Les cérémonies du mariage de Napoléon avec Marie-Louise.

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“Comédie en un acte et en prose de Marivaux représentée pour la première fois le 11 juin 1736]. Après le spectacle, l’Empereur reconduit l’Impératrice dans son appartement sans qu’elle paraisse au dehors, sans même qu’elle se montre au balcon. Pourtant, la foule est i…”
Extrait de « L’impératrice Marie-Louise » de Frédéric Masson.
Illustrations et notes de la Rédaction ((Malheureusement, Frédéric Masson, ne donne aucunes sources, ce dont il se justifie dans sa Préface. Autres temps, autres mœurs. Mais on peut penser qu’il s’est largement inspiré de l’ouvrage de Percier et Fontaine, paru en 1810 « Description des cérémonies et des fêtes qui ont eu lieu pour le mariage de S.M. l’Empereur Napoléon avec S.A.I. Madame l’Archiduchesse Marie-Louise d’Autriche » ))
Le lendemain, 1er avril, à deux heures, le cortège, plus somptueux qu’il ne fut jamais, à cause des dignitaires et des officiers d’Italie qui le doublent, part du salon de l’Impératrice, traverse le Grand cabinet de l’Empereur, le Salon des Princes, la Salle du Trône, la Salle de Mars, débouche dans la Galerie ((Il s’agit ici du Château de Saint-Cloud, détruit par un incendie consécutif au bombardement, par les canons français du fort du Mont-Valérien pendant le siège de Paris le 13 octobre 1870.)) Au fond, sur une estrade, sont placés deux fauteuils que surmonte un dais ; au bas, à droite et à gauche, chaises et pliants ; au devant, table avec le registre de l’état de la Famille impériale. Derrière, officiers de l’Empereur et des princes ; en avant, dames des princesses, femmes des grands officiers, ambassadeurs, cardinaux, ministres ; aux deux côtés de la galerie, hommes et femmes de la Cour, rien que la Cour, pas même les grands corps constitutionnels de l’Etat. L’Empereur et l’Impératrice étant assis, le prince archichancelier ((Jean-Jacques-Régis Cambacérès (1756-1818))), averti par le grand maître des Cérémonies, s’approche, assisté du secrétaire de l’état de Famille, et, après une révérence, il prononce : « Au nom de l’Empereur ! » Leurs Majestés se lèvent, il pose alors les questions : « Sire, Votre Majesté impériale et Royale déclare-t-elle prendre en mariage Son Altesse Impériale et Royale Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche, ici présente ? » L’Empereur : « Je déclare prendre en mariage Son Altesse Impériale et Royale Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche, ici présente. » Même question à Marie-Louise, qui répond de même, et l’archichancelier prononce : « Au nom de l’Empereur et de la Loi, je déclare que Sa Majesté Impériale et Royale Napoléon, empereur des Français, roi d’Italie, et Son Altesse Impériale et Royale l’Archiduchesse Marie-Louise, sont unis en mariage. »
Sur la terrasse de Saint-Cloud éclatent les cent coups de canon que répète la batterie triomphale, durant que Leurs Majestés signent assises, les princes et les princesses debout : le grand maître annonce alors que la cérémonie est terminée, et le cortège reformé rentre dans les appartements de l’Impératrice. Le soir, dîner de famille, où seuls assistent les grands officiers, les officiers et les dames de service. Après quoi, en cortège, par les Grands appartements et l’Orangerie illuminée, Leurs Majestés se rendent à la salle e spectacle, où les Comédiens ordinaires représentent Iphigénie en Aulide((Opéra en 3 actes de Chritoph Willibad Gluck, représenté pour la première fois en 1774.)) et le Legs((Comédie en un acte et en prose de Marivaux représentée pour la première fois le 11 juin 1736].
