Le jour du Seigneur
Osterode, 5 mars 1807 [1]On notera la date !
DÉCISION
Sire, plusieurs évêques de l’Empire dont adressé des représentations sur la manière peu décente avec laquelle on chôme, dans certaines communes, les fêtes conservées par le Concordat. Ils exposent que, dans ces communes, les boutiques demeurent ouvertes et les ouvrages serviles continuent pendant les jours de fête comme pendant les autres jours. Ils font observer que, dans le cours de la révolution, des lois impérieuses de police prohibaient tout travail lorsqu’on célébrait le décadi ou quelques fêtes civiques. Ils ajoutent que le peuple, qui n’est régi que par les choses sensibles, s’habitue à négliger les pratiques religieuses et perd de vue la religion même en voyant l’espèce d’autorisation accordée à tous ceux qui affectent l’indifférence et le mépris pour les fêtes que la religion consacre. Ils demandent en conséquence que la célébration de ces fêtes soit protégée par des règlements capables de prévenir tout scandale et tout abus. L’article 57 de la loi du 18 germinal an X porte que le repos des fonctionnaires publics sera fixé aux dimanches et aux jours destinés à célébrer les fêtes conservées par le Concordat. Cet article se tait sur la manière dont le dimanche et les fêtes chômées doivent être célébrés par la masse des fidèles; mais il est évident que l’esprit de la loi a été de commander à tous les citoyens la décence qu’il convient de garder pendant les jours consacrés à la religion. Le principe de la liberté des cultes ne pourrait être un obstacle à l*exécution du vœu que MM. les évêques manifestent, car, dans le culte catholique comme dans le culte protestant , on chôme également le dimanche, on chôme les mêmes fêtes. Pourquoi la loi du 18 germinal an X a-t-elle diminué le nombre des fêtes? Pour ne pas distraire trop souvent de leurs travaux les hommes qui ont besoin de travailler pour vivre, et pour ne pas suspendre trop fréquemment les travaux et les fonctions des personnes consacrées au service de la société. Le législateur a donc supposé que les jours Il faut pourtant convenir que le principe général sur le repos ordonné dans les jours de dimanche et de fête reçoit des exceptions que l’état présent de nos sociétés ne permet pas de méconnaître. Il est des circonstances où les travaux publics ne pourraient être suspendus sans quelque danger pour l’État. Il est certains travaux dans la campagne qui, dans le temps opportun, ne pourraient être différés sans que l’on s’exposât au risque de n’avoir point de récolte, ou de perdre celle que l’on est sur le point de recueillir. Ces exceptions ont toujours été reconnues, sans aucune sorte d’inconvénients. Dans tous les temps les travaux publics ont continué pendant les jours de dimanche et de fête, dans les arsenaux et dans les autres ateliers consacrés au service public, quand les administrateurs ont cru cette continuation nécessaire. Quant aux travaux de la campagne, non seulement ils ont été permis, mais même ordonnés par la police, quand le magistrat a pu croire que la plus courte suspension pouvait mettre la récolte en danger. Dans tous ces cas, le magistrat seul est arbitre de ce que l’on peut ou doit faire. Nous ajouterons qu’il est des hommes qui ne pourraient cesser de travailler un seul jour sans compromettre leur subsistance et celle de leur famille. Il faut donc, ou que ces hommes soient nourris aux dépens du public, ou qu’ils ne soient jamais obligés de suspendre leurs leurs travaux, même pendant les fêtes chômées. Certainement la religion ne saurait contredire les vues d’humanité; dans l’ordre religieux, comme dans l’ordre naturel et civil, la nécessité est au-dessus de toutes les règles et les fait toutes cesser. Mais il est des choses de décence extérieure que l’on petit observer sans se nuire. Un ouvrier qui croit avoir besoin de son travail peut travailler sans tenir boutique ouverte les jours de dimanche et de fête. L’ouverture des boutiques pendant ces jours semble n’être qu’une vaine parade, une affectation, une couleur que l’on se donne pour avoir l’air de se mettre au-dessus des idées communes et de braver les idées et les pratiques religieuses. L’ordre public exige que chacun respecte la religion que les lois de l’État protégent. Plusieurs préfets ont ordonné dans les départements, 1° Que les boutiques seraient fermées les dimanches et fêtes; 2° Que les cabarets ne seraient point ouverts aux heures des offices pendant ces mêmes jours. Les arrêtés de ces préfets ont produit le meilleur effet et n’ont excité aucune réclamation. D’autres préfets me consultant, je leur ai indiqué l’exemple de leurs collègues, mais n’ai pas cru devoir, de mon chef, leur tracer une conduite constante et sûre, avant que de connaître les intentions de Votre Majesté. Si Votre Majesté l’agrée, j’inviterai les préfets qui m’ont déjà consulté , ou qui pourront me consulter dans la suite, à ordonner tout ce qui est de décence extérieure, les jours de dimanche et de fête , sans exercer aucune recherche inquiétante contre les citoyens. La décence