Le Blocus continental – Un espoir sans lendemain – Le Consulat et le Premier empire
Jusqu’en 1810 la France va connaître une période de croissance économique. Certes, celle-ci sera inégalement partagée, le blocus ayant sonné la ruine de la façade maritime de la France.
Mais le système continental va permettre aux industries et productions françaises de se tourner vers l’Europe, plutôt que vers la mer. Alors que dans le même temps l’économie britannique va connaître les contrecoups des mesures prises contre elle.
Le système continental
N’ayant jamais véritablement eut les moyens de bloquer les navires anglais directement dans les ports britanniques, l’Empereur avait donc opté pour une tactique déjà en vigueur lors du Directoire. Cela consistait à fermer toutes les voies de commerce entre l’Angleterre et la France puis l’Europe.

Mais la disparition d’un partenaire économique aussi important devait laisser un vide en Europe qu’il fallait absolument combler. Ce sera en partie réalisé par ce que l’on va appeler par analogie le système continental, prolongement indissociable du blocus continental qui devait permettre d’ouvrir le marché européen aux entreprises et aux productions françaises.
Il ne faut toutefois pas confondre blocus continental et système continental, le premier étant une lutte commerciale contre la Grande Bretagne, le second une organisation européenne (économique, politique et militaire). Mais ces deux mesures forment un ensemble complémentaire, indissociable pour appréhender la politique de l’Empereur.
Il en résultat un profond changement dans les habitudes commerciales de la France et par voie de conséquence de l’Europe.
Le système continental à l’aide de l’économie française.
Si le blocus continental avait été conçu comme une arme de guerre contre un ennemi bien défini, il se transforma rapidement en un « outil économique » qui permit à la France de maintenir pendant ces périodes troublées une certaine croissance économique. En Europe, la France bénéficia des nombreuses conquêtes qui lui permirent de s’ouvrir sur un marché considérable.
Ainsi, pour ne parler que de l’Empire français, excluant les pays alliés ou sous domination française, celui-ci comptait en 1811 130 départements peuplés de 45 millions d’habitants (contre 28 millions de français en 1789). A cela doivent s’ajouter les vassaux, états protégés et alliés de la France qui couvraient la totalité de l’Europe, de Brest à Moscou, jusqu’aux limites de l’Empire turc (Annexe ). Il serait mensongé de dire que tous ces pays respectèrent scrupuleusement les ordres impériaux concernant le sort à réserver aux marchandises anglaises et qu’ils acceptèrent sans grogner les produits français souvent beaucoup plus chers que les produits anglais. Il n’en résulte pas moins une certaine croissance économique en France encouragée par l’empereur lui-même.
Certains chercheurs constateront d’ailleurs que « malgré la guerre révolutionnaire ou impériale, la France s’enrichit et progressa dans la plupart des secteurs essentiels de la production ». Même s’il faut relativisé cette progression qui selon Monsieur Crouzet ne serait que la conséquence du rattrapage d’un retard accumulé [1] que l’on ne peut nier.
De nombreuses aides furent apportées à l’industrie pour favoriser une initiative ou concrétiser un projet. L’Empereur intervint personnellement pendant les périodes difficiles en passant des commandes officielles et de nouvelles cultures furent introduites pour pallier les pénuries. Les aides à l’industrie intervenaient essentiellement dans les secteurs mis à mai par le blocus continental qui empêchait l’importation de certaines matières premières. Ainsi en a-t-il été de l’exploitation de la betterave à sucre.
Delessert ayant impressionné l’Empereur, celui-ci maintient les droits d’entrées touchant le sucre produit provenant des colonies, c’est-à-dire produit ou contrôlé par la Grande Bretagne. Ces droits étaient par ailleurs déjà fort élevés afin de dissuader la population de s’attacher à un produit qui, de par ses origines, rendait la France vulnérable quant à son approvisionnement. En contrepartie des primes furent accordées aux fabricants de sucre de betterave, mais malheureusement, les résultats ne furent pas à la hauteur des espérances.
Le secteur textile connu aussi une évolution, l’Empereur reprochant le fait que la matière première de cette industrie devait être importée, privilégie la soie, le lin et la laine. Apparurent à cette époque des progrès techniques dans les filatures.
L’Empereur imposa ses décisions au reste de l’Europe, pour prendre un exemple l’Italie avait reçu l’obligation de fournir toute sa production de soie et de coton à la France sans pouvoir en exporter en Europe ou hors Europe, ni importer des textiles autres que français.
En contrepartie elle avait l’obligation d’acheter les soieries et les textiles ainsi fabriqués en France. Le peu de transigeances et de contreparties qu’offrait l’Empereur à ses alliés devait faire naître un fort sentiment anti-français dans certaines régions. Si le Royaume d’Italie se pliait plutôt docilement à ses injonctions, son vice-roi n’était-il pas le « beau-fils » de l’Empereur.? Il n’en allait pas être de même dans d’autres parties de l’Europe.