Après le spectacle, l’Empereur reconduit l’Impératrice dans son appartement sans qu’elle paraisse au dehors, sans même qu’elle se montre au balcon. Pourtant, la foule est immense : le parc, les jardins, les cascades sont illuminés. Les eaux jouent aux lumières, et, partout, des spectacles et des divertissements sont gratuitement offerts au public.
L’Empereur, selon le programme, doit aller coucher au Pavillon d’Italie; il couche au château.
Toute la nuit, la tempête rugit sur Saint-Cloud. A l’aurore, le temps est encore incertain, mais il n’y a pas à reculer. Avant dix heures, le cortège est assemblé dans les Grands appartements : l’Impératrice, vêtue de la robe à douze mille francs ((Ce grand habit de mariage de Marie-Louise, qui coûta la coquette somme de 12 000 francs, est une magnifique robe en tulle d’argent, brodée en perles et lamés. La taille est haut perchée dominant une jupe longue tombant, plaquant les formes. Sa chevelure blonde est couverte par un voile en point d’Alençon retenu par un superbe diadème. Aux pieds,Marie-Louise porte des souliers de satin* blanc brodés d’argent créés par Janssen, qui trop petits feront souffrir la jeune femme. Pour parfaire l’ensemble, la mariée est parée des Diamants de la Couronne. (Émmanuelle Papot – Fondation Napoléon))) de Leroy ((Leroy était le couturier de Joséphine, à qui il devait sa renommée d’arbitre de l’élégance féminine.)), en tulle d’argent brodé en pierres, que prolonge le manteau de cour semblable, parée des diamants de la Couronne en tel nombre qu’elle en est toute scintillante, reçoit la couronne impériale des mains des dames d’honneur de France et d’Italie, et de la dame d’Atours, qui sont allées en pompe la chercher à la chapelle. L’Empereur assiste à ce dernier épisode de toilette; puis, en ordre, on monte dans les voitures, et, au moment où les salves éclatent, annonçant le départ, le soleil se montre et le temps se fait adieux.
En tête, ouvrant la marche, les Chevau-légers lanciers, puis les Chasseurs, entremêlés des Mamelucks, les Dragons de la Garde; les trompettes alternent avec les musiques, et les paysans accourus s’ébahissent. À présent, ce sont les hérauts d’armes à cheval, surcot brodé d’or, à la toque emplumée, qui marchent en ligne; puis des voitures, des voitures !… trente-huit voitures à six chevaux, toutes différant de train, de garnitures et d’ornementation, tendues de drap, de satin ou de velours blanc, décorées, sur les caisses, uniformément à fond d’or, des grandes armoiries d’Empire que soutiennent des branches de laurier ou de chêne, des guirlandes de roses et d’immortelles. Une sorte de concours a été ouvert par le grand écuyer entre les carrossiers célèbres de Paris, et, des trente-quatre voitures commandées exprès pour le mariage, la plus chère coûte 27.000 francs, la moins 6.000. On a encore attelé les plus fraîches qui se trouvaient dans les remises, en sorte que, des écuries, il est sorti quarante voitures el deux cent quarante chevaux. Dans les trente-six premières, selon l’ordre réglé, les aides et les maîtres des Cérémonies, les chambellans de France et d’Italie, les grands aigles, les grands officiers de l’Empire, les ministres, les dames du Palais, les grands officiers la couronne d’Italie, le grand Chambellan ((Pierre de Montesquiou (1764-1834), comte de Montesquiou)) et le Grand maître des Cérémonies de France, les princes grands dignitaires, enfin, avec leurs écuyers aux portes, les princes et les princesses de la de la Famille.
