec le commandant. On ne pouvait voir sans émotion cette princesse infortunée, les yeux rougis par les larmes et l’insomnie, marcher auprès du roi sous un ciel pluvieux. La tête basse, perdue dans ses tristes pensées, elle semblait ne rien voir de tout ce qui se passait autour d’elle. »
Il fallait aussi que le roi fût bien préoccupé pour ne pas remarquer l’attitude singulière du commandant, qui paraissait étranger à tous les détails de sa forteresse, au point d’être obligé de recourir à un subalterne, pour indiquer au roi les noms des divers ouvrages de défense. Il paraît que cet homme, abruti par des excès de toute nature, était, dans ces graves circonstances, encore plus ivre que d’habitude.
Les jours suivants, il vint des troupes de Berlin, de Francfort. Tout un bataillon d’artillerie arriva à travers champs ; il avait pris la fuite sur un faux bruit de l’apparition des Français. Puis on vit paraître des fuyards, des blessés de Halle et même d’Iéna; aucun de ceux-là n’avait conservé ses armes. Il y avait déjà dans la place plus de quatre mille hommes de troupes, mais ils auraient eu grand besoin d’un commandement énergique. La population des environs continuait à refluer en ville, au point d’interrompre la circulation. Les habitants se hâtaient de transporter leurs effets dans les caves, s’attendant à un prochain bombardement. Mais l’idée d’une reddition immédiate, sans aucune résistance, n’était encore venue à personne.
Dans la matinée du 26, le couple royal fit à la population de tristes adieux. Le Roi, en partant, recommanda au commandant de tenir jusqu’à la dernière extrémité. « Que Votre Majesté me perce de ma propre épée, répondit Ingersleben, si je rends Custrin avant un an ! » Il paraît que cet homme trahit ses maîtres à bout portant, le jour même de leur départ: Dans la soirée, un officier français parut accompagné d’un trompette, et repartit après avoir causé mystérieusement plus d’une heure avec le commandant.
Le lendemain, on apprit par quelques habitants échappés de Francfort, l’entrée d’une avant-garde française dans cette ville. Dans la nuit du 29 au 30, un paysan vint dire qu’il y avait trois chasseurs français au village de Munschenow, à une petite lieue de Custrin. On y envoya quelques cavaliers, qui ramenèrent en effet ces éclaireurs trop peu vigilants, qu’ils avaient surpris dormant d’un profond sommeil. « Ce furent nos premiers prisonniers, ce furent aussi les derniers « , dit mélancoliquement le bourgeois de Custrin dont nous analysons le récit.
Le même jour, vers midi, on entendit crier: les Français arrivent ! Plusieurs habitants montèrent au clocher, et assistèrent à toutes les péripéties de l’escarmouche engagée entre un peloton de hussards prussiens, et un petit détachement français débouchant de Munschenow. Vers quatre heures, les hussards, vivement pressés, se replièrent, et le commandant donna l’ordre de détruire le pont de l’Oder ; mais le feu, mis avec négligence, ne fit qu’un dégât insignifiant.
« Ce fut un bonheur, puisque la place devait succomber si vite. » Les tirailleurs français étaient déjà logés dans le faubourg : le commandant d’artillerie demanda l’autorisation d’y jeter quelques bombes ; elle lui fut refusée ! Ingersleben passa la nuit dans une casemate avec ses compagnons de débauche ordinaires, et s’enivra, dit-on, mieux que jamais. La garnison, qui naturellement avait été sur pied toute la nuit, reçut le matin l’ordre de rentrer dans ses quartiers. Un chef de bataillon dit: « Il y a de la capitulation en l’air ! ».
Le lendemain 1er novembre, on vit en effet l’indigne commandant, accompagné de 1’ingénieur et d’un trompette, traverser l’Oder en bateau, et le chef français venir à sa rencontre. Ils se dirigèrent ensemble vers une maison du faubourg, et, peu de temps après, le commandant revint en compagnie de quelques Français. Tout était fini… On a parlé de l’indignation, du désespoir des soldats, de reproches amers adressés au commandant, impassible dans sa honte. Il faut convenir qu’il aurait mérité mieux que des reproches. Le passage du pont se trouvant alors intercepté par l’incendie de la veille, le complaisant Ingersleben envoya des embarcations qui eurent bientôt fait de transporter dans la ville les deux cent cinquante Français devant lesquels quatre mille hommes déposèrent les armes. L’officier qui commandait ce détachement se nommait Petit ; c’est le même qui, devenu général, figura en 1814 dans la scène célèbre des adieux de Fontainebleau [1]Inersleben fut condamné à mort, ainsi que le commandant de Stettin, dont la faiblesse, peut-être moins criminelle, eut des conséquences encore plus désastreuses. Quelques gens superstitieux se … Continue reading.
