Les Français en Illyrie – 1809-1813

Le gouvernement du maréchal Marmont, duc de Raguse, jusqu’à son
départ pour l’Espagne, le 26 avril 1811.
[1]in « Les armées francaises jugées par les hbitants de l’Autriche – Raoul Chélard – 1893 – Réédition J-P. Tarin – 2014

 

En vertu de l’armistice conclu à Znaïm en 1809, tout le sud de l Autriche passa au pouvoir des troupes françaises. Le comte Baraguay d Hillieis , colonel général des dragons, fut nommé gouverneur général des provinces de Carniole, d’Istrie, de Carinthie et des territoires de Fiume et de l rieste, avec résidence a Laibach. Le comte Daru est nommé intendant général et M. Siauve commissaire ordonnateur [2]Commissaire des guerres de 1ere classe.

Pierre Daru
Pierre Daru

Survient la paix de Vienne, conclue le 14 octobre 1809, à l’occasion de laquelle Napoléon écrit de Schönbrunn à l’empereur de Russie la lettre suivante, dont l’original se trouve dans les Archives de Vienne :

« J’ai donné à l’Autriche la paix la plus avantageuse qu’elle pût espérer. Elle ne cède que Salzbourg et peu de choses du côté de l’Inn. Elle ne cède rien en Bohème. Elle ne cède, du côté de l’Italie, que ce qui est indispensable pour ma communication avec la Dalmatie.

« La monarchie autrichienne reste donc entière. C’est un second essai que j’ai voulu faire. J’ai cru user vers elle d’une modération qu’elle n’était pas en droit d’attendre. J’espère avoir fait en cela une chose agréable à Votre Majesté. »

C’était l’annexion définitive des provinces occupées depuis l’armistice de Znaïm, car le territoire qu’il fallait à Napoléon pour sa communication avec la Dalmatie s’étendait de l’Adriatique au Tyrol et, de là, aux frontières de Hongrie.

Depuis longtemps il avait désiré posséder ces provinces dont il voulait faire une espèce d’avant-poste pour couvrir la France et l’Italie, pareils à ces margraviats établis aux extrémités de l’empire de Charlemagne.

« L’Illyrie est, disait-il, une de mes sentinelles avancées aux portes de Vienne, plus tard, je la rendrai contre la Galicie ». « C’est un margraviat dont vous serez le margrave, ajouta-t-il un jour en parlant à Marmont, qui était venu à Fontainebleau pour jeter les bases d’une organisation provisoire des provinces annexées.                                                                                                                                                    .

Il fut décidé que les régions dont elles se composaient, a savoir : le comté de Goritz Trieste, la Dalmatie, une partie de la Croatie, la Carinthie, l’Istrie avec ses îles, la Carniole, prendraient le nom de provinces illyriennes et seraient réunies sous un gouvernement militaire provisoire jusqu’à leur organisation définitive.

La ville de Laibach [3]Aujourd’hui Ljubljana, capitale de la Slovénie fut choisie  comme capitale, étant donné qu’elle se trouvait la plus proche de la frontière autrichienne.

Il fut décidé, en outre, que les provinces illyriennes relèveraient directement de la France, et non du vice-roi d’Italie, et que le gouverneur général ne communiquerait qu’avec un ministre a Paris, celui du Trésor, même en ce qui concernait les affaires de l’armée.

 

Dès le 30 octobre, les rapports du comte Baraguey d’Hilliers dépeignaient les nouvelles provinces comme completement pacifiées. Le 4 novembre, le duc de Raguse et le conseiller d’Etat Dauchy , nommé intendant général, partirent de Paris. Marmont s’arrêta quelques jours à Milan pour traiter avec le vice-roi d’Italie, Eugène, de la cession à la France de l’Istrie et de la Dalmatie, qui relevaient du royaume d’Italie et, dans la nuit du 17 novembre 1809, il arriva à Laibach et prit aussitôt possession de son poste.

Auguste Fredéric Louis Viesse de Marmont
Auguste Fredéric Louis Viesse de Marmont, duc de Raguse

Laibach était à ce moment une cité de 10 000 habitants. Cette ville est située à l’entrée des Alpes Juliennes et est dominée par un château fort que les stratégistes [sic] du temps considéraient comme une des clefs de la route de Vienne vers l’Italie.

Marmont s’installa dans le palais de l’évêché.

En vertu d’un décret, on laissa subsister les anciennes autorités autrichiennes tant qu’elles ne seraient pas remplacées par des fonctionnaires envoyés de Paris.

Il fut ordonné que le dimanche 1er décembre, après la messe, tous les employés de l’ancien régime se réuniraient à la mairie de leurs résidences respectives pour prêter serment de fidélité à Napoléon.