Après, apparaît la voiture à huit chevaux blancs de l’Impératrice, qu’escortent le grand écuyer d’Italie, le premier écuyer de l’Impératrice et les aides de camp l’Empereur : cette voiture est vide, l’Impératrice ayant pris place avec l’Empereur dans la voiture du Couronnement, que chargent, devant et derrière, des grappes de pages, qu’encadrent les colonels généraux, les écuyers, et, plus loin, un piquet de trente sous-officiers, et que suit, en son uniforme noir, le maréchal commandant la Gendarmerie. Après, c’est encore deux voitures de la Cour pour les premiers officiers de l’Empereur et de l’Impératrice, puis les vingt-deux voitures d’apparat des princes et des princesses. Fermant la marche, les Grenadiers à cheval. La Garde à pied borde la haie dans la cour d’honneur et le long de l’avenue; on passe le pont, on traverse le bois de Boulogne, où l’on a eu soin de vérifier la hauteur des portes, car on a craint que la voiture du Couronnement, mesurant onze pieds trois pouces, n’y fût arrêtée.
On arrive à l’avenue de Neuilly qu’on suit jusqu’à l’Etoile : là, en avant de la Barrière et des deux temples de Ledoux qui la décorent, un arc de triomphe est dressé au milieu du rond-point. Tel qu’il doit, plus tard ((Le futur Arc de Triomphe n’est alors haut que d’environ 6 m.)) , s’ériger en pierre d’après les nouveaux plans de Chalgrin, il se développe en bois et en toile sur une hauteur de cent trente-trois pieds et largeur de cent trente-huit. Il est orné de bas-reliefs figurés qu’a peints Lafitte ((Louis Lafitte (1770 – 1828), peintre et dessinateur)) et qui célèbrent les vertus, les gloires et les prospérités des augustes époux. Cent coups de canon, tirés par douze pièces d’artillerie dont les bouches sont tournées de coté, pour que les chevaux ne s’effrayent pas, annoncent l’entrée dans Paris. L’Empereur s’arrête un instant pour recevoir les hommages du corps de ville ((C’est le préfet de Paris qui prononce l’allocution de bienvenue.)) ; puis, on descend les Champs-Elysées au son des marches triomphales que jouent des orchestres de distance en distance. A la place de la Concorde, la haie d’infanterie commence.
Par une sorte de portique qui règne le long des deux terrasses et s’ouvre au centre de la grille, on pénètre dans le jardin des Tuileries, où l’Impératrice est encore saluée par cent coups de canon. Au Palais, la cavalerie d’escorte se forme en bataille sous les fenêtres de l’appartement de l’Empereur, tandis que les voitures, entrant dans le vestibule, s’arrêtent au bas du Grand escalier. Le cortège, à mesure reformé, monte entre deux haies de grenadiers, traverse la Salle des Maréchaux et s’égrène à mesure dans les salons pour se reconstituer tout à l’heure, en ordre inverse, dans la Galerie de Diane.
L’Empereur, l’impératrice, les princes et les princesses entrent seuls dans le Grand cabinet ; les portes de la Chambre à coucher d’apparat sont ouvertes : l’Impératrice y rajuste sa coiffure et échange le manteau de cour pour le manteau impérial — celui qu’a porté Joséphine. Ensuite, précédée des officiers et des princes, des princesses et de ses dames, elle vient dans la Galerie de Diane, reprendre, avec l’Empereur, son rang dans le cortège.
