11 novembre 1805 – Les combats de Dürnstein

Après Ulm.

Après la capitulation du général Mack, Napoléon ne perd par un instant pour poursuivre son plan: rattraper les russes et les forcer au combat avant qu’ils n’atteignent Vienne et, surtout, avant l’arrivée des deuxième et troisième armées des coalisés.

Le 28 octobre, l’Inn est franchi entre Braunau et Schärding. Le même jour, Koutousov et l’empereur François se rencontrent à Wels, et se mettent d’accord pour reculer jusqu’à l’Enns, et là, résister, dans l’espoir d’arrivée de renforts russes et, surtout, de l’entrée en guerre de la Prusse. Mais Koutousov se montre indécis, et essentiellement soucieux de retarder les évènements dans l’attente de renforts. Le 4 novembre, la ligne de l’Enns est abandonnée.

Napoléon scinde alors son armée en trois parties: sous son commandement, les IVe (Soult), Ve corps (Lannes) et la garde poursuivent les russes vers Saint-Pölten. Davout et le IIIe corps ont pour mission de protéger le flanc droit, tout en marchant également sur Vienne, par Waidhofen, Lilienfeld et la Forêt Viennoise.. Le IIe corps, enfin, sous Marmont, suit le général autrichien Merveldt, qui a pris la route de la Styrie.

Pour protéger sa gauche, notamment des troupes de l’archiduc Ferdinand, qui opère en Bohème, Napoléon réuni sous Mortier trois divisions (Gazan, Dupont, Demonceau) de ses différents corps d’armées. En plus de la protection du flanc gauche du dispositif français, de nouveau corps d’armée doit empêcher Koutousov de repasser le Danube et d’empêcher ainsi sa jonction avec les renforts qu’il espère, et ainsi forcer les russes au combat avant Vienne.

Ce VIIIe corps d’armée est alors scindé en deux: Dupont et Dumonceau sont à Passau, Gazan passe le Danube le 5 à Linz. Il est prévu que les trois divisions suivront, à partir du 7 novembre le Danube sur la rive gauche, en restant toujours à la même hauteur que les gros des troupes de Napoléon, qui elles sont sur la rive droite. Une flottille de 14 embarcations doit permettre le contact entre Mortier et Napoléon.

A Vienne, un conseil de guerre, réuni le 4, avait décidé que la rive droite, et donc Vienne, ne pouvaient plus être tenus: si Koutousov ne pouvait se maintenir sur l’Enns, il devait repasser le fleuve à Krems et fortifier cette tête de pont. Kienmayer repasserait le Danube à Vienne, en compagnie de la garnison, et détruirait les ponts. Cette nouvelle ligne de défense serait alors défendue jusqu’à l’arrivée du reste des armées russes, que l’on attendait pour la mi-décembre. Ce serait alors  le moment d’une attaque concertée, entre Linz et Krems.

Chimères ! Le 5 Koutousov a déjà reculé jusqu’à Amstetten.

« La division entra à Amstetten (le 6 novembre); nous trouvâmes beaucoup de soldats russes blessés et beaucoup de traîneurs. L’ennemi avait traversé le bourg, dans le plus grand désordre, à deux heures du matin, et se retirait en toute hâte à Saint-Pölten, par la route de Melk. » (Dumas)

Le 7 le gros des forces russes est à Saint-Pölten, le 8 au soir, à Mautern. Le 9, ils passent le Danube, détruisant les ponts qu’ils viennent de traverser.

« Le corps russe de Koutousov l’avait traversée (Saint-Pölten) la veille et, abandonnant la route de Vienne, s’est dirigée sur Stein et Krems, a passé sur la rive gauche du Danube et a brûlé le pont, pour éviter d’être poursuivi par notre colonne; ce fut la division Gazan qui les poursuivit jusqu’à Dürnstein. » (Dumas)

Le 10 donc, plus un seul soldat russe ne se trouve sur la rive droite du Danube. Depuis le 5, Koutousov a près de lui le général Heinrich von Schmitt, que l’empereur François a rappelé de Moravie, où il passait une retraite paisible, pour en faire son représentant personnel auprès du général russe. Schmitt, contrairement aux espérances de son souverain, n’a pu que suivre le mouvement de recul décrit plus haut, envoyant à Vienne une description alarmante de l’état des troupes russes, en retraite depuis l’Inn. Lui et Koutousov ont des informations sur la présence de troupes françaises sur la rive gauche du Danube, sans en savoir l’importance exacte.

A ce moment, les avant-postes de la division Gazan sont déjà dans la Wachau. Mortier n’a pas attendu l’arrivée des deux autres divisions, qui suivent à une journée de marche. Le soir du 9, le gros des troupes françaises est  à Marbach. Mortier y apprend la destruction des ponts de Mautern. Le 10 au soir, il est à Spitz, mais son avant-garde est aux portes de Dürnstein. Il décide d’attaquer ce qu’il croit être l’arrière garde des russes en retraite, sans attendre les deux autres divisions, qui reçoivent cependant l’ordre d’accélérer leur marche en avant.