Cette affaire de Custrin est le type des capitulations honteuses. Celle de Hameln offre des particularités intéressantes et peu connues. Il en existe deux relations dues à des témoins oculaires, et qui pourtant diffèrent essentiellement sur quelques points ; l’une est du syndic de la ville, nommé Lüders, l’autre est de l’officier du génie de Rheden, qui faisait partie de la garnison. Cette dernière semble la plus impartiale. Le commandant, homme sans caractère, flottait entre les menaces des parlementaires ennemis et l’opposition énergique d’une partie de ses officiers. Il jurait de ne jamais se rendre, en sortant de discuter les articles de la capitulation, un beau jour, laquelle, se trouva signée. Le syndic Lüders, comme bien d’autres bourgeois qui habitent des places fortes, se croit né ingénieur, et raisonne fortifications à tort et à travers. Il maltraite fort les militaires, et ne fait exception que pour un seul, le respectable lieutenant-colonel Hammelberg. De Rheden, au contraire, soutient que cet officier fut précisément l’instigateur principal de la capitulation, et explique les égards de Lüders par cette considération assurément puissante, qu’Hammelberg était son locataire. La veille du jour où la place devait être remise aux Français, les troupes se révoltèrent, criant assez justement à la trahison. Mais il ne se trouva aucun, officier assez énergique ou assez aimé pour donner à ce mouvement une direction honorable. Il s’éteignit faute d’aliment, après quelques scènes regrettables de pillage et d’ivresse.
La reddition de Magdeburg (novembre), avec ses vingt-deux mille hommes de troupes et son immense matériel, mit le comble aux désastres de la monarchie prussienne. Le vieux général de Kleist, gouverneur de cette ville, n’était ni un traître ni un lâche, c’était un homme absolument usé. Un de ses aides-de-camp, qui eut le courage de publier une sorte d’apologie de sa conduite, affirma qu’il était malade, presque mourant aux eaux de Pyrmont, quand la nouvelle du désastre d’Iéna le rappela à son poste, et qu’il avait eu à peine la force de faire ce voyage. Mieux eût valu, pour la Prusse et pour lui-même, que la force lui manquât tout à fait. On disait qu’un certain nombre d’officiers inférieurs avaient projeté de s’opposer à la capitulation, qu’ils étaient sûrs de leurs soldats, qu’ils avaient vainement sollicité les généraux Wartens leben, blessé, et Alvensleben de se mettre à leur tête. On avait vu notamment un lieutenant du régiment de la Reine, blessé grièvement à Auerstaedt, parcourir les rues, entortillé dans une couverture de laine ensanglantée, et déclamer contre les lâches qui songeaient à se rendre. Cet officier était le Silésien Schill, qui allait bientôt se faire un nom comme chef de partisans en Poméranie.
« Ce qui est certain, dit un contemporain d’après le rapport d’un des officiers de la garnison, c’est qu’à l’issue du conseil de guerre, dans lequel la majorité avait opiné pour la reddition, Kleist vint à la parade et dit : « Messieurs, je capitule. Si quelqu’un de vous est d’un autre avis, qu’il le dise. » Il y eut quelques murmures prolongés, mais personne ne prit la parole. Parmi les publications auxquelles donna lieu cet événement, on remarque celle qui opposait à la reddition précipitée de 1806 le souvenir du siège mémorable soutenu en 1550 par cette même ville contre Charles-Quint, après la bataille de Mühlberg (Merkwürdige Belagerung Nagdeburgs, Berlin, 1807) . Malgré l’impression récente de cette défaite, aussi désastreuse pour les confédérés protestants que l’avait été celle d’Iéna pour la monarchie prussienne, Magdeburg avait résisté treize mois aux vainqueurs, et obtenu les conditions les plus honorables. On avait attendu pour capituler, qu’il n’y eût plus qu’un sixième de la population de valide. Quel contraste navrant entre un tel passé, et les hontes du présent !