Pour la capitale, la cérémonie eut lieu le 3 décembre, dans les appartements du maréchal.

«Les nouveaux maîtres, dit Dimitz s’étaient chargés de l’organisation de la fête splendide pour laquelle cette cérémonie devait être célébrée.

Ces messieurs y apportèrent le goût des pompes et le byzantinisme du cérémonial en usage à la cour de Napoléon et qui s’était si vite implanté dans la France à peine devenue républicaine.

Au théâtre, il y eut représentation gratuite et de gala organisée par les citoyens de Laybach, ainsi que disent les rapports officiels, et qui fut suivie d’un bal public pour les classes communes, militaires et civiles. Sur la scène se voyait un grand portrait de Napoléon  entouré de guirlandes et de drapeaux tricolores, au bas duquel on lisait en français les vers suivant :

De tes nouveaux sujets daigne accueillir l’hommage

Ils te jurent tendresse, amour, fidélité,

Et maintenant, soumis à ton noble courage,

Il ne manque plus rien à leur félicité.

Pour les fonctionnaires et militaires français et la haute bourgeoisie, une autre fête eut lieu dans la grande salle de la Société de tir. Il y eut un grand bal précédé d’un banquet. Au moment où arrivèrent Marmont et les fonctionnaires du gouvernement, les canons du château tirèrent des salves.

« Ces messieurs, par le brillant de leur uniforme et le sérieux de leur mine, tempérée d’ailleurs par leur affabilité et leur gaieté, répandirent la joie et les plaisirs parmi l’assistance. On a remarqué parmi eux l’intendant général Dauchy, l’intendant de la Carniole, le comte de Fargues, le commissaire ordonnateur Siauve, le comte Daru et presque tous les généraux du corps de Marmont présents à Laibach. Plusieurs discours ont été prononcés en l’honneur de Napoléon et toute la ville est restée illuminée jusqu’à cinq heures du matin ».

Dans la suite, Marmont eut toutes les peines du monde à asseoir sur des bases solides l’organisation projetée à Fontainebleau.

La population était récalcitrante et appauvrie à l’extrémité à la suite des guerres incessantes.

Le soulèvement de la Croatie avait gagné les populations rurales de la frontière orientale et avait obligé Marmont à prendre des mesures draconiennes.

La bourgeoisie était tranquille et résignée, mais la conduite de la noblesse était ouvertement hostile au régime français de sorte que, pour apaiser le mouvement, Marmont fut obligé d’avoir recours à plusieurs arrestations.

Celui-ci, dans ses Mémoires, publiés en 1856, se plaint amèrement de l’intendant général Dauchy, lui reprochant d’avoir été au-dessous de sa tâche et d’avoir excité les Illyriens à la haine de l’Empereur.

L’historien de Laibach nous répond à ce sujet dans les termes que voici : « En effet, l’intendant Dauchy n’était point du tout l’homme capable de satisfaire les besoins de commander qui étaient impérieux chez le maréchal et il y eut entre les deux hommes de violentes discussions.

« Marmont était, au demeurant, bienveillant et juste, mais, en même temps, il était un soldat, n’admettant pas qu’on résistât à ses ordres. Les besoins des troupes françaises devaient être entièrement couverts par la Province même. Telle était la volonté de l’Empereur, qui avait pour principe que la guerre devait entretenir la guerre. Ce principe devait être appliqué même pendant la paix, si tant est que l’on puisse parler de paix dans cette Monarchie guerrière et militaire qui avait transformé l’ancien monde.

« Dauchy, en sa qualité de fonctionnaire civil, connaissait beaucoup mieux que Marmont la misère les populations et lorsque Marmont accusait Dauchy d’arrogance  et de trahison, c’est que l’intendant général, fidèle à ses sentiments d’humanité ne pouvait parfois pas s’empêcher de s’opposer  aux dures exigences du gouverneur genéral.

 

Il résulte d’ailleurs de la correspondance du comte Fargues, intendant de la Carniole, que les plaintes de la population  contre les exigences de Marmont étaient souvent bien fondées.

Ces frottements continuels entre Marmont et Dauchy aboutirent, au mois d’août 1810, à un renouvellement partiel des administrateurs français.

Le comte Dauchy fut remplacé par le baron de Belleville, le comte Fargues fut remplacé par M. Bazelli, ex-conseiller de la régence des provinces illyriennes. Fargues partit en mission pour Agram, puis retourna à Paris où il fut nommé conseiller d’Etat, et son successeur, Bazelli, ne fut intendant que d’une partie de la Carniole, mais il eut toutefois sa résidence à Laibach.