La Russie pour ne citer qu’elle n’apprécia pas que l’Empereur l’oblige à fermer ses ports aux navires britanniques et américains alors que la France continuait à exporter par le biais des licences du vins et eau de vie en Grande Bretagne, et accueillait tous les navires américains[2] dans ses ports. Le peu de transigeance comme nous venons de le dire devait pousser le Tsar à rompre le blocus le 31 Décembre 1810 marquant le début de son agonie.
Les effets du système continental sur la structure commerciale de la France.
L’époque glorieuse des ports de commerce français qui du XVIe au XVIlle siècle voyaient partir les navires sur toutes les mers du monde et rapporter les marchandises introuvables sur le continent n’apporte plus qu’un sentiment de nostalgie. Le blocus anglais, plus que le blocus continental mit un terme à la prospérité des grands ports comme Bordeaux. Ne subsistaient guère plus que ceux vivants de la course. Ce déclin devait entraîner avec lui des entreprises qui vivaient indirectement de ce commerce. Leur survie ne tenait qu’au système des licences ainsi qu’au cabotage.
Cet appauvrissement de l’axe littoral permis le développement commercial d’un axe intérieur. Aux grandes villes côtières succédèrent les grands centres tels que Lyon favorablement placé pour commercer avec la Suisse et l’Italie, Strasbourg dont le commerce peut s’ouvrir sur l’est et le nord-est de l’Europe, et bien entendu Paris. En fait, la carte que l’on pourrait dresser de cet axe commercial traduit assez fidèlement la volonté de la France d’ouvrir son économie sur le reste de l’Europe.
Il n’est que la conséquence directe, si ce n’est du blocus continental, tout au moins du blocus exercé par les anglais eux-mêmes.
Le commerce par ailleurs bénéficia des axes militaires qui permirent un transport plus rapide des personnes et des marchandises pour un coût raisonnable (si on excepte les droits de douanes taxant lourdement les produits étrangers, anglais mais également européens).
L’industrie se développa avec l’apport de capitaux venant aussi bien de banques, que de certains commerçants. Le gouvernement ne fut pas en reste en proposant son appui sous la forme de prêts, locations ou ventes avantageuses de biens nationaux, n’hésitant pas à apporter gracieusement une partie des fonds nécessaires à l’acquisition par certains industriels de matériels ou de bâtiments.
Malgré tout assez peu de personnes se risquaient dans l’aventure industrielle devant la difficulté de trouver les capitaux suffisants. Ceux-ci devaient sortir en grande partie de leurs propres poches. Somme toute, un net progrès peut être constaté dans le secteur textile où l’installation de nouvelles machines à tisser et de nouveaux matériaux permis le développement de cette industrie.
Même si les exploitations dans leur ensemble restaient de faible grandeur, l’industrie textile permit à nombre de petits travailleurs de vivre[3].
L’Armée et le Gouvernement furent eux-mêmes grands pourvoyeurs de commandes et purent imposer les exportations françaises dans toute l’Europe au grès des conquêtes.
Restaient certains secteurs réfractaires aux progrès techniques, tels que la sidérurgie qui ne progressa que médiocrement pendant la période, ou l’agriculture qui ne se décida pas à se lancer dans de vastes exploitations pas plus qu’à travailler des nouvelles cultures.
D’un point de vue général, la France connaît une période de prospérité grâce au développement de ses exportations vers le reste de l’Europe. Malgré le défaut de certaines matières premières, l’industrie française resta optimiste jusque 1810, lorsque va apparaître le spectre du chômage générateur de troubles pour l’ordre public comme nous allons le voir en Angleterre. Cette « psychose » de l’ouvrier ira jusqu’à pousser certaines autorités municipales à freiner le développement industriel des manufactures.
Toutefois le vide laissé par l’éviction des anglais des marchés européens ne put être entièrement comblé par les productions françaises qui restèrent insuffisantes en grande partie à cause de la faiblesse de leur industrialisation. Cette même industrialisation qui fait peur.
L’ébranlement de l’économie britanique
Par deux fois, l’économie britannique vacillera sous les coups portés par le Continent, faisant espérer la France et l’Empereur d’une paix prochaine. Mais par deux fois l’Angleterre se relèvera, en partie grâce aux interventions de l’Empereur en l’Europe.
La crise de 1808 ?
La fermeture pour la première fois de son histoire de tous les ports européens aux navires de commerce anglais fut gravement ressentie à Londres. L’année 1808 allait être marquée d’une pierre noire tant en ce qui concerne le commerce extérieur que la vie interne du pays.
a) Les tensions internes.