Le commandant de Spandau, Benekendorf, fut jugé digne comme Kleist de la dégradation militaire, ignominie à laquelle un homme de cœur eût préféré la mort. Mais cet officier était également un de ces hommes finis, chez lesquels, suivant un pamphlet du temps, « l’estomac était le seul organe qui fonctionnât encore. » Au moment où les Français entraient dans sa forteresse, Benekendorf ne semblait occupé que du déménagement de sa basse-cour.
La chute trop prompte de Schweidnitz fut encore une de celles qui blessèrent le plus l’amour-propre prussien. Le nom de cette place se rattachait aux plus glorieux incidents des luttes du grand Frédéric : il avait fait travailler à ses fortifications treize années de suite après la guerre de Sept Ans. A l’approche des troupes de la confédération du Rhin, chargées de réduire la place, les administrateurs civils de Schweidnitz adressèrent à leurs concitoyens une proclamation dont nous allons transcrire quelques passages. Aucun document ne donne une idée plus exacte de l’état de découragement, d’atonie morale, dans lequel les premiers désastres avaient plongé une grande partie de la nation.
« Amis et concitoyens, nous avons aussi notre part de danger… Mettons notre confiance en Dieu, comme ont fait les habitants de Berlin… Il peut dissiper les périls et les craintes, comme les nuages au ciel… Si l’ennemi pénètre dans nos murs, nous parviendrons sans doute à l’adoucir par un accueil amical – (friedliches benehmen). Nous nous appliquerons à satisfaire ses besoins dans la mesure de nos moyens. Il ne manquera pas de nous respecter (ehren) comme de bons et dignes bourgeois qui savent se tenir à leur place et s’accommoder aux nécessités de la situation. Celui d’entre nous qui, par un faux patriotisme, se laisserait entraîner à quelque tentative de résistance, serait un insensé, traître envers ses concitoyens et envers lui-même. Savez-vous la meilleure manière de sauvegarder nos biens, notre vie et notre santé ? C’est de rester bien tranquilles, d’éviter jusqu’à la moindre apparence, d’immixtion illicite dans les mesures de défense, lesquelles sont du ressort exclusif de l’autorité militaire… «
Vient ensuite une série de prescriptions digne de cet exorde. Pour éviter aux gens exaltés des tentations dangereuses, toutes les armes à feu, y compris les pistolets, doivent être déposées à la Maison de ville dans les vingt-quatre heures ; après quoi, l’on fera des visites domiciliaires pour s’assurer que cet ordre de désarmement général, rendu indispensable par la prochaine apparition de l’ennemi (textuel), a été strictement exécuté. Mais les signataires de cet arrêté n’étaient pas, comme bien on pense, des gens capables de mésuser d’un semblable dépôt. Toutes ces armes mises en fourrière allaient être soigneusement étiquetées aux noms de leurs propriétaires et rangées par ordre alphabétique, pour que la restitution pût en être plus commodément opérée, quand tout danger aurait disparu… « On ne devait bouger de chez soi sous aucun prétexte, sauf le cas d’incendie. Enfin, on pouvait se rassurer un peu, en songeant que la place avait un gouverneur aussi humain que brave, qui saurait concilier avec ses devoirs militaires les égards dus à la sécurité de l’habitant, etc. »
On a peine à comprendre qu’une pareille pièce ait été rédigée, signée par des hommes dont plusieurs au moins avaient pu, dans leur jeunesse, contempler « le vieux Fritz » inspectant les travaux de sa place favorite. Du moins, les gens qui récemment se laissaient aller chez nous à de semblables défaillances, et ceux aussi qui trouvaient l’occasion favorable pour insulter aux grands souvenirs de notre histoire militaire, les sots et les lâches de 1870, n’avaient pas vu Napoléon 1er.
L’excès de prudence de ces bourgeois de Schweidnitz n’avait pas même l’excuse d’un danger imminent. Pas un éclaireur ennemi n’était en vue des remparts à cette date (10 novembre). Une chose peut-être encore plus étrange, c’est que cette pièce fut insérée sans commentaire dans plusieurs journaux. En présence de cet affaissement moral, plus profond que ne l’a été le nôtre après Sedan, on comprend quel fut le mérite d’un homme que nous avons déjà nommé et auquel nous reviendrons bientôt, de ce Schill qui, dans ce moment même, osait le premier se retourner contre les vainqueurs, et faire voir, suivant sa propre expression, « qu’il était encore des Prussiens ». Vainqueurs à leur tour en 1870, les Prussiens ont bientôt pu se convaincre aussi, et dans des occasions bien autrement importantes, à Coulmiers, à Châteaudun, à Bapaume, qu’il était encore des Français !