De la Galerie de Diane pour passer directement dans la Galerie du Musée, on a construit un escalier provisoire, car, entre les deux planchers, il y a une différence de quatre pieds et demi, mais l’aspect n’en déconcerte pas, et l’entrée dans la Grande galerie est un triomphe. De là, à l’infini, sur une perspective de 1.332 pieds, sur trois rangs de banquettes régnant deux côtés, sont assises, la plupart depuis sept heures du matin que les barrières des escaliers sur le quai et le Carrousel ont été ouvertes, toutes les femmes de Paris qui, par un coté, tiennent au gouvernement ou à l’administration militaire et civile. Toutes sont en robe de bal et dans le mieux de leur parure, mais il est des différences qu’ont appréciées les vingt officiers la Garde chargés de désigner les places. Si, des neuf travées, les deux plus rapprochées du Salon carré ont été réservées pour les femmes des sénateurs, conseillers d’Etat et députés, ailleurs on a moins consulté le rang des maris que la beauté et l’élégance des femmes. Derrière les banquettes, les hommes se tiennent debout, en habit à la française, sans poudre « ce qui donne un air un peu carnavalesque », d’autant que si d’aucuns ont dépensé au delà de onze cents francs pour se munir « d’épée à poignée d’argent, de boutons d’acier ciselé, de boucles d’or, d’habit français et de chapeau à plumes », certains, pour soixante francs, ont pris à loyer leur défroque de gala chez le fripier. L’attente a été longue, malgré les petites buvettes dont cent sous-officiers de la Garde, bonnet en tête et sabre au côté, ont fait les honneurs aux dames, malgré les quatre orchestres de vingt-deux musiciens chacun, qui, sous la direction de Paër ((Ferdinando Paër (1771 – 1839), compositeur italien)), ont exécuté de temps en temps leurs morceaux. On s’est émancipé même à circuler « pour satisfaire une curiosité impérieuse ». A trois heures une fanfare triomphale annonce l’Empereur. Avant qu’il paraisse, les yeux s’agrandissent devant le cortège : huissiers tout de noir vêtus, baguette noire en main ; hérauts d’armes, pages, maîtres de cérémonies, officiers d’Italie, écuyers, chambellans, aides de camp, gouverneur du Palais, grands aigles, grands officiers de l’Empire, ministres, grands officiers Italie et de France, princes grands dignitaires, Eugène, Murat, Borghèse, enfin les rois frères : Jérôme et Louis. Des acclamations : c’est l’Empereur !
Pâle, de cette pâleur chaude de marbre antique, il avance lentement, en grand costume de France. Il porte au front une toque de velours noir, garnie de huit rangs de diamants, que surmontent trois plumes blanches attachées par un nœud de diamants : au centre de ce nœud éclate le Régent ((Cette pierre fut découverte en 1698 à Golconde, en Inde, et suscita immédiatement l’intérêt de Thomas Pitt, gouverneur anglais de Madras. Le diamant fut taillé en Angleterre puis acquis à la demande du régent Philippe d’Orléans en 1717. Le Régent surpassait en beauté et en poids tous les diamants jusqu’alors connus en Occident. Aujourd’hui encore, il est considéré comme le plus beau diamant du monde par sa pureté et la qualité de sa taille. (Musée du Louvre))). L’habit, comme manteau court et la culotte, est de satin blanc tout brodé d’or; les bas de soie sont écoinconnés d’or; les souliers de pou-de-soie blanc, brodés d’or ; il a un rabat et des manchettes d’angleterre ; au col, le grand collier de la Légion; au côté, le glaive. Tout sur lui est diamants : la garniture et la ganse de sa toque, l’épaulette qui retient son manteau, les boucles des jarretières et des souliers, le collier de la Légion, la poignée du glaive. Et c’est de diamants que Marie-Louise semble vêtue, tant elle en est chargée sur sa robe faite de rayons lunaires. Ecrasée sous la lourde couronne, qui jadis parut si pesante à Joséphine, le manteau impérial d’un tel poids que, il y a six ans, il faillit précipiter Joséphine du Grand trône, elle marche avec peine, elle est très rouge, elle parait souffrir. L’éclat de son visage fait ressortir encore la pâleur mate de Napoléon. Elle se tient raide, s’efforce, regarde devant elle sans voir, tandis que lui, « du sourire le plus aimable, le plus sublimement captieux », salue à droite et à gauche, et semble présenter aux Parisiens la nouvelle impératrice.
