[ed-logo id=’7324′]

Latest Posts

Le conscrit de 1809

Parcours d’un conscrit de l’an 1809

L’histoire vraie de Georges Dudal

Didier DUDAL

 

Didier Dudal, que nos lecteurs connaissent déjà par les documents et articles qu’il nous fait régulièrement parvenir, est un « fondu » de généalogie.

Ses recherches l’on amené à retrouver la trace de l’un de ses ancêtres, Georges Dudal.  Georges, né en 1789, a donc 20 ans en 1809, année où il est soumis à la conscription de 1809. La chance veut qu’il soit incorporé dans le 1er ban de la 41e cohorte de la Garde nationale, ce qui le tient à l’écart des grands conflits, jusqu’en 1813. Hélas ! cette année là, un décret du 11 janvier 1813 prévoit, dans son  article 2, que les 100 cohortes feront désormais partie de l’armée active !

22 régiments d’infanterie de ligne, numérotés de 135 à 156, sont donc créés à partir des cohortes de la Garde Nationale et plusieurs régiments vont être dirigés vers la Saxe pour y faire campagne. Les 40e, 41e, 42e, 43e cohortes constituent ainsi le 140e de ligne sous le commandement du colonel Ganivet. Georges y est incorporé, le 30 mai 1812, lui qui, depuis 1809, était resté loin du feu….

Didier, en compagnie de son cousin Hyacinthe, s’est plut à imaginer ces années de leur ancêtre.

 

  

Avant-Propos

Quand je retrouve un acte de baptême, de mariage ou un descriptif de conscrit , j’aime alors imaginer cette journée. Je pose quelques instants mon crayon, pousse sur le côté le lourd et fragile document qui a miraculeusement traversé les siècles, et je les vois tous là, heureux, malheureux, parents, témoins, amis, curé ou maire. Tous s’animent, les cloches sonnent là haut dans ce clocher. Au sommet, le coq qui veille sur le village. Sur la place, les poules en liberté et insouciantes, traversent la chaussé en quête d’un hypothétique ver ; au fond du bourg on entend le martèlement régulier dans la forge de François Gautier le maréchal-ferrant, chez qui les antagonistes de la réunion municipale de la veille reviennent sous un prétexte quelconque, et tout recommence.

Fermons les yeux avec un peu d’imagination en essayant de s’imprégner de la vie d’antan. Nous entendons les brouhahas de cette discussion entrecoupée du coup sec de la masse sur l’enclume, qui résonne. Le cri strident des hirondelles qui nichent sous le toit du presbytère, de monsieur le recteur Bouetard, et qui volent en cercle, annoncent le printemps. Le grincement de roue de la charrette, pleine de bon bois, récemment coupé qui sent bon. Nous parvient le hennissement du cheval attaché à cet anneau sur le mur ou encore les aboiements des chiens de la ferme Trefoy à la sortie du Bourg.

Imaginer et prendre quelques libertés avec l’histoire, celle de nos aïeux.

L’histoire « des tout petits, des sans grades ». C’est raconter les faits qui se sont déroulés telle journée, en quelques mots les faire revivre un instant, dans leurs contextes, en y mêlant fait historiques et fictions.

Didier Dudal

Chapitre Premier

L’ANNE 1809

Au premier janvier, les effectifs généraux des armées impériales se montaient à 622 000 hommes. La campagne d’Espagne commençait à apporter son lot de pertes par maladies et les embuscades de plus en plus fréquentes. Le 31 mars, paru un senatus demandant 30 000 hommes de la conscription de 1810 et 1 000 conscrits des départements de l’ouest durent rejoindre la Garde ; 168 élèves de l’école de St-Cyr et 50 de Polytechnique partirent pour remplir les cadres de l’armée. En avril, 32 élèves de St-Cyr les rejoignaient.

La conscription

Le 25 avril, 10 000 hommes des classes 1806 à 1809 sont demandés, ainsi que 30 000 de 1810. Un beau matin brumeux de ce printemps 1809, Georges Dudal et 19 autres jeunes conscrits de la commune de Plouvara (Côtes-d’Armor) dans les Côtes-du-Nord, se rendent, à pied, de leurs fermes et hameaux au bourg de la commune de Chatelaudren.

Le processus de la conscription fonctionne de mieux en mieux : le décret d’appel de classe a été voté, les listes cantonales ont été rédigées et placardées durant dix jours. Le jour du tirage au sort dans le chef lieu de canton est arrivé.

 De bon matin, donc, les jeunes gens partent vers Chatelaudren, pour le tirage au sort de la conscription. Tous sont nés en 1789, l’année des États Généraux. Ils se connaissent tous depuis leurs plus jeunes années, vécues sous les tragiques événements de la Révolution qui se sont déroulés dans leur commune. Tout comme l’ont vécu les jeunes gens des villages voisins du canton, de Boquého, Cohiniac, Plerneuf, Trègomeur et Trèmoloir. Ils se sont rejoints sur la route qui mène de Plouagat à Chaté [1](Chatelaudren). Le recteur de Plouagat, qui les regarde passer, hoche la tête : il sait que, pour la grande majorité d’entre eux, c’est la dernière fois qu’il les voit. Il pense qu’ils ne reviendront sûrement plus au pays, qu’ils s’éteindront dans les fumées d’un champ de batailles, ou pourriront sur la paille d’un hôpital ; les plus chanceux, certes, reviendront vivants, mais avec un membre en moins. Il les bénit discrètement avant de se détourner, pour aller prier pour eux.