Pour en revenir à Schweidnitz, les ingénieurs français qui visitèrent cette place après la capitulation la trouvèrent aussi forte que Luxembourg. La garnison était insuffisante, il est vrai, mais le corps chargé de l’attaquer l’était encore davantage, et il paraît certain que la place aurait pu tenir quatre mois, au lieu de trois semaines. En annonçant la triste nouvelle an Roi, le commandant de Haak (un véritable Falstaff au physique et au moral, si l’on en croit ses compatriotes) y joignit un mémoire justificatif verbeux., mais faible de raisons. Il alléguait surtout une lettre du général-major de Lindener, son supérieur immédiat, qui, après l’avoir exhorté à faire son devoir, terminait ainsi : « il ne faudra rendre la place que quand il sera évident qu’on ne peut la conserver plus longtemps raisonnablement. »
De Haak se jugea suffisamment autorisé par cette conclusion singulière à capituler, bien qu’il n’y eût pas encore de brèche au corps de la place. Parmi ses raisons, il faisait figurer l’incendie de plusieurs maisons de la ville haute, les plaintes, l’effroi des habitants. Il est certain que sa défense avait été tout à fait dans l’esprit de la proclamation que nous avons citée plus bout. Néanmoins l’apologie de ce commandant souleva d’honorables protestations. « Il y avait, dit un témoin oculaire, de la place de reste dans les caves et dans les casemates ! Les habitants qui osaient circuler pendant les intervalles du bombardement avaient, il est vrai, des mines assez longues, mais je n’en avais pas encore entendu un seul prononcer le mot de capitulation. » La conduite de ce militaire avait dépassé l’espoir des plus peureux d’entre les civils.
Les événements de la Silésie ont donné lieu à des appréciations assez contradictoires. Un jeune homme, le comte Pückler, avait adressé au Roi le plan d’une sorte de Vendée silésienne, dont le noyau aurait été formé par les gardes forestiers du pays, gens rompus à la fatigue et tireurs habiles. Le Roi avait le sens assez droit pour comprendre l’utilité d’un pareil système; il n’avait pas assez de caractère pour en imposer l’exécution, et protéger son auteur contre les attaques combinées des hauts fonctionnaires civils et militaires. La plupart de ceux-ci appartenaient à cette race de formalistes opiniâtres, dont le Brid’oison de Beaumarchais est la caricature encore ressemblante. Le seul mot de Landsturm les faisait bondir; l’idée d’employer à la défense du pays des milices étrangères aux finesses des manœuvres classiques leur paraissait de la plus haute inconvenance; mieux valait succomber réglementairement. Aussi, bien que le Roi eût signalé le plan du comte Pückler à l’attention des autorités, cet homme de cœur se vit en butte à d’odieuses accusations. On alla jusqu’à l’accuser de vouloir spéculer sur les malheurs publics pour organiser des bandes de brigands. Pendant que ce mauvais vouloir paralysait ses efforts, l’invasion suivait son cours, et Pückler, désespéré de son impuissance et des calomnies qui le poursuivaient, prit le parti de se brûler la cervelle… Nous donnons cette appréciation sous toutes réserves, d’après les témoignages les plus favorables à ce chef de partisans manqué. Toutefois, ce suicide nous semble étrange, et semble dénoter, tout au moins, de la faiblesse ou de l’égarement d’esprit. Nous verrons plus loin qu’on essaya en vain de réaliser les projets de Pückler. Les circonstances étaient si difficiles, que probablement lui-même n’eût pas mieux réussi.