Comme au Couronnement, le manteau de l’Impératrice est soutenu par les princesses, mais seules Julie((Marie Julie Bonaparte, née Clary (1771 – 1845),l’épouse de Joseph.)), Hortense((Catherine de Wurtemberg (1783 – 1835), reine de Westphalie.))Hortense Eugénie Cécile de Beauharnais (1783 – 1837) )), Catherine((Catherine de Wurtemberg (1783 – 1835), reine de Westphalie.)) , Élisa ((Élisa Bonaparte ( 1777 – 1820), grande-duchesse de Toscane.)), Pauline ((Pauline Bonaparte, née Paoletta (1780 – 1825), duchesse de Guastalla.)) figurent. Caroline ((Caroline Bonaparte, née Maria-Annunziata (1782 – 1839), reine de Naples.)) a obtenu d’être dispensée, en considération du voyage de Braunau et des fonctions qu’elle s’est attribuées de surintendante ; et elle marche aussitôt après Madame ((Maria Letizia Bonaparte ( 1750 – 1836), la mère de l’Empereur)), suivie du grand-duc de Würzbourg ((Ferdinand III, Grand-Duc de Toscane (1769 – 1824), Grand-Duc de Würzburg (1806-1814).)), d’Auguste ((Augusta-Amélie de Bavière (1788 – 1851), épouse du prince Eugène, vice-roi d’Italie)), de Stéphanie ((Stéphanie de Beauharnais (1789 – 1860))) et du grand-duc de Bade ((Leopold I, Grand-Duc de Bade (1790 – 1852))). Derrière chaque princesse, un officier de sa maison porte le manteau. Les premiers officiers accompagnent l’Empereur et l’Impératrice ; les dames du Palais, puis les dames des maisons princières ferment cortège.
A mesure que l’Empereur avance dans les travées de cette galerie, qu’il a, avec son épée, tendue des chef-d’œuvre des âges, où, tels que des trophées, ces tableaux appellent le souvenir de toutes ses victoires, l’acclamation, d’abord discrète, s’accroît, se répand, soutenue, renforcée par les orchestres, emplit la galerie d’un étonnant tumulte. Ainsi arrive-t-on au Salon carré, dont les portes ont été sévèrement condamnées et où quatre cents invités seulement ont été admis à pénétrer par le Salon de sculpture : diplomates, princes de la Confédération, officiers des maisons de l’Empereur et des princes, femmes des ministres et des grands officiers : rien que la Cour.
Fontaine ((Pierre-François-Léonard Fontaine (1762 – 1853), architecte des palais du Louvre et des Tuileries.)), sur les indications d’Isabey ((Jean-Baptiste Isabey (1767 – 1855), peintre.)), dessinateur des Cérémonies, a transformé en chapelle ce Salon carré. Il est tout tendu de taffetas blanc que rehaussent des galons d’or ; sur trois côtés, dans ce taffetas, s’ouvrent des tribunes que décorent des rideaux à franges d’or et que couronne un bandeau de velours cramoisi relevé de palmes et d’initiales d’or. Au-dessus, un second rang de tribunes, que surmonte une draperie plus large de velours cramoisi brodé à motifs de guirlandes et de diadèmes. Les grands tableaux qu’on n’a pu enlever, laissent voir des morceaux médiocrement religieux; mais l’Empereur, qui a ordonné lui-même la décoration, qui a substitué aux tapisseries d’abord mises en place les taffetas et le velours, n’a pas entendu raillerie sur les objections et, quand on lui a représenté qu’il faudrait bien du temps pour rouler les toiles, qu’on ne saurait où les mettre et qu’il vaudrait mieux renoncer aux tribunes. « Eh bien ! Brûlez les tableaux ! » a-t-il dit. La-dessus, on s’est ingénié.
