La nuit où Napoléon voulu se suicider

Le baron Fain
Le baron Fain

Manuscrit de mil huit cent quatorze

Par le baron Fain

1823

[1]Le baron Fain a rédigé, sous la Restauration, en plus de ses Mémoires, le récit des dernières années de l’Empire et notamment ce Manuscrit. Fain est l’une des meilleures sources … Continue reading

Depuis quelques jours, il semble préoccupé d’un secret dessein. Son esprit ne s’anime qu’en parcourant les galeries funèbres de l’histoire. Le sujet de ses conversations les plus intimes est toujours la mort volontaire que les hommes de l’antiquité n’hésitaient pas à se donner dans une situation pareille à la sienne; on l’entend avec inquiétude discuter de sang-froid les exemples et les opinions les plus opposés. 

Une circonstance vient encore ajouter aux craintes que de tels discours sont bien faits pour inspirer. L’impératrice avait quitté Blois; elle voulait se réunir à Napoléon; elle était déjà arrivée à Orléans, on l’attendait à Fontainebleau : mais on apprend de la bouche même de Napoléon que des ordres sont donnés autour d’elle pour qu’on ne la laisse pas suivre son dessein. Napoléon, qui craignait cette entrevue, a voulu rester maître de la résolution qu’il médite. 

Dans la nuit du 12 au 13, le silence des longs corridors du palais est tout-à-coup troublé paf des allées et des venues fréquentes. Les garçons du château montent et, descendent; les bougies de l’appartement intérieur s’allument ; les valets de chambre sont debout. On vient frapper à la porte du docteur Yvan, on va réveiller le grand maréchal Bertrand, on appelle le duc de Vicence, on court chercher le duc de Bassano qui demeure à la chancellerie ; tous arrivent et sont introduits successivement dans la chambre à coucher. En vain la curiosité prête une oreille inquiète, elle ne peut entendre que des gémissements et des sanglots qui s’échappent de l’antichambre, et se prolongent sous la galerie voisine.

Tout-à-coup le docteur Yvan sort ; il descend précipitamment dans la cour, y  trouve un cheval attaché aux grilles, monte dessus et s’éloigne au galop. L’obscurité la plus profonde a couvert de ses voiles le mystère de cette nuit. Voici ce qu’on en raconte :  

A l’époque de la retraite de Moscou, Napoléon s’était procuré, en cas d’accident, le moyen de ne pas tomber vivant dans les mains de l’ennemi. . Il s’était fait remettre par son chirurgien Yvan un sachet d’opium [2]Ce n’était pas seulement de l’opium; c’était une préparation indiquée par Cabanis, la même dont Condorcet s’est servi pour se donner la mort. , qu’il avait porté à son cou pendant tout le temps qu’avait duré le danger. 

Depuis, il avait conservé avec grand soin ce sachet dans un secret de son nécessaire. Cette nuit, le moment lui avait paru arrivé de recourir à cette dernière ressource. Le valet de chambre qui couchait derrière sa porte entr’ouverte l’avait entendu se lever, l’avait vu délayer quelque chose dans un verre d’eau, boire et se recoucher. Bientôt les douleurs avaient arraché à Napoléon l’aveu de sa fin prochaine. C’était alors qu’il avait fait appeler ses serviteurs les plus intimes. Yvan avait été appelé aussi; mais apprenant ce qui venait de se passer, et entendant Napoléon se plaindre de ce que l’action du poison n’était pas assez prompte, il avait perdu la tête et s’était sauvé précipitamment de Fontainebleau. 

On ajoute qu’un long assoupissement était survenu, qu’après une sueur abondante les douleurs avaient cessé, et que les symptômes effrayants avaient fini par s’effacer, soit que la dose se fût trouvée insuffisante, soit que le temps en eût amorti le venin. On dit enfin que Napoléon, étonné de vivre, avait réfléchi quelques instants : « Dieu ne le veut pas!  » s’était-il écrié; et, s’abandonnant à la providence qui venait de conserver sa vie, il s’était résigné à de nouvelles destinées . 

Ce qui vient de se passer est le secret de l’intérieur. Quoi qu’il en soit, dans la matinée du 13, Napoléon se lève et s’habille comme à l’ordinaire. Son refus de ratifier le traité a cessé, il le revêt de sa signature.

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C’est à propos de ce « Manuscrit de 1814 » que Las-Cases écrit, dans le Mémorial (paru la même année):

Allusion sans doute au mystérieux évènement de la nuit du 12 au 13 avril, qui se serait passé dans le secret intérieur du palais, et dont le Manuscrit expose la conjecture, laquelle, si elle se trouvait une réalité, ne laisserait pas aux plus féroces ennemis de Napoléon, même la satisfaction du sot et banal adage si fort en usage dans le temps : Qu’il n’avait pas eu le courage de mourir ? Eh ! quoi, il serait donc vrai, d’après le Manuscrit, qu’au contraire il ne l’aurait pas pu ! Et cette circonstance merveilleuse ne serait pas la moins étonnante de son extraordinaire carrière; circonstance du reste, qu’ennoblirait jusqu’au sublime cette belle parole lors de son réveil inattendu : Dieu ne le veut pas, et cette noble et calme résignation qui succéda des cet instant.

References

References
1 Le baron Fain a rédigé, sous la Restauration, en plus de ses Mémoires, le récit des dernières années de l’Empire et notamment ce Manuscrit. Fain est l’une des meilleures sources pour appréhender cette époque.
2 Ce n’était pas seulement de l’opium; c’était une préparation indiquée par Cabanis, la même dont Condorcet s’est servi pour se donner la mort.