Glogau succomba le 2 décembre, après un mois de siège. Cette prompte reddition parait excusable, parce que la garnison était composée en grande partie d’anciens Polonais qui désertèrent en masse, quand ils apprirent ce qui se passait sur la Vistule. Les gentilshommes campagnards des environs de Glogau montrèrent peu de patriotisme. Ennuyés des réquisitions des assiégeants, ils envoyèrent au commandant de la place une députation pour le prier d’abréger une résistance qui les ruinait. Parmi ces députés figurait un comte qui avait, disait-on, un sujet de préoccupation plus intime. Sa femme se trouvait enfermée dans la place, et de mauvais plaisants prétendaient qu’il avait peur qu’elle ne fût aussi prise d’assaut. En revanche, la magistrature de Glogau se conduisit honorablement. Le général Bertrand, alors gouverneur français de la Silésie, ayant voulu exiger des membres du collège de justice un serment de fidélité à l’Empereur, le président Kieckhoesen répondit, au nom de ses collègues : « Veuillez considérer, Monsieur, que notre souverain ne nous a pas relevés de notre serment. Nous ne pouvons donc en prêter un contraire à celui qui nous lie ; vous nous mépriseriez justement, et n’attacheriez aucun prix à nos services. Bien que nous n’ayons presque tous d’autre fortune que nos places, nous ne les conserverons pas par un parjure…. » Le général s’empressa de répliquer qu’il n’entendait nullement exiger d’eux une défection, qu’il se contenterait de leur engagement d’honneur de s’abstenir de toute correspondance hostile aux Français. Cette modération de Bertrand, n’a rien qui doive nous surprendre. Le futur compagnon du captif de Sainte-Hélène devait respecter et honorer dans les autres la fidélité au malheur.
Breslau succomba à son tour, et avec des circonstances encore plus fâcheuses (7 janvier). L’influence égoïste d’une partie de la noblesse, du haut commerce, y fut sans doute pour quelque chose. » Ici, dit un contemporain, les gros marchands se signent au seul mot de landsturm. L’habitant de la montagne, le contrebandier surtout, est patriote; le citadin rentre dans la catégorie des vieilles femmes. » Néanmoins, la majorité de la classe moyenne et du peuple se prononçait énergiquement pour la résistance. Le général Thiele, gouverneur de Breslau, avait beaucoup de loquacité, mais peu de capacité, et le général de Lindener, commandant supérieur des places silésiennes, qui se trouva enfermé dans Breslau (bien malgré lui, dit-on), ne s’y couvrit pas précisément de gloire. On leur reprocha surtout de n’avoir pas secondé, par une sortie vigoureuse, la tentative de diversion du prince de Pless (gouverneur de la Silésie pour la Prusse), qu’ils laissèrent écraser à Strelhen. On disait que Lindener avait, dans cette occasion, mérité une potence sur le donjon de Glatz, la plus haute citadelle du pays.
De toutes les garnisons de ces places rendues trop vite, celle de Breslau était la plus disposée à se bien défendre ; et ce fut elle qui montra le plus d’irritation, quand il s’agit de déposer les armes. Dans une gravure du temps, on voit ces soldats briser avec rage leurs fusils, tordre les baïonnettes, ébrécher les sabres sur le pavé, pour ne laisser que des débris informes aux vainqueurs.
Le général Thiele fut rayé des cadres sans pension, de même que Kleist et de Haak. On dit que cet officier ayant osé se présenter à une audience publique de l’empereur Napoléon, celui-ci, le repoussa d’un geste méprisant. Plusieurs personnages de la noblesse et de la haute bourgeoisie reçurent les Français et leurs alliés de la Confédération avec un empressement excessif, pour le plus grand bien du pays, disaient-ils. Quelques-uns allèrent jusqu’à illuminer, et l’on cita aussi de belles dames qui, sans doute pour le même motif, avaient montré en cette occasion beaucoup plus que de la courtoisie aux vainqueurs.
Il y eut toutefois d’honorables protestations. Le prince Jérôme s’étant montré plus exigeant que Bertrand pour le serment de fidélité, plusieurs conseillers donnèrent leur démission. Parmi ceux-là l’auteur des Vertraute Briefe cite le président de BISMARK [2]V. B., III, 201. C’est probablement dans ce livre, publié à Amsterdam en 1808, que se trouve imprimé pour la première fois ce nom trop fameux aujourd’hui.…
References[+]
↑1 | Inersleben fut condamné à mort, ainsi que le commandant de Stettin, dont la faiblesse, peut-être moins criminelle, eut des conséquences encore plus désastreuses. Quelques gens superstitieux se souvinrent que le misérable gouverneur de Custrin avait fait faire récemment dans le jardin du fort une sorte de tonnelle portant cette épigraphe : Memento mori, qui semblait, le pressentiment d’une fin prochaine. |
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↑2 | V. B., III, 201. C’est probablement dans ce livre, publié à Amsterdam en 1808, que se trouve imprimé pour la première fois ce nom trop fameux aujourd’hui. |