Pour l’autel, on a, sur le quatrième côté du Salon, érigé une sorte de baldaquin de velours rouge, brodé or, où, au centre, sur une façon de dôme, se dresse couronne impériale. L’autel même est revêtu en parement d’un bas-relief d’argent doré, représentant l’Adoration des Bergers, ouvrage de Sarrazin que Biennais ((Martin-Guillaume Biennais (1764 – 1843), un des meilleurs orfèvres de l’empire.)) a réparé, et il est chargé d’une croix et de six candélabres, qui, ainsi que le bas-relief, sont destinés à l’église de Saint-Denis. Au-devant, sous un dais et sur une estrade de velours cramoisi, fauteuils et prie-Dieu pour Leurs Majestés : en face, fauteuils le grand aumônier et les évêques assistants; à droite, sur les côtés inférieurs, chaises pour les cardinaux; à gauche, pour les évêques; plus près, en dehors de l’estrade, chaises pour les princesses et pour les princes ; enfin, banquettes pour les brèves députations du Sénat, du Conseil d’État et du Corps Législatif.
Avec le cortège, dont la rumeur des acclamations annonce l’approche, c’est là — tribunes comprises — tout ce que peut contenir la chapelle : six cents personnes au plus.
Voici l’Empereur : le grand aumônier, à la porte, offre l’eau bénite et, lorsque Leurs Majestés sont placées, il entonne le Veni Creator ; puis, assis devant l’autel, il bénit l’anneau nuptial et les treize pièces d’or que lui présente un évêque assistant. Il célèbre le mariage, pose les demandes et reçoit les réponses. Toutes les exceptionnelles cérémonies en usage pour les rois et les princes de la maison de France s’accomplissent selon les étiquettes retrouvées; mais le visage de Napoléon, resplendissant tout à l’heure d’orgueil satisfait, s’assombrit et s’encolère à la vue du rang presque vide des cardinaux où, sur trente-deux sièges préparés, onze seulement sont occupés ((Les autres ont refusé d’assister au mariage : ce seront les „cardinaux noirs“, voués à la vengeance de Napoléon)) et, durant que se développent les rites de la Monarchie et de l’Eglise : le livre des Evangiles qu’on lui porte à baiser, le premier encensement, l’offrande où il remet à l’officiant le cierge incrusté de vingt pièces d’or, la bénédiction sous le poêle que tiennent les évêques aumôniers, la Paix qu’il baise à sa place, le second encensement ; tandis que les musiciens de la Chapelle se surpassent et que résonne la délicieuse voix de Mme Duret, il ne quitte pas des yeux ces sièges vides et, dans la triomphale journée où son destin s’accomplit tel qu’il l’a souhaité, c’est assez que cette abstention lui marque une résistance pour que son bonheur en soit obscurci et qu’il s’en promette de terribles vengeances.
Après le Te Deum, le cortège se reforme. Dans la Grande galerie où chacun s’est donné la liberté de sortir de son rang et qui s’est trouvée soudain encombrée comme aux jours d’ouverture du Salon, un huissier crie : « L’Empereur ! » Par une commotion électrique, chacun saute la balustrade, se case comme il peut, et, en une seconde, le passage se trouve pour le cortège qui, avec la même lenteur, les mêmes vivats et les mêmes musiques, regagne les Tuileries. Il s’arrête dans la Galerie de Diane : l’Empereur, l’Impératrice et les princes entrent seuls dans le Salon de l’Empereur et, après que, dans la Chambre de parade, les dames d’honneur et d’Atours ont enlevé à Marie-Louise la couronne et le manteau qui vont être cérémoniellement reportés à Notre-Dame, Leurs Majestés, placées à une tribune élevée sur le balcon de la Salle des Maréchaux et entouré d’orchestres dressés sur la terrasse des Tuileries, voient défiler les corps de la Garde qui, en passant à leurs pieds, attestent leur fidélité par un inexprimable enthousiasme.