Quelques centaines de mètres plus loin, ils rencontrent le pont Ségal ou Notre Dame (Pont Ségal pont de Seigle, nommé plus tard pont Baroux) et aux abords de ce pont, à gauche de la route, ils aperçoivent une maison plus spacieuse que les autres. Cette maison se nommait alors, comme aujourd’hui, « Les casernes ». Il y avait quelques fois une petite garnison à Chatelaudren, ces siècles derniers.

Parmi ces jeunes gens dont les noms sont jetés sur les registres de conscription, 19 sont originaires de Plouvara ; tous passeront devant monsieur le préfet, qui préside la commission de conscription, qui comprend entre autres : un officier général commandant le département, l’officier commandant la gendarmerie du département, un sous-inspecteur aux revues ou un commissaire des guerres, un officier de santé et enfin le capitaine de recrutement. Chaque conscrit passe sous la toise et devant l’urne fatidique, sortant un numéro devant le maire de la commune ou de son adjoint, qui devra attester des maladies et des malformations, ou autres suivant les cas.

Si une commune comprend une centaine de jeunes gens et que le nombre fixé est moindre, il faut procéder au tirage au sort. Autant de papiers pliés et portant un numéro qu’il y a de conscrits sont jeté dans l’urne les jeunes conscrits tirent un numéro, suivant son rang qui les placera dans trois cas :

– si le numéro excède le contingent escompté, le conscrit sera, selon les époques, soit libéré, soit placé en extrême réserve. Cette situation deviendra rarissime car les besoins en homme iront en s’accroissant et les réformes faisant appeler les numéros suivant ne laisseront guère d’illusions ;

– si le numéro entre dans le contingent fixé pour le canton, le conscrit part dans les tous premiers jours vers le dépôt général du département, où un nouveau tri s’effectue, cette fois en fonction des besoins des diverses unités de l’armée ;

– ils peuvent avant le départ du contingent fixé se pouvoir devant le conseil de recrutement qui statuera sur leur cas individuel ; rares seront les cas de réforme à ce niveau, tout au plus se verront ils placés en fin dépôt.

Il faut souligner également que les déserteurs réfractaires et les réformés font partir les tenants des numéros suivants. Les hommes désignés pour la réserve sont astreints à des manœuvres dominicales, mais cette réserve deviendra très rapidement illusoire.

Loi du 28 Nivôse de l’an 7

La loi du 28 Nivôse de l’an V (18/1/1800), relative aux dispenses de service militaire, fixe en 2 tableaux, les infirmités évidentes, signifiant l’invalidité absolue pour le service militaire.

1er Tableau 2éme Tableau
Perte de la vue.
Perte du nez
Perte de la parole
Perte de l’ouïe.
Goitres.
Ecrouelles ulcérées
Phtisie pulmonaires
Affections de poitrine.
Perte des parties génitales
Perte des membres où de leur usage
Anévrismes.
Maladies des os.
Claudication rétraction et relâchement des membres
Ulcères écrouelleux.Atrophie, marasme
Gibbosité.
Lésions du crâne.
Perte de l’œil droit.
Affections chronique des yeux. (*)
Vices de la vue.
Maladies du nez.
Fétidité de l’haleine. (**)
Perte des dents, maladies des mâchoires.
Fistules salivaires.
Difficulté de déglutition.
Vice de l’ouïe.
Vice de la voix.
Vice de la parole.
Phtisie ou asthme hémoptysie.
Hernies.
Maladies des voies urinaires.
Maladie des parties génitales

(*) Ce défaut rend impropre au service de soldat dans la ligne ; mais il n’empêche pas de remplir des fonctions utiles à l’armée dans un autre service ou dans la marine » (sic) de plus l’œil gauche n’est pas compris dans cette liste.
(**) Les soldats qui répandent ces exhalations infectes sont renvoyés des corps, repoussés par leurs camarades.

La place de Chatelaudren

Ils arrivent là sur la place de la mairie, face à eux, en pleine effervescence, les jeunes gens des communes de Plélo et de Chatelaudren, qui sont chez eux. Ils dévisagent les nouveaux arrivants, les interpellent, des jeunes se bousculent, agitant un drapeau à bout de bras et se dirigent vers des vétérans pour qu’ils leur montrent l’exercice …

Parmi la foule, les trop jeunes pour partir, et les femmes et les jeunes filles du Canton, qui ont laissé leur labeur pour peu de temps ; car le travail est rude et celui-ci ne manque pas et il ne saurait attendre, même pour les femmes.

Ils sont tous venus en curieux, certains pour savoir si leur proche sera « bon ». Comme cette jeune filandière, aux yeux aussi vert que la lande de son beau pays. Elle tremble et prie de toute son âme pour celui qui vient d’arriver avec le reste de la bande et qui se faufilent dans la foule ; elle ne l’aperçoit déjà plus, ce jeune homme. Il n’est ni plus grand ni plus petit que les autres, il mesure un mètre cinquante-huit, Georges, il a le visage ovale, le front rond, les yeux roux surmontés de sourcils châtains (Sources S.H.A.T. Vincennes), le nez pointu, avec une bouche grande et le menton large ; sous son chapeau, de longs cheveux châtains. C’est son bien aimé, le fils de feu Jean Dudal et de Jeanne Auffray, du village de Seignaux en Plouvara.