extérieure se borne à ne pas tenir les boutiques ostensiblement ouvertes, à ne pas vendre et à ne pas travailler les jours de fête, avec la même publicité que les jours ouvrables, et à fermer les cabarets aux heures des offices. Ces règles sont généralement suivies chez toutes les nations où la liberté des cultes est admise comme en France. | Il est contraire au droit divin d’empêcher l’homme, qui a des besoins le dimanche comme les autres jours de la semaine, de travailler le dimanche pour gagner son pain. Le gouvernement ne pourrait imposer une telle loi que s’il donnait gratis du pain à ceux qui n’en ont pas. D’ailleurs le défaut du peuple en France n’est pas de trop travailler. La police et le gouvernement n’ont donc rien à faire là-dessus. Les saints Pères mêmes ne prescrivent le repos, le dimanche, qu’aux hommes qui ont assez d’aisance, ou qui sont dans le cas de mettre assez d’économie dans leur travail de la semaine pour pouvoir passer le dimanche sans travail. Cela est si vrai, qu’il était dans l’usage de tous les pays chrétiens qu’avec la permission de l’évêque ou du curé on pouvait travailler le dimanche. Serait-ce à l’évêque, serait-ce aux magistrats qu’appartiendrait le droit de donner cette permission ? On a vu, de nos jours, la force publique employée à parcourir les villes et les campagnes pour contraindre à célébrer la décade et à travailler le dimanche. On doit bien se garder de se mettre dans la nécessité d’employer un jour les gendarmes à empêcher l’homme qui a besoin de son travail pour assurer sa subsistance de travailler le dimanche. Dans l’un et l’autre cas il y a, de la part de l’autorité, superstition, soit politique, soit religieuse. Dieu a fait aux hommes une obligation du travail, puisqu’il n’a permis qu’aucun des fruits de la terre leur fût accordé sans travail. Il a voulu qu’ils travaillassent chaque jour qu’il leur a donné des besoins qui renaissent tous les jours. Il faut distinguer, dans ce qui est prescrit par le clergé, les lois véritablement religieuses et les obligations qu:i n’ont été imaginées que dans la vue d’étendre l’autorité des ministres du culte. La loi religieuse veut que les catholiques aillent tous les dimanches à la messe; et le clergé, pour étendre son autorité, a voulu qu’aucun chrétien ne pût, sans sa permission, travailler le dimanches. Cette permission, il l’accordait ou la refusait à son gré, pour constater son pouvoir, et l’on sait que, dans beaucoup de pays, on l’obtenait avec de l’argent. Encore une fois, ces pratiques étaient superstitieuses, et plus faites pour nuire à la véritable religion que pour la servir. N’est-ce pas Bossuet qui disait : « Mangez un bœuf et soyez chrétien ? ». L’observance du maigre le vendredi et celle du repos le jour du dimanche ne sont que des règles secondaires et très insignifiantes. Ce qui touche essentiellement aux commandements de l’Église, c’est de ne pas nuire à l’ordre social, c’est de ne pas faire de mal à son prochain, c’est de ne pas abuser de sa liberté. Il ne faut pas raisonner, mais il faut se moquer des prêtres qui demandent de tels règlements. Je ne les oblige pas à donner malgré eux l’absolution; je ne veux pas non plus qu’ils m’obligent à faire jeter dans le séjour du crime le paysan qui travaille, quelque jour de la semaine que ce soit, pour assurer sa subsistance et celle de sa famille. Puisqu’on invoque l’autorité sur la matière, il faut donc qu’elle soit compétente. Je suis l’autorité, et je donne à mes peuples, et pour toujours, la permission de ne point interrompre leur travail. Plus ils travailleront, et moins il y aura de vice. Plus ils se procureront avec abondance la subsistance qui leur est nécessaire, plus, ils satisferont aux besoins des organes et au voeu de la nature. Si je devais me mêler de ces objets, je serais plutôt disposé à ordonner que le dimanche, passé l’heure des offices, les boutiques fussent ouvertes et les ouvriers rendus à leur travail. Quand on jette un coup d’œil sur les diverses classes qui composent la société, on sent à quel point le repos du dimanche est plus funeste qu’utile. On voit dans combien d’arts, dans combien de métiers, cette interruption du travail a des effets fâcheux. La société ne compose pas un ordre contemplatif. Quelques législateurs ont voulu en faire un couvent de moines et lui appliquer les règles qui ne conviennent que dans le cloître. Puisque le peuple mange tous les jours, il doit lui être permis de travailler tous les jours. Il faut que M. Portalis prenne garde que cette concession une fois accordée, on ne manquera pas d’en exiger d’autres. Ayant une fois fait intervenir la force du gouvernement dans des choses qui sont hors de son ressort, on nous ramènera au temps désastreux des billets de confession, et à ces misérables époques où le curé croyait avoir le droit de gourmander un citoyen qui n’allait pas à la messe. La force des ministres du culte réside dans les exhortations de la chaire, dans la confession. Les sbires et les prisons ne doivent jamais être des moyens de ramener aux pratiques de la religion. |