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Le centenaire d’Erfurt

La rencontre de Tilsit - Adolphe Roehn (Base de données Joconde)La rencontre de Tilsit - Adolphe Roehn (Base de données Joconde)

Quand il chevauchait entre Alexandre et le successeur de Frédéric, le long des régiments immobiles et des centaures alignés sous le soleil, Napoléon était ivre des rêves choyés par toutes les âmes françaises depuis quinze ans de passions. Ce n’était plus l’avè­nement de Bonaparte, c’était l’avènement de la Révo­lution que la canonnade saluait pendant les revues. S’il eût mieux senti cela, il eût moins cru en lui et plus dans les idées incluses en son ambition, il eût épargné un siècle d’atermoiements, de convulsions et de malaise à l’histoire. En quittant Tilsit, Napoléon, n’avait qu’à se souvenir de Vendémiaire pour ignorer les désastres de 1813 et la catastrophe de 1815. Les peuples croyaient alors à sa mission libérale.

Il était pour eux le serviteur des Lois et la terreur des rois. Tout ce que l’Europe comptait de gens instruits par les Encyclopédistes, enthousiasmés par les actes majestueux de la Révolution, indignés par l’arbitraire des cours et l’injustice des privilèges, attendris par les maux des classes laborieuses, choquées par les arrogances de la haute noblesse et le ridicules des castes vaniteuses, tous les Anacharsis Clootz demeurés dans leurs petites villes allemandes, tous les fidèles des loges maçonniques et illuminées, toute la jeunesse ambitieuse éblouie par l’aventure de Marengo et d’Austerlitz, ces forces multiples eussent aidé Bonaparte à l’achèvement de l’épopée française, s’il eût voulu.

En  1807 Napoléon pouvait accomplir, dans toutes les capitales, la révolution de 1848. Il préféra devenir le  gendre des Habsbourg et le neveu des Bourbons. Il cessa d’être la nation pour devenir lui-même, il se diminua jusqu’à la pauvre ambition d’un caporal enrichi qui  se paye le caprice assez vil d’épouser une fille titrée.

Jamais plus évidente condamnation de l’individualisme ne fut prononcée par les événements.

Avec le peuple et les idées du peuple Bonaparte monta jusqu’au trône d’Erfurt.

Avec lui-même et ses ambitions nues, il descendit jusqu’au fossé de Waterloo.

Bien que les auteurs du Mémorial fassent reconnaître à Bonaparte une partie de ses fautes, ils ont omis la principale. Ce fut un malheur pour le Premier Consul de réussir à compromettre injustement Moreau dans la conspiration royaliste de Pichegru, et de faire tendre contre son émule, malgré une  résistance de vingt-quatre heures, par des jurés affamés, un verdict d’ostracisme.  Ce fut le pire  malheur que de pouvoir expédier à Saint-Domingue l’armée jacobine de Hohenlinden afin qu’elle y fût décimée par les fièvres tropi­cales. Moreau, ses amis et ses soldats eussent prêté aux orateurs du Tribunat et aux fameux   «  idéologues » un appui nécessaire pour que leurs voix fussent entendues.  La République consulaire  eut pu se rappeler au souvenir de l’Empereur dynastique. 

L’immense désaffection des peuples n’eût point en Espagne, en Allemagne, en Autriche, en France même, secondé les  manœuvres  du Tugend-Bund  et   de  la Sainte-Alliance devenue plus libérale que le « Robespierre à cheval », après 1810.

Au lendemain de Tilsit, le changement s’opéra dans l’esprit de Napoléon et dans l’estime des peuples. Ils s’aperçurent trompés, Joseph roi de Madrid, Louis roi de Hollande, Murat roi de Naples, Jérôme roi de  Westphalie, Marie-Louise d’Autriche l’impératrice de France allaient être les signes humains de la trahison. Les mêmes bourgeois « illuminés » de Mayence qui avaient livré leurs remparts au drapeau jacobin de Custine, abattirent les étendards tricolores  en 1813.  Dix ans ils avaient  subi l’occupation des troupes françaises, les réquisitions de l’intendance, administration coercitive des hauts   fonctionnaires parisiens, dans l’espérance de voir les états de l’Europe occidentale et centrale s’unir à une  république libre, parlementaire et indivisible, comme la Répu­blique consulaire si parfaitement décrite par M. Albert Vandal.  

Pour répondre à ce vœu des nations, très politiquement, Alexandre, qui savait les hommes et les choses, fit revenir, en 1813, Moreau d’Amérique et le présenta comme le successeur éventuel de Napoléon; Moreau tué, Bernadotte, le soldat jacobin en faveur de qui le franc-maçon suédois avait abdiqué sur l’ordre des loges, eût reçu la suprême investiture, si les mani­gances de Talleyrand n’avaient abusé Alexandre, et rétabli les Bourbons, par surprise.