 

Le champ de bataille

Carte topographique moderne des environs de Dürnstein

De Melk à Weißenkirchen, le Danube coule vers le nord-est, puis, pour un court moment, vers le sud-est et reprendre ensuite la direction nord-est, au niveau de Loiben. Les collines proches font qu’il n’y a guère d’espace pour la route qui longe étroitement le Danube et les villages qui le bordent. Le fleuve lui-même est parsemé de nombreux îlots et de bancs de sable, qui partagent le cours d’eau en plusieurs bras. Le village lui-même, est au bord du fleuve.

Derrière Dürnstein, dans la courbe du Danube, s’étend une large zone plate, où mène de petites vallées venant des collines avoisinantes. C’est là que se trouvent les deux hameaux de Ober et Unter Loiben. La route passe au milieu de cette étendue, sans passer par ces deux hameaux, reliés au fleuve par des chemins de traverse. Tous les autres chemins sont bordés de murs, qui sont autant d’obstacles pour la cavalerie et les chariots. Les vignes, abondantes, s’opposent également à la progression de troupes nombreuses, mais elles offrent aussi protection.

L’endroit constitue donc dans son ensemble une sorte de défilé, entre Weißenkirchen et Stein, dont il est bien difficile de s’échapper. À ceci s’ajoute que les conditions climatiques n’arrangeaient pas les choses: le terrain était enneigé, les chemins gelés, autant d’obstacles à la cavalerie et à l’artillerie.

Le 10 novembre, vers midi, l’avant garde de Mortier repousse les avants postes autrichiens hors de Dürnstein, jusqu’à Ober Loiben et même Stein. Le général Graindorge les poursuit, mais doit bientôt reculer, sous le feu d’une batterie russe postée sur les restes d’un des ponts du Danube.

La nuit tombe vers 17 heures. Les trois régiments d’infanterie de Gazan prennent leurs quartiers sur le terrain qui s’étend devant Loiben, la droite appuyée au Danube, la gauche installée au pied des hauteurs qui bordent la petite plaine. Mortier installe son quartier-général à Dürnstein, où se trouve un hôpital de campagne et une compagnie de 200 hommes . Derrière le village, la réserve. Les deux autres divisions sont à Marbach (Dupont) ou s’en approchent (Dumonceau).

Les combats du 11 novembre

Vue de Dürnstein depuis la rive droite du Danube (Photo Ouvrard)

Kutusov avait pris ses quartiers dans et autour de Krems, dans l’espoir de faire reposer ses troupes exténuées et, surtout, de faire sa jonction (prévue le 12 vers Hollabrunn) avec la VIe colonne de Rosen. Les escarmouches de l’après-midi du 10 lui ont permis de se faire une idée des forces qu’il a devant lui. Il réunit le soir même un conseil de guerre auquel participe Schmitt, Hohenlohe, Nostitz, ainsi que le baron von Stiebar, qui connaît particulièrement bien la région. Il y est décidé d’attaquer les français de front à Loiben, et de les couper des renforts annoncés. Le temps presse: les ordres sont transmis oralement, sans confirmation écrite ni même vérification. C’est Milodarovich qui doit mener l’attaque frontale, tandis que Doktorov (que Schmitt va accompagner) tournera Dürnstein et prendra Gazan à revers et de flanc. Bagration doit surveiller la route de Zwetll, Essen reste en réserve à Stein.

L’attaque de Milodarovich commence à 7 heures du matin. Le hameau de Unter-Loiben est rapidement pris, car les français n’y ont que des avant-postes. Mais la résistance se fait plus vive à Ober-Loiben, où Gazan avait placé une batterie et le 4e dragons. Sur leur droite, les Russes essayent de s’emparer des hauteurs de Loibenberg, sans résultat tangible.

A 11 heures, Mortier lance la contre-attaque: les russes doivent bientôt rendre Ober et Unter Loiben, perdant 2 canons et 200 prisonniers, et reculer jusqu’à Rothenhof. Cependant ils résistent farouchement à l’attaque de leur droite, le terrain abrupt favorisant la défense. Mais bientôt le recul vers Stein ne peut plus être éviter. A midi, les français approchent les flancs de la Braunsdorfer Berg .

A ce moment, la colonne de Doktorov, qui devait tourner les français, et qui avance plus lentement que prévu, se trouve à hauteur d’Egelsee: ordre lui est donné de contre-attaquer vers la Braunsdorfer Berg. Elle parvient à repousser les français. Milodarovich, au même moment, lance lui aussi une contre-attaque, avec des renforts pris à Stein. Les combats sont particulièrement violents à Rothenhof, où les français résistent.