A six heures, — car les fonctions se succèdent sans interruption, et nul de ceux qui doivent y assister n’a même pour rentrer dîner une minute de relâche — c’est le banquet impérial dans la Salle de spectacle des Tuileries. À la place où est la scène, dans un décor qui répète exactement l’autre coté de la salle, la table est dressée sous un dais. Par de larges escaliers droits, on descend de l’amphithéâtre et l’on remonte à la scène. Le parquet et les loges sont occupés par les dames de la Cour: on a distribué quelques billets pour les secondes loges aux dames de la Ville ; dans les cintres, sont des corps de musique. Le cortège se forme dans le Salon de la Paix et à l’heure fixée, le grand maréchal annonce à Leurs Majestés qu’elles sont servies. Par les Grands appartements, la Salle des Maréchaux, où ont été admises les personnes de la Ville, le Grand escalier, l’escalier du Conseil d’Etat, la Salle du Conseil d’Etat, le vestibule, le théâtre enfin, on arrive à la table en fer à cheval, où l’Empereur s’assied au centre, ayant, à sa droite, Madame, Louis, Jérôme, Borghèse, Murat, Eugène ; à sa gauche, l’Impératrice, Caroline, Elisa, Pauline, Caroline, Würzbourg, Auguste et Stéphanie. Les huissiers et les hérauts d’armes ont occupé les portes intérieures ; les pages sont placés pour le service, derrière l’Empereur se tiennent les grands officiers; à droite, les grands dignitaires ; à gauche, les membres du corps diplomatique. Tous les assistants sont debout. Le grand aumônier bénit la table et se retire. Le banquet est aussi bref qu’un des habituels dîners de l’Empereur, bien que, selon les prescriptions d’étiquette, chacun des grands officiers ait rempli sa fonction. Par les mêmes routes, l’on remonte dans la Salle des Maréchaux, qu’ont dû évacuer les gens de la Ville ; Leurs Majestés, après avoir paru au balcon, s’asseyent pour un concert où l’on entend une cantate d’Arnault, sur qui Méhül ((Édouard Méhul (1763 – 1817).)) a mis de la musique, et l’inévitable chœur de l’Iphigénie de Gluck. Les chants finis, une fusée, lancée du Palais, donne le signal du feu d’artifice répandu sur tous les Champs-Elysées jusqu’à l’Arc de Triomphe; mais, du Palais, sur qui le vent rabat la fumée, on n’en voit rien.
Apres, le cortège se reforme; il traverse les Grands appartements, la Galerie de Diane, descend par l’escalier du pavillon, pénètre dans l’appartement de l’Impératrice, où chacun s’arrête dans la pièce où il a le droit de se trouver. Les grands aumôniers de France et d’Italie entrent dans la Chambre à coucher, et font la bénédiction du lit; ils sont suivis par les princes de la Famille impériale et par les dignitaires. Pour justifier la présence de ceux-ci, on a remarqué que, « l’archichancelier ayant le droit d’entrer dans la Chambre à coucher pour les couches, il n’y a pas d’inconvénient à ce que dans cette circonstance, ils y entrent tous ». Cela est bref; sur un signe de l’Empereur, les dignitaires saluent et partent ; autre signe, les princes et les princesses; l’Impératrice se retire dans son boudoir et l’Empereur monte dans son appartement pour tenir son coucher, durant qu’on éteint dans la chambre et qu’on l’arrange.
Et, à travers la ville, les peuples répandus ont la permission de se réjouir. La veille, dans chacun des douze arrondissements, on a tiré des loteries de comestibles, où l’on a distribué des billets pour 4.800 pâtés, 1.200 langues, 3.000 saucissons, 240 dindons, 300 chapons, 360 poulets, 1.040 gigots el 1.000 épaules de mouton. Les gagnants ont touché leurs lots, le matin, à douze buffets installés le long du Cours-la-Reine, a proximité des fontaines de vin qui jaillissent dans les Champs-Elysées. Là, c’est une kermesse en règle. Au Carré des Jeux, on trouve, pour se divertir, cinq théâtres, huit jeux de bague, deux tape-culs ((Un tape-cul est un type de balançoire qui consiste en une planche équilibrée articulée par son centre de gravité. Un joueur est assis à chaque extrémité et selon la poussée de ses pieds au sol, la planche fait remonter et redescendre les joueurs. (Wikipedia))), deux casse-cou, un oiseau égyptien, deux mâts de cocagne, deux jeux du dragon, six orchestres de danse, un concert d’harmonie de cent quatre-vingts musiciens, et des troupes de chanteurs, dont vingt-cinq engagés pour chanter les Chansons du gouvernement. À six et sept heures, Mme Furioso fait une ascension lumineuse sur la corde tendue ; et c’est autant de joies au Carré Marigny, presque au Carré de la Pompe et au Carré de la Laiterie. Plus tard, on a le concert des Tuileries et les illuminations ; la grande allée est un immense portique de feu, où cent cinquante colonnes, portant chacune vingt-sept pots à feu, sont réunies par un chapiteau double qui règne sur toute la largeur et se rejoignent en formant treize arcs de triomphe. Il y brûle au total trente-six mille pots à feu.