L’ancien secrétaire du comte Fargues, M. Paris, lui fut adjoint en qualité de secrétaire général. L’ex-capitaine du cercle de Laibach, M. Vilcher, passa à l’intendance de la Carniole inférieure en remplacement de M. de Breteuil, appelé au Conseil d’Etat.

Le sieur Wilcher (sic) fut plus tard mis en état d’arrestation sous l’inculpation de sentiments hostiles à la France et transporté à Paris.

M. Godefroy Adrian de Varbourg passa à l’intendance de la Carniole intérieure, en remplacement de M. Petit de Beauverger, nommé conseiller d’Etat. M. Luyks de Bégipont devint secrétaire général. M. Cochelet, intendant de Goritz, nommé conseiller d’Etat, fut remplacé par M. Lichtemberg fils, et M. Tournai, commissaire de police de Goritz, lui fut adjoint en qualité de secrétaire général.

Enfin l’ex-préfet d’Istrie, le fameux Calafati, passa à l’intendance de ce pays.

La langue française commença à se généraliser lorsque Marmont nomma maires des petites communes une quantité de soldats retraités

Le gouvernement central correspondait en langue française avec tous les sous-ordres ; seuls les fonctionnaires en relations directe avec le public  se servaient d’interprètes, s’ils étaient Français. Les actes officiel du gouvernement, lorsqu’ils devaient être portés à la connaisssance du public, étaient étaient dressés en français d’abord, puis en regard étaient placées les traductions en allemand et en Slovène pour le nord de l’Illyrie, en croate pour l’est et en italien pour le sud.

Tous les fonctionnaires prirent des titres francais correspondants à leurs fonctions en France, mais les registres continuent encore à être tenus en allemand. On introduisit le papier timbré français. C’était un papier spécial portant le mot : Illyrie, avec la République en figurine.

Au commencement de l’organisation des provinces, la police était faite par l’armée.

Le 15 janvier 1810, Marmont nomma des commissaires généraux de police pour la Carniole.

En général, toute commune ayant plus de 5 000 habitants reçut un commissaire de police français communiquant directement avec le commissaire général du cercle qui relevait, lui, de l’intendant général. Chaque commissaire devait fournir tous les trois jours un rapport à son supérieur sur l’esprit public de son arrondissement.

Pour circuler librement et vaquer à ses affaires, chaque citoyen devait être muni d’un laissez-passer délivré par le commissaire de police.

Des bandes de déserteurs autrichiens, de voleurs italiens et de brigands croates infestaient le pays ce qui rendait le travail des commissaires fort difficile.

« Il faut avouer, dit l’historien de la Carniole, que Marmont a pleinement réussi à rétablir l’ordre ».

Il eut aussi de nombreux mérites en ce qui regarde le commerce. Le gouvernement français abolit toutes les corporations et proclama la liberté de l’industrie et du commerce.

« La libre concurrence faisait baisser les prix des denrées, mais, d’un autre côté,  nous amena, après trois siècles d’intolérance, le premier juif, du nom d’Abraham Heymann, natif de Memelsdorf, en Bavière, fournisseur de l’armée française et qui l’avait suivie depuis Toulon jusqu’à Vienne.

« Lorsque la dépréciation du papier-monnaie autrichien, qui circulait en grande quantité dans les provinces illyriennes, vint à créer des embarras sérieux au gouvernement français et finalement dut être éliminé, Heymann proposa à l’intendance de créer un petit bureau de change. La proposition fut agréée, mais personne parmi les indigènes ne voulait lui louer une boutique de sorte qu’il fallut lui en trouver une de force et par voie administrative ».

Le gouvernement français a eu de grands mérites pour le service des approvisionnements. Les bouchers étaient étroitement surveillés. Deux bouchers furent arrêtés pour avoir voulu accaparer les troupeaux sur pied. La concession leur fut retirée et un nommé Layoux fut seul autorisé à débiter pour Laibach la viande en gros, dont la livre fut taxée à 25 centimes.

D’ailleurs, au commencement, toutes les denrées étaient tarifées par mesure administrative.

On laissa subsister les postes telles qu’elles étaient sous le régime autrichien ; seulement les postillons et les facteurs étaient obligés de porter un brassard aux couleurs de la France et une plaque de cuivre portant : services des postes.

Marmont employa l’hiver de 1809 à 1810 à l’élaboration d’un tarif douanier très intelligemment conçu

« Ce tarif était assez élevé pour donner  un rendement suffisant, mais, d’un autre côté pas trop prohibitif afin de ne  pas encourager la contrebande. Il ne fut adopté qu’après avoir été discuté, à Trieste, avec les plus gros négociants. »

Le service des ponts et chaussées était dirigé par M. Blanchard, ingénieur civil de Paris, et son personnel comprenait les meilleurs ingénieurs indigènes. D’ailleurs c’est la construction des routes qui a le plus contribué à rendre mémorable le régime français parmi les populations du sud de l’Autriche.

Elles parlent encore aujourd’hui avec enthousiasme de Napoléon, comme celui qui a dota en si peu de temps la Dalmatie, l’Istrie , la Carniole et la Carinthie, de routes admirables .

A ce sujet, on raconte en Autriche l’anecdote que voici : Un jour, après le départ des Français, l’empereur François se trouvait en tournée d’inspection en Dalmatie, à Raguse. « Qui donc a construit le bel hôpital dont est dotée cette ville ? demanda-t-il au commandant de la place qui le conduisait. – Ce sont les Français, Sire, répondit celui-ci. – Et les belles routes par lesquelles j’ai passé pour arriver ? – Également les Français, Sire.» A quoi l’empereur, avec son sans-gêne et son accent de gavroche viennois, répondit : « C’est vraiment bien dommage que nous les ayions f… dehors, car ils nous auraient construit encore de bien belles choses ».

Mais revenons à l’Illyrie.

« La branche la plus importante des services publics, l’instruction publique, reçut par le bienveillant maréchal sa première réforme »

En vertu d’un arrêté du 4 juillet 1810, il cré des écoles centrales et des lycées, mais il laissa leur Organisation antérieure aux anciens gymnases autrichiens (écoles secondaires avec enseignement classique).

Chaque commune fut dotée d’une école primaire pour garcaons, ez une école primaire pour filles fut créée dans chaque chef-lieu de canton. Dans les écoles écoles primaires, la langue de l’enseignement restait celle du pays. Dans les lycées, les gymnases et les écoles centrales, on chercha à introduire le plus possible le francais et l’italien à côté du latin.

On lit dans le Journal officiel illyrien : 

« Comme la langue francaise est devenue celle du Gouvernement et de l’arméee, on a pris les mesures nécessaires pour que les habitants de l’Illyrie soient mis en l’état de l’apprendre. A cette fin on a créé dans toutes les écoles secondaires et supérieures des chaires de langue francaise et tous les étudiants qui désireront bén´ficier des bourses de l’État seront tenus de la parler couramment. »

Tous les professeurs eurent ordre d’habituer les enfants, dès leur entrée à l’école, à la langue francaise, ce qui n’était pas trop difficile, attendu que le francais avait déjà été compris dans le plan d’études Sous le régime autrichien.

Un certain abbé Raphaël Zelli fut nommé par le duc de Raguse inspecteur général de l’enseignement.

Marmont, s’occupant beaucoup de chimie, – il avait même pendant son séjour en Illyrie, à Laibach et à Trieste, un petit laboratoire, — avait fait la connaissance de Zelli, moine italien défroqué, ancien professeur de philosophie à Zara, en Dalmatie, chimiste très érudit, au moment de son passage dans cette dernière ville, tombée, comme on sait, au pouvoir des Français en 1806. C’est là que Zelli s’était fait remarquer par le duc de Raguse.

Marmont ne put pousser plus loin l’organisation des provinces relevant de son pouvoir. Au cours d’un congé, au mois d’avril 1811, il quitta l’Illyrie pour entrer à Paris où il fut nommé par l’Empereur commandant de l’armée d’Espagne.

L’historien de Laibach consacre à sa mémoire les passages que voici :

« Entré chez nous à la tête d’une armée victorieuse et ayant pour premier devoir d’en prendre soin, il avait trouvé un pays misérable et épuisé par une longue guerre.

« Dans ce qui précède, il a été démontré, preuves à l’appui, comment il sur concilier les dures exigences de l’homme de guerre avec son caractère d’homme de cœur.

« Le maréchal a fait preuve d’un grand talent d’administrateur, il était honnête, loyal et chevaleresque, il ne désirait pas gouverner par la force des baïonnettes, mais il cherchait à habituer les nouveaux sujets de la France à la situation qu’i leur était faite, par l’exemple de sa fermeté et de son amour de la justice. En toute chose il s’attachait à connaître à fond les intérêts du pays et il compte dans notre patrie ».

References

References
1in « Les armées francaises jugées par les hbitants de l’Autriche – Raoul Chélard – 1893 – Réédition J-P. Tarin – 2014
2Commissaire des guerres de 1ere classe
3Aujourd’hui Ljubljana, capitale de la Slovénie