Mortier doit alors se rendre à l’évidence: ce qu’il a devant lui, ce n’est pas l’arrière garde russe, mais, au moins, une partie du corps de Koutousov. Comme il espère des renforts, il décide de passer á la défensive. Mais la ligne Unter-Ober Loiben n’est plus défendable, car les russes ont hissé des canons sur les hauteurs. A 16 heures, les troupes de Mortier sont revenus sur les positions qu’elles occupaient le matin. Une charge de cavalerie (le 4e dragon) est repoussée par les russes, qui ont laissé les cavaliers approcher à portée de fusil avant d’ouvrir le feu. Mortier doit abandonner Ober Loiben, qui est en flammes. Il se repli sur une ligne Höhereckberg-Dürnstein.

A ce moment, les troupes de Doktorov, après avoir contourner Dürnstein, malgré les difficultés du terrain et la fatigue de ses soldats, a commencé de pénétrer dans le village par la Stadttor (c’est à dire sur les arrières des français, qui, un moment, ont cru à l’arrivée des renforts). La situation pour Mortier est des plus critiques.

Le renfort tant attendu arrive enfin: Dupont avait mis ses troupes en marche dès l’aube, arrivant à Spitz vers midi, à Weißenkirchen à 16 heures. Son avant-garde ne perd pas un instant et refoule les russes sur la route qui longe le Danube. Un moment, un détachement russe, sous le commandement de Schmitt, inflige de lourdes pertes aux français, dont une partie est arrivée par le fleuve, sur des bateaux, et est forcée à ré-embarquer, après de lourdes pertes. La nuit a commencé de tomber: la confusion est extrême, les fronts se mélangent, amis et ennemis ne peuvent plus se reconnaître. Le général Schmitt est, comme beaucoup d’autres, victime de cette confusion, et tombe, vraisemblablement sous des balles russes.

« …. la cause des alliés (fit une perte) une irréparable, dans le colonel de l’état-major autrichien Schmidt, officier du plus grand mérite, qui avait été donné à Koutousov pour diriger ses opérations, comme ayant une connaissance exacte du pays… » Koutousov pour diriger ses opérations, comme ayant une connaissance exacte du pays… » (Langeron)

De l’autre coté de Dürnstein, la position de Mortier n’est toutefois pas désespérée, même si les munitions commencent à manquer. Le 100e RI est encore intact, et puis il espère l’arrivée des renforts des deux autres divisions. Mais l’arrivée des russes à Dürnstein (voir ci-dessus) l’amène à combattre sur trois fronts, lui coupant également la retraite dans cette direction. Il décide alors de percer le front russe entre Ober Loiben et Dürnstein, et d’atteindre la flottille qui l’attend maintenant sur la rive du fleuve. L’opération réussi, mais les bateaux n’emmènent de l’autre coté que peu de soldats, tant la panique est grande. Mortier réussi à passer le Danube, mais revient sur la rive gauche un peu plus tard, à Weißenkirchen. De son coté, Gazan réussi avec la nuit à rejoindre Spitz avec une partie de la cavalerie, une grosse partie des français restant sur le champ de bataille.

Les conséquences

Si les Bulletins des 12 et 14 novembre parlèrent d’une grande victoire, il fallut bien, peu à peu, parler de la sévère défaite de Mortier, dont les journaux étrangers se faisaient d’ailleurs l’écho. Pour les coalisés, ces combats furent en fait la seule victoire de toute la campagne de 1805: ils avaient réussi à pratiquement éliminer un corps d’armée française et à gagner le temps nécessaire à la jonction de Koutousov avec Büxhowden: la perte trop rapide des ponts de Vienne donnait aux événements de Dürnstein toute leur importance.

Il est difficile de chiffrer les pertes en hommes, car, des deux cotés, ne subsistent aucunes précisions à ce sujet. La division Gazan fut presque totalement anéantie, ses pertes se montant vraisemblablement à 4000. Les russes auraient eu à peu près autant de pertes, 1500 blessés restant dans les hôpitaux de Krems et Stein

« Mortier fut écrasé, son corps anéanti. A peine lui-même, avec deux mille hommes, put réussir à se sauver » (Langeron)

Mortier va rester avec le VIIIe corps à Krems, mais il ne participera pas aux futures opérations de la campagne. Le 18 novembre, ordre est donné aux divisions Gazan et Dupont de rejoindre Vienne, la division Demonceau assurant la sécurité de la vallée du Danube entre Krems et Melk. Le 9 décembre, Mortier (à qui apparemment Napoléon ne porte pas rigueur de ces évènements tragiques) est nommé commandant du Ve corps, le VIIIe corps étant officiellement dissous le 16 décembre.

Le 14 décembre, Napoléon ordonne de transférer les blessés russes à Vienne, afin de montrer à ses habitants l’importance des pertes de l’armée d’Alexandre.