Le Jardin fleuriste, les allées des marronniers, les abords du Pont tournant, les terrasses, le portique d’entrée sont décorés de vases illuminés. C’est des feux partout, dans les Champs-Elysées, sur le pont de la Concorde, aux frontons de tous les palais, et cette perspective flamboyante a pour point de vue le triomphal feu d’artifice de l’Etoile. Mais, ce qui met la fête à part, ce sont les transparents illuminés qui ont été demandés aux peintres les plus en renom, et devant lesquels on se presse et l’on s’extasie. Au fronton du palais du Corps Législatif, Fragonard ((Alexandre-Évariste Fragonard (1780 – 1850), peintre, dessinateur et sculpteur)) a représenté la Paix unissant les deux époux, auxquels des femmes, des magistrats et des guerriers offrent des palmes et des couronnes. Au palais du Sénat, Lafitte montre Minerve appuyée sur les Constitutions de l’Empire et tenant en main le symbole de la Prudence, reçoit l’acte d’alliance apporté par deux Amours. Dans la cour de l’hôtel des Relations extérieures, un grand tableau où l’Empereur et l’Impératrice, couronnés par l’Amour, se donnent la main sur un autel : partout d’emblématiques flatteries où l’imagination s’est dépensée en inventions serviles et, au-dessus des tours de Notre-Dame, suspendu dans la nuit, un temple antique de l’Hymen plane en flammes sur la Cité.
Le lendemain, à dix heures, les hérauts d’armes parcourent les boulevards, de la place de la Concorde à la porte Saint-Antoine, jetant au peuple vingt mille médailles d’argent et cinq cents d’or : sur une face, on voit les profils géminés de Napoléon et de Marie-Louise: sur l’autre, en costume romain, leurs figures devant un autel antique. De ces médailles, il est quatre grandeurs : ce sont les petites qu’on jette au peuple.
A deux heures, au palais des Tuileries, dans la Salle du Trône, l’Empereur et l’Impératrice, entourés des princes, des princesses, de tous les officiers de France et d’Italie reçoivent les harangues des deux Sénats, du Conseil d’Etat et du Corps Législatif, puis les révérences des ministres, des cardinaux, des grands officiers de l’Empire, des grands aigles, des membres des cours de justice, des officiers des diverses maisons, des généraux, des archevêques, des préfets, des autorités de Paris, des maires des bonnes villes, des hommes présentés, puis des dames, « plus de quinze cents personnes » écrit Marie-Louise à son père et elle a un si grand mal de tête, occasionné par sa couronne trop lourde, qu’elle n’a vu absolument personne. Elle n’en peut plus, elle est morte de fatigue, mais l’Empereur n’a jamais été plus dispos, et il faut suivre, et, le matin du 4, avant de partir pour Saint-Cloud, il faut encore visiter la Galerie du Musée et le Salon de la chapelle qui, l’autel retiré, ferait une admirable salle de bal. Ce n’est point une sinécure d’être l’épouse Napoléon le Grand, et Marie-Louise l’apprend à dépens.