Les difficultés économiques ressenties à la fin de l’année 1807 dégénérèrent en crise début 1808. La chute de la demande, consécutive à la fermeture des marchés européens fit s’écrouler en retour le prix des produits qui commençaient à s’entasser dans les entrepôts du pays. Devant la gravité de la situation, le parlement dut prendre certaines mesures afin d’assainir le marché sous la pression de grands groupes d’importation et réexportation, comme la diminution des droits de douanes. De nombreuses sociétés d’exportation étaient en effet couvertes de dettes dues à l’accumulation des droits de douanes qui ne pouvaient être acquittés faute de débouchés pour leurs produits.
La crise n’épargna pas l’industrie, et c’est certainement en ce sens qu’elle fut la plus dangereuse. Le manque d’activités contraignit les entreprises à licencier ce qui ne tarda pas à créer un mouvement d’agitation parmi les ouvriers. Des grèves éclatèrent notamment dans les régions cotonnières où les tisserands manifestaient contre leurs diminutions de salaires. Des pétitions allèrent même jusqu’au Parlement afin de demander de mettre fin à la guerre.
A ce moment tout aurait pu basculer en faveur de l’Empereur, convaincu de mettre à genoux son irréductible ennemi. Mais le mouvement manqua d’ampleur. La crise ne fut jamais suffisamment intense pour entraîner une protestation générale. Bon nombre de patrons eurent beau jeu de désarmer les conflits sociaux qui s’amorçaient en mélangeant savamment deux procédés : l’accord d’une augmentation de salaires, bien qu’inférieure aux revendications, et par l’intervention de la troupe qui, par quelques sabrages remis rapidement de l’ordre dans les foyers les plus agitateurs.
D’autre part, l’erreur de Napoléon ler portait sur la nature même de ces contestations. Elles n’en avaient point le caractère révolutionnaire qu’il cherchait à faire naître en Angleterre. Ce fut au grand maximum une révolte, mais en aucun cas elle n’eut la prétention d’être ou de devenir une Révolution.
b) Le commerce britannique en 1808.
Pour la première fois régnait la paix en Europe permettant à la France de renforcer le blocus continental. Nous le verrons plus loin, la reprise de la guerre sera accueillie comme un soulagement pour l’économie anglaise. Sans être totalement interrompu, le commerce britannique connu un net ralentissement au cours du premier semestre 1808. Ce maintien du commerce était dû à la politique de protection des navires anglais par des escadres de guerre et, tout au moins pour un temps, par l’ouverture des ports suédois.
Toutefois de façon officieuse, et à l’encontre des accords passé avec la France, un certain nombre de ports russes restait ouvert aux navires anglais. Certes ces bâtiments s’y aventuraient rarement en arborant l’union Jack, préférant emprunter une nationalité de complaisance. Mais il aurait fallu être particulièrement borné pour que le subterfuge prenne réellement, et c’est avec une certaine bienveillance que ces navires étaient accueillis par les fournisseurs russes.
La contrebande en Allemagne ainsi que les marchés offerts par la Levant et les ports autrichiens en Méditerranée contribuèrent à sauvegarder l’équilibre de l’économie britannique. Mais le soulagement vint avant tout de l’ouverture de nouveaux marchés en Amérique du sud, et plus particulièrement au Brésil où la Cour du Portugal avait fuit avant l’invasion par les armées du Général Junot du Royaume Lusitanien.
Le Brésil bénéficiera en outre de la toute relative fermeture du marché américain alors que les relations entre l’Angleterre et ses colonies nouvellement indépendantes s’étaient considérablement dégradées. S’y ajoutèrent les colonies espagnoles qui continuaient à commercer avec l’Angleterre, commerce qui ne fit que s’affirmer après la malencontreuse affaire d’Espagne (chapitre III).
On peut de cette période relever deux éléments fondamentaux. La première expérience fut la baisse de la valeur officielle des exportations de la Grande Bretagne qui, si elle est importante[4] n’en est pas pour autant catastrophique. En second lieu, il convient de minimiser cette crise qui n’est en fait que le prolongement de la situation existante fin 1807. On ne peut pas véritablement parler de crise, d’autant que la reprise des conflits en Europe va permettre de desserrer l’étaux qui pesait sur l’Angleterre. Mais elle n’en est pas pour autant préservée, comme le lui rappellera les années 1810 et 1811.
Les années difficiles.
L’année 1809 et le début de l’année 1810 se révélèrent pour l’économie anglaise être une période faste à peine assombrie par les mauvaises récoltes de l’année 1809 qui avaient générées une pénurie de céréales et de ce fait entraîna une augmentation des prix des denrées alimentaires. Malgré cela la balance commerciale britannique resta excédentaire (4), le cycle des exportations en Europe ayant été comblé par une extension du commerce avec les Etats-Unis (les échanges avec ses anciennes colonies accusèrent une hausse de près de 50% en un an).
Toutefois sous cette apparente bonne santé se cache un mal qui avait commencé à ronger l’économie britannique et qui allait s’accentuer sous la pression des événements, qu’ils viennent du continent ou non. Une crise financière, latente, bénéficia des répercussions de la guerre et du blocus pour se développer. Le premier signe fut les augmentations constantes des prix des produits, qu’ils soient d’origine anglaise ou étrangère, entre 1807 et 1809 [5].
D’autre part les dépenses effectuées à l’étranger que ce soit pour financer une action contre Napoléon, ou afin d’entretenir les nombreuses garnisons éparpillées dans le monde, contribuèrent à déstabiliser la monnaie. Le volume des billets mis en circulation augmenta significativement entre 1807 et 1809. Et ce qu’en même temps les réserves en monnaie métallique diminuaient, elles atteignirent des proportions alarmantes. De six millions de Livres, en réserve en 1808, on tomba à quatre millions en 1809.
La Livre était devenue fragile du fait de l’abus du crédit et de l’inflation. Mais pour ne pas augmenter les impôts, l’Angleterre avait détaché la Livre de l’or, entraînant une augmentation du papier monnaie. Les banques multiplièrent le nombre des billets, favorisant une inflation.
S’ajoutait à cela les difficultés de recouvrement des ventes de marchandises anglaises dans les nouveaux débouchés sud-américains plus prompt à être payés pour leurs exportations qu’à régler les montants dus à leurs importations de produits anglais.
De cette situation, un constat peut être dégagé. Si le blocus continental ne se révéla pas d’une grande efficacité il n’en demeure pas moins que l’économie anglaise, si elle avait jusque-là bien résistée, restait dans une situation instable. En 1810 tout va se déchaîner contre l’Angleterre. A commencer par les éléments qui, en Septembre, endommageant près de 600 vaisseaux anglais, causent un préjudice de près de 2 millions de Livres.
1810 marque une période de paix en Europe, la cinquième coalition avait une fois encore été écrasée et aucun souverain n’osait tenir tête à l’Empereur. Il mit à profit cette période pour renforcer l’exécution du blocus continental. Cette année allait s’ouvrir sur l’une des plus graves crises que connu la Grande Bretagne. La politique des licences avait contribué, ainsi que la contrebande, à accroître une sorte de « fuite de numéraire » vers le continent. Les réserves bancaires diminuant d’autant c’est tout le système du crédit qui vacilla, poussant à la faillite des entreprises et inévitablement le chômage s’installa.
En 1810, on ne peut pas considérer que le blocus fut à l’origine de la crise, mais il contribua à l’aggraver. L’année suivante, la situation s’envenima. L’efficacité du blocus continental atteint son paroxysme accentué par la dégradation des relations entre Londres et VVashington qui devait déboucher sur une guerre (Annexe ).
L’industrie anglaise reçue comme un choc la dégradation de la situation commerciale. Mais ce fut certainement le secteur textile qui fut le plus gravement touché. Le marasme ambiant excita la colère des ouvriers qui allaient jusqu’à saccager les machines qu’ils rendaient responsables de la crise.
Mais ces révoltes, le luddisme comme on l’appela, n’aura jamais l’aspect révolutionnaire qu’espérait l’Empereur, tout comme en 1808, même si les revendications purent déformer les volontés, ce ne fut jamais que des travailleurs en colère contre la situation économique du pays qui manifestèrent. Il n’était pas question de remettre en cause les fondements institutionnels séculaires sur lesquels reposaient la société politique anglaise. En 1812 la situation parvint à se stabiliser. Les exportations reprirent un peu, notamment grâce à la sortie de la Suède [6] et de la Russie du système continental.
Encore une fois l’Angleterre allait être sauvée par l’Empereur. Les préparatifs de la future campagne de Russie et la réussite que l’on connaît de cette expédition vont permettre à l’Angleterre de se relever du coup porté à son économie.
NOTES
[1] De la supériorité de l’Angleterre sur la France. F. Crouzet pp.280 à 294 Ed. Perain 1985
[2] Le décret de Trianon, (5 Août 1810) donne aux ports français le monopole des importations des produits coloniaux par navires neutres, au détriment des autres ports d’Europe
[3] Les exportations passèrent de 19521 milliers de Livres au cours du second trimestre 1807 à 14912 pour la même période en 1808, alors qu’en 1806 elle représentait 18167 Livres.
[4] Même si les exportations de 1810 marquent un léger recul de 99c en valeur officiel et 5% en valeur réelle parallèlement à 1809, elle resta à l’un de ses meilleurs niveaux durant la période 1799-1815.
[5] L’augmentation pendant cette période fut en moyenne de 81 %.
[6] La Suède ayant adhéré bon gré mal